CA Lyon, 7e ch. corr., 1 octobre 1997, n° 513
LYON
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dulin
Avocat général :
Me Viout
Conseillers :
M. Fayol-Noireterre, Gouverneur
Avocat :
Me Mansuino.
Par jugement en date du 24 janvier 1996, le Tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a relaxé G des fins de la poursuite du chef d'avoir, à Cormoz (01), le 8 juillet 1994 :
- effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur,
sur les qualités substantielles et la portée des engagements pris par l'annonceur en présentant sur des panonceaux situés sur les routes d'accès, sur le bâtiment d'exploitation, sur des prospectus et dans un guide élaboré et distribué par " Les Gîtes de France " et " Bienvenue à la ferme ", l'établissement de restauration qu'il exploite comme une " ferme-auberge " alors que les six septièmes des produits principaux utilisés pour confectionner les vingt et un plats proposés sur les six menus sont achetés dans le commerce (grossiste ou détaillants) et ne proviennent donc pas essentiellement de l'exploitation du fermier aubergiste ou accessoirement de producteurs locaux voisins ;
sur les qualités substantielles et l'origine de volailles dans les menus à 89 F et 140 F comme étant des volailles de Bresse, alors que s'agissant de volailles dépourvues de la bague de l'éleveur, du scellé de l'expéditeur et de l'étiquette commerciale, elles ne peuvent prétendre à l'appellation " Bresse " ;
(articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1, L. 213-1 et L. 121-4 du Code de la consommation).
Attendu que le Ministère Public a relevé appel dans les forme et délai légaux ;
Attendu qu'il résulte de la procédure et des débats les faits suivants :
Pierre-Emmanuel G exploite à Cormoz (01) une ferme-auberge à l'enseigne " X " sous forme de société à responsabilité limitée dont il est le gérant. Sur le même site est implantée la Ferme Y, société civile d'exploitation agricole (SCEA) dont son frère Stéphane est le gérant.
Cette ferme-auberge est mentionnée dans de nombreux dépliants touristiques du département de l'Ain, est signalée par des panonceaux apposés sur les routes d'accès et figure dans les brochures des réseaux " Gîtes de France " et " Bienvenue à la ferme ".
En juillet 1994, elle proposait à la clientèle six menus différents, aux pris échelonnés entre 89 F et 250 F. Or, lors d'un contrôle effectué le 8 juillet 1994, les fonctionnaires de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes constataient que sur 21 plats proposés par ces menus, seuls 3 étaient confectionnés avec des produits issus directement de la ferme, alors que 18, soit 86 %, l'étaient à partir de denrées et ingrédients acquis à l'extérieur, dans des circuits commerciaux.
Ces fonctionnaires considéraient de ce fait que le prévenu ne pouvait revendiquer l'appellation " ferme-auberge " pour son commerce, la charte du réseau " Bienvenue à la ferme " précisant que les produits principaux constituant les plats proposés devaient provenir essentiellement de l'exploitation du fermier aubergiste, sauf approvisionnement provisoire auprès de producteurs locaux voisins, sous réserve que celui-ci ait été dûment autorisé par un avenant à la charte et soit signalé sur les documents de la ferme-auberge présentant les plats servis. Ils ajoutaient dans leur procès-verbal, au vu des factures produites, que la plupart des produits extérieurs avaient été acquis auprès de producteurs grossistes ou détaillants qui n'étaient pas implantés à proximité.
Par ailleurs, ils relevaient que 20 volailles, préparées pour les menus à 89 et 140 F sous l'appellation Volailles de Bresse, ne comportaient pas la bague de l'éleveur, le scellé de l'expéditeur et l'étiquette commerciale exigés par les articles 10 et 12 de l'arrêté du 15 juillet 1970 définissant cette appellation, alors que la facture délivrée par le fournisseur, la SCEA voisine, ne portait que la mention "volailles".
Le prévenu ne contestait pas la matérialité des constatations effectuées sur la nature des produits composant ses menus, d'une origine extérieure à la ferme gérée par son frère, mais déclarait que ceux-ci étaient autorisés s'ils provenaient de la même région. Il ajoutait que les 20 volailles contrôlées avaient été élevées dans cette ferme, même si, prêtes à être buclées et découpées avant cuisson, elles ne portaient pas, lors du contrôle les bagues comportant l'identification de la ferme et soutenait que toutes les volailles composant ses menus étaient conformes aux exigences de la réglementation.
Dans un rapport complémentaire consécutif à cette déclaration, l'Administration maintenait la teneur de ses conclusions et observations, en précisant que par un courrier du 9 août 1993, faisant suite à un contrôle du 6 août 1993, elle avait déjà attiré l'attention de l'intéressé, sans toutefois établir de procès-verbal, sur le respect des exigences imposées par l'utilisation de l'appellation " ferme-auberge ".
Discussion et motifs de la décision :
Attendu que le Ministère Public sollicite la réformation du jugement et la condamnation du prévenu du chef de publicité mensongère ou trompeuse en relevant que les éléments de la procédure ne lui permettaient pas de qualifier, sur ses documents publicitaires et commerciaux, son établissement de " ferme-auberge ", ni de revendiquer la dénomination de " volailles de Bresse " pour deux des menus contrôlés le 8 juillet 1994 ;
Attendu pour sa part que Pierre-Emmanuel G, sollicite la confirmation de la décision de relaxe intervenue en sa faveur, en soutenant :
- que son établissement n'adhère pas au réseau des fermes auberges, " Bienvenue à la ferme ", association régie par la loi de 1901, dont la charte, au demeurant modifiée, n'a nullement valeur légale, mais seulement de règlement intérieur pour ses membres ; qu'au demeurant, des dissensions sont intervenues entre les différents professionnels exerçant des activités similaires et que lui-même a adhéré à l' " Association des Fermiers Aubergistes ", disposant du logo " Ferm'Auberge " régulièrement déposé, mais sans quota ni charte à respecter.
- qu'il n'existe pas de définition légale du terme " ferme-auberge ", dépourvu de tout sens juridique,
- que son établissement est une exploitation agricole en activité, assujettie à la Mutualité Sociale Agricole,
- que la Ferme-auberge X dispose d'une renommée nationale, particulièrement représentative de l'agriculture de la Bresse, de sa gastronomie locale et de ses traditions folkloriques,
- que l'ensemble des menus proposés sont constitués autour de la volaille de Bresse ou de spécialités culinaires locales, telles que grenouilles, quenelles et écrevisses sauce Nantua,
- enfin qu'il justifie que les volailles servies proviennent d'un GEAC agricole, régulièrement habilité par le Comité Interprofessionnel de la Volaille de Bresse (CIVB), lequel au demeurant ne s'est pas constitué partie civile, société avicole reconnue à cet effet comme éleveur par ledit Comité, et disposant des signes distinctifs lui permettant de revendiquer cette appellation, et que lui-même, en tant qu'utilisateur de ces volailles et non de fournisseur ou de vendeur, n'est pas tenu de présenter aux clients ces volailles munies de ces signes ;
Sur l'utilisation de l'expression " ferme-auberge " :
Attendu au préalable qu'il importe peu, sur le premier chef des poursuites, l'utilisation indue de l'appellation " ferme-auberge ", que le prévenu et son établissement soient régulièrement affiliés auprès de la Mutualité Sociale Agricole, ou jouissent d'une renommée excédant les limites du département de l'Ain, ces éléments étant sans effet sur l'existence d'une éventuelle infraction ;
Attendu encore qu'il ne lui est nullement reproché par la citation, comme l'a retenu à tort le tribunal, d'avoir enfreint les dispositions de la charte du réseau " Bienvenue à la ferme ", mais d'avoir présenté son établissement comme une ferme-auberge, alors que les 6/7 des produits principaux utilisés dans les 21 plats proposés par ses menus, étaient achetés dans des commerces extérieurs et ne provenaient pas essentiellement de son exploitation de fermier ou de producteurs voisins locaux ;
Attendu qu'il sera cependant relevé que les éditions 1994 des catalogues " Bienvenue à la ferme " et " Gîtes de France " présentent l'établissement concerné sous l'appellation " ferme-auberge ", en mentionnant certes Claude G père de l'intéressé comme propriétaire, mais qu'au vu des pièces produites par le prévenu lui-même, celui-ci s'est fait immatriculer au registre du commerce et des sociétés du Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse le 29 novembre 1990, après que son père en ait obtenu sa radiation le 23 novembre 1990 ;
Attendu, sur ce point, que le prévenu n'a pas remis en cause les constatations des fonctionnaires de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sur l'origine de ces produits ;que les factures produites démontrent en effet que la plupart d'entre eux, dans les proportions susvisées, ont été acquis dans des circuits commerciaux extérieurs, voire auprès de grossistes (société Promocash pour le porc et les fromages, SARL Piroud expéditeur de volailles en gros pour les filets de poulet et les pigeons, SARL Fruiteco pour les fruits et légumes, Daniel Colin pour les champignons et grenouilles, poissonnerie de demi-gros Gonnaud, de Mâcon, pour les sandres, truites et écrevisses...) ;
Attendu que si la dénomination de " ferme-auberge " n'a aucune caractérisation autonome de nature juridique, comme il est soutenu, il convient de rechercher néanmoins si les prestations offertes par l'établissement du prévenu sont conformes à celles que la clientèle est en droit d'attendre d'une telle appellation ;
Attendu à cet effet que cette dénomination induit dans l'esprit du consommateur moyen, voire avisé, que les produits proposés à la consommation dans le cadre de l'auberge proviennent essentiellement de l'exploitation agricole d'une ferme dont l'activité de restauration n'est que le prolongement accessoire, implantée sur le même site ou à proximité immédiate, et qu'ils soient cuisinés et servis directement sur celui qui les a produits soit par élevage, soit par culture ;que ces éléments portant sur l'origine des matières premières composant l'essence même des menus sont un facteur essentiel du choix des clients d'une ferme-auberge préférant ce mode de restauration à celui d'un établissement ordinaire mettant en œuvre des produits acquis dans les circuits commerciaux traditionnels ;
Or attendu qu'il a été rappelé, et n'est pas contesté, que 18 des 21 plats proposés, soit 6/7 ou 85,71 %, étaient confectionnés avec des produits ne provenant pas de la ferme du Grand Ronjon, mais de ces produits commerciaux ordinaires, voire de fournisseurs grossistes ;que les documents publicitaires et panneaux de signalisation concernant l'établissement géré par le prévenu, étaient ainsi de nature à induire en erreur la clientèle sur les éléments substantiels des produits offerts à la consommation quant à leur origine, et qu'il convient de ce fait d'infirmer le jugement et de déclarer Pierre-Emmanuel G coupable de ce chef de poursuites ;
Sur l'appellation " volailles de Bresse " :
Attendu qu'il importe peu, comme l'a encore retenu le tribunal, que le Comité Interprofessionnel de la Volaille de Bresse ne se soit pas constitué partie civile ; qu'à supposer même que cet organisme ait été avisé de ces faits et de la date de l'audience, hypothèse non réalisée en l'espèce, l'absence d'une telle constitution ne saurait avoir aucun effet sur la régularité des poursuites et l'existence d'une infraction ;
Attendu au fond, qu'appelé à justifier l'origine des volailles contrôlées le 8 juillet 1994, présentées dans deux menus sous l'appellation " de Bresse ", le prévenu a présenté un bon de livraison, du même jour, et une facture datée du mois de juillet 1994, émanant de la société civile d'exploitation agricole Ferme Y, exploitée par son frère Stéphane, et comportant pour seule mention " 20 volailles ", à l'exclusion de toute précision sur leurs origine et qualité ; que les fonctionnaires de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont en outre constaté qu'aucune de ces volailles n'était accompagnée ou munie des signes distinctifs expressément exigés par l'arrêté du 15 juillet 1970 susvisé, notamment en ses articles 9 et 10 ;
Attendu encore que les pièces produites aux débats par le prévenu pour justifier du respect de cette appellation, ne consistent qu'en une facture du GAEC Agricole Poncin - et non de la SCEA Y -, datée de surcroît du 14 novembre 1995, soit postérieure de quinze mois au contrôle du 8 juillet 1994, et que les 500 bagues présentées aux gendarmes le 27 septembre 1994, n'ont été acquises que le 5 septembre 1994, soit deux mois après ce dernier ;
Attendu qu'il sera enfin relevé que les factures de la SARL Arthur Piroud, contemporaines à ce contrôle, démontrent que cet expéditeur de volailles en gros a livré au prévenu 55 filets de poulet ordinaire à cette époque, et qu'il sera rappelé que selon les renseignements fournis par le Comité Interprofessionnel de la Volaille de Bresse, seules 500 bagues ont été livrées le 5 septembre 1994 à la ferme Y, sur une mise en place de 7 610 volailles entre les mois de mai 1991 à octobre 1994 ;
Attendu que l'ensemble de ces éléments permet de considérer que le prévenu ne rapporte pas la preuve, contraire aux constatations précises et circonstanciées des fonctionnaires de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, que les volailles offertes dans deux menus le 8 juillet 1994, pouvaient recevoir la qualification revendiquée de " volailles de Bresse ", et suffit à démontrer que la présentation de ces deux menus constitue le délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, tel que visé aux poursuites ;que le jugement déféré sera infirmé en ce sens ;
Attendu en répression, que ces infractions sont d'autant plus graves qu'elles ont été commises par un professionnel qui revendique, par voie de publicités, d'articles de presse et d'attestations une renommée excédant les limites régionales alors que son attention avait déjà été attirée par un courrier du 9 août 1993 sur les exigences d'origine requises par la dénomination " ferme-auberge " ;
Attendu dans ces conditions que la cour condamnera le prévenu aux peines de huit mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 F d'amende ;
Attendu encore qu'il sera fait application des dispositions de l'article L. 121-4 du Code de la consommation, et que sera ordonnée la publication d'un extrait du présent arrêt dans les journaux " Le Progrès " et " Voix de l'Ain " aux frais du condamné, au coût maximal de 7 000 F par insertion ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi, En la forme, reçoit l'appel du Ministère Public, Au fond infirme le jugement déféré et déclare Pierre-Emmanuel G coupable des délits de publicités mensongères ou de nature à induire en erreur, Le condamne aux peines de : - huit mois d'emprisonnement avec sursis, - trente mille francs d'amende, Ordonne la publication d'un extrait du présent arrêt dans les journaux " Le Progrès " et " Voix de l'Ain " aux frais du condamné, au coût maximal de 7 000 F par insertion, Constate que l'avertissement prévu par l'article 132-29 du Code pénal a été donné au condamné dans la mesure de sa présence effective à l'audience où le présent arrêt a été prononcé, Fixe en tant que de besoin la contrainte par corps conformément à la loi, Le tout par application des articles 132-29 à 132-39 du Code pénal, L. 121-1 et suivants, L. 213-1 du Code de la consommation, 473, 485, 509, 512, 513, 514, 515, 749 et 750 du Code de procédure pénale.