CA Paris, 25e ch. B, 14 mars 2003, n° 2001-00584
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sadak, LRM Bella Vita (SARL)
Défendeur :
Société Nouvelle Jupiter (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Jacomet
Conseillers :
Mmes Collot, Delmas-Goyon
Avoués :
SCP Arnaudy-Baechlin, Me Huygue
Avocats :
Mes Hittinger-Roux, Degraces.
Le litige a pour objet l'exécution d'un contrat d'approvisionnement exclusif de bière, conclu le 9 janvier 1991 entre la société Nouvelle Jupiter et Ahmed Sadak, dit Mario Sadak, propriétaire d'un fonds de commerce à l'enseigne Bella Vita, pour une durée de cinq ans, auquel la société LRM Bella Vita a mis fin le 30 mars 1998 ;
La société Nouvelle Jupiter a assigné Ahmed Sadak et la société LRM Bella Vita en paiement d'une somme de 278 558 F, en application de la clause pénale prévue au contrat précité, au motif qu'ils n'auraient pas respecté l'engagement d'achat de la quantité de bière contractuellement arrêtée ;
Vu le jugement rendu le 20 novembre 2000 par le Tribunal de commerce de Paris, lequel a condamné Ahmed Sadak et la société LRM Bella Vita à payer à la société Nouvelle Jupiter la somme de 175 000 F TTC au titre de la clause pénale et celle de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les a condamnés in solidum aux dépens ;
Vu les conclusions déposées le 20 février 2002 par Ahmed Sadak et la société LRM Bella Vita, appelants en principal et intimés incidemment, aux termes desquelles ils demandent à la cour, infirmant le jugement déféré, de débouter la société Nouvelle Jupiter de l'ensemble de ses demandes, mettre Ahmed Sadak hors de cause, constater le caractère manifestement excessif du montant de la clause pénale, la réduire à la somme de 1 euro symbolique, et condamner la société Nouvelle Jupiter à leur payer la somme de 3 500 euros chacun au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les conclusions déposées le 16 avril 2002 par la société Nouvelle Jupiter, intimée en principal et appelante incidemment, par lesquelles elle demande à la cour de :
- constater l'engagement personnel d'Ahmed Sadak, la notification de cessation de fournitures par la société Bella Vita le 30 mars 1998, l'absence de saisine, par Ahmed Sadak ou la société LRM Bella Vita, de l'"arbitrator" tel que prévu à l'article 4 du contrat, et de la commission tel que prévu en son article 2,
- dire le contrat du 9 janvier 1991 valide, sa rupture imputable à Ahmed Sadak et la société LRM Bella Vita et dire la clause pénale stipulée à l'article 7 applicable et qu'il n'y a aucunement lieu à modération de cette clause,
- confirmer le jugement entrepris en son principe, niais l'infirmer sur les quantum, et condamner Ahmed Sadak, in solidum avec la société LRM Bella Vita à lui payer la somme de 42 465,95 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 1998 et capitalisation des intérêts à compter du 20 novembre 2000, ainsi que 5 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que le contrat d'approvisionnement exclusif de boissons du 9 janvier 1991 a été conclu entre la société Nouvelle Jupiter, dénommée le fournisseur, d'une part, et "Monsieur Mario Sadak, propriétaire d'un fonds de commerce de café-hôtel-restaurant à l'enseigne Bella Vita", dénommé le revendeur, d'autre part; qu'aux termes de ce contrat, d'une durée de cinq ans, il est notamment convenu ce qui suit :
article 1 : le fournisseur accorde au revendeur des avantages économiques et financiers correspondant aux quantités conventionnelles déterminées à l'article 3, à savoir, en l'espèce, une participation à différentes prestations publicitaires pour un montant de 200 000 F TTC, pour une quantité conventionnelle annuelle de bière de 180 hl ;
article 7 : en cas d'inexécution ou de non-respect de l'exclusivité de fourniture, le revendeur devra, à titre de clause pénale, une indemnité forfaitaire de 20 % du chiffre d'affaires à réaliser jusqu'au terme normal du contrat, en application des quantités prévues à l'article 3, selon les prix pratiqués lors de la dernière livraison, compte tenu des quantités déjà livrées ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la quantité de bière livrée à la société LRM Bella Vita s'est élevée au total à 114 hl, au lieu des 900 hl prévus ;
Que la société Nouvelle Jupiter n'apparaît cependant avoir formulé aucune remarque à Ahmed Sadak ou à la société LRM Bella Vita au cours de l'exécution du contrat, n'invoquant le non-respect des quantités conventionnelles qu'à la suite de la rupture du contrat que lui a notifiée la société LRM Bella Vita par lettre du 30 mars 1998 ;
Considérant qu'au soutien de leur appel, Ahmed Sadak et la société LRM Bella Vita font valoir,
d'une part, la reprise des engagements d'Ahmed Sadak par la société LRM Bella Vita, qui a exécuté le contrat, aucune clause de ce contrat ne prévoyant que le revendeur demeure garant de sa bonne exécution par son successeur, en sorte qu'à la suite de l'apport du fonds de commerce dont Ahmed Sadak était propriétaire à la société LRM Bella Vita, celui-ci devrait être mis hors de cause,
d'autre part, la mauvaise foi de la société Nouvelle Jupiter en ce qu'elle leur oppose des quantités qu'il était impossible d'atteindre, eu égard au nombre de couverts du restaurant, et n'a pas respecté à cet égard son obligation d'information pré-contractuelle ni d'assistance en cours d'exécution du contrat, à laquelle elle était tenue en vertu de l'article 2 de ce contrat, l'objectif de quantité inscrit dans le contrat ne pouvant, au demeurant, s'analyser que comme une obligation de moyens, et non de résultat, outre le caractère abusif de la clause de quantité, insérée dans un contrat d'adhésion, dont les termes n'ont pas pu être discutés, du fait de l'absence de corrélation entre le budget publicitaire accordé, soit 168 635 F HT, et le volume d'affaires qu'impliquait la clause d'objectif, 1 594 800 F sur 5 ans, et la tolérance de cette situation par la société Nouvelle Jupiter pendant toute la durée de l'exécution du contrat, délivrant de manière intempestive une assignation dès la rupture du contrat, sans tenter la moindre négociation commerciale ni leur laisser la possibilité de faire intervenir la commission paritaire tel que prévu dans le contrat ;
enfin, l'inexistence du préjudice subi par la société Nouvelle Jupiter du fait du non-respect de la clause de quantité minimum, dès lors qu'outre le fonds de commerce exploité par la société LRM Balla Bella Vita, les trois autres fonds de commerce exploités sous renseigne Bella Vita ont été approvisionnés par cette société, que les prix qu'elle pratiquait étaient nettement supérieurs à ceux du marché, ce qui a d'ailleurs obligé la société LRM Bella Vita à cesser de s'approvisionner auprès d'elle, malgré les bonnes relations commerciales entretenues par les parties,
en sorte que la peine telle qu'elle résulte de la clause pénale est manifestement excessive et, eu égard à la mauvaise foi dont a fait preuve la société Nouvelle Jupiter, doit être réduite au préjudice effectivement subi, à savoir 1 euro ;
Sur la mise hors de cause d'Ahmed Sadak,
Considérant que le contrat d'approvisionnement exclusif du 9 janvier 1991 a été conclu par Ahmed Sadak, en qualité de propriétaire du fonds de commerce à l'enseigne Bella Vita ; que la facture de prestations publicitaires de 200 000 F, émise le même jour en application de l'article 1 du contrat, est au nom de Sadak Bella Vita; que ce contrat a été exécuté par la société LRM Bella Vita, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 31 janvier 1991, dont le gérant était Ahmed Sadak, étant précisé que les factures d'achat des boissons et la lettre de résiliation du contrat émanent de cette société ; qu'il résulte de l'extrait K bis de la société LRM Bella Vita versé aux débats que le fonds de commerce exploité par cette société a pour origine une création ;
Que, par ailleurs, l'article 8 du contrat, invoqué par les parties, prévoit qu'en cas de cession du fonds, le revendeur s'engage à la reprise du contrat par son successeur, sous la forme d'un engagement bilatéral entre le successeur et le fournisseur ;
Considérant qu'aucune cession ou reprise du contrat par la société LRM Bella Vita, ni aucun engagement de celle-ci à l'égard du fournisseur n'ont été formalisés ;
Qu'il en résulte que sur le plan contractuel, Ahmed Sadak reste tenu des engagements qu'il a souscrits à l'égard de la société Nouvelle Jupiter, solidairement avec la société LRM Bella Vita qui les a exécutés;
Considérant que c'est en vain que, pour contester la demande de condamnation solidaire à son encontre, Ahmed Sadak invoque l'article 1202 du Code civil, selon lequel la solidarité ne se présume pas, dès lors que cette disposition n'est pas applicable en matière commerciale ; que peu importe, en outre, que l'article 8 du contrat ne prévoit aucune solidarité dans l'exécution du contrat transmis entre cédant et cessionnaire du fonds de commerce puisque, précisément, la situation visée à cet article, à savoir une reprise formelle du contrat par la signature d'un document entre le cessionnaire et le fournisseur n'est pas celle de la présente espèce ;
Considérant, au surplus, qu'il ne ressort pas des éléments du débat qu'Ahmed Sadak ait, dans un premier temps, exploité le fonds de commerce en son nom personnel pour, ensuite, l'apporter à la société LRM Bella Vita ; qu'en signant le contrat en cause, il a, en réalité, agi au nom et pour le compte de la société, en cours de formation, qui devait exploiter le fonds de commerce créé et qui sera immatriculée au registre du commerce et des sociétés trois semaines plus tard;
Qu'il s'en déduit qu'en application de l'article L. 210-8 du Code de commerce, également, Ahmed Sadak doit être tenu solidairement responsable de l'exécution du contrat, sauf à justifier que la société LRM Bella Vita, après son immatriculation, ait repris l'engagement souscrit par lui selon les modalités de l'article 26 du décret du 23 mars 1967, ce qui n'est ni allégué, ni établi;
Considérant, en conséquence, qu'il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Ahmed Sadak de sa demande de mise hors de cause, mais de le réformer en ce qu'il a débouté la société Nouvelle Jupiter de sa demande de condamnation solidaire ;
Sur la clause relative aux quantités conventionnelles
Considérant, en premier lieu, que les appelants ne justifient pas que la société Nouvelle Jupiter aurait violé une obligation pré-contractuelle d'information à sa charge dès lors que, d'une part, à défaut de mise à disposition du revendeur d'un nom commercial ou enseigne, le contrat d'approvisionnement exclusif conclu entre les parties ne relève pas des dispositions de l'article L. 330-3 du Code de commerce, et que, d'autre part, il n'est pas démontré qu'Ahmed Sadak, qui était un professionnel puisqu'il se prévaut de l'exploitation de trois autres restaurants, n'aurait pas été à même de discuter les termes du contrat qui lui était proposé ni d'apprécier en toute connaissance de cause la portée des engagements quantitatifs qu'il a souscrits, à seule fin de bénéficier de la participation financière qui en était la contrepartie ;
Considérant, également, que l'article 2 du contrat, sous le titre "exclusivité d'achat", comporte les dispositions suivantes :
"Les quantités conventionnelles déterminées doivent correspondre à la capacité réelle du débit de boissons du revendeur telle qu'elle peut être estimée par rapport aux volumes réalisés avant l'intervention du présent contrat.
En cas de modifications importantes par rapport aux facteurs locaux de commercialité, les parties sont convenues de soumettre le cas à l'appréciation de la commission paritaire nationale ..."
Mais que les appelants ne sauraient en déduire une obligation d'assistance à leur égard à la charge de la société Nouvelle Jupiter dès lors que c'est à eux qu'il appartenait, constatant que les quantités sur lesquelles ils s'étaient engagés ne pouvaient être atteintes, de déclencher la saisine de la commission paritaire nationale, alors au surplus que selon leurs écritures, leur engagement d'approvisionnement avait été souscrit en considération de la licence de débit de boissons qu'ils espéraient obtenir mais qui leur aurait été refusée, situation dont eux seuls pouvaient tirer les conséquences ;
Considérant, en second lieu, que l'engagement d'achat des quantités mentionnées à l'article 2 du contrat ne saurait être interprété comme une obligation de moyens qu'ils devaient seulement s'efforcer d'atteindre ; qu'en effet, il résulte des dispositions contractuelles, dépourvues d'ambiguïté, qu'il s'agit bien d'une obligation de résultat, en contrepartie de laquelle est versé lors de la conclusion du contrat l'avantage financier de 200 000 F consenti par la société Nouvelle Jupiter ;
Considérant, en outre, que les appelants ne fournissent aucune démonstration du caractère prétendument abusif de la clause de quantité eu égard à l'avantage financier qui en était la contrepartie ; que celui-ci ne peut se déduire de ce que la somme versée par la société Nouvelle Jupiter dès janvier 1991 correspondait à environ 1 % du chiffre d'affaires qui devait être réalisé entre les parties durant les cinq années d'exécution du contrat, calcul qu'au demeurant Ahmed Sadak, en sa qualité de professionnel averti, ne pouvait ignorer et qu'il a librement accepté;
Considérant, enfin, que la tolérance, par la société Nouvelle Jupiter, du non-respect des quantités convenues pendant la période d'exécution du contrat ne saurait la priver du droit de demander en justice l'application des dispositions contractuelles qui le sanctionnent;
Considérant, en conséquence, que les arguments développés par les appelants tendant à démontrer la mauvaise foi alléguée de la société Nouvelle Jupiter tant lors de la conclusion du contrat que pendant son exécution ou lors de sa rupture, n'apparaissent pas fondés ;
Sur la clause pénale,
Considérant que si le juge peut, en application de l'article 1152 du Code civil, modérer ou augmenter la peine convenue par les parties en raison d'un manquement à l'exécution d'une obligation contractuelle, encore faut-il, selon ce texte, que cette peine soit manifestement excessive ou dérisoire;
Considérant à cet égard que c'est vainement que les appelants font état de commandes de bière passées par trois autres établissements exploités sous l'enseigne Bella Vita pour tenter de démontrer que la société Nouvelle Jupiter n'aurait subi aucun préjudice du fait du non-respect des quantités convenues, dès lors qu'aucune justification n'en est fournie et qu'en tout état de cause, le contrat du 9 janvier 1991 ne concerne manifestement que les achats de bière effectués par la société LRM Bella Vita, à l'exclusion de ceux qu'auraient pu effectuer d'autres sociétés appartenant à Ahmed Sadak ;
Qu'en outre, l'allégation de prix pratiqués par la société Nouvelle Jupiter supérieurs à ceux du marché, là encore non démontrée, ne saurait non plus être retenue, étant observé qu'en tout état de cause, l'article 4 du contrat d'achat exclusif prévoit qu'en cas de modification des prix et conditions de vente non acceptée par le client, le prix sera déterminé à dire d'expert ;
Qu'enfin, il convient de rappeler qu'aucun des arguments avancés par les appelants pour tenter de démontrer la mauvaise foi alléguée de la société Nouvelle Jupiter dont, selon eux, il conviendrait de tenir compte pour apprécier le caractère excessif de la clause pénale, n'a été retenu ;
Considérant qu'en réalité, eu égard au montant de l'avantage financier qui était la contrepartie des quantités minimales qu'Ahmed Sadak s'est engagé à acheter, à savoir 200 000 F TTC versés immédiatement à la signature du contrat, le montant de l'indemnité forfaitaire convenue, à savoir 20 % du chiffre d'affaires non réalisé, soit en l'espèce une somme non contestée de 278 558,40 F, n'apparaît nullement revêtir un caractère excessif;
Qu'il convient donc de réformer le jugement déféré en ce qu'il a alloué à la société Nouvelle Jupiter une somme inférieure et de faire droit à sa demande en paiement de la somme de 42 465,95 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 1998, date de l'assignation introductive d'instance ;
Qu'il y a lieu également d'ordonner la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, à compter du 30 novembre 2001, date à laquelle elle a été demandée pour la première fois ;
Considérant, par ailleurs, qu'il est équitable de condamner solidairement les appelants à verser à la société Nouvelle Jupiter une indemnité complémentaire de 3 000 euros pour les frais exposés par elle en cause d'appel, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant enfin que les appelants doivent être solidairement condamnés aux entiers dépens de l'appel ;
Par ces motifs,
Confirme le jugement déféré, sauf sur les quantum et le rejet de la demande tendant à une condamnation solidaire,
Statuant à nouveau de ces chefs, Condamne solidairement Ahmed Sadak et la société LRM Bella Vita à payer à la société Nouvelle Jupiter la somme de 42 465,95 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 1998, ainsi que celle de 762,25 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Et, y ajoutant, Ordonne la capitalisation des intérêts, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, à compter du 30 novembre 2001, Condamne solidairement Ahmed Sadak et la société LRM Bella Vita à payer à la société Nouvelle Jupiter une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute demande autre, plus ample ou contraire des parties ; Condamne solidairement Ahmed Sadak et la société LRM Bella Vita aux entiers dépens de l'appel, et admet Maître Louis-Charles Huyghe, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.