Livv
Décisions

TPICE, 3e ch., 6 juillet 1998, n° T-286/97

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Goldstein

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Tiili

Juges :

MM. Briët, Potocki

Avocat :

M. St John Murphy.

TPICE n° T-286/97

6 juillet 1998

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

Faits à l'origine du litige et procédure

1. Le requérant est un ressortissant britannique demeurant au Royaume-Uni. Il possède un diplôme de médecin et, au terme d'une formation spécialisée, il a obtenu, en janvier 1990, un Certificate of Specialist Training (diplôme de spécialiste en rhumatologie) délivré par le General Medical Council (conseil médical général, ci-après "GMC"), responsable de la réglementation de la profession médicale au Royaume-Uni.

2. Selon la Commission, la formation de spécialiste suivie par le requérant ne correspond toutefois pas aux exigences établies par la réglementation applicable au Royaume-Uni, portant, notamment, exécution de la directive 93-16-CEE du Conseil, du 5 avril 1993, visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes, certificats et autres titres (JO L 165, p. 1, ci-après "directive 93-16"), de manière à lui reconnaître la qualité de médecin spécialiste dans ce pays.

3. Le 10 août 1993, le requérant a déposé une plainte auprès de la Commission au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), visant à faire constater que le GMC, les Royal Colleges de médecine, les commissions de formation médicale et les compagnies privées d'assurance maladie avaient violé les articles 85 et 86 du traité CE. Il faisait grief au GMC de ne pas avoir publié au Medical Register (registre médical) une liste des personnes titulaires d'un "diplôme communautaire de médecin spécialiste" conformément à la directive 93-16. Il lui faisait également grief d'avoir arrêté des règles "interdisant aux médecins spécialistes communautaires" l'accès au marché des services médicaux spécialisés et restreignant la possibilité pour lesdits médecins de se faire connaître dans le grand public par une publicité effective.

4. Il a, par la suite, échangé une volumineuse correspondance avec la Commission.

5. Le 18 décembre 1994, il a invité la Commission, au sens de l'article 175 du traité, à prendre position sur sa plainte susmentionnée.

6. Par lettre du 9 février 1995, la Commission l'a informé, conformément à l'article 6 (ci-après "article 6") du règlement n° 99-63-CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 1963, 127, p. 2268), qu'elle n'envisageait pas de donner suite à sa plainte et l'a invité à présenter ses éventuelles observations à cet égard.

7. Le 20 septembre 1995, après plusieurs prorogations du délai fixé, le requérant a fait parvenir à la Commission ses observations, datées du 12 septembre, dans lesquelles il a, entre autres, demandé à celle-ci de ne pas prendre de décision finale sur sa plainte avant qu'elle n'ait eu la possibilité d'examiner la nouvelle modification de sa requête dans l'action qu'il avait intentée devant la High Court contre le GMC.

8. Le 28 novembre 1995, le requérant a de nouveau adressé à la Commission une mise en demeure en application de l'article 175 du traité, tout en présentant une série d'éléments nouveaux à prendre en considération dans l'examen de sa plainte.

9. Le 6 décembre 1995, la Commission lui a répondu en estimant que, compte tenu de la quantité considérable de documents que le requérant lui avait envoyés et continuait de lui envoyer, l'examen de sa plainte ne pourrait être achevé dans un délai de deux mois.

10. Après avoir envoyé de nombreuses lettres à la Commission complétant et précisant le contenu de sa plainte et sollicitant l'adoption par celle-ci de certaines mesures, le requérant a de nouveau, le 1er août 1997, invité la Commission à prendre position sur sa plainte, en application de l'article 175 du traité, tout en présentant de nouveaux éléments à prendre en considération.

11. Par lettres des 22 août, 1er, 11 et 24 septembre, 8, 17 et 27 octobre 1997, il a encore soumis à la Commission des éléments complémentaires à l'appui de sa plainte. Ainsi, par lettre du 22 août 1997, intitulée "réponse au titre de l'article 6", il a fait parvenir à la Commission la nouvelle modification de sa requête dans son action devant la High Court. Par lettre du 17 octobre 1997, il a informé la Commission de ce qu'un barrister recevrait l'instruction d'établir une réponse complémentaire à la lettre de la Commission au titre de l'article 6 pour traiter de certaines questions. Dans les autres lettres susmentionnées, il a soumis d'autres éléments de fait et ses observations sur certaines questions de droit à l'examen de la Commission.

12. Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 5 novembre 1997, il a introduit le présent recours.

13. Le 1er décembre 1997, il a encore demandé à la Commission de prendre certaines mesures à l'égard du GMC.

14. La Commission a, par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 17 décembre 1997, soulevé une exception d'irrecevabilité en application de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure. Le requérant n'a pas présenté d'observations sur cette exception.

Conclusions des parties

15. Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- déclarer que la Commission a omis de prendre position sur l'invitation à agir qu'il lui a adressée en vertu de l'article 175 du traité;

- condamner la Commission aux dépens.

16. La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme irrecevable;

- condamner le requérant aux dépens.

En droit

17. En vertu de l'article 111 du règlement de procédure, tel que modifié avec effet au 1er juin 1997 (JO L 103, p. 6), lorsqu'un recours est manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d'ordonnance motivée.

18. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure, et sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur l'exception d'irrecevabilité soulevée par la Commission.

Arguments des parties

19. Le requérant fait valoir, tout d'abord, que la Commission, en s'abstenant de prendre position sur sa plainte, dans un délai de deux mois, après réception de sa lettre de mise en demeure du 1er août 1997, a violé l'article 175 du traité. Il ajoute, à cet égard, que la Commission ne lui a adressé aucun acte exprès au cours des 18 mois qui ont précédé l'envoi de ladite lettre et que son abstention illégale doit être examinée dans ce contexte. Il précise, par ailleurs, que la carence de la Commission a perduré jusqu'à l'introduction du présent recours et que les éventuels contacts qu'il a eus avec celle-ci postérieurement à l'envoi de la lettre de mise en demeure sont "sans préjudice de la nécessité de respecter les délais fixés à l'article 175" du traité.

20. La Commission observe que le but d'un recours au titre de l'article 175 du traité est de faire en sorte que l'institution concernée accomplisse l'obligation qu'elle est tenue d'exécuter. Dans le cadre particulier des procédures de concurrence au titre du règlement n° 17, ce recours tendrait normalement à obliger la Commission à définir sa position au sujet d'une plainte dans les circonstances où, après avoir reçu tous les éléments nécessaires, elle tarde à faire connaître son appréciation au plaignant.

21. La Commission souligne que, pour qu'elle ait une obligation d'agir, elle doit nécessairement être en mesure de le faire. A cet égard, elle observe que, dans le cadre d'une plainte dans une affaire de concurrence, elle est tenue d'"examiner attentivement les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par la partie plaignante" avant de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à la plainte (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24-90, Rec. p. II-2223, point 79). Il s'ensuivrait que, avant que la Commission ne soit dans l'obligation d'agir, elle doit avoir eu la possibilité d'examiner et d'apprécier les éléments qui lui sont soumis par la partie plaignante.

22. Or, en l'espèce, le requérant n'aurait pas cessé, même après avoir envoyé sa lettre de mise en demeure du 1er août 1997, de soumettre de nouveaux éléments de fait et de droit à la Commission pour qu'elle les prenne en considération dans le cadre de l'examen de sa plainte. En outre, la lettre de mise en demeure elle-même aurait été accompagnée d'une quantité considérable de nouveaux documents que le requérant demandait à la Commission d'examiner. Ainsi, la lettre de mise en demeure aurait été prématurée, car, du fait même du requérant, l'examen de la plainte par la Commission n'était pas et ne pouvait pas être achevé.

23. La Commission reproche enfin au requérant de poursuivre deux objectifs inconciliables. Il pourrait soit souhaiter obtenir une décision immédiate sur sa plainte, soit continuer à soumettre à l'examen de la Commission des éléments à l'appui de sa plainte, mais il ne pourrait faire les deux simultanément. En continuant à soumettre à l'examen de la Commission de nouveaux éléments, le requérant aurait privé sa lettre de mise en demeure de tout effet.

Appréciation du Tribunal

24. Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que le bien-fondé d'un recours en carence au titre de l'article 175 du traité est subordonné à l'existence d'une obligation d'agir pesant sur l'institution concernée, de telle façon que l'abstention alléguée soit contraire au traité (arrêt du Tribunal du 24 janvier 1995, Ladbroke/Commission, T-74-92, Rec. p. II-115, point 39).

25. A cet égard, il convient de constater que, en matière de concurrence, lorsque la Commission est saisie d'une plainte au titre de l'article 3 du règlement n° 17, pour violation des dispositions des articles 85 ou 86 du traité, elle est tenue d'examiner attentivement les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par le plaignant, afin de décider si elle doit engager la procédure en constatation d'infraction ou si elle doit rejeter la plainte, ou, enfin, procéder au classement de celle-ci (arrêts Automec/Commission, précité, point 79, et Ladbroke/Commission, précité, point 40).

26. En conséquence, c'est au plus tôt au moment où la Commission a eu la possibilité d'examiner tous les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par le plaignant que peut exister une obligation dans son chef de statuer sur la plainte concernée.

27. Le Tribunal relève que, en l'espèce, la lettre de mise en demeure du 1er août 1997 était accompagnée de dix annexes et que le requérant demandait à la Commission de prendre en considération les éléments de fait et de droit contenus dans la lettre avec les annexes. En outre, il est constant que, après cette date, le requérant a continué à soumettre de nouveaux documents et éléments à la Commission. Ces autres courriers du requérant ou de son conseil, mentionnés ci-dessus au point 11, avaient pour objet de compléter encore le dossier. Quatre de ces lettres étaient même intitulées "réponse supplémentaire au titre de l'article 6" et une autre "réponse au titre de l'article 6".

28. Le Tribunal constate, en particulier, que le requérant avait expressément demandé à la Commission de ne pas prendre une décision finale sur sa plainte avant qu'elle n'ait eu la possibilité d'examiner la nouvelle modification de sa requête dans l'action qu'il avait intentée devant la High Court (voir ci-dessus point 7) et que ce document n'a été fourni à la Commission que le 22 août 1997, soit trois semaines après la mise en demeure.

29. Or, à supposer même que, au moment de l'invitation à agir, une obligation existât dans le chef de la Commission de statuer sur la plainte du requérant, la présentation par celui-ci, à l'occasion de l'invitation à agir et postérieurement à celle-ci, de nouveaux éléments susceptibles d'influencer l'appréciation de la plainte par la Commission a, en toute hypothèse, fait disparaître cette éventuelle obligation d'agir, dès lors que cette dernière n'était pas raisonnablement en mesure de statuer sur cette plainte du fait de la présentation de ces nouveaux éléments.

30. Il en résulte que le recours, tendant à la constatation de la carence de la Commission, en ce qu'elle aurait illégalement omis de statuer sur la plainte du requérant, doit, en tout état de cause, être rejeté comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur sa recevabilité.

Sur les dépens

31. Selon l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la partie défenderesse.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

ordonne:

1) Le recours est rejeté.

2) Le requérant supportera les dépens.