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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 6 mars 2003, n° 2000-16097

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kreiss

Défendeur :

Rolex France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

M. Faucher, Mme Percheron

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Faure, Jacob.

T. com. Paris, du 2 mai 2000

2 mai 2000

LA COUR statue sur l'appel interjeté par Monsieur René Kreiss contre le jugement rendu le 2 mai 2000 par le Tribunal de commerce de Paris, qui l'a débouté de ses demandes contre la société Rolex France (société Rolex), l'a condamné à mettre à la disposition de celle-ci son stock de montres Rolex, contre remboursement du prix d'achat versé, ainsi que les catalogues, enseignes et matériels publicitaires qu'elle lui avait confiés, et à payer à ladite société 10 000 F en application, de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a mis les dépens à sa charge, rejetant la demande d'exécution provisoire formée par la société Rolex.

Contestant la résiliation par la société Rolex du contrat de distribution sélective qu'il avait conclu avec elle pour la commercialisation des montres de la marque Rolex, Monsieur René Kreiss, joaillier horloger à Thionville, a, le 4 juin 1999, fait assigner ladite société pour voir dire que le contrat est demeuré en vigueur et voir condamner Rolex à exécuter ses commandes de montres Rolex ainsi qu'à réparer le préjudice causé.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 15 novembre 2002, par lesquelles Monsieur Kreiss, appelant, demande à la cour d'infirmer le jugement et de dire sans fondement ou résultant d'une application discriminatoire du contrat, les griefs invoqués par le courrier du 17 décembre 1997 de la société Rolex pour dénoncer le contrat de distribution conclu le 1er octobre 1978,

- dire qu'à défaut de résolution judiciaire ce contrat est toujours en vigueur, enjoindre, à la société Rolex de livrer ses commandes, notamment celles visées dans sa lettre du 13 mars 1999, à peine d'une astreinte définitive de 762 euros par jour de retard à compter du 3 novembre 1998, date de la mise en demeure ou à défaut à compter de l'ordonnance de référé du 2 février 1999, ce à titre de dommages-intérêts complémentaires,

- condamner la société Rolex à lui payer :

. 9 230 euros (60 544,83 F) à titre de dommages-intérêts pour la perte de marge sur les montres non livrées,

. 15 245 euros (100 000 F) à titre de dommages-intérêts en réparation du trouble causé par le comportement de la société Rolex,

. 1 524 euros " HT " et 2 287 euros au titre des frais irrépétibles de première et d'appel,

- condamner la société Rolex aux dépens;

Vu les dernières conclusions, signifiées le 20 mars 2001, aux termes desquelles la société Rolex, intimée, prie la cour de confirmer le jugement critiqué, mais en outre de dire que la reprise du stock de montres contre remboursement du prix d'achat versé s'effectuera sous réserve du parfait état de commercialisation des montres, d'assortir l'obligation pour Monsieur Kreiss de restituer le stock de montres ainsi que les catalogues, enseignes et matériels publicitaires et commerciaux à lui confiés d'une astreinte de 5 000 F (762,25 euros) par jour de retard, passé un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et de condamner l'appelant à lui payer 35 000 F (5 335,72 euros) en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens;

Considérant que les parties ont conclu le 1er décembre 1978, pour une durée indéterminée, un contrat de distribution sélective dénommé " Accords de distribution Rolex " permettant à Monsieur Kreiss de commercialiser les montres et produits Rolex;

Que l'article VIII- 2 du contrat prévoyait que "les deux parties aux accords sont autorisées à procéder à la résiliation des présents accords et à mettre fin en même temps aux livraisons qui en découlent à la fin de chaque année civile après un délai de 6 mois, par lettre recommandée";

Que la société Rolex a, une première fois, par courrier recommandé du 29 janvier 1992, résilié ce contrat à effet au 31 juillet 1992, invoquant notamment l'insuffisance des commandes passées par le distributeur depuis 1987; que Monsieur Kreiss ayant accepté d'augmenter son stock, la société Rolex a cependant accepté de poursuivre les relations contractuelles, en précisant que la situation atteinte au 5 novembre 1992, date de son courrier, soit 11 pièces pour 10 références déjà livrées et 12 pièces pour 6 références commandées, constituait le " seuil limite de représentativité de (sa) marque ";

Que, par courrier recommandé daté du 17 décembre 1997, que Monsieur Kreiss ne conteste pas avoir reçu et auquel il a répondu le 13 février 1998, la société Rolex a notifié à son cocontractant la résiliation du contrat, à effet au 31 décembre 1998, invoquant la violation de la clause III 1 d de cette convention, relative à l'obligation pour le distributeur de disposer d'un atelier avec un personnel ayant reçu une formation d'horloger-spécialiste, garantissant l'exécution dans des conditions convenables et dans les délais fixés de toute prestation éventuelle relative à la garantie et au service après vente", ainsi que de l'obligation, prévue à l'article V 2, de "disposer d'un choix représentatif', de la collection Rolex et enfin l'existence de difficultés de paiement systématiques pour les rares montres commandées;

Considérant que, si la lettre de résiliation de la société Rolex articule un certain nombre de griefs, il n'importe, pour la validité de la résiliation, que ceux-ci soient fondés ou non, dès lors que chacune des parties était libre de mettre fin à tout moment au contrat, conclu pour une durée indéterminée, moyennant un délai de préavis fixé à 6 mois au minimum et à la condition de ne pas faire de ce droit un exercice abusif, sans avoir à en demander la résolution judiciaire; que, si l'article VIII-1 du contrat prévoit que " tant que les dispositions concernant le commerce spécialisé prévus aux présents accords s'appliquent d'une manière générale à la vente des produits Rolex, les accords ne peuvent être résiliés dans chaque cas particulier que dans les conditions qui lui sont propres ", c'est à tort que l'appelant prétend déduire de cette disposition que la société Rolex ne pouvait décider unilatéralement de mettre fin au contrat, comme le stipule pourtant expressément l'article VIII 2 précité, mais devait demander la résolution judiciaire, en application de l'article 1184 du Code civil, en justifiant de la violation par le distributeur des critères de sélectivité;

Considérant que le préavis prévu au contrat a été respecté, Rolex l'ayant spontanément porté à un an, tenant compte de la durée des relations contractuelles;

Considérant qu'aucun abus dans l'exercice du droit de résiliation n'est démontré à la charge de la société Rolex, alors au contraire ainsi que l'ont relevé les premiers juges les griefs articulés par ladite société contre son distributeur étaient fondés;

Qu'en particulier l'attention de Monsieur Kreiss avait été tout particulièrement attirée, par la résiliation de 1992 sur laquelle Rolex avait accepté de revenir en contrepartie d'engagements formels de sa part assortis d'une commande destinée à compléter le stock, sur son obligation, énoncée à l'article V 2, de " disposer d'un choix représentatif de montres relevant du programme d'ensemble Rolex, aux fins de présentation et de vente " ; qu'il ne peut soutenir que le contenu de cette exigence était indéterminé, alors que le courrier de Rolex du 5 novembre 1992, acceptant la poursuite des relations contractuelles après avoir notifié la résiliation du contrat, fixait au contraire ce contenu, dans les termes ci-dessus rappelés ; que la commande de 6 pièces en 1993, 2 pièces en 1994, 2 pièces en 1995, 3 pièces en 1996 et 9 pièces en 1997, jusqu'au jour de la résiliation (11 au total pour cette année) ne satisfait évidemment pas aux exigences de l'article V 2 du contrat, telles qu'explicitées par le courrier de Rolex du 5 novembre 1992, dont Monsieur Kreiss a tacitement accepté les termes ; qu'au demeurant, en acceptant, par sa lettre du 16 avril 1998, d'augmenter son stock, le distributeur a implicitement reconnu que l'assortiment de montres Rolex qu'il était en mesure de présenter à la clientèle était insuffisant au regard de ses obligations contractuelles;

Qu'en acceptant, par le même courrier, d'équiper un atelier dans ses locaux, Monsieur Kreiss a nécessairement reconnu qu'il ne disposait pas d'un tel atelier permettant des interventions ou réparations dans ses propres locaux; que l'attestation de Monsieur Pierre confirme que cet artisan n'effectuait aucun travail dans les locaux de Monsieur Kreiss, mais était à la disposition de celui-ci pour des travaux qu'il aurait souhaité lui confier ; qu'au surplus la compétence professionnelle de cet horloger, au regard des exigences de qualité de Rolex, légitimes pour des montres de haute précision et de grande technicité, apparaît douteuse, au vu du rapport de stage produit; que Monsieur Kreiss , à qui incombe la charge de la preuve de l'application discriminatoire qu'il invoque, échoue sur ce point, ne versant aux débats aucun élément relatif à la période ayant immédiatement précédé la résiliation (années 1997 et 1996), alors que l'arrêt de cette cour du 9 décembre 1997 qu'il invoque, ayant confirmé une décision du Conseil de la concurrence du 19 novembre 1996, qui avait constaté une application discriminatoire par Rolex de ses critères de distribution sélective , s'est prononcé sur des faits remontant aux années 1989 à 1992;

Considérant que Monsieur Kreiss n'est pas fondé à faire grief à la société Rolex d'avoir refusé de lui livrer 6 montres, dont 4 auraient été commandées les 8 et 19 novembre 1998 et deux autres le 6 janvier 1999, alors qu'il ne prouve pas que la société Rolex a reçu celles des commandes qui auraient été faites avant le terme des relations contractuelles et que, celles ci ayant pris fin le 31 décembre 1998, la commande qui aurait été faite en janvier 1999 n' aurait pu en toute hypothèse être exécutée;

Considérant que le jugement attaqué doit donc être confirmé et Monsieur Kreiss débouté de ses demandes;

Que la société Rolex est fondée à demander que soit mentionnée, pour la reprise des montres contre remboursement du prix d'achat payé, la réserve d'un parfait état de commercialisation; qu'elle est encore fondée à demander que l'obligation de restitution mise à la charge de Monsieur Kreiss soit assortie d'une astreinte provisoire dont les modalités seront précisées au dispositif;

Considérant que Monsieur Kreiss, qui succombe, devra supporter les dépens d'appel et payer à l'intimée 3 800 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, sa propre demande fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne pouvant qu'être rejetée;

Par ces motifs, LA COUR - Confirme le jugement attaqué, Y ajoutant, - Dit que la reprise du stock de montres détenu par Monsieur Kreiss contre remboursement du prix d'achat versé, s'effectuera sous réserve du parfait état de commercialisation des dites montres, - Assortit la condamnation de Monsieur Kreiss à mettre à la disposition de la société Rolex France son stock de montres Rolex contre remboursement du prix d'achat qui aura été versé ainsi que les catalogues, enseignes et matériels publicitaires que ladite société lui avait confiés d'une astreinte provisoire de 300 euros par jour de retard, passé le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt, - Condamne Monsieur René Kreiss à payer à la société Rolex France 3 800 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, Le déboute de toutes ses demandes, Le condamne aux dépens d'appel et admet la SCP Dubosq Pellerin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.