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Décisions

Conseil Conc., 5 mars 2003, n° 03-MC-02

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine et demande de mesures conservatoires présentée par la société Cegetel

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme Cramesnil de Laleu, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Mader-Saussaye, Perrot, MM. Gauron, Flichy, Ripotot, membres.

Conseil Conc. n° 03-MC-02

5 mars 2003

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 29 octobre 2002 sous les numéros 02-0094 F et 02-0095 M, par laquelle la société Cegetel a saisi le Conseil de la concurrence de certaines pratiques de la société France Télécom qu'elle estime anticoncurrentielles et a demandé, en outre, le prononcé de mesures conservatoires ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 02-689 du 30 avril 2002, fixant ses conditions d'application ; Vu l'avis n° 03-64 adopté par l'Autorité de Régulation des Télécommunications le 14 janvier 2003, à la demande du Conseil ; Vu les observations présentées par les sociétés Cegetel, France Télécom et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Cegetel et France Télécom entendus lors de la séance du 5 février 2003 ;

I. - LA SAISINE

1. Par lettre du 29 octobre 2002, la société Cegetel a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société France Télécom, qu'elle estime prohibées par les dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et qui concernent le secteur des services téléphoniques spéciaux de libre appel (" numéros verts " de France Télécom) et à coûts partagés (" numéros azur " et " numéros indigo " de France Télécom). Elle a assorti cette saisine d'une demande de mesures conservatoires.

2. Les services spéciaux de téléphonie consistent à offrir aux entreprises, administrations et associations, la possibilité d'établir une communication : soit gratuite pour l'appelant (services dits numéros " libre appel ", apparus en 1984), soit facturée à l'appelant à un taux qui est indépendant de sa localisation géographique (services dits numéros " à coûts partagés ", lancés en 1989 et 1996), soit à un taux uniforme et surtaxé pour permettre une rémunération du prestataire qui veut fournir des services à valeur ajoutée (il s'agit des services dits numéros " à revenus partagés ", qui ne sont pas compris dans le champ de la plainte).

3. Ces services ont été ouverts à la concurrence à compter du 1er janvier 1998. Jusqu'à cette date, l'opérateur historique, France Télécom, bénéficiait d'un monopole sur ce secteur.

4. L'intensité de la concurrence dans le secteur des services de communication téléphonique et plus encore dans celui des services spéciaux s'est trouvée fortement accrue par la mise en place de la portabilité des numéros qui se définit, selon l'ART, comme " la possibilité offerte à un abonné d'un opérateur de télécommunications de changer d'opérateur tout en conservant son numéro ". Aux termes des directives 98-61 CE du 24 septembre 1998 et 2002-22 CE du 7 mars 2002 concernant le service universel, le principe de portabilité constitue une obligation réglementaire communautaire. Conformément à l'article D. 99-16 du Code des postes et télécommunications, il s'agit également d'une obligation nationale pesant sur l'ensemble des opérateurs ; de sorte que, comme le précise l'ART, " Le portage du numéro doit pouvoir s'exercer librement, quels que soient les opérateurs de " départ " et d'" arrivée " ".

5. Toutefois, si l'article L. 34-10 du Code des postes et télécommunications prévoyait la mise en œuvre de la portabilité à partir du 1er janvier 1998, celle-ci n'est devenue effective qu'en juillet 2001 pour les numéros libre appel et depuis avril-mai 2002, pour les numéros à coûts partagés.

6. Dans sa plainte, la société Cegetel dénonce la pratique de la société France Télécom consistant à réserver à son seul profit l'usage des dénominations " numéro vert ", " numéro azur " et " numéro indigo " sous couvert du droit des marques. La plaignante considère que cette pratique constitue un détournement de la finalité essentielle de la protection accordée par ce droit. Elle ajoute que France Télécom imposerait à ses clients, à la faveur de son monopole, l'utilisation des dénominations susvisées afin de les transformer en un " standard de communication " dans des conditions aboutissant à une appropriation des numéros de téléphone concernés et qu'elle se refuserait à toute démarche de nature à atténuer ces effets restrictifs de concurrence, renforçant au contraire les clauses de son contrat " Numéro Accueil " et usant de la menace judiciaire afin de décourager toute contestation.

7. La société France Télécom a conclu, le 21 janvier 2003, à l'irrecevabilité, en tout état de cause, de la saisine de la société Cegetel ainsi qu'au rejet de la demande de mesures provisoires.

8. Le 27 janvier 2003, France Télécom a versé au dossier une pièce complémentaire portant le n° 20. De son côté, Cegetel a produit, le 31 janvier 2003, des pièces supplémentaires numérotées 25 à 41 ainsi que des observations complémentaires en réponse au mémoire de France Télécom du 21 janvier 2003. Eu égard à leur tardiveté, les productions des 27 et 31 janvier n'ont pu être soumises au débat contradictoire et doivent, en conséquence, être écartées de la procédure.

a) Sur le marché concerné

9. Il n'est pas exclu, en l'état du dossier, qu'il soit possible de retenir un marché pertinent des numéros dits " de services spéciaux " de télécommunications, comprenant deux segmentations, d'une part, les numéros " vert et azur ", d'autre part, les numéros " indigo ", et correspondant à une prestation supplémentaire au service téléphonique de base commercialisée, sous la forme de services de communication téléphonique à moindre coût, auprès d'une clientèle professionnelle qui les utilise dans le cadre de son activité professionnelle.

10. Du point de vue de la demande, pour les usagers, entendus comme les clients contractant avec les opérateurs, les services spéciaux proposent essentiellement un moyen de communication directe avec le public (service d'information ou service commercial). Pour les opérateurs, ces services représentent surtout un potentiel important de trafic.

11. Pour offrir au public ce type de prestations, les opérateurs règlent simplement le coût d'installation des équipements nécessaires à l'acheminement et au traitement des communications. L'opérateur nouvel entrant facture l'appelé pour les frais d'accès au service, l'abonnement mensuel, les services optionnels et éventuellement pour une partie du prix des communications.

b) Sur la position de France Télécom

12. Aux termes de son avis, l'ART considère que : " France Télécom détient encore fin 2001 plus de 85 % des numéros libre appel et 80 % des numéros à coûts partagés ".

13. Par ailleurs, la position de France Télécom est confortée par le fait que cet opérateur historique a bénéficié d'un monopole sur le marché en cause de 1984 à 1998 et dispose d'un portefeuille de marques qui lui a été cédé par l'Etat.

14. Il doit, enfin, être relevé que les grandes entreprises sont, dans leur grande majorité, clientes de France Télécom, alors que, selon les opérateurs alternatifs, il s'agit d'une clientèle extrêmement difficile à capter, ce qui confère à France Télécom un avantage décisif, et ce d'autant que les clients français font preuve, en règle générale, de peu de mobilité.

15. Il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas exclu que France Télécom dispose d'une position dominante sur le marché des services spéciaux de libre appel et à coûts partagés.

c) Sur la qualification possible de pratiques anticoncurrentielles

16. L'offre de services spéciaux de la société France Télécom fait l'objet du contrat " Numéros Accueil " et plus particulièrement de " conditions spécifiques " dont certaines clauses ont été introduites à la fin de l'année 2000, soit quelques mois avant la mise en place prévue de la portabilité.

17. En premier lieu, ce contrat a pour objet l'attribution d'un numéro d'appel spécifique, de sorte que l'utilisation des marques de France Télécom, qui accompagne cette attribution, n'en est que l'accessoire. La prestation consistant dans la fourniture d'un numéro spécial n'est pas couverte par le droit des marques, conformément à l'article L. 34-10 du Code des postes et télécommunications qui dispose que : " Les numéros (...) ne peuvent pas être protégés par un droit de propriété industrielle ou intellectuelle ".

18. En deuxième lieu, s'agissant des conditions d'utilisation des marques de France Télécom, il est précisé, à l'article 3.3 des conditions spécifiques du contrat " Numéros Accueil ", que : " France Télécom autorise le client, dans le cadre de toute opération de communication, à utiliser les marques comme suit : soit la marque dénominative Numéro Vert, Numéro Azur ou Numéro Indigo seule, suivie du numéro et sans emprunt quelconque d'une des composantes graphiques des marques ; soit l'une des marques graphiques Numéro Vert, Numéro Azur ou Numéro Indigo ; le client s'engage alors à respecter la charte graphique figurant dans la documentation qui lui est fournie ". Aux termes de ces dispositions, le client bénéficie donc, au choix, d'une licence de la marque dénominative (c'est-à-dire la désignation) ou d'une licence de la marque graphique et dénominative à la condition, en ce cas, de respecter une charte graphique. L'utilisation de cette charte, annexée au contrat de France Télécom, rend, par ailleurs, indissociables les marques déposées et les numéros téléphoniques attribués.

19. En troisième lieu, l'article 3.3 du contrat prévoit que : " L'expiration ou la résiliation du contrat met fin aux droits d'utilisation des marques dont bénéficie le client ". Cette perte du droit d'usage des marques de France Télécom fait également l'objet d'une stipulation expresse, en cas de portage du numéro accueil, à l'article 14.4.2 ainsi que dans les mandats annexés aux conventions d'interconnexion de France Télécom.

20. La clause précitée signifie que toute résiliation du contrat a, pour conséquence, la perte automatique et immédiate de l'autorisation d'utiliser les marques de France Télécom. Selon l'avis de l'ART, l'immédiateté de cette perte peut engendrer un coût tel, pour le client de France Télécom, qu'il réduit sensiblement le passage à la concurrence et empêche l'application de la portabilité.

21. Des éléments recueillis auprès d'un opérateur alternatif font ainsi apparaître que la Communauté Urbaine de Bordeaux aurait été obligée de détruire des milliers de prospectus et de refaire des affiches sur lesquelles figurait un numéro de l'opérateur Prosodie avec le sigle " numéro vert " et que le groupe Casino aurait dû s'engager à faire disparaître dans les six mois les marques de France Télécom présentes sur ses produits. Le groupe Volkswagen aurait suspendu son changement d'opérateur en raison des conséquences d'un tel changement sur l'utilisation, dans sa communication, de la mention " numéro vert ".

22. Pour justifier les pratiques qui lui sont reprochées, France Télécom invoque les droits d'exploitation et de protection des marques qui lui appartiennent et conteste avoir érigé des barrières à l'entrée sur le marché.

23. Concernant le droit des marques, il convient cependant de rappeler que les règles qui le gouvernent ne font pas obstacle à l'application du droit de la concurrence. S'agissant de concilier le principe de libre circulation communautaire avec les droits de marque nationaux, la notion d'" objet spécifique ", développée par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, permet de préciser ce qui peut relever du statut légal d'un droit de propriété industrielle d'un Etat membre sans heurter le principe de libre circulation. L'objet spécifique s'entend ainsi dans le sens où la fonction essentielle de la marque doit consister à garantir aux consommateurs l'identité d'origine du produit en leur permettant de distinguer, sans confusion possible, ce produit de celui qui a une autre provenance [CJCE, 119-75 du 22 juin 1976 Terrapin et CJCE, 102-77 du 23 mai 1978 Hoffman-Laroche].

24. La Commission a, en outre, souligné, dans une décision du 21 décembre 1988, qu'un droit de propriété industrielle peut être l'outil d'un abus caractérisé lorsque l'usage qui en est fait se situe en dehors du champ de l'objet spécifique de ce droit [Décision 89-205 de la Commission, 21 décembre 1988, aff. Magill].

25. Enfin, le Conseil de la concurrence, faisant application des principes énoncés dans les arrêts Continental-Can et Hoffman-Laroche rendus par la CJCE en 1973 et 1979, a rappelé que la notion d'exploitation abusive vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale, au développement de cette concurrence [Décision 02-MC-05].

26. S'agissant de l'existence de barrières à l'entrée sur le marché qui résulteraient des pratiques en cause, France Télécom fait valoir que, de 1998 à 2002, la part acquise par ses concurrents sur le marché des services spéciaux de libre appel et à coûts partagés serait de 20 % et qu'à la fin de l'année 2002, elle aurait enregistré une perte de 33 millions de minutes de trafic (correspondant à 378 résiliations de contrats avec portage de numéro).

27. Cependant, la part de marché de 20 % à laquelle il est ainsi fait référence comprend les transferts de clientèle vers les opérateurs alternatifs mais aussi l'acquisition, par ceux-ci, de nouveaux clients. En outre, la perte annoncée de 33 millions de minutes de trafic, rapprochée du montant du trafic total de 2 825 millions de minutes que France Télécom a assuré au titre de ses services de libre appel et à coûts partagés en 2001, c'est-à-dire au cours de l'année précédant la perte alléguée, représente moins de 1,2 % du trafic total généré au profit de France Télécom.

28. Par ailleurs, il ne peut être exclu que les pratiques dénoncées soient de nature à faire renoncer certains opérateurs à proposer des services spéciaux, eu égard aux difficultés qui accompagnent la résiliation des relations contractuelles entre France Télécom et sa clientèle.

29. Il résulte de ce qui précède qu'en l'état actuel de la procédure et sous réserve de l'instruction au fond, il ne peut être exclu que les pratiques de France Télécom, telles que décrites ci-dessus, puissent avoir pour objet et/ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence à l'égard des opérateurs alternatifs et de faire obstacle à l'ouverture à la concurrence du marché des services spéciaux qui, en raison de la mise en place effective récente de la portabilité, devrait connaître une impulsion significative.

II. - LES DEMANDES DE MESURES CONSERVATOIRES

30. Aux termes de l'article L. 464-1 du Code de commerce, les mesures conservatoires " ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ". Les mesures susceptibles d'être prises à ce titre " doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ".

31. A l'appui de sa demande, la société Cegetel expose qu'elle se trouve privée de l'accès à des marchés représentant 27 104 numéros verts et 20 122 numéros à coûts partagés pour 5 877 000 000 minutes de communications correspondant à une valeur de 420 000 000 d'euros pour la seule année 2001, marché de surcroît en plein essor. Elle ajoute que les pratiques de France Télécom lui portent un préjudice grave et immédiat en ce qu'elles ont pour objet et, en tout cas, pour effet de maintenir artificiellement des barrières à l'entrée sur un secteur ouvert à la concurrence depuis plusieurs années.

La société Cegetel demande, en conséquence, au Conseil, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce :

- en premier lieu, d'enjoindre à la société France Télécom de permettre à toute personne physique ou morale cliente de France Télécom de pouvoir, lorsqu'elle passe à la concurrence, sans trouble continuer à utiliser tous stocks de brochures, produits, marchandises sur lesquels figurent l'une ou l'autre des dénominations, et ce quel que soit son support, quelle qu'en soit la nature (conditionnement de produits, plaquettes publicitaires, flotte de véhicules, affiches, œuvres audiovisuelles ou sonores...) jusqu'à leur épuisement ou leur renouvellement ;

- en deuxième lieu, d'enjoindre à la société France Télécom, de cesser de conditionner l'octroi d'un droit d'usage sur les dénominations à la fourniture de ses services spéciaux et, en conséquence, lui enjoindre d'établir dorénavant deux offres séparées pour la fourniture de services spéciaux et l'utilisation des dénominations, dans un délai d'un mois courant à compter de la décision du Conseil, dans des conditions transparentes, non discriminatoires et objectives. En particulier, les conditions proposées par France Télécom ne devront pas être distinctes selon que la personne physique ou morale demanderesse du droit d'usage est ou non cliente de France Télécom pour ses services spéciaux ;

- en troisième lieu, de dire, en conséquence, que les contrats " Numéros Accueil " en cours devront être mis en conformité avec la présente injonction dans un délai de trois mois courant à compter du prononcé de la décision.

32. Ainsi que le relève l'ART, " la mise en place de la portabilité depuis juillet 2001 dans des conditions satisfaisantes pour les numéros libre appel et janvier 2002 pour les numéros à coûts partagés devrait se traduire par une augmentation du degré de concurrence sur ce segment de marché en pleine croissance et générateur de forts revenus pour les opérateurs ". Ces dates représentent donc un moment important dans le processus d'ouverture du marché des services spéciaux à la concurrence.

33. Une telle situation implique, notamment, que l'opérateur dominant, qui occupe plus de 80 % du marché, n'adopte pas des comportements de nature à faire obstacle à l'ouverture du marché et à la concurrence par les mérites qui doit s'y dérouler.

34. Dans ce contexte, il y a lieu, en outre, de tenir compte de la mise en œuvre très récente de la portabilité pour les numéros à coûts partagés, qui est intervenue en avril-mai 2002.

35. Dans de telles circonstances, des pratiques susceptibles de ralentir l'ouverture à la concurrence du marché des services spéciaux de libre appel et à coûts partagés, non seulement faussent le jeu de la concurrence entre les opérateurs alternatifs mais portent une atteinte grave et immédiate au secteur concerné, aux entreprises victimes des pratiques et aux consommateurs.

36. Dans les observations qu'elle a déposées le 21 janvier 2003, la société France Télécom indique que la clause résolutoire prévue aux articles 3.3 et 14.4.2 des conditions spécifiques " Numéro Accueil " "n'a ni pour objet ni pour effet de priver les clients des services libre appel et à coûts partagés de France Télécom, lorsqu'ils décident de mettre en œuvre la portabilité de leur numéro au profit d'un opérateur concurrent et résilient leur contrat à cet effet, du droit d'utilisation des marques de France Télécom qu'ils ont acquis sur les supports utilisés ou fabriqués pendant la période d'exécution du contrat et qui seraient toujours dans le commerce au moment de la résiliation" et demande au Conseil d'en prendre acte dans sa décision.

37. L'interprétation ainsi avancée est, cependant, contredite par l'échange de correspondances qui a eu lieu entre Cegetel et France Télécom en novembre et décembre 2001. A la société Cegetel qui lui demandait " de bien vouloir lui confirmer la non-application (de la clause résolutoire) afin que (les clients de France Télécom) ayant choisi l'offre Cegetel (via la portabilité) ne se retrouvent pas dans l'obligation de renouveler immédiatement l'ensemble de leurs supports de communication ", France Télécom a répondu qu'elle ne pouvait accéder à une telle demande et qu'il appartenait à la société Cegetel " de prévenir (ses) clients de la nécessité de modifier dans les temps leur politique de communication " [pièces 14-1 et 14-2 de la société Cegetel].

38. Par lettre en date du 20 septembre 2002, France Télécom, a confirmé sa position dans les termes suivants : " Afin d'éviter ce type de contentieux, nous vous demandons d'informer vos opérationnels de préciser à leur clientèle de ne pas utiliser les marques de la société France Télécom en leur rappelant qu'un tel usage de nos marques sans notre autorisation constitue une contrefaçon " [pièce 14-3 de la société Cegetel].

39. Les lectures contradictoires qui ont ainsi successivement été données par France Télécom des dispositions contractuelles en cause sont de nature à causer un trouble grave et immédiat aux entreprises du secteur, en raison de l'incertitude qu'elles font peser sur les conséquences d'un changement d'opérateur avec conservation du numéro antérieurement attribué.

40. Lors de la séance, France Télécom, reprenant l'interprétation de la clause de perte du droit d'utilisation de ses marques développée dans ses observations écrites, a offert de procéder à la modification de ses contrats en y introduisant les précisions propres à en rendre la lecture conforme à cette interprétation.

41. Cependant, la distinction qui, de convention expresse, serait ainsi établie entre les " supports utilisés ou fabriqués pendant la période d'exécution du contrat et qui seraient toujours dans le commerce au moment de la résiliation ", lesquels échapperaient à la perte du droit d'utiliser les marques de France Télécom en cas de portage du numéro au profit d'un opérateur concurrent, et les autres supports, est porteuse de difficultés pratiques et de futures contestations qui en rendent la mise en œuvre problématique.

42. En outre et surtout, la politique de communication des entreprises utilisatrices de numéros spécifiques ne saurait, pour d'évidentes raisons de cohérence et d'efficacité, raisonnablement s'accommoder d'une coexistence entre supports antérieurs à la date de résiliation de l'abonnement contracté auprès de la société France Télécom, qui continueraient de mentionner les marques de cette dernière, et supports postérieurs à cette date, qui ne porteraient plus lesdites marques.

43. Il y a donc lieu, dans l'attente de la décision du Conseil sur la saisine, d'enjoindre à France Télécom de suspendre l'application de la clause de perte du droit d'utilisation des marques en cause, dans les termes et suivant les modalités prévus au dispositif ci-dessous et d'en informer, par courrier, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, tous les clients susceptibles de bénéficier de cette suspension, en joignant en annexe une copie de la décision du Conseil.

44. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'accueillir la demande de la société Cegetel tendant à ce qu'il soit enjoint à France Télécom, d'une part, de cesser de conditionner l'octroi d'un droit d'usage sur les dénominations en cause à la fourniture de ses services spéciaux, d'autre part, d'établir deux offres séparées pour la fourniture de services spéciaux et l'utilisation des dénominations, s'agissant de dispositions de fond qui excèdent le cadre des mesures conservatoires.

DÉCISION

Article 1er - Il est enjoint à la société France Télécom, à compter de la notification de la présente décision et dans l'attente d'une décision au fond, de suspendre, pour tous les contrats " Numéros Accueil " signés à une date antérieure ou concomitante à la date de la présente décision qui feraient l'objet d'une résiliation avec portage du numéro spécifique de l'abonné chez un opérateur concurrent, l'application de la clause insérée aux articles 3.3 et 14.4.2 du contrat, relative à la perte du droit d'utilisation des marques de France Télécom et à laquelle se réfèrent également les mandats de portabilité annexés aux conventions d'interconnexion de France Télécom.

Article 2 - Il est enjoint à la société France Télécom d'informer, par courrier, dans les deux mois de la notification de la présente décision, tous ses clients titulaires de contrats " Numéros Accueil " signés à une date antérieure ou concomitante à celle de la présente décision de la suspension de l'application de la clause précitée dans le cas de résiliation du contrat avec portage du numéro spécifique de l'abonné chez un opérateur concurrent, en joignant en annexe une copie de la décision du Conseil.