CA Paris, 13e ch. B, 8 octobre 1997, n° 97-03160
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Eclache
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marie (faisant fonction)
Conseillers :
Mme Verleene Thomas, M. Théry
Avocats :
Mes Perrin, de Habsbourg.
Rappel de la procédure :
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire,
- a relaxé W Ian du chef d'infraction aux loteries publicitaires,
- a déclaré W Ian :
coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis le 09-04-96, à Paris, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6 alinéa 1, L. 213-1 du Code de la consommation,
Et, en application de ces articles,
L'a condamné à 100 000 F d'amende,
A ordonné aux frais du condamné la publication du présent jugement par extraits dans Télé Star sans que le coût de l'insertion n'excède 25 000 F,
A reçu Alain Eclache en sa constitution de partie civile,
A condamné W Ian à lui payer la somme de 35 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du CPP,
A déclaré la société X civilement responsable de son préposé Ian W,
A dit que la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 600 F dont est redevable le condamné.
Les appels :
Appel a été interjeté par :
- M. W Ian, le 10 février 1997 contre M. Eclache Alain,
- M. le Procureur de la République, le 10 février 1997 contre M. W Ian.
Décision :
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi.
Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu W Ian et par le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour les termes de la prévention ;
Comparant à l'audience de la cour du 2 juillet 1997, Ian W, assisté de son conseil, conteste les faits qui lui sont reproché et sollicite sa relaxe ;
Par voie de deux conclusions conjointes avec la société X, civilement responsable,
D'une part, il demande que l'action de Alain Eclache soit déclarée irrecevable, soutenant qu'il a été condamné pour les mêmes faits le 6 janvier 1997 par le Tribunal de Paris,
D'autre part, il fait valoir à l'appui de sa demande de relaxe :
En ce qui concerne le délit de publicité mensongère :
- que la société X, a organisé, au cours du premier semestre 1996, deux opérations promotionnelles intitulées " Grand jeu X " et " Tirage d'avril 1996 ", sous forme de prix dits " Sweep Stake ", le tirage au sort des gagnants par Maître Baillet, huissier de justice, s'effectuant avant l'envoi aux consommateurs d'un catalogue et de documents divers relatifs à ces jeux ;
- que le " Grand jeu X " avait la particularité d'assurer à chacun des destinataires du message qu'il avait gagné un prix, l'article 6 du règlement stipulant que le lot était constitué d'une somme de 35 000 F répartie entre tous les participants, sans que ceux-ci puissent recevoir un chèque inférieur au lot de consolation de 400 F ; que compte tenu de l'incertitude relative du nombre de participants, il était impossible de préciser le montant revenant à chacun, lors de l'envoi de la documentation ;
Que la société X joignait le règlement intégral du jeu à l'intérieur de l'enveloppe et attirait l'attention du destinataire, notamment dans le bon de participation par la mention " n'omettez pas de lire le règlement à l'intérieur de l'enveloppe " ;
- que le " Tirage d'avril 1996 " est une opération indépendante du " Grand jeu X " ; que l'usage de deux couleurs différentes et la mention dans un cadre " deux chances de gagner " l'indiquent clairement au destinataire du message publicitaire, alors en outre que le règlement précisait sans ambiguïté à l'article 6 sous l'intitulé " présentation des lots : un chèque de 35 000 F et dix chèques d'achat de 100 F " ;
Il affirme que l'examen du dépliant prouve, contrairement à certains arguments retenus par les premiers juges, qu'il y a deux bons de participations distincts ;
Il soutient en conséquence qu'aucune confusion n'était possible entre les deux jeux dans l'esprit du consommateur dont l'attention était attirée par deux fois sur la nécessité de consulter les règlements ;
Il conclut que si la société X avait eu l'intention de tromper le destinataire, elle n'aurait pas joint à l'envoi les règlements de ces jeux alors qu'elle n'en avait pas l'obligation légale ; elle se serait bornée à inviter le consommateur à en faire essentiellement la demande gratuite, conformément à la loi du 23 juin 1989 ;
Il produit en outre divers documents afin de justifier de la régularité des opérations, soient deux procès-verbaux de constat du 26 avril 1996 établis par Maître Bailet, huissier de justice et indiquant que les dispositions prévues à l'article 121-38 du Code de consommation ont été respectées et la copie de pièces relatives au paiement des prix à leurs bénéficiaires ;
En ce qui concerne le délit d'infraction aux loteries publicitaires :
Qu'il est de jurisprudence constante que si le bon de participation doit être distinct du bon de commande, il n'est pas nécessaire que les documents soient matériellement distincts ;
Alain Eclache, partie civile représentée par son conseil, demande la confirmation du jugement déféré.
Rappel des faits :
Alain Eclache citait directement devant le Tribunal de grande instance de Paris, Ian W, en sa qualité de président directeur général de la société X et la société X, aux fins de les voir déclarer coupables des délits de publicité mensongère, délit prévu et réprimé par les articles L. 121-1 et L. 213-1 du Code de la consommation et de loterie publicitaire non conforme aux dispositions de l'article L. 121-36 du Code de la consommation ;
Il sollicitait leur condamnation à lui payer des dommages-intérêts et une somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 475-1 du CPP ;
A l'audience des premiers juges, Alain Eclache précisait que la société X n'était visée à la citation qu'en qualité de civilement responsable de Ian W ;
Alain Eclache exposait que début mai 1996, il recevait un courrier de la société X, l'avisant qu'à la suite du tirage au sort effectué le 26 avril 1996, il avait été désigné comme gagnant du plus gros lot du " Grand jeu X ", malgré plusieurs demandes, la somme de 35 000 F gagnée ne lui était pas payée ;
L'examen des pièces versées à la procédure établissait que la société X lui avait adressé une enveloppe contenant un catalogue et un dépliant ;
L'enveloppe sur laquelle figurait un tampon portait en caractère gras " Tirage d'avril 96 - 1er prix : un chèque de 35 000 F ", avait deux lucarnes distinctes permettant de reconnaître le destinataire du courrier et de lire les mentions suivantes, en caractères gras : " Bravo, M. Eclache, vous avez gagné le plus gros chèque du grand jeu X " ;
A l'intérieur, sur sa face interne, était imprimé le règlement du " Grand jeu X " ;
Le dépliant comportait quatre pages :
En première page et en encre noire, sous l'entête " Grand jeu X ", une lettre personnalisée lui annonçait en gros caractères " Vous avez gagné le plus gros chèque du grand jeu X ", que son numéro client personnel avait été tiré au sort le 26 avril 1996 ; en post-scriptum, il était précisé " vous n'avez pas gagné le lot de consolation mais bien le plus grand chèque mis en jeu " ;
En deuxième page, face au " Tirage d'avril 1996 " figurait le règlement du " Tirage d'avril 1996 " portant en son article 6 intitulé présentation des lots : un chèque de 35 000 F, 10 chèques d'achat de 100 F ;
En troisième page, en encre rouge ou noire, sous l'entête " Tirage d'avril 1996 ", en très gros caractères étaient portés les mentions " 1er prix : un chèque d'un montant de 35 000 F " ;
En quatrième page, un bon de commande au bas duquel figurait après une ligne de pointillés et le dessin évocateur d'une paire de ciseaux, sous un bandeau " Demandes de prix. Grand jeu X " d'une part, dans un encadré " Bon de participation " et une case à cocher " Le plus gros chèque mis en jeu " ou " Le lot de consolation " et, tout en bas de page, à droite, en caractères plus modestes et sous encadré " Bon de participation au tirage d'avril 1996 à retourner à M. Cochez ici pour validation ".
Sur ce, LA COUR,
Sur l'action publique :
Sur la recevabilité :
Considérant que Ian W et la société X ne sauraient se prévaloir de la condamnation prononcée contre eux du chef de publicité mensongère par le Tribunal de grande instance de Paris le 6 janvier 1997, cette décision n'étant pas définitive, vu l'appel qu'il a interjeté le 15 janvier 1997 et l'appel incident du Ministère public du même jour ;
Qu'il y a lieu, par conséquent, de rejeter leurs conclusions d'irrecevabilité ;
Sur l'infraction aux loteries publicitaires :
Considérant que la cour se trouve saisie de ce chef pour l'appel du Ministère public ;
Considérant que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que " la présence sur une même page du bon de commande et du bulletin de participation, ne vicie pas l'opération ", les deux documents étant nettement différenciés l'un de l'autre et qu'il est clair pour un consommateur normalement attentif que la participation au tirage n'est pas subordonnée à une commande ; qu'il convient dès lors de confirmer la décision de ce chef ;
Sur la publicité mensongère ou de nature à induire en erreur :
Considérant qu'il est constant que la société X a organisé simultanément deux jeux annoncés par le même envoi dont le montant global était identique et le tirage au sort effectué le même jour par Maître Bailet, huissier de justice ;
Considérant, ainsi que l'ont justement apprécié les premiers juges, que la présentation du dépliant en quatre pages et les mentions qu'il comporte ne permettaient pas à un consommateur moyen de déceler aisément et sans ambiguïté, l'existence de ces deux jeux distincts ;
Que le choix d'un envoi groupé, l'ordre des textes, et notamment la place du règlement du " Tirage d'avril " face à l'annonce en très gros caractères du montant du 1er prix, la présence sur le même document, en caractères très apparents d'indications se rapportant à la particularité la plus attractive de chacun des jeux, le confirmait dans la certitude qu'il avait gagné 35 000 F ;
Considérant que s'il est vrai que la société X n'avait pas l'obligation légale de joindre les règlements concernant les deux jeux, il n'en demeure pas moins que la différence de présentation desdits règlements, une page entière du dépliant pour le règlement du " tirage d'avril " face à la mention 35 000 F correspondant " au plus gros chèque " alors que celui du " Grand jeu X " signalé en lettres minuscules à la première page, est imprimé sur la face intérieure de l'enveloppe, par nature destinée à la destruction, ayant servi à l'expédition du dépliant, confortait le consommateur dans son erreur ;
Considérant, en outre, que si l'on peut considérer à la lecture minutieuse de la page 4 du dépliant que deux bons de participation étaient mis à la disposition du consommateur, leur mise en page différente privilégiant " Le Grand jeu X " ne pouvait avoir d'autre objet que d'induire en erreur le destinataire ;
Considérant en conséquence que l'envoi d'un document unique relatif à deux jeux distincts et l'habileté rédactionnelle, loin de constituer de simples astuces, voire des artifices d'usage qui ne pouvaient pas tromper un consommateur moyen et qu'il pouvait déjouer sans difficulté particulière, étaient de nature à créer la confusion et d'induire en erreur Alain Eclache en le persuadant qu'il avait gagné un lot de 35 000 F ;
Que l'infraction est dès lors caractérisée en tous ses éléments ;
Considérant que Ian W en sa qualité de président directeur général de X, annonceur de la publicité mensongère est responsable de l'infraction commise par cette dernière ;
Qu'il convient dès lors de confirmer le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité ;
Considérant qu'une peine d'amende est parfaitement adaptée à l'infraction commise ; que cependant il y a lieu de faire au prévenu une application plus modérée de la loi pénale eu égard à ses ressources et au fait qu'il n'a jamais été condamné ;
Considérant que vu la gravité des faits, afin de prévenir leur réitération, il convient de confirmer la mesure de publication dans Télé Star ; que toutefois, il y a lieu de le réformer en ce qu'il a fixé une limite aux frais qui seront engagés par cette publication, celle-ci résultant des dispositions légales ;
Sur l'action civile :
Considérant que les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice découlant directement pour la partie civile de l'infraction commise par Ian W ;
Qu'il convient de confirmer la somme de 35 000 F allouée à titre de dommages-intérêts pour la privation du don promis et les frustrations nées de cette espérance ;
Considérant que la société X déclarée civilement responsable des agissements de Ian W n'a pas fait appel de cette décision ; qu'elle ne peut être que confirmée ;
Considérant que la demande d'une somme formulée par la partie civile au titre des frais irrépétibles est justifiée mais doit être ramenée à la somme de 2 500 F ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'égard du prévenu et de la partie civile, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public, Rejette les conclusions d'irrecevabilité, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a relaxé Ian W du chef d'infraction aux loteries publicitaires, Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré Ian W coupable du délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, L'infirmant en répression, Condamne Ian W à une amende délictuelle de 30 000 F, Ordonne la publication de l'arrêt par extraits aux frais du condamné dans Télé Star, Réforme le jugement déféré en ce qu'il a fixé une limite au montant des frais de publication qui seront supportés par le condamné ; Confirme la décision en ses dispositions civiles, Y ajoutant, Condamne Ian W à payer à Alain Eclache la somme de 2 500 F sur le fondement de l'article 475-1 du CPP, Dit que cette décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.