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Décisions

Conseil Conc., 10 avril 2003, n° 03-D-18

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisine de la société Glem

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Servella-Huertas, par Mme Hagelsteen, présidente, M. Nasse, vice-président, M. Robin, membre, en remplacement de Mme Pasturel, vice-présidente empêchée.

Conseil Conc. n° 03-D-18

10 avril 2003

Le Conseil de la concurrence, (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 11 juin 1996, sous le numéro F 880, par laquelle la société Glem a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 22 janvier 2003 ; les représentants de la société Glem et de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ayant été régulièrement convoqués ; Adopte la décision suivante :

I. - Constatations

1. La société Glem est une société de production audiovisuelle qui a réalisé un chiffre d'affaires de 28,4 millions d'euros (186 MF) en 1995, année au cours de laquelle elle a, notamment, produit des émissions composées d'extraits des archives de l'ORTF et d'images d'actualité.

2. La société Glem soutient que l'INA, établissement public industriel et commercial, possède par son objet social même, une situation de monopole sur le marché de la commercialisation des images télévisuelles françaises et lui reproche d'abuser de cette position en facturant les droits de diffusion des documents qu'elle détient à un prix trop élevé, notamment en utilisant la méthode de la minute indivisible, d'une part, et en incluant dans les prix les frais de recherche et de documentaliste pour tous les extraits, d'autre part.

3. L'INA est un établissement public à caractère industriel et commercial qui, en application des textes législatifs et réglementaires (lois n° 74-696 du 7 août 1974, n° 82-652 du 29 juillet 1982, n° 86-1067 du 30 septembre 1986, décret du 13 novembre 1987 et loi n° 2000-719 du 1er août 2000), est chargé de plusieurs missions :

a) "conserver et exploiter les archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme". Il devient propriétaire des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme autres que celles qui sont constituées pour les œuvres de fiction, à l'issue d'un délai de 3 ans après leur première diffusion.

b) gérer le dépôt légal, instauré par la loi n° 92-546 du 20 juin 1992 et obligatoire pour l'ensemble des éditeurs, producteurs et diffuseurs de documents audiovisuels et sonores de tous types. Le décret n° 93-1429 du 3 décembre 1993, modifié, précise les conditions de mise en œuvre de cette mission.

c) assurer ou faire assurer la formation continue des personnels du secteur de l'audiovisuel et contribuer à la formation initiale et à l'enseignement supérieur, d'une part ; assurer ou faire assurer des recherches sur la production, la création et la communication audiovisuelle et produire des œuvres et documents audiovisuels en liaison avec ses activités de recherche et d'exploitation des archives audiovisuelles, d'autre part.

4. L'INA intervient sur le marché de la production audiovisuelle soit en cédant des droits d'exploitation sur des programmes relevant de son fonds d'archives, soit en tant que coproducteur, c'est-à-dire en apportant, sur une nouvelle émission, les droits sur des programmes de son fonds et des prestations techniques dont les montants, pris en charge par l'INA, constitueront la part producteur de cette nouvelle émission.

5. Les pratiques reprochées en l'espèce se rapportent à la première catégorie d'activité de l'INA et concernent les modalités de commercialisation des archives audiovisuelles.

6. L'INA détient, en application des textes législatifs et réglementaires, un monopole des archives des sociétés nationales de production qui comprennent, d'une part, pour la période antérieure à la privatisation de TF1, l'ensemble des archives télévisuelles autres que les œuvres de fiction, et, d'autre part, pour la période postérieure à cette privatisation, l'ensemble des archives audiovisuelles des sociétés France 2, France 3, Radio France, RFI, et RFO. En revanche, les statuts de la Cinquième et de Arte ne mentionnent pas de relation avec l'INA. L'établissement public est donc le seul opérateur susceptible de commercialiser les archives audiovisuelles énumérées ci-dessus.

7. Les autres intervenants, dans le domaine de la réutilisation des images audiovisuelles, sont la société Pathé archives et Gaumont cinémathèque, et, à moindre échelle, ECPA (service cinématographique de l'armée), Images banque (filiale du groupe américain Getty), Film image, Arketon (spécialisé dans les archives des pays de l'Est) et Lobster. Les deux sociétés principales, Pathé archives et Gaumont cinémathèque, n'interviennent qu'en matière d'actualités cinématographiques et de films de fiction muets.

8. Ainsi, une société de production audiovisuelle ne peut pas faire appel indifféremment aux produits de l'INA et à ceux de Pathé archives ou Gaumont cinémathèque qui, étant issus de fonds documentaires différents, ne sont généralement pas substituables.

9. Il convient de noter que, selon l'article 49 de la loi du 30 septembre 1986, l'INA "peut également passer des conventions avec toute personne morale de droit public ou privé pour la conservation et l'exploitation de ses archives audiovisuelles".

10. Cette activité, qui ne relève plus des archives des sociétés nationales de programmation, peut concerner des produits substituables à ceux d'autres intervenants dans ce secteur. Une étude menée par l'INA en 1994 a, d'ailleurs, relevé que les diffuseurs, clients de l'INA, avaient tendance à se transformer en concurrents en se dotant des moyens de gérer ou commercialiser leurs propres fonds et plus particulièrement les images récentes. Cependant, ce secteur d'activité semble encore être, pour l'INA, annexe à celui d'archivage et d'exploitation des archives des sociétés nationales de programmation.

11. Le marché pertinent est donc celui de la commercialisation des archives des sociétés nationales de programmation, sur lequel l'INA détient un monopole. Le marché géographique concerné est essentiellement le marché national, compte tenu de la nature des produits en cause qui intéressent en premier lieu une demande nationale.

II. - Les motifs

Sur la compétence du Conseil de la concurrence

12. L'article L. 410-10 du Code de commerce stipule que "les règles définies au présent livre s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques".

13. Les missions d'archivage, ainsi que celles de dépôt légal, correspondent à une activité de service public, mais la cession de droits de diffusion du fonds audiovisuel, seul objet du litige, relève de l'activité commerciale de l'INA et ne met en jeu aucune prérogative de puissance publique. En conséquence, le Conseil de la concurrence est compétent pour examiner les pratiques de l'INA visées par la saisine.

Sur l'abus de position dominante

14. La société Glem reproche à l'INA les conditions de facturation à ses clients des droits de diffusion des documents audiovisuels archivés et dénonce, d'une part, le fait que cette facturation s'effectue à la minute indivisible même si la durée de l'extrait diffusé lui est inférieure et, d'autre part, l'inclusion, dans cette facturation, des frais de recherche et de documentaliste même si l'extrait est déjà identifié. Il est ainsi reproché à l'INA de pratiquer des prix abusivement élevés.

15. Dans sa décision n° 00-D-27 du 13 juin 2000 relative au prix de vente des produits commercialisés par la cantine de la prison d'Osny, le Conseil de la concurrence a indiqué que "si en règle générale, les abus de position dominante réprimés par le Conseil consistent pour l'entreprise considérée à empêcher des concurrents de pénétrer sur le marché ou à gêner l'activité de ceux qui s'y trouvent, le Conseil de la concurrence peut, dans certaines circonstances, s'assurer, sur la base de l'article 8 (devenu l'article L. 420-2 du Code de commerce), que les prix pratiqués par une entreprise en position dominante et notamment par un monopole, ne sont pas manifestement excessifs ; qu'il en va notamment ainsi lorsqu'une entreprise détient un monopole qu'aucune autre entreprise n'est susceptible de venir contester et que le gouvernement n'a pas fixé les prix sur le fondement de l'article 1er de l'ordonnance susvisée (article L. 410-2 du Code de commerce)" ;

16. Il est admis par la jurisprudence qu'un prix peut constituer un abus de position dominante s'il est "exagéré par rapport à la valeur économique de la prestation fournie", (Cour de justice des Communautés européennes, 13 novembre 1975, General Motors).

17. Pour établir ce caractère manifestement exagéré, deux méthodes d'analyse ont été élaborées par la Cour de justice et reprises par le Conseil dans sa décision précitée. La première consiste à opérer une comparaison avec les situations de marché équivalentes et la seconde à comparer le prix de vente du produit en cause à son prix de revient et à apprécier "s'il existe une disproportion excessive entre le coût effectivement supporté et le prix effectivement réclamé", (Cour de justice des Communautés européennes :14 février 1978 - United Brands Cie).

18. La première méthode de comparaison avec des prix de marché ne peut s'appliquer, en l'espèce, puisque les sociétés Pathé archives et Gaumont cinémathèque ne commercialisent que leurs propres produits en matière d'actualité cinématographique et de films de fiction muets (Gaumont) qui constituent un stock historiquement figé, alors que, comme le relève la Cour des comptes dans son rapport 2000 portant sur la période 1991-1998, l'activité de cession des droits audiovisuels de l'INA est liée à sa mission générale de conservation des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme et s'appuie sur un travail constant d'identification, d'entretien, de sauvegarde et de restauration des fonds qu'aucun de ses concurrents nationaux n'a à assurer. Par ailleurs, la nature des fonds est également distincte, l'INA détenant des droits d'exploitation non seulement sur un fonds d'archives qu'il a en dépôt mais aussi sur des programmes qu'il produit et dont la gestion est plus complexe et entraîne des droits plus élevés.

19. Le recours à la seconde méthode, seule possible en l'espèce, consiste donc à déterminer si l'INA réclame un prix disproportionné par rapport aux coûts qu'il supporte.

20. La Cour des comptes ainsi que la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes, dans son enquête, constatent les coûts très élevés des prestations techniques de l'INA parmi lesquelles la recherche documentaire et la mise à disposition des extraits. Ces coûts s'expliquent par la taille du fonds d'archives de l'INA, son ancienneté, l'hétérogénéité des supports et la spécificité du contenu. Ainsi, en 1994, année correspondant à la période des faits incriminés par la société Glem, le total des charges d'exploitation dépassait de plus de 15 % le chiffre d'affaires hors taxes de l'INA et seule la perception d'une partie de la redevance pour droit d'usage des récepteurs de télévision permettait à l'INA d'équilibrer ses activités.

21. Les prix des prestations facturées par l'INA, bien qu'ils soient plus élevés que ceux pratiqués par Gaumont cinémathèque ou Pathé archives, en raison des contraintes ci-dessus évoquées, ne permettent pas, pour autant, de couvrir l'intégralité des coûts.

22. L'établissement public et son ministère de tutelle ont, postérieurement à la saisine, mené une réflexion pour distinguer plus nettement la mission de conservation du patrimoine audiovisuel de l'INA de l'activité commerciale d'exploitation des droits relatifs à ses archives et améliorer la lisibilité des coûts de revient. Ils ont, ainsi, adopté une nouvelle politique tarifaire au 1er juillet 2000 qui distingue les extraits "prêts à exploiter" et les extraits "sélectionnés sur mesure". S'il ne peut donc être exclu que l'INA puisse encore mieux identifier ses coûts, afin de les diminuer par un effort de productivité, il demeure qu'aucun élément du dossier ne permet de soutenir que ses tarifs commerciaux se caractérisent par une disproportion manifeste par rapport aux coûts effectivement supportés.

23. Ainsi, il y a lieu de constater qu'aucun élément dégagé par l'instruction ne permet de soutenir que l'INA a abusé de sa position dominante en pratiquant des prix manifestement excessifs par rapport à la valeur économique de la prestation fournie. Il convient, dans ces conditions, de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

Décision :

Article unique. - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.