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Décisions

CA Paris, 13e ch. A, 18 juin 2002, n° 02-00983

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

UFC Que Choisir

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilbaud

Conseillers :

M. Nivose, Mme Geraud Charvet

Avocats :

Mes Laraize, Desaunay.

TGI Paris, 31e ch., du 27 juin 2001

27 juin 2001

Rappel de la procédure:

Le jugement :

Le tribunal, par jugement contradictoire, a relaxé

C Bernard

G Michel

la SA X

des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de

publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis du 11 décembre 1999 jusqu'au 8 décembre 2000, à Paris, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation

tentative d'escroquerie, faits commis du 11 décembre 1999 jusqu'au 8 décembre 2000, à Paris, infraction prévue par l'article 313-1 al. 1, al. 2 du Code pénal, art. 121-5 du Code pénal et réprimée par les articles 313-1 al. 2, 313-7, 313-8 du Code pénal, art. 121-5 du Code pénal

a débouté l'association L'Union fédérale des consommateurs "Que Choisir", partie civile, de ses demandes

a déclaré les prévenus irrecevables en leur demande de condamnation de l'UFC Que Choisir à une amende civile

Les appels:

Appel a été interjeté par:

- Association UFC Que Choisir, le 27 juin 2001 contre Monsieur G Michel, Monsieur C Bernard, la SA X

Décision:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur l'appel de la partie civile, interjeté à l'encontre du jugement entrepris;

Rappel des faits et des demandes:

L'association Union fédérale des consommateurs "Que Choisir" a attrait sur citation directe devant le tribunal correctionnel la société X, Michel G, en qualité de président directeur général de cette société et Bernard C, directeur commercial, pour avoir proposé aux consommateurs une offre de crédit dénommée "Formule Y", utilisable par fractionnement avec une carte de crédit, en faisant diffuser des annonces dans la presse ou en envoyant des courriers directement aux consommateurs;

L'UFC Que Choisir estime que ces publicités comportent des indications, allégations, présentations, fausses et de nature à induire en erreur parce qu'elles laissent croire au consommateur que le crédit peut être demandé sans autres formalités que celles annoncées, alors que le consommateur qui renvoie la demande de documentation, reçoit un courrier type, accompagné de l'offre de crédit utilisable par fractions avec une carte de crédit "Formule Y", seulement après avoir répondu préalablement à un questionnaire très précis sur son activité professionnelle, ses revenus et dépenses, sa situation familiale, son logement, ses emprunts, et signé l'offre de crédit et une autorisation de prélèvement;

L'association l'Union fédérale des consommateurs "Que Choisir", partie civile représentée par son avocat, critique la décision des premiers juges qui n'a pas répondu à ses conclusions et soutient par voie de conclusions à la cour, que le texte des publicités laisse croire au consommateur, que le crédit peut être demandé sans autres formalités que celles annoncées (un RIB ou un chèque annulé ), que l'abaissement du coût de la mensualité est un avantage pour l'emprunteur, qu'il n'est pas fait allusion au coût total du crédit et que les courriers types laissaient croire au consommateur qu'il avait été choisi de manière privilégiée pour bénéficier de mensualités plus faibles ;

Reprenant son argumentation la partie civile indique que :

- La première publicité (Télé Leader du 11 au 17 décembre 1999) mentionne en très gros caractères colorés que pour demander un crédit de 10 000 à 25 000 F, "un chéquier suffit!", que "pour demander mon crédit: un RIB ou RIP et un chèque annulé suffisent! Aucun autre justificatifs à fournir. Aucune explication à donner ! "; qu'un encadré étoilé attirant précise, "Nouveau 250 F/mois au lieu de 400 F" ou "10 000 à 25 000 F en toute tranquillité ! Vous remboursez par petites mensualités ... Ainsi votre réserve se reconstitue toute en douceur" ; ainsi, les mentions obligatoires sont indiquées en caractères moins tapageurs et aucun exemple du coût total du crédit n'est donné en face du montant et des mensualités;

La seconde publicité (Télé Magazine du 18 au 24 novembre 2000), mentionne en très gros caractères colorés : "Oui, je peux demander une réserve d'argent jusqu'à 25 000 F" ou "un RIB ou RIP et un chèque annulé suffisent pour demander ma réserve", "Pas de fiche de salaire à fournir", "A partir de seulement 150 F/mois pour une réserve de 5 000 F" ; il est enfin indiqué en caractères attirants "Oui, vous maîtrisez parfaitement votre budget. Vous remboursez par petites mensualités convenues à l'avance" ; les mentions obligatoires de l'article L. 3 11-4 du Code de la consommation sont indiquées en caractères moins tapageurs et aucun exemple du coût total du crédit n'est donné en face du montant et des mensualités;

La troisième publicité (Télé Magazine du 2 au 8 décembre 2000, indique en très gros caractères : "Une réserve d'argent jusqu'à 25 000 F. A partir de 150 F/mois", "Pour demander une réserve d'argent, un RIB et un chèque annulé suffisent : pas de fiche de salaire, ni feuille d'imposition, ni quittance de loyer"... "C'est vous qui choisissez le montant de la réserve que voulez empruntez ... et les mensualités !" ; mais les mentions obligatoires de l'article L. 311-4 du Code de la consommation sont indiquées en petits caractères et aucun exemple du coût total du crédit n'est donné en face du montant et des mensualités;

Ces publicités sont parues sur le territoire national et comportent des indications, allégations, présentations, fausses ou de nature à induire en erreur, en laissant croire au consommateur que le crédit peut être demandé sans autres formalités que celles annoncées, ce qui est faux ; lorsque le consommateur renvoie la demande de documentation, il reçoit un courrier type, produit aux débats, qui prouve que pour demander valablement le crédit, le consommateur doit répondre à un questionnaire très précis sur son activité professionnelle, ses revenus et dépenses, sa situation familiale, son logement, ses emprunts et signer l'offre de crédit avec une autorisation de prélèvement ; de plus, l'abaissement du coût de la mensualité n'est pas un avantage pour le consommateur, contrairement à ce qui est laissé croire, car plus la mensualité est faible, plus la durée de remboursement est longue et plus le coût total du crédit est élevé;

Enfin, le consommateur peut croire qu'il peut obtenir la réserve d'argent, que X lui propose, sans contrepartie réelle;

La partie civile demande à la cour de juger que Michel G, président directeur général de la société X et Bernard C, directeur commercial ont laissé diffuser des publicités non conformes au Code de la consommation, et n'ont pas pris les précautions que l'on doit attendre de professionnels et se sont aussi rendus coupables du délit d'escroquerie ou à tout le moins de sa tentative en employant des manœuvres frauduleuses pour tromper des personne physiques et les déterminer à remettre des fonds ou à consentir des actes opérant obligation ou décharge;

Elle sollicite d'ordonner la cessation de toute publicité sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt, sur le fondement des articles L. 421-2 et L. 121-3 du Code de la consommation et la publication de la décision à intervenir, sous astreinte de 15 000 euros par jour de retard, dans les quotidiens Libération, le Figaro, France soir, Télé Leader, Télé Z, Télé Poche, Télé Câble Satellite, Télé Magazine, Télé Loisirs et Ouest France ainsi que sur les sites Internet et minitel de la société X ; la partie civile réclame enfin une somme de 153 000 euros à titre de dommages-intérêts pour son action dans ce secteur et 5 000 euros sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

Le Ministère public qui n'est plus concerné par l'action publique, s'en rapporte à justice;

Bernard C, prévenu, comparaît assisté de son avocat;

Michel G, prévenu, a demandé à la cour à être jugé en son absence, et la société X est représentée par François M qui comparaît à l'audience, assisté de son avocat;

Les prévenus soutiennent devant la cour les points suivants:

- Michel G, président de la société X, estime que les faits mentionnés dans la citation ne sauraient mettre en cause sa responsabilité personnelle car la SA X n'a pas été citée pour publicité trompeuse et il a donné régulièrement une délégation de ses pouvoirs à des personnes responsables, à Christian D, directeur commercial, le 1er septembre 1997 et à Bernard C le 5 juillet 1999 ; ainsi il n'est pas démontré qu'il aurait personnellement participé aux faits visées par la partie civile dans sa citation;

- M. Bernard C a confirmé devant les premiers juges qu'il avait pris personnellement l'initiative des campagnes publicitaires en cause et qu'il assumait effectivement et pleinement les pouvoirs délégués ; c'est lui qui a signé les lettres-types mais sa faute personnelle n'est pas démontrée et il soutient en droit que l'infraction de publicité mensongère n'est pas constituée et qu'elle ne peut servir de support à une escroquerie ou tentative d'escroquerie;

- La partie civile qui demande une somme de 153 000 euros en réparation de son préjudice, confond son préjudice personnel et le préjudice qui aurait été subi par les consommateurs,

- L'UFC - Que Choisir? ne démontre nullement, l'intention des prévenus de commettre sciemment les infractions de publicité mensongère visées à la citation et se contente de procéder par affirmations en renversant la charge de la preuve; la publicité a-t-elle été faite de bonne ou de mauvaise foi ? y-avait-il ou non négligence de la part de l'annonceur? La cour devra en conséquence débouter la partie civile défaillante dans l'administration de la preuve des infractions poursuivies, tant pour l'élément moral que pour l'élément matériel, les publicités diffusés dans la presse par la société X, pour sa "Formule Y" n'ayant en réalité aucun caractère trompeur;

En effet, d'une part, il y a une différence importante entre les verbes "demander" et "obtenir" et chacune des publicités précisait lisiblement que le crédit serait accordé après acceptation du dossier ; tout consommateur s'attend à remplir une offre préalable de crédit et la société X ne demandait aucun justificatif de l'emploi des fonds prêtés, ni aucune explication sur la destination du crédit, accordé après la simple fourniture d'un RIB ou d'un RIP et d'un chèque annulé;

D'autre part, la partie civile a critiqué la publicité sur l'abaissement du coût de la mensualité mais rien ne peut laisser croire au consommateur que l'abaissement de la mensualité entraînerait l'abaissement du coût du crédit car évidemment, plus les mensualités sont faibles, plus il faut de temps pour rembourser intégralement le crédit et plus le coût total augmente mais, pour beaucoup de consommateurs, le fait de pouvoir rembourser par plus petites mensualités constitue un avantage pour un petit budget mensuel, comme le démontre un sondage de l'Institut Louis Harris, réalisé du 12 au 17 mars 2000;

Par ailleurs, la partie civile soutenait que la publicité laissait croire que le crédit serait accordé automatiquement, alors que chaque publicité précisait que l'obtention du prêt se ferait après acceptation du dossier;

Enfin, la partie civile reproche aux courriers types adressés à certains consommateurs de faire état d'une offre privilégiée, alors que les destinataires de ces messages n'auraient jamais été choisis de manière privilégiée par X pour obtenir des mensualités plus légères, celles-ci étant offertes à toutes et à tous dans la presse mais les prévenus ont précisé que si les publicités par voie de presse, ou télévision, s'adressent à plusieurs millions de personnes, au contraire, le publipostage est fait à partir de destinataires sélectionnés sur des critères précis, et leur nombre est beaucoup plus limité pour chaque période et les envois nominatifs sont donc privilégiés;

- L'escroquerie reprochée à la société X et à MM. G et C, n'est pas plus démontrée, d'autant que les prétendues manœuvres frauduleuses reposent exclusivement sur les publicités ; les prévenus remarquent qu'aucun consommateur ne s'est plaint et que selon une jurisprudence constante, ce délit suppose le versement préalable de fonds;

En conséquence les prévenus demandent de débouter la partie civile de toutes ses demandes ; à titre subsidiaire, ils soutiennent que Michel G doit être mis hors de cause en raison des délégations de pouvoirs qu'il a consenties, que Michel G n'a pas engagé sa responsabilité civile personnelle, que Bernard C n'a pas engagé sa responsabilité civile personnelle pour les infractions éventuelles commises pour le compte de la société X, agissant dans le cadre de sa mission, et qu'il ne saurait être civilement responsable de faits commis dans le cadre de ses fonctions, au sens de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil, que la société X n'a pas été citée en tant que civilement responsable et qu'elle n'a pas engagé sa responsabilité civile personnelle et ne peut donc être condamnée en qualité de civilement responsable de son président ou de son préposé;

Sur ce,

Considérant que le ministère public n'ayant pas fait appel de la décision de relaxe, rendue à l'égard des prévenus, celle-ci est devenue définitive ; que cependant, en raison de l'indépendance de l'action civile et de l'action publique, l'appel de la partie civile, s'il est sans incidence sur la force de chose jugée qui s'attache à la décision de relaxe sur l'action publique, saisit valablement la cour des seuls intérêts civils;

Qu'en conséquence, malgré la décision de relaxe, il appartient à la cour d'apprécier les faits dans le cadre de la prévention pour se déterminer sur le mérite des demandes civiles qui lui sont présentées;

Considérant que la partie civile a produit au dossier trois publicités publiées

1°) dans l'hebdomadaire Télé Leader du 11 au 17 décembre 1999,

2°) dans l'hebdomadaire Télé Magazine du 18 au 24 novembre 2000,

3°) dans l'hebdomadaire Télé Magazine du 2 au 8 décembre 2000;

1°) Que dans la première publicité il est mentionné en très gros caractères colorés que pour demander un crédit de 10 000 à 25 000 F "un chéquier suffit !" ou que "pour demander mon crédit : un RIB ou RIP et un chèque annulé suffisent! Aucun autre justificatif à fournir. Aucune explication à donner !" ; un encadré étoilé attirant signale "Nouveau 250 F/mois au lieu de 400 F" ; ou encore: "10 000 à 25 000 F en toute tranquillité ! Vous remboursez par petites mensualités ... Ainsi votre réserve se reconstitue tout en douceur"

2°) Que dans la deuxième publicité, il est mentionné en très gros caractères colorés:

"Oui, je peux demander une réserve d'argent jusqu'à 25 000 F" ... "Un RIB ou RIP et un chèque annulé suffisent pour demander ma réserve" ... "Pas de fiche de salaire à fournir" ... "A partir de seulement 150 F/mois pour une réserve de 5 000 F" ... "Oui, vous maîtrisez parfaitement votre budget. Vous remboursez par petites mensualités convenues à l'avance",

3°) Que la troisième publicité contient les phrases suivantes: "Une réserve d'argent jusqu'à 25 000 F. A partir de 150 F/mois" ... "Pour demander une réserve d'argent, un RIB et un chèque annulé suffisent : pas de fiche de salaire, ni feuille d'imposition, ni quittance de loyer" ... "C'est vous qui choisissez le montant de la réserve que voulez empruntez ... et les mensualités !"

Considérant que si l'UFC Que Choisir ? reproche que les mentions obligatoires de l'article L. 311-4 du Code de la consommation soient indiquées sur les publicités, en caractères moins gros et qu'aucun exemple du coût total du crédit ne soit donné en face du montant et des mensualités, qu'il n'est pas démontré que les publicités pour la "Formule Y" ont un caractère trompeur et mensonger ou sont de nature à induire le consommateur en erreur;

Qu'en effet, la cour constate que premièrement, chacune des publicités précisait lisiblement que le crédit serait accordé après acceptation du dossier et que chaque consommateur sait faire une distinction entre les verbes "demander" et "obtenir";que la partie civile ne peut soutenir que la publicité laissait croire que le crédit serait accordé automatiquement, alors que chaque publicité précisait que l'obtention du prêt se ferait après acceptation du dossier;

Que deuxièmement, tout consommateur candidat à un prêt d'argent, sait que conformément à la loi, il doit remplir un formulaire d'offre préalable de crédit ;qu'il est établi que la société X ne demandait aucun justificatif de la situation personnelle du cocontractant, ni d'explication sur la destination du crédit, et que la société se contentait des déclarations du demandeur du prêt et de la fourniture par ses soins d'un MB ou d'un RIP et d'un chèque annulé;

Que troisièmement, pour des consommateurs à faible budget, qui ne peuvent pas emprunter facilement, le fait de pouvoir rembourser de plus petites mensualités constitue un avantage,comme le démontre un sondage de l'Institut Louis Harris, réalisé du 12 au 17 mars 2000, et ce dernier document établit qu'aucun consommateur ne suppose que l'abaissement de la mensualité entraîne l'abaissement du coût total du crédit;

Que quatrièmement, la partie civile ne peut reprocher aux courriers types adressés à certains consommateurs de faire état à tort d'une "offre privilégiée", alors que les prévenus ont démontré que les envois nominatifs étaient spécifiques dès lors que pour ce type de message par publipostage ils choisissaient environ 50 000 destinataires, sélectionnés sur des critères précis pour chaque période, contrairement aux publicités par voie de presse, ou de télévision, qui s'adressent dans distinction à plusieurs millions de personnes;

Considérant que l'escroquerie ou la tentative d'escroquerie, reprochée à la société X et à MM. G et C, n'est pas démontrée, d'autant que les prétendues manœuvres frauduleuses reposent exclusivement sur les publicités susvisées,

Considérant qu'en conséquence la cour confirmera la décision entreprise en toutes ses dispositions civiles et déboutera la partie civile de toutes ses demandes, fins ou conclusions présentées en cause d'appel;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel de la partie civile, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions civiles et déboute la partie civile de toutes ses demandes formées en cause d'appel.