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Décisions

TPICE, 3e ch., 16 mars 1998, n° T-235/95

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Goldstein

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Tiili

Juges :

MM. Briët, Potocki

Avocat :

M. St John Murphy.

Comm. CE, du 16 oct. 1995

16 octobre 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

Faits à l'origine du litige

1. Le requérant est un ressortissant britannique demeurant au Royaume-Uni. Il possède un diplôme de médecin et a suivi une formation en rhumatologie. Il a obtenu en janvier 1990 un Certificate of Specialist Training délivré par le General Medical Council (le Conseil médical général, ci-après "GMC"), responsable de la réglementation de la profession médicale au Royaume-Uni.

2. Le 10 août 1993, il a déposé une plainte auprès de la Commission au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après "règlement n° 17"), visant à faire constater que le GMC avait violé les articles 85 et 86 du traité CE. Il faisait grief au GMC de ne pas avoir publié au registre médical une liste des personnes titulaires d'un "diplôme communautaire de médecin spécialiste" délivré conformément à la directive 93-16-CEE du Conseil, du 5 avril 1993, visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes, certificats et autres titres (JO L 165, p. 1). Il lui faisait également grief d'avoir prévu des règles prohibant l'accès direct aux "médecins spécialistes communautaires" et interdisant à ceux-ci de se faire connaître dans le public.

3. Lors du dépôt de sa plainte, le requérant a par ailleurs demandé à la Commission de prendre certaines mesures provisoires. La Commission a rejeté cette demande par lettre du 20 janvier 1994, au motif que la situation n'était pas intolérable pour l'intérêt général et que le requérant n'avait pas démontré un préjudice grave et irréparable pour lui-même. Elle a ajouté que les mesures demandées ne pourraient pas prévenir le préjudice prétendument subi par le requérant.

4. Celui-ci a adressé une deuxième demande de mesures provisoires à la Commission, le 28 avril 1994. Cette demande a été rejetée par lettre du 20 juin 1994, la Commission soulignant que l'exercice de pouvoirs juridictionnels par les juridictions d'un État membre n'est pas une activité économique et ne relève donc pas du champ d'application des articles 85, 86 et 90 du traité.

5. Le requérant a envoyé d'autres lettres à la Commission les 26 mai 1994, 4 juillet 1994, 12 août 1994, 28 septembre 1994, 21 juin 1995 et 3 juillet 1995.

6. Selon la synthèse de cinq de ces courriers établie par la Commission dans sa réponse du 16 octobre 1995 (voir ci-après point 8), synthèse non contestée par le requérant, celui-ci a demandé à l'institution,

1°) par sa lettre du 26 mai 1994:

- que "la demande [de paiement des frais de justice] que [lui avait] adressée le Legal Aid Board [conseil de l'assistance judiciaire britannique] soit annulée ou suspendue" (ci-après "première mesure");

- que "[son] certificat d'assistance judiciaire n° 39919C soit rétabli" (ci-après "deuxième mesure");

2°) par sa lettre du 4 juillet 1994:

- "de reconsidérer sa position d'après laquelle l'exercice de pouvoirs juridictionnels par les juridictions d'un État membre n'est pas une activité économique et n'est donc pas susceptible de relever du champ d'application des articles 85, 86 et 90 (lettre que [lui avait] adressée M. Ehlermann le 20 juin, paragraphe 9), et d'intégrer certains principes juridiques dans une nouvelle décision [...]" (ci-après "troisième mesure");

- "de formuler certaines propositions générales [...] concern[a]nt:

a) l'application, de façon générale, des règles de concurrence communautaires [...];

b) l'application des règles de concurrence communautaires à la prestation de services médicaux en général et à [son] cas en particulier [...];

c) les obligations incombant, en vertu du droit communautaire, aux États membres (y compris aux juridictions nationales), aux avocats indépendants et aux ressortissants d'un État membre [...];

d) l'application de l'arrêt de la Cour du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission (155-79, Rec. p. 1575) [...]" (ci-après "quatrième mesure");

- "de reconsidérer son refus du 20 janvier 1994 d'accorder des mesures provisoires [...]" (ci-après "cinquième mesure");

- "de demander à M. Richard Whish de [lui] fournir un certain rapport [...]" (ci-après "sixième mesure");

3°) par sa lettre du 12 août 1994:

- "de prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir le statu quo et protéger [s]es droits et, en particulier, [s]on droit fondamental à la protection des principes de sécurité juridique, de confiance légitime et de proportionnalité" (ci-après "septième mesure");

- "d'ordonner que les décisions suivantes soient déclarées juridiquement inexistantes:

a) la décision du greffier Simmonds du 21 juillet 1994, autorisant le Legal Aid Board à présenter une demande de déclaration de faillite [personnelle] le ou après le 15 août 1994;

b) la décision de M. Justice Latham du 4 août 1994, ordonnant au Treasury Solicitor de déférer l'affaire à la cour en vertu de la section 42 du Supreme Court Act de 1981 sur la question de savoir si [le requérant devait] être considéré comme engageant une procédure vexatoire" (ci-après "huitième mesure");

- "à titre alternatif, de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que l'application, par la juridiction nationale, du droit communautaire en cette matière soit prévisible" (ci-après "neuvième mesure");

- "de [lui] fournir les informations nécessaires pour préparer un recours devant le Tribunal de première instance afin d'attaquer la décision de la Commission du 20 juin 1994 et/ou d'inciter la juridiction nationale à agir en ce sens, conformément à l'article 173" (ci-après "dixième mesure");

4°) par sa lettre du 28 septembre 1994:

- "une injonction en vue de rétablir [sa] demande de contrôle juridictionnel de mesures étatiques contraires aux règles de concurrence communautaires, demande qui a été rejetée par M. Justice Brooke" (ci-après "onzième mesure");

- "une injonction temporaire pour garantir [son] droit à un procès équitable devant la juridiction nationale, garantissant l'application de certains principes juridiques qu['il énonce]" (ci-après "douzième mesure");

- "une injonction temporaire pour empêcher qu'une action quelconque engagée par quiconque menace le statu quo" (ci-après "treizième mesure");

5°) par sa lettre du 3 juillet 1995, de "rétablir le statu quo et de prendre les mesures nécessaires à titre provisoire pour interdire à l'Attorney General d'empêcher la juridiction nationale de remplir directement ou indirectement son obligation de coopération loyale dans l'application des règles de droit, qui découle du traité" (ci-après "quatorzième mesure").

7. La lettre du requérant du 21 juin 1995 ne contenait en revanche aucune demande de mesure supplémentaire.

8. Par lettre du 16 octobre 1995 (ci-après "lettre litigieuse"), la Commission a rejeté les demandes relatives aux troisième et cinquième mesures, au motif que le requérant n'avait pas établi que la situation avait changé.

9. Par la même lettre, elle a constaté que la demande relative à la sixième mesure était devenue sans objet, car le requérant avait obtenu le rapport en cause.

10. Elle a rejeté les autres demandes de mesures provisoires supplémentaires, considérant qu'elles ne relevaient pas du champ de mesures provisoires et que, dès lors, elles étaient irrecevables. Elle a estimé que les mesures demandées n'étaient ni intérimaires, ni conservatoires, ni limitées à ce qui était nécessaire.

11. Plus précisément, elle a expliqué que les troisième et quatrième mesures ne pouvaient pas être adoptées en tant que mesures provisoires, car elles avaient pour objet des constatations générales en droit et, dès lors, constituaient une forme de mesure déclaratoire. Les septième, neuvième, douzième, treizième et quatorzième mesures étaient à son avis trop larges ou/et trop vagues pour être considérées comme limitées à ce qui était nécessaire. En ce qui concerne les première et deuxième mesures, la Commission considérait que, le Legal Aid Board n'étant ni une entreprise ni une association d'entreprises, elle n'était pas compétente pour les adopter. Elle soulignait, en ce qui concerne les huitième, neuvième, onzième et douzième mesures, qu'elle n'était pas compétente pour intervenir en tant que juridiction d'appel de décisions prises par des juridictions nationales et qu'elle ne pouvait pas leur donner des instructions sur la façon de trancher des affaires futures ni leur adresser des injonctions. Elle constatait, en ce qui concerne la quatorzième mesure, qu'elle ne pouvait davantage adresser une injonction à l'Attorney General. Quant à la dixième mesure, elle estimait qu'elle ne constituait pas une demande de mesures provisoires, mais une demande d'informations, et que le requérant n'avait fourni aucun détail sur les informations souhaitées.

12. En conclusion, elle constatait que les conditions auxquelles étaient subordonnée l'adoption de mesures provisoires n'étaient pas remplies. Elle a donc rejeté les demandes du requérant.

Procédure et conclusions des parties

13. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 décembre 1995, le requérant a introduit le présent recours. L'affaire a été attribuée à la première chambre élargie.

14. Le requérant a présenté en référé une demande de mesures provisoires, enregistrée au greffe du Tribunal le 10 janvier 1996. Par ordonnance du président du Tribunal du 27 février 1996, cette demande a été rejetée et les dépens ont été réservés.

15. Le 3 mai 1996, le requérant a formé un pourvoi contre cette ordonnance. Par ordonnance du président de la Cour du 11 juillet 1996, Goldstein/Commission [C-148-96 P(R), Rec. p. I-3883], le pourvoi a été rejeté et le requérant a été condamné aux dépens de la procédure sur pourvoi.

16. Le requérant a présenté en référé une nouvelle demande de mesures provisoires, enregistrée au greffe du Tribunal le 4 novembre 1996. Par ordonnance du président du Tribunal du 11 décembre 1996, la nouvelle demande a également été rejetée et les dépens ont été réservés.

17. Le 21 février 1997, le requérant a formé un pourvoi contre cette dernière ordonnance. Par ordonnance du président de la Cour du 10 mars 1997, Goldstein/Commission [C-78-97 P(R), non publiée au Recueil], ce pourvoi a également été rejeté et le requérant a été condamné à supporter ses propres dépens de la procédure sur pourvoi.

18. Par ailleurs, le 12 février 1996, la défenderesse a soulevé une exception d'irrecevabilité à l'encontre du présent recours.

19. Le Tribunal, dans sa conférence plénière du 5 décembre 1996, a décidé, les parties entendues, de renvoyer l'affaire devant la première chambre.

20. Par ordonnance du Tribunal du 10 mars 1997, l'exception d'irrecevabilité a été jointe au fond.

21. La procédure écrite s'est achevée le 7 août 1997, date à laquelle la partie défenderesse a renoncé à déposer une duplique.

22. Le juge rapporteur ayant ensuite été affecté à la troisième chambre, l'affaire a été attribuée à cette chambre.

23. Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision de la Commission du 16 octobre 1995, refusant, notamment, de reconsidérer sa décision du 20 janvier 1994;

- condamner la Commission aux dépens.

24. La défenderesse conclut, dans son exception d'irrecevabilité, à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours comme irrecevable;

- condamner le requérant aux dépens.

25. La défenderesse conclut, dans son mémoire en défense, à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours;

- condamner le requérant aux dépens.

Sur la recevabilité

26. Aux termes de l'article 111 du règlement de procédure, lorsque le recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d'ordonnance motivée.

Arguments des parties

27. La défenderesse invoque deux fins de non-recevoir dans le cadre de son exception d'irrecevabilité.

28. La première est tirée de ce que le requérant ne serait pas directement et individuellement concerné par le refus de la Commission d'ordonner les mesures demandées, parce qu'il ne pourrait tirer aucun droit de la directive 93-16, du 5 avril 1993, précitée. Sa plainte serait donc dénuée de fondement en droit communautaire.

29. La seconde fin de non-recevoir est tirée de ce que le recours tend à obtenir l'annulation d'un acte purement confirmatif, à savoir le refus de la Commission de reconsidérer sa décision antérieure du 20 janvier 1994 (arrêt de la Cour du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166-86 et 220-86, Rec. p. 6473).

30. Le requérant soutient que le recours est recevable.

31. Il estime qu'il a intérêt à agir. Selon lui, les personnes physiques ou morales habilitées à présenter une demande au titre de l'article 3, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 17 doivent pouvoir disposer d'une voie de recours destinée à protéger leurs intérêts légitimes s'il n'est pas fait droit à leur demande, en tout ou en partie (arrêts de la Cour du 25 octobre 1977, Metro SB-Großmärkte/Commission, 26-76, Rec. p. 1875, point 13, du 11 octobre 1983, Demo-Studio Schmidt/Commission, 210-81, Rec. p. 3045, point 13, et du Tribunal du 18 mai 1994, BEUC et NCC/Commission, T-37-92, Rec. p. II-285, point 36).

32. Le requérant aurait eu un intérêt légitime à déposer une plainte, dès lors qu'il était directement concerné par le comportement reproché. Ce comportement aurait été susceptible d'affecter ses intérêts.

33. De même, le requérant aurait eu un intérêt légitime à présenter une demande de mesures provisoires. Par suite, il aurait un intérêt suffisant à intenter un recours contre la décision contenue dans la lettre litigieuse, portant rejet de sa demande de mesures provisoires.

34. S'agissant de la seconde fin de non-recevoir, le requérant admet qu'une mesure qui confirme simplement une mesure antérieure ne peut pas offrir aux personnes concernées l'occasion de soulever de nouveau la question de la légalité de la mesure confirmée. Toutefois, cette règle ne s'appliquerait pas en présence d'un fait nouveau ayant modifié les circonstances et conditions essentielles qui avaient justifié la première mesure. Or, l'arrêt de la Cour du 10 mai 1995, Alpine Investments (C-384-93, Rec. p. I-1141), relatif aux conditions dans lesquelles une entrave à la libre prestation des services peut être acceptée, aurait constitué un tel fait, qui aurait dû conduire la Commission à modifier sa décision de ne pas interdire le comportement anticoncurrentiel illicite du GMC.

35. Dans ces conditions, le refus de la Commission de retirer sa décision du 20 janvier 1994 contiendrait une décision implicite selon laquelle, d'une part, l'arrêt Alpine Investments, précité, n'exigerait pas l'adoption d'une attitude différente et, d'autre part, les considérations retenues par la Cour dans cet arrêt ne couvriraient pas le marché des services médicaux. En conséquence, la lettre litigieuse ne serait pas une simple confirmation d'une décision antérieure. Le requérant serait donc habilité à contester la décision qu'elle contient (arrêt de la Cour du 22 mars 1961, Snupat/Haute Autorité, 42-59 et 49-59, Rec. p. 99, 145, 146, 150 et 151).

Appréciation du Tribunal

36. L'existence d'un acte contre lequel le recours en annulation est ouvert conformément à l'article 173 du traité est une condition essentielle de recevabilité du recours (voir arrêt du Tribunal du 10 juillet 1990, Automec/Commission, T-64-89, Rec. p. II-367, point 41).

37. Selon une jurisprudence constante, constituent des actes ou décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation au sens de l'article 173 du traité les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci (voir, notamment, arrêt du Tribunal du 18 décembre 1997, ATM/Commission, T-178-94, Rec. p. II-0000, point 53).

38. En l'espèce, la défenderesse a elle-même contesté l'existence d'un acte attaquable.

39. Il y a lieu d'examiner si la lettre litigieuse constitue un acte qui est susceptible d'un recours en annulation au sens de l'article 173 du traité.

40. Cette lettre comprend deux parties distinctes, qui seront examinées successivement. Premièrement, elle contient un refus de reconsidérer la décision du 20 janvier 1994 et l'opinion formulée dans la lettre du 20 juin 1994. Deuxièmement, elle comprend un refus d'adopter les autres mesures sollicitées.

Sur la décision portant refus de reconsidérer les décisions antérieures

41. Selon une jurisprudence bien établie, un recours en annulation formé contre une décision purement confirmative d'une décision antérieure non attaquée dans les délais est irrecevable(arrêts de la Cour du 11 janvier 1996, Zunis Holding e.a./Commission, C-480-93 P, Rec. p. I-1, point 14, et du Tribunal du 15 octobre 1997, IPK/Commission, T-331-94, Rec. p. II-1665, point 24; ordonnance de la Cour du 21 novembre 1990, Infortec/Commission, C-12-90, Rec. p. I-4265, point 10).

42. Une décision est purement confirmative d'une décision antérieure si elle ne contient aucun élément nouveau par rapport à un acte antérieur et n'a pas été précédée d'un réexamen de la situation du destinataire de cet acte antérieur(arrêt IPK/Commission, précité, point 24).

43. En l'espèce, le refus de la Commission de reconsidérer ses décisions du 20 janvier 1994 (cinquième mesure) et du 20 juin 1994 (troisième mesure) ne fait que confirmer sa position antérieure.

44. Par sa décision du 20 janvier 1994, la Commission avait refusé d'adopter des mesures provisoires et n'avait pas pris position sur le prétendu comportement anticoncurrentiel illicite du GMC. Le refus d'accorder des mesures était fondé sur l'absence d'urgence, c'est-à-dire sur l'absence d'une situation grave et irréparable pour le requérant ou intolérable pour l'intérêt général. Dans la lettre litigieuse, la Commission indiquait qu'elle ne réexaminait pas une décision de refus de mesures provisoires, à moins d'être en possession de preuves d'une modification de la situation en raison des violations alléguées des règles de concurrence. Cette constatation ne contenait aucun élément nouveau par rapport aux actes antérieurs et n'avait pas été précédée d'un réexamen de la situation du requérant.

45. Quant au refus de la Commission de reconsidérer l'opinion formulée dans sa décision du 20 juin 1994, il était également fondé sur l'absence d'un changement de situation en raison des violations alléguées des règles de concurrence. Il ne constituait donc qu'une confirmation de la décision antérieure.

46. S'agissant de l'arrêt Alpine Investments, précité, il concernait les conditions dans lesquelles une entrave à la libre prestation des services peut être acceptée. Étant donné les motifs des décisions des 20 janvier et 20 juin 1994 susvisées et le fait qu'aucune allégation d'une infraction aux règles communautaires sur la libre prestation des services ne faisait l'objet de ces deux décisions, cet arrêt ne suffisait pas pour obliger la Commission à adopter une position différente dans la décision litigieuse en ce qui concerne les conditions dans lesquelles un réexamen est nécessaire.

47. Enfin, le fait que le requérant a invoqué de nouveaux arrêts et que la Commission en a mentionné quelques-uns dans une décision postérieure ne suffit pas pour démontrer que la Commission a réexaminé la situation du requérant. La Commission a simplement confirmé qu'elle n'était pas en possession de preuves d'une modification de la situation en raison des violations alléguées des règles de concurrence.

48. En conclusion, la partie de la lettre litigieuse s'analysant comme un refus de reconsidérer les décisions antérieures constitue un acte purement confirmatif. Le recours, pour autant qu'il concerne cette partie, doit dès lors être déclaré irrecevable.

Sur la décision refusant d'adopter d'autres mesures provisoires

49. Comme cela a déjà été constaté (voir point 37 ci-dessus), seules constituent des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci.

50. Pour qu'une décision de rejet d'une demande de mesures provisoires puisse constituer un acte attaquable, il faut d'abord que la Commission soit compétente pour ordonner de telles mesures(voir notamment l'arrêt de la Cour du 4 mars 1982, Gauff/Commission, 182-80, Rec. p. 799, points 16 à 18, et l'ordonnance de la Cour du 17 octobre 1984, N. M./Commission et Conseil, 83-84 et 84-84, Rec. p. 3571, points 10 et 11).

51. L'article 155 du traité énumère les compétences générales de la Commission.

52. Diverses dispositions du traité et du droit dérivé précisent l'étendue de ces compétences. Ainsi, lorsqu'il s'agit de l'application des articles 85 et 86 du traité, la Commission exerce les pouvoirs découlant du règlement n° 17. Ces pouvoirs comprennent notamment la possibilité de constater une infraction aux règles de concurrence et de la sanctionner.

53. A l'occasion d'une procédure visant à cette fin, elle peut ordonner des mesures provisoires (voir ordonnance de la Cour du 17 janvier 1980, Camera Care/Commission, 792-79 R, Rec. p. 119). En effet, elle doit pouvoir prendre des dispositions conservatoires, dans la mesure où celles-ci pourraient paraître indispensables en vue d'éviter que l'exercice du droit de décision prévu par l'article 3 du règlement n° 17 ne finisse par devenir inefficace, ou même illusoire, en raison de l'action de certaines entreprises.

54. Les compétences que la Commission tient de l'article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17 comprennent, dès lors, celle de prendre les dispositions provisoires indispensables pour lui permettre d'exercer de manière efficace ses fonctions et, en particulier, pour garantir l'effet utile des décisions éventuelles visant à obliger les entreprises à mettre fin aux infractions constatées (même ordonnance, point 18).

55. Toutefois, il importe que des mesures provisoires ne soient prises qu'en cas d'urgence établie, en vue de parer à une situation de nature à causer un préjudice grave et irréparable à la partie qui en demande l'institution, ou intolérable pour l'intérêt général. Ces mesures doivent en outre être de caractère intérimaire et conservatoire, et rester limitées à ce qui est nécessaire dans la situation donnée (même ordonnance, point 19).

56. En l'espèce, le requérant invoque précisément, à titre de fondement juridique du pouvoir d'ordonner des mesures provisoires, les compétences de la Commission dans la mise en œuvre des règles de concurrence.

57. Or, en ce qui concerne les première, deuxième, huitième, neuvième, onzième, douzième, treizième et quatorzième mesures, ainsi que la deuxième partie de la dixième mesure, force est de constater que la Commission n'est manifestement pas compétente pour adresser des injonctions à des juridictions nationales, pour prendre in abstracto, même en sa qualité de "gardienne des traités", des mesures les concernant, ou bien encore pour apprécier la validité de leurs décisions, l'institution n'étant pas en tout état de cause une juridiction d'appel à l'égard des juridictions nationales.

58. Par suite, le refus d'adopter ces mesures n'affecte pas de toute évidence la sphère juridique du requérant, de sorte que le maintien ou l'annulation de cette décision n'est en aucune manière susceptible d'affecter ses intérêts.

59. Partant, le requérant n'a aucun intérêt à obtenir l'annulation de ladite décision et ne remplit pas les conditions de l'article 173, quatrième alinéa, du traité.

60. Par conséquent, son recours en annulation doit être déclaré irrecevable en ce qui concerne le refus d'adopter les mesures en cause.

61. S'agissant du refus de la Commission d'adopter les autres mesures provisoires demandées, le requérant n'est pas davantage recevable à le contester devant le Tribunal.

62. Par sa demande relative à la quatrième mesure, il n'a pas demandé à la Commission de prendre position à son égard, mais a sollicité de l'institution la formulation de certaines déclarations générales, qui auraient été adressées à des catégories de personnes envisagées de manière abstraite. Dans ces conditions, il ne se trouvait pas dans la position juridique précise du destinataire actuel d'un acte susceptible d'annulation, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, ni dans celle du destinataire potentiel d'un acte juridique que la Commission serait obligée de prendre à son égard, comme dans l'hypothèse de l'article 175, troisième alinéa (voir arrêt de la Cour du 10 juin 1982, Lord Bethell/Commission, 246-81, Rec. p. 2277, point 16).

63. Quant à la demande relative à la première partie de la dixième mesure, visant à la communication par la Commission d'une information nullement précisée par le requérant, elle ne pouvait pas aboutir à un acte produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter ses intérêts, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique.

64. Ainsi, en ce qui concerne le refus d'adopter les mesures susvisées aux points 62 et 63, le recours doit être également déclaré irrecevable.

65. La demande relative à la septième mesure n'ayant pas été présentée de manière autonome par rapport aux autres demandes, le recours doit être déclaré irrecevable en ce qui la concerne, dès lors qu'il l'a été en ce qui concerne ces autres demandes.

66. Enfin, s'agissant de la demande visant à obliger M. Whish à communiquer un certain rapport au requérant (sixième mesure), il suffit de constater qu'elle n'avait plus d'objet, puisque le requérant l'avait déjà reçu.

67. Il résulte de tout ce qui précède que le présent recours doit être rejeté dans son ensemble comme irrecevable.

Sur les dépens

68. En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux des procédures de référé devant le président du Tribunal, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

ordonne:

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) La partie requérante est condamnée aux dépens, y compris ceux des procédures de référé devant le président du Tribunal.