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Décisions

CE, sect. du contentieux, 31 mars 2003, n° 188833

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Rapporteur :

M. Sanson

Avocat :

SCP Delaporte-Briard.

CAA Paris, du 13 mai 1997 ; du 29 juin 1…

13 mai 1997

LE CONSEIL : - Vu 1°), sous le n° 188833, le recours, enregistré le 4 juillet 1997 au secrétariat Section Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 13 mai 1997 par lequel la Cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du 2 mars 1994 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm tendant à ce que l'Etat soit condamné à l'indemniser du préjudice subi, du fait de la publication de l'avis du 17 septembre 1986 de la commission de la sécurité des consommateurs instituée par l'article 13 de la loi du 21 juillet 1983 recommandant l'interdiction des "produits cosmétiques solaires contenant des psoralènes et notamment du 5-MOP d'origine naturelle ou non", a déclaré l'Etat responsable du préjudice subi par la société du fait de cette publication et a ordonné une expertise ; - Vu 2°), sous le n° 211756, le recours, enregistré le 23 août 1999 au secrétariat du Section Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 29 juin 1999 par lequel la Cour administrative d'appel de Paris, à la suite de son arrêt avant-dire-droit du 13 mai 1997, a condamné l'Etat à verser une somme de 23 972 000 F à la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm, avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 1991, et a condamné l'Etat à payer la somme de 100 000 F au titre des frais exposés par la société et non compris dans les dépens et de décider qu'il sera sursis à l'exécution de cet arrêt ; - Vu les autres pièces des dossiers ; - Vu le Code de la santé publique ; - Vu le Code de la consommation ; - Vu la loi n° 83-660 du 21 juillet 1983 relative à la sécurité des consommateurs ; - Vu le Code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Sanson, Maître des Requêtes, - les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm, - les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les recours n°s 188833 et 211756 formés par le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant que, par arrêt du 13 mai 1997, la Cour administrative d'appel de Paris a jugé que l'Etat était responsable du préjudice subi par la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm du fait des fautes tenant à l'avis rendu le 17 septembre 1986 par la commission de la sécurité des consommateurs sur les produits cosmétiques solaires contenant des psoralènes et notamment du 5-MOP et à la publication de cet avis au Journal Officiel de la République française le 27 février 1987 ; que, par un nouvel arrêt, rendu après expertise, du 29 juin 1999, la cour a évalué le préjudice indemnisable subi par la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm à 23 972 000 F et a condamné l'Etat à payer cette somme à cette société ;

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 13 mai 1997 : - Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commission de la sécurité des consommateurs a émis, le 17 septembre 1986, un avis aux termes duquel : "1°) Les produits cosmétiques solaires contenant des psoralènes et, notamment, du 5-MOP d'origine naturelle ou non, devraient être interdits. 2°) Les autres Etats membres de la Communauté européenne et la Commission elle-même devraient être avertis de la position française sur ce point, conformément à l'article 12, alinéa 1, de la directive du Conseil 76-768-CEE du 27 juillet 1976, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux produits cosmétiques" ; que la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm a mis en cause la responsabilité de l'Etat à raison du préjudice qu'elle aurait subi du fait de cet avis et de sa publication au Journal Officiel, préjudice consistant en une baisse importante des ventes de ses produits commercialisés sous l'appellation Bergasol et contenant du 5-MOP ;

Considérant que la commission de la sécurité des consommateurs, instituée par l'article 13 de la loi du 21 juillet 1983 est, aux termes de l'article 14 de la même loi, aujourd'hui codifié à l'article L. 224-2 du Code de la consommation, "chargée d'émettre des avis et de proposer toute mesure de nature à améliorer la prévention des risques en matière de sécurité des produits ou des services. Elle recherche et recense les informations de toutes origines sur les dangers présentés par les produits et services ... Elle peut porter à la connaissance du public les informations qu'elle estime nécessaires" ; que si aux termes de l'article 8 de la même loi, codifié à l'article L. 221-8 du Code de la consommation : "Les mesures prévues au présent chapitre ne peuvent être prises pour les produits et services soumis à des dispositions législatives particulières ou à des règlements communautaires ayant pour objet la protection de la santé ou de la sécurité des consommateurs", il ressort notamment du rapprochement des articles 8 et 14 que la disposition précitée de l'article 8 s'applique aux "mesures", administratives et judiciaires, prévues aux articles 2, 3, 6, 7, 10 et 11 de la loi et qu'elle n'a eu ni pour objet ni pour effet de limiter le pouvoir que la commission de la sécurité des consommateurs tient de l'article 14 de la même loi de formuler des avis et des propositions destinés à améliorer la prévention des risques en matière de sécurité des produits ou des services ; qu'ainsi, en se fondant, pour juger que la responsabilité de l'Etat était engagée, sur ce que la commission n'aurait pas été compétente pour rendre un avis et pour formuler des propositions sur les produits cosmétiques, dès lors que ces produits faisaient, au sens de l'article 8 de la loi, l'objet de dispositions législatives particulières, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Sur la responsabilité pour faute de l'Etat : - Considérant, en premier lieu, que si la société requérante critique la manière dont la commission de la sécurité des consommateurs a conduit son enquête, entendu les différentes parties et élaboré son avis, il ne résulte pas de l'instruction que cet avis ait été rendu au terme d'une procédure irrégulière ;

Considérant, en deuxième lieu, que la commission de la sécurité des consommateurs était compétente, comme il a été dit, pour rendre un avis relatif aux dangers potentiels pour la santé des consommateurs des produits solaires contenant du 5-MOP ; que la publication de ces avis était imposée par l'article 17 de la loi du 21 juillet 1983 aux termes duquel : "La commission établit chaque année un rapport de son activité. Ce rapport-là est publié au Journal Officiel. Les avis de la commission sont annexés à ce rapport là" ;

Considérant, en troisième lieu, qu'aucune disposition de la directive du conseil des Communautés européennes 76-768-CEE du 27 juillet 1976 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux produits cosmétiques ne fait obstacle à ce qu'un organisme consultatif relevant d'un Etat membre recommande l'interdiction d'un produit cosmétique qu'il estime dangereux ni à ce qu'une telle recommandation soit publiée par les soins de cet Etat ;

Considérant enfin que de nombreuses études et publications scientifiques ont, à partir de 1981, fait état de risques pour la santé des consommateurs engendrés par les produits solaires contenant des psoralènes et notamment du 5-MOP, tels que les produits Bergasol fabriqués par la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm ; que ces faits justifiaient que la commission de la sécurité des consommateurs se saisisse de cette question ; qu'en recommandant l'interdiction de tels produits, cette commission, en l'état des connaissances scientifiques de l'époque, n'a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'en confirmant cet avis en 1995, alors même que son avis du 17 septembre 1986 n'avait été suivi d'aucune interdiction ou limitation de l'emploi des psoralènes dans les produits solaires et que le conseil supérieur de l'hygiène publique en France avait émis en 1993 un avis plus favorable à ces produits, la commission de la sécurité des consommateurs n'a pas davantage commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que d'ailleurs, à la suite de plusieurs demandes d'organismes et de personnalités scientifiques et sanitaires français et étrangers, une directive du Conseil des Communautés européennes du 10 juillet 1995, toujours en vigueur, a limité la présence des psoralènes et notamment du 5-MOP à un niveau très bas, très nettement inférieur aux teneurs des mêmes substances dans les produits Bergasol ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement du 2 mars 1994, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'indemnisation sur le fondement de la responsabilité pour faute de l'Etat ;

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat : - Considérant que la société requérante demande également la réparation du préjudice subi par elle sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat ; que, toutefois, l'avis de la commission de la sécurité des consommateurs a été émis en vertu de l'article 14 de la loi du 21 juillet 1983 et publié en application de l'article 17 de cette loi ; qu'eu égard aux objectifs de protection de la santé publique et de la sécurité des consommateurs poursuivis par le législateur, les avis rendus par la commission de la sécurité des consommateurs ne peuvent, en l'absence de dispositions législatives expresses contraires, ouvrir droit à indemnisation, au profit des personnes qui fabriquent ou distribuent un produit pouvant présenter un danger pour la santé publique ou la sécurité des consommateurs, que s'ils sont constitutifs d'une faute ; que, par suite, la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm n'est pas fondée à se plaindre que, par le jugement du 2 mars 1994, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'indemnisation sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm n'est pas fondée à se plaindre que, par ledit jugement, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'indemnisation ;

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris du 29 juin 1999 : - Considérant qu'il y a lieu d'annuler, par voie de conséquence de ce qui précède, l'arrêt du 29 juin 1999 par lequel la Cour administrative d'appel de Paris, statuant après expertise, a condamné l'Etat à verser à la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm une somme de 23 972 000 F ; qu'il y a lieu de mettre les frais de l'expertise ordonnée par la cour à la charge de la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm ;

Sur les conclusions de la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm en appel et devant le Conseil d'Etat tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative : - Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm les sommes que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Décide :

Article 1er : Les arrêts de la Cour administrative d'appel de Paris des 13 mai 1997 et 29 juin 1999 sont annulés.

Article 2 : Les frais de l'expertise ordonnée par la Cour administrative d'appel de Paris sont mis à la charge de la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm.

Article 3 : La requête d'appel de la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm et les conclusions de la même société présentées devant le Conseil d'Etat tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie et à la SA Laboratoires pharmaceutiques Bergaderm.