Livv
Décisions

CA Bordeaux, 3e ch. corr., 29 avril 1997, n° 96000639

BORDEAUX

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Leotin (faisant fonction)

Conseillers :

Mmes Robert, Gounot

Avocat :

Me Gonthier

TGI Toulouse, ch. corr., du 9 févr. 1994

9 février 1994

Faits :

René P était poursuivi devant le Tribunal de grande instance de Toulouse comme prévenu :

- d'avoir à Toulouse, le 17 décembre 1992, commis le délit de publicité mensongère en distribuant aux passants sur la voie publique un imprimé les invitant à s'adresser à une association dite X, pour la défense de leurs droits, publicité mensongère dans le fait que l'association concernée, objet d'une procédure de liquidation judiciaire, n'a plus d'existence légale et ne peut plus rendre le service annoncé ;

Infraction prévue et réprimée par les articles 44 I, 44 II alinéas 7 et 8, 44 II alinéas 9 et 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1er de la loi du 1er août 1905 ;

Par jugement contradictoire du 14 avril 1993 dont René P a interjeté appel le 23 avril 1993, le tribunal :

- a rejeté la demande de copie de pièces ;

- a renvoyé l'affaire à l'audience du 13 octobre 1993 à 13 heures 45 ;

Par jugement contradictoire du 9 février 1994, pour lequel le prévenu et le Ministère Public ont relevé appel les 16 et 17 février 1994, le tribunal :

- a déclaré René P coupable des faits qui lui sont reprochés ;

- a condamné René P à une amende sous la forme de jours-amende ;

- a fixé à 200 jours le nombre de jours-amende, compte tenu des circonstances de l'infraction et a dit que le montant de chaque jour amende, compte tenu des ressources et charges du condamné a été fixé à 200 F ;

- a ordonné aux frais du condamné, la publication par extraits de la présente décision dans le journal suivant : La Dépêche du Midi, le coût de cette publication ne devant dépasser la somme de 3 000 F.

Par arrêt en date du 6 avril 1995 la Cour d'appel de Toulouse :

- a rejeté l'exception de nullité tenant du défaut de communication en copies des pièces de la procédure ;

- a déclaré René P coupable de l'infraction qui lui est reprochée ;

- l'a condamné à un mois d'emprisonnement avec sursis et a ordonné une mesure de publication.

Par déclaration en date du 10 avril 1995, René P a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Par arrêt en date du 12 juin 1996, la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse, en date du 6 avril 1995 et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Bordeaux, désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; a ordonné l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Toulouse, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Sur quoi,

LA COUR a mis l'affaire en délibéré pour rendre son arrêt à l'audience publique du 29 avril 1997,

Et, à l'audience de ce jour, Mme le Président a donné lecture de la décision suivante :

L'appel interjeté le 23 avril 1993 par René P à l'encontre d'un jugement rendu contradictoirement le 14 avril 1993 par le Tribunal de grande instance de Toulouse de même que les appels successivement relevés les 16 et 17 février 1994 par René P et le Ministère Public à l'encontre d'un jugement rendu contradictoirement le 9 février 1994 par ce même tribunal, sont recevables pour avoir été déclarés dans les forme et délai de la loi.

Le prévenu, assisté de son conseil, dépose avant toute défense au fond des conclusions tendant à l'annulation du jugement du 9 février 1994 pour violation de l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme dans la mesure où il n'a pu, avant l'audience devant le tribunal, obtenir la délivrance de la copie du dossier, étant observé qu'il déclare oralement qu'il a pu obtenir une copie du dossier avant la présente audience.

Dans des conclusions dites " personnelles " déposées également in limine litis, le prévenu soulève en outre une exception de nullité de procédure relative à l'article 397-6 du Code de procédure pénale et soutient que la procédure de convocation par procès-verbal, prévue par ce texte, était inapplicable aux faits de la cause, l'infraction qui lui est reprochée étant incriminée et réprimée par un texte spécial.

Au fond, le prévenu sollicite sa relaxe.

Il soutient :

- que l'enquête sur laquelle se fondent les poursuites présente un caractère mensonger dans la mesure où il est indiqué de façon erronée que l'Association Y n'a pas été enregistrée en préfecture et qu'il existe une erreur sur le montant de ses revenus (28 000 F environ par an et non par mois en 1991), ce qui constituerait une escroquerie au jugement.

- que le délit de publicité mensongère n'est pas caractérisé à son encontre, les associations X et Y ayant été régulièrement déclarées en préfecture et n'étant pas des entreprises commerciales à but lucratif, lui-même n'ayant eu par ailleurs qu'un rôle de bénévole au sein de ces groupements.

Le Ministère Public, requiert la jonction de l'incident au fond, l'annulation du jugement déféré, l'évocation de l'affaire et la condamnation du prévenu à la peine de 30 000 F d'amende et à la publication de la décision à intervenir.

Motivation :

Il y a lieu, par application de l'article 459 alinéa 3 du Code de procédure pénale de joindre au fond les exceptions soulevées par le prévenu et de statuer par un seul et même arrêt.

Sur l'annulation des jugements déférés :

Toute personne ayant la qualité de prévenu est en droit d'obtenir, en vertu de l'article 6 de La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, la délivrance à ses frais, le cas échéant par l'intermédiaire de son avocat, de la copie des pièces du dossier soumis à la juridiction devant laquelle elle est appelée à comparaître.

Il apparaît en conséquence qu'en rejetant la demande de copies de pièces formée par le prévenu puis en refusant d'accorder à ce dernier le renvoi de l'affaire pour organiser sa défense et prendre connaissance du dossier, le tribunal, dans ses jugements du 14 avril 1993 et du 9 février 1994, frappés d'appel, a violé les dispositions sus-rappelées et il y a lieu de prononcer l'annulation des décisions déférées, ainsi que d'évoquer et de statuer au fond par application de l'article 520 du Code de procédure pénale.

Sur l'exception de nullité de la procédure :

Il convient d'observer que par jugement avant dire droit du 27 janvier 1993 à l'encontre duquel il n'a pas été interjeté appel et qui est actuellement définitif et revêtu de l'autorité de la chose jugée, le Tribunal de grande instance de Toulouse a rejeté l'exception de nullité soulevée par le prévenu pour violation des dispositions de l'article 397-6 du Code de procédure pénale, ce qui a pour effet de rendre irrecevable cette même exception devant la cour.

Au fond :

Il résulte de l'enquête et des débats à l'audience que le 17 décembre 1992, René P a été interpellé alors qu'il distribuait sur la voie publique devant le Palais de Justice de Toulouse, des tracts concernant une association X ainsi que des tracts concernant une association Y, étant observé que seuls les premiers sont visés à la prévention et qu'ils étaient ainsi libellés " Réclamez réparation des fautes professionnelles de magistrat, avocat, avoué, fonctionnaire, gendarme, banquier, assureur, médecin, syndicat, association, élu politique etc... Pour prévenir tout litige consultez X, de 14 heures à 18 heures ".

Or la liquidation judiciaire de l'association X a été prononcée par jugement du Tribunal de grande instance de Toulouse en date du 15 novembre 1990, confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 16 novembre 1991, dont le caractère définitif n'est pas contesté.

Il convient préalablement de relever :

- que contrairement à ce que soutient à tort le prévenu, la législation sur la publicité mensongère s'applique à " toute publicité ", ne se limitant pas à celle émanant d'un commerçant mais s'étendant également aux publicités effectuées par des associations ne poursuivant aucun but lucratif.

- que les erreurs contenues dans le procès-verbal sur lequel se fondent les poursuites, relevées par le prévenu, sont sans effet sur la constitution de l'infraction reprochée à ce dernier, dans la mesure où elles ont trait soit à l'association Y, dont la publicité n'est pas incriminée, soit aux revenus du prévenu, ce qui ne peut avoir d'incidence que sur le prononcé d'une éventuelle sanction.

Le prévenu a déclaré au cours de l'enquête qu'il avait " découvert " au moment de son interpellation la présence de tracts émanant de l'association X au milieu d'autres tracts au nom de l'association Y et le secrétaire de celle-ci, Francis G, a soutenu que les tracts publicitaires concernant X, distribués par René P, provenant d'anciens stocks et qu'il s'agissait d'une erreur de ce dernier.

Toutefois, lors de la perquisition effectuée au siège de l'association Y, lequel se confond avec celui de l'association X, il a été trouvé sur la table de l'entrée, à la disposition du public, des tracts identiques à ceux incriminés.

Il apparaît ainsi que ce n'est pas par erreur, à la suite d'une manipulation malencontreuse, que lesdits tracts ont été distribués par le prévenu et il est en conséquence établi que ce dernier, qui a reconnu qu'il avait connaissance de la procédure de liquidation judiciaire concernant l'association X, a bien eu l'intention d'effectuer de la publicité pour cette association alors qu'elle n'avait plus d'existence légale et qu'elle ne pouvait plus en conséquence offrir les prestations par elle annoncées.

Il convient en outre, compte tenu de l'ancienneté des faits, de relever le prévenu de la peine complémentaire de publication de la présente décision qu'il encourt de plein droit, tant en vertu de l'article 44 de la loi n° 73-1193 du 27-12-1973, applicable à la date de la commission des faits, qu'en vertu de l'article L. 121-4 du Code de la consommation actuellement en vigueur.

Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, Déclare recevables les appels du prévenu et du Ministère Public, Ordonne la jonction au fond des exceptions soulevées par le prévenu et dit qu'il sera statué par un seul et même arrêt. Annule les jugements du Tribunal de grande instance de Toulouse du 14 avril 1993 et du 9 février 1994 pour violation de l'article 6 paragraphe 3 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales. Evoquant et statuant, tant sur l'exception de nullité de la procédure qu'au fond, Déclare irrecevable l'exception de nullité de la procédure soulevée par René P. Déclare le prévenu coupable du délit de publicité mensongère qui lui est reproché. Le condamne à la peine de 10 000 F d'amende et le relève de la peine complémentaire de publication de la présente décision qu'il encourt de plein droit. Dit que la contrainte par corps s'appliquera dans les conditions prévues aux articles 749 et 750 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné en application de l'article 1018 A du CGI.