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Décisions

CA Angers, 1re ch. A, 29 avril 1997, n° 9601177

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Verchaly Optique (SA)

Défendeur :

Eyes Cubes Optical Center (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Micaux

Conseillers :

M. Chesneau, Mme Lourmet

Avoués :

SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier-Langlois

Avocats :

Mes Beucher, Geneste

T. com. Angers, du 15 mars 1996

15 mars 1996

Par acte du 15 février 1996 la société Verchaly Optique a assigné en référé la société Eyes Cubes Optical Center aux fins de voir :

- enjoindre à la société Eyes Cubes Optical Center de cesser, à compter de la signification de l'ordonnance, à intervenir toute publicité hors des lieux de vente, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard ;

- condamner la société Eyes Cubes Optical Center à payer à la société Verchaly Optique la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

A cet effet, la SA Verchaly Optique exposait que la SA Eyes Cubes Optical Center est une société d'optique et de lunetterie qui s'est installée récemment à Angers ; qu'au mois de décembre 1995 la SA Verchaly Optique a découvert des prospectus publicitaires distribués dans les boîtes aux lettres de particuliers de la ville d'Angers par la SA Optical Center ; que ces prospectus portant la date du 30 novembre 1995 et la signature de la direction et munis d'une carte d'achat détachable, indiquaient des réductions de 25 % à 40 % sur les différents produits proposés à la vente et semblaient garantir les prix les plus bas du marché ; qu'une telle publicité constitue manifestement un acte de concurrence déloyale à l'égard des commerçants d'Angers exerçant la même activité et notamment à l'égard de la SA Verchaly Optique, et viole à plusieurs égard les dispositions légales et réglementaires en vigueur.

Par ordonnance de référé du 15 mars 1996 le Président du Tribunal de commerce d'Angers a :

- déclaré la SA Verchaly Optique mal fondée en ses demandes et l'en a déboutée ;

- condamné la SA Verchaly Optique à payer la somme de 5 000 F à la SA Eyes Cubes Optical Center au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

- condamné la même en tous les dépens,

- rejeté toute autre demande.

La SA Verchaly Optique a interjeté appel de cette ordonnance.

Par conclusions déposées le 11 septembre 1996, elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise ; de constater que les campagnes publicitaires de la SA Eyes Cubes Optical Center sont conduites de façon manifestement illicite, comme emportant violation des dispositions de l'arrêté du 2 septembre 1977 et de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ; de constater le trouble résultant de ce comportement manifestement illicite, tendant à fausser le libre jeu de la concurrence ; de faire interdiction à la SA Eyes Cubes Optical Center de poursuivre ou renouveler les campagnes publicitaires par elle effectuées hors les lieux de vente, et ce sous astreinte de 10 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ; de condamner la SA Eyes Cubes Optical Center à lui verser la somme de 5 000 F en première instance et 10 000 F en cause d'appel au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La SA Verchaly Optique expose que :

- c'est par suite d'une erreur de droit manifeste que le premier juge a dénié la vocation de la SA Verchaly Optique de se prévaloir d'une réglementation tirée des nécessités de la protection du consommateur, et faisant l'objet de sanctions pénales ;

- les règles applicables à la concurrence déloyale sont tirées du droit commun de la responsabilité, et singulièrement des articles 1382 et 1383 du Code civil dont la faute visée à ces articles peut résulter de la violation de la règle de droit, que celle-ci soit à vocation commerciale, pénale, ou destinée à la protection des consommateurs ;

- il n'existe pas d'incompatibilité entre l'action exercée par la SA Verchaly Optique et le but recherché par l'auteur des textes en constituant le fondement ;

- la violation de dispositions prescrites à peine de sanctions pénales constitue, à tout le moins, une faute de nature civile ;

- la gravité de la faute commise ne saurait être tenue pour constituer un motif d'exonération des conséquences en résultant ;

- de toute manière, la demande de la SA Verchaly Optique reposait, de façon aussi claire qu'indiscutable, sur les dispositions de l'article 809 al. 1 du nouveau Code de procédure civile de sorte que la SA Verchaly Optique est recevable à solliciter la cessation du trouble subi dès lors que celui-ci est manifestement illicite ;

- l'illicéité du comportement de la SA Eyes Cubes Optical Center résulte de la violation de l'article 2 de l'arrêté du 2 septembre 1977 et de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ;

- le comportement de la SA Eyes Cubes Optical Center est par nature générateur d'un préjudice ; que même en l'absence de dénigrement ou de détournement de clientèle, le préjudice résulte de ce que la clientèle n'est pas exploitée de façon identique selon que l'on respecte les règles régissant la matière ou que l'on décide de s'en affranchir ;

- compte tenu de la nature de la demande, seule importe l'existence d'un trouble dont la cessation est sollicitée et en l'espèce la matérialité du trouble ne saurait être discutée et ne l'a pas été ;

- l'astreinte sollicitée est justifiée car la SA Eyes Cubes Optical Center a renouvelée une campagne de publicité dans des termes identiques.

Par conclusions déposées le 15 janvier 1997, la SA Eyes Cubes Optical Center demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise ; de condamner la SA Verchaly Optique à lui verser la somme de 10 000 F au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'en tous les dépens d'appel.

La SA Eyes Cubes Optical Center soutient que :

- la SA Verchaly Optique entend exercer des poursuites qui relèvent de la seule compétence du Procureur de la République ;

- à supposer la violation de la règle pénale établie, les prétentions de la SA Verchaly Optique ne seraient recevables qu'autant que celle-ci serait en mesure de rapporter la preuve d'un préjudice par elle subi en relation de causalité directe avec les manquements allégués, ce qui n'est pas le cas ;

- la SA Verchaly Optique ne démontre ni perte, ni détournement de clientèle, ni agissement déloyal de la part de la SA Eyes Cubes Optical Center ;

- la SA Verchaly Optique ne démontre aucune faute imputable à la SA Eyes Cubes Optical Center lui causant un préjudice de sorte qu'elle ne justifie d'aucun intérêt à agir ;

- il semble que le texte dont entend se prévaloir la SA Verchaly Optique soit l'article 873 et non 809 du nouveau Code de procédure civile ;

- la SA Verchaly Optique ne démontre aucun trouble manifestement illicite puisqu'il a été démontré qu'elle ne pouvait justifier d'aucun préjudice ;

- l'existence du trouble manifestement illicite doit être certaine et évidente ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

- la campagne publicitaire de la SA Eyes Cubes Optical Center ne ressort pas des dispositions de l'arrêté du 2 septembre 1977 ;

- à tout le moins il serait constaté l'existence d'une difficulté sérieuse quant à l'existence même du trouble manifestement illicite allégué ;

- les dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ressortent de la seule connaissance des juridictions répressives outre qu'il s'agit de textes visant à la protection des consommateurs et la SA Verchaly Optique ne saurait se prévaloir de cette qualité ;

- la SA Eyes Cubes Optical Center justifie de la compétence de son personnel.

Par conclusions en réponse déposées le 31 janvier 1997 la SA Verchaly Optique fait valoir que :

- les règles de la concurrence loyale sont violées par celui qui ne respecte pas la législation à laquelle ses concurrents se soumettent quel que soit l'objet de cette réglementation, de sorte que l'intérêt à agir de la SA Verchaly Optique est manifeste ;

- les dispositions de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile n'exigent rien d'autre que la preuve d'un trouble manifestement illicite et que ce trouble est certain dès lors que la SA Eyes Cubes Optical Center ne respecte pas les obligations auxquelles ses concurrents sont astreints ;

- la SA Eyes Cubes Optical Center ne justifie pas avoir été l'objet de la part des autorités administratives d'un contrôle qui aurait vérifié le strict respect de la réglementation en la matière ;

- il est justifié de la violation de l'arrêté du 2 décembre 1977 et de l'article L.121-1 du Code de la consommation.

Par conclusion en réponse déposée le 5 février 1997 la SA Eyes Cubes Optical Center expose que :

- la SA Verchaly Optique ne démontre toujours pas que le comportement de la concluante serait constitutif d'une faute, d'un dol ou encore d'une concurrence déloyale ;

- la SA Verchaly Optique ne justifie d'aucun préjudice ni d'une violation de la loi par la SA Eyes Cubes Optical Center ;

- il n'existe aucun trouble manifestement illicite, la charge de la preuve de ce trouble incombant à la SA Verchaly Optique.

L'instruction a été clôturée le 6 février 1997.

Motifs de la décision :

L'article 873 du nouveau Code de procédure civile permet au président du tribunal de commerce, statuant en référé, même en présence d'une contestation sérieuse, de prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

La violation de dispositions légales ou réglementaires relatives à la publicité en général ou à la publicité des prix à l'égard du consommateur, même si ces dispositions ont avant tout pour finalité la protection des consommateurs, est susceptible de constituer un trouble manifestement illicite que toute personne justifiait d'un intérêt est recevable à faire cesser.

Le fait que ces dispositions soient assorties de sanctions pénales n'est pas de nature à empêcher tout intéressé d'agir en référé devant la juridiction civile ou commerciale, sur le fondement du trouble manifestement illicite.

Il n'est pas nécessaire, pour obtenir la cessation d'un tel trouble, de justifier d'un préjudice déjà réalisé, l'action ayant justement pour objet d'empêcher qu'un préjudice se réalise.

Or, la violation des règles régissant la publicité, qui fausse le libre jeu d'une concurrence loyale, est susceptible de créer un préjudice pour les commerçants qui respectent ces règles.

L'article 2 de l'arrêté n°77-105-P du 2 septembre 1977 dispose de " toute publicité à l'égard du consommateur comportant une annonce de réduction de prix doit obéir aux conditions suivantes :

1 - Lorsqu'elle est faite hors des lieux de vente, elle doit préciser :

L'importance de la réduction soit en valeur absolue, soit en pourcentage par rapport au prix de référence défini à l'article 3 ;

Les produits, ou services, ou les catégories de produits, ou services concernés ;

Les modalités suivant lesquelles sont consentis les avantages annoncés, notamment la période pendant laquelle le produit ou le service est offert à prix réduit ; dans le cas de soldes saisonniers, cette dernière indication peut être remplacée par la mention " jusqu'à épuisement du stock "."

Selon l'article L. 121-1 du Code de la consommation : " Est soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur un ou plusieurs des éléments ci-après : existence, nature, composition, qualités substantielle... prix et conditions de vente de biens ou services qui font l'objet de la publicité, ... qualités ou aptitudes du fabricant, des revendeurs... "

Les prospectus diffusés par la SA Eyes Cubes Optical Center indiquent notamment :

" Optical Center vous garantie le meilleur service aux prix les plus bas.

-40 % sur montures optiques,

-40 % sur verres optiques,

-20 % sur lunettes de soleil,

-20 % sur lentilles de contact et produits d'entretien ".

Ils sont accompagnés d'une " carte d'achat familiale à présenter à l'opticien " qui indique les mêmes réductions.

Ces prospectus n'indiquent pas sur quels prix de référence les réductions annoncées sont pratiquées, de sorte que les personnes recevant cette publicité ne peuvent vérifier la portée réelle de ces réductions de prix.

Ils n'indiquent pas d'autre part, la période pendant laquelle les produits sont offerts à prix réduits, de sorte que les réductions peuvent apparaître permanentes mais que cela n'est pas dit.

Ils ne respectent donc pas les dispositions de l'arrêté du 2 septembre 1977.

La SA Eyes Cubes Optical Center fait valoir qu'il ressort de la circulaire d'application de cet arrêté, en date du 4 mars 1978, que les dispositions dudit arrêté ne sont applicables que lorsque l'avantage offert l'est à l'ensemble de la clientèle, que tel n'est pas le cas en l'espèce puisque l'avantage offert ne l'était qu'aux détenteur de la carte familiale plastifiée de format carte bancaire qu'il ne s'agissait donc pas d'une campagne promotionnelle visant l'ensemble de la population d'Angers et des communes environnantes puisque pour une population de 700 000 habitants, il n'a été distribué que 3 500 dépliants publicitaires.

Cependant, il est établi que les documents publicitaires en cause ont été distribués dans les boîtes aux lettres de sorte qu'ils étaient destinés à l'ensemble de la clientèle potentielle, sans distinction.

Les cartes plastiques ont été distribuées pareillement et n'étaient pas nominatives ; elles pouvaient ainsi être utilisées par l'ensemble de la clientèle et non par une catégorie déterminée de celle-ci.

Les dispositions de l'arrêté susvisé sont donc bien applicables en l'espèce.

Les documents publicitaires répandus par la SA Eyes Cubes Optical Center annonçaient " les prix les plus bas " alors que rien ne permettait aux acheteurs potentiels de s'en assurer, puisqu'ils ignoraient sur quels prix de référence les réductions promises seraient calculés. Les indications qu'ils comportaient étaient donc de nature à les induire en erreur.

La SA Eyes Cubes Optical Center ne saurait se prévaloir à cet égard de ce qu'elle s'engageait à rembourser la différence pour un produit identique dans un délai d'un mois.

Les prospectus font d'autre part état d'une équipe d'opticiens expérimentés, alors qu'il ressort des attestations de son personnel, qu'elle produit aux débats, que son magasin d'Angers ne comporte qu'un seul opticien, les autres personnes n'étant que des monteurs-vendeurs en lunetterie.

La publicité faite par la SA Eyes Cubes Optical Center est encore, à cet égard, de nature à induire en erreur la clientèle potentielle.

La SA Eyes Cubes Optical Center n'a donc pas davantage respecté les dispositions de l'article L. 212-1 du Code de consommation.

Les violations par la SA Eyes Cubes Optical Center de dispositions légales et réglementataires relatives à la publicité constituent un trouble manifestement illicite que la SA Verchaly Optique, qui exploite également un magasin d'optique à Angers, a un intérêt légitime à faire cesser.

Il convient, en conséquence, d'infirmer l'ordonnance entreprise et de faire interdiction à la SA Eyes Cubes Optical Center de poursuivre ou renouveler les campagnes publicitaires par elle effectuées hors les lieux de vente dans les conditions contraires aux loi et règlement susvisés et ce, sous astreinte provisoire de 5 000 F par infraction constatée.

Il y a lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dans les conditions qui figurent au dispositif.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Infirmant l'ordonnance entreprise, et y ajoutant, Vu les dispositions de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile, Fait interdiction à la SA Eyes Cubes Optical Center de poursuivre ou renouveler les campagnes publicitaires par elle effectuées hors les lieux de vente en violation des dispositions de l'arrêté du 2 septembre 1997 et de l'article L. 121-1 du Code de la consommation et ce, sous astreinte provisoire de 5 000 F par infraction constatée ; Condamne la SA Eyes Cubes Optical Center à payer à la SA Eyes Cubes Optical Center la somme de 5 000 F au titre des frais irrépétibles de première instance et celle de 5 000 F au titre de ceux exposés en appel ; Condamne la SA Eyes Cubes Optical Center aux dépens de première instance et d'appel ; autorise la SCP Chatteleyn et George, avoué, à recouvrer directement ceux des dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.