CA Rennes, 2e ch. com., 14 mars 2001, n° 00-03297
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Maine Color (SA)
Défendeur :
Gendrot & Fils (Sté), Labbé (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bothorel
Conseillers :
M. Poumarède, Mme Nivelle
Avoués :
SCP Bazille & Genicon, SCP D'Aboville, De Moncuit & Le Callonnec
Avocats :
Selarl Dizier & Associés, Me Bouttier
EXPOSE DES FAITS-PROCEDURE-OBJET DU RECOURS
La SA Maine Color a régulièrement interjeté appel d'une décision rendue le 4 mai 2000 par le Tribunal de commerce de Nantes qui l'a déboutée de son action en concurrence déloyale à l'encontre de la société Gendrot et Fils et les époux Labbé et l'a condamnée à payer à la société Gendrot et Fils la somme de 200 000 F et aux époux Labbé la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par eux, outre 20 000 F chacun sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Elle demande à la cour :
Vu les article 1382 et suivant du Code civil
- de dire et juger la société Gendrot et Fils et les époux Labbé responsables d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la SA Maine Color ;
A titre subsidiaire,
Vu les dispositions de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986,
Vu la lettre circulaire de la société Gendrot et Fils du 1er septembre 1999,
- de constater que la cession des actions de Monsieur Alain Lacoste au profit de la société Les Laboratoires Parisiens est intervenue le 30 septembre 1999,
- de dire et juger que la société Gendrot et Fils et les époux Labbé ont rompu brutalement sans préavis leurs relations commerciales avec la SA Maine Color, lui créant ainsi un grave préjudice ;
En conséquence :
- Ordonner à la société Gendrot et Fils et aux époux Labbé de produire sous astreinte de 10 000 F par jour à compter de l'arrêt à intervenir la liste des écoles qu'ils ont détournées et le nombre de photographies qu'ils ont ainsi réalisées ;
- Ordonner à la société Gendrot et Fils et aux époux Labbé de produire sous astreinte de 10 000 F par jour à compter de la signification de l'arrêt à intervenir tout les documents comptables et financiers, notamment ceux susceptibles de justifier de leur clientèle ;
- Condamner in solidum la société Gendrot et Fils et les époux Labbé à indemniser la SA Maine Color de son préjudice à hauteur de cinq millions de francs ;
- Condamner les mêmes à verser à la SA Maine Color 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Intimés la société Gendrot et Fils et les époux Labbé concluent à la confirmation de la décision attaquée ;
Formant appel incident ils demandent à la cour de condamner la SA Maine Color à payer à la société Gendrot et Fils la somme de 500 000 F et aux époux Labbé la somme de 250 000 F ;
D'ordonner à la SA Maine Color de cesser définitivement le démarchage des écoles et ce sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée ;
De faire défense à Maine Color de faire usage des portraits de Monsieur Gendrot, de Madame Gendrot et de leurs enfants Gaétan, Benoît et Olivier sur tous leurs documents publicitaires et ce sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée ;
De condamner la SA Maine Color au paiement à la société Gendrot et Fils de la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
MOYENS PROPOSES PAR LES PARTIES
Considérant qu'au soutien de son recours la SA Maine Color, après avoir refait l'historique de l'entreprise, fait observer qu'elle a toujours été le seul partenaire des écoles détournées qui formaient sa clientèle, la famille Gendrot et les époux Labbé réalisant les photos, en qualité d'opérateurs techniques, photos qui étaient facturées directement par Maine Color ;
Que c'est par une volonté délibérée et de façon tout à fait préméditée que la société Gendrot et Fils et les époux Labbé ont développé une activité concurrente parfaitement déloyale ; que c'est près de 300 écoles qui ont ainsi été détournées par les consorts Gendrot et les époux Labbé alors que c'est la SA Maine Color qui leur reversait une commission et leur fournissait le matériel nécessaire aux prises de vue ;
Considérant que, critiquant vivement la décision du Tribunal de commerce la SA Maine Color entend voir sanctionner les actes de concurrence déloyale commis par les intimés sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Qu'elle expose que le tribunal s'est mépris sur la propriété de la clientèle alors que la SA Maine Color était seule propriétaire de la clientèle scolaire dans la mesure où :
- l'antériorité de l'activité développée par Maine Color a été clairement établie ;
- le démarchage commercial était réalisé par Maine Color ;
- la facturation était établie par la SA Maine Color à qui les règlements étaient adressés ;
- les opérateurs étaient rémunérés par une commission d'environ 30 % qui leur était reversée et qui rémunérait leurs prestations techniques ;
- son rôle ne se réduisait pas, contrairement à ce qu'affirment les adversaires, au développement des photos réalisées par les intimés ;
Considérant que la SA Maine Color fait encore valoir que les agissements déloyaux de la société Gendrot et Fils et des époux Labbé sont suffisamment caractérisés par le démarchage systématique des écoles, la confusion entretenue auprès de ces établissements, la rupture subite et préméditée des relations avec la SA Maine Color ;
Considérant que, subsidiairement, la SA Maine Color fait valoir que la seule rupture des relations commerciales justifie sa demande en application des dispositions de l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 qui sanctionne en termes clairs ce type de comportement ;
Considérant que Maine Color estime que les agissements des époux Labbé et de la société Gendrot et Fils sont la cause unique de son préjudice commercial évalué provisoirement à cinq millions de francs ;
Considérant enfin que la SA Maine Color critique vivement l'évaluation faite par le tribunal de commerce du préjudice subi par la société Gendrot et Fils et les époux Labbé ;
Considérant que dans leurs conclusions en réponse la société Gendrot et Fils et les époux Labbé font essentiellement valoir :
- qu'au cours de l'année scolaire 1966-1967 que Claude Gendrot a créé une activité d'artisan photographe effectuant des prises de vue d'enfants et de groupes d'enfants ;
- qu'il confiait alors le développement de ses photos à Monsieur Alain Lacoste, devenu depuis la SA Maine Color ;
- que progressivement, sa femme puis ses fils ont rejoint son activité ;
- que Monsieur Jean François Labbé et son épouse ont acquis le 30 juillet 1996 un fonds artisanal d'entreprise de photographe scolaire ambulant ;
- qu'ayant appris que la SA Maine Color allait être cédée au groupe LLP Finances, ils lui ont fait savoir qu'ils ne souhaitaient plus poursuivre leur collaboration ;
Considérant que les intimés affirment démontrer :
- que c'est Monsieur Claude Gendrot qui a créé sa clientèle puis sa société dont il est seul propriétaire ;
- qu'il n'y a jamais eu de concurrence avec la SA Maine Color qui avait une activité de développement des prises de vues ;
- que l'on ne peut tirer de l'organisation pratique (envoi de cartes réponse, facturations) la conclusion que les consorts Gendrot et les époux Labbé étaient les mandataires de Maine Color ;
- que les époux Labbé ont acquis leur clientèle de Monsieur Joseph Labbé, qui avait le statut de photographe indépendant, le 30 juillet 1996 ;
Considérant que tant les époux Labbé que la société Gendrot et Fils formant appel incident, reprochent à la SA Maine Color d'avoir cédé toutes ses parts à la société LLP Finances, un groupe important qui intervient non seulement dans le domaine du développement des pellicules mais également dans celui des prises de vue ;
Qu'ils expliquent que cet événement a été le motif de leur désengagement vis-à-vis de Maine Color ;
Considérant qu'ils reprochent à leur tour à la SA Maine Color d'avoir démarché les écoles dans lesquelles ils réalisaient les photos et de les avoir dénigrés auprès des établissements scolaires tant par courriers que par téléphone ;
Considérant que, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties la cour se réfère à la décision attaquée, et aux écritures des parties régulièrement signifiées ;
MOTIFS DE L'ARRET
Considérant qu'il résulte des débats et des pièces versées au dossier de la cour, que Claude Gendrot exerce depuis 1967 une activité de photographe scolaire pour lequel il était immatriculé à la Cambre des métiers de Nantes et enregistré au Registre du Commerce et des Métiers jusqu'au 14 août 1996, date de la création de la société Gendrot et Fils ;
Que par acte en date du 30 juillet 1996, les époux Labbé ont acquis de Joseph Labbé, avec lequel ils n'avaient aucun lien de parent mais dont Jean-François Labbé était le salarié, un fonds artisanal d'entreprise de photographe scolaire ambulant à exercer dans les départements du Morbihan, des Côtes d'Armor et du Finistère, ce fonds ayant été fondé en 1964 par le cédant, Joseph Labbé ;
Considérant que, depuis l'époque de la création de leurs entreprises, les consorts Gendrot et Joseph Labbé, puis la société Gendrot et Fils et les époux Labbé, confiaient la plus grande partie du développement de leurs travaux à la société Maine Color Alain Lacoste, devenue la SA Maine Color ;
Considérant qu'aucun contrat autre que verbal ne liait les parties qui n'avaient l'une envers l'autre d'autres obligations qu'une obligation de loyauté ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, que des cartes réponses communes au laboratoire et aux photographes ont été adressées à partir des années quatre-vingt aux établissements scolaires ;
Que la SA Maine Color facturait les travaux photographiques aux écoles et réglait aux photographes leurs travaux de prise de vue sur présentation de leurs factures, ce qui représentait environ 30 % du montant des sommes encaissées par la SA Maine Color auprès des établissement scolaires ;
Considérant cependant que cette organisation matérielle, qui avait le mérite de regrouper sur Angers, siège social de la SA Maine Color, l'ensemble des actes d'administration, ne permet pas d'affirmer que les époux Labbé et la société Gendrot et Fils aient agit en qualité de mandataires de la SA Maine Color alors que chacun en fait, retirait un avantage de l'activité de l'autre sans qu'il soit établi que la clientèle soit plus la propriété de la SA Maine Color que de la société Gendrot et Fils ou des époux Labbé ;
Considérant qu'il résulte d'autre part des nombreuses attestations versées au dossier par le société Gendrot et Fils qu'il était le principal interlocuteur des écoles concernées; que les photos n'étaient d'ailleurs pas toutes confiées à développer à la SA Maine Color, mais aussi à un laboratoire Loiseau ;
Considérant que la société Gendrot et Fils justifie par ailleurs qu'elle distribuait elle-même des cartes-réponses en son nom personnel à ses clients ;
Considérant que si les consorts Gendrot et les société Gendrot et Fils figuraient sur les feuillets publicitaires établis par la SA Maine Color, leur qualité d'artisans y était bien précisée ;
Considérant ainsi que la SA Maine Color ne saurait reprocher à la société Gendrot et Fils et aux époux Labbé d'avoir détourné une clientèle qu'elle ne peut pas s'approprier, étant observé qu'aucune concurrence ne peut exister entre une entreprise dont l'activité est de développer les pellicules et des artisans photographes qui réalisent les clichés ;
Considérant que la décision attaquée sera en conséquence confirmée sur ce point ;
Sur la demande subsidiaire de rupture abusive des relations commerciales
Considérant que l'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre1986 sanctionne la rupture abusive d'une relation commerciale ;
Considérant qu'il est établi et non contesté que la société Gendrot et Fils a cessé toute relation commerciale avec la SA Maine Color à compter du 1er septembre 1999 et a fait part de sa décision à ses clients ;
Que cependant cette attitude était motivée par la décision de la SA Maine Color de céder toutes ses parts à une grosse entreprise concurrente qui, elle, n'avait pas pour activité unique le développement des pellicules, mais effectuait également les prises de vue, étant remarqué qu'aucune obligation d'exclusivité ne liait la société Gendrot et Fils et les époux Labbé à la SA Maine Color ;
Considérant que la cession de Maine Color prenant effet au 30 septembre 1999, soit au début de l'année scolaire, il ne saurait être fait grief à la société Gendrot et Fils d'avoir dès le début du mois ,avisé sa clientèle du changement ;
Sur les appels incidents de la société Gendrot et Fils et des époux Labbé
Considérant qu'une entreprise ne bénéficie d'aucun droit privatif sur sa clientèle et que le simple démarchage de la clientèle d'un concurrent est licite, dès lors qu'il ne s'accompagne d'aucun acte déloyal ; que c'est ainsi à bon droit que le tribunal de commerce a débouté les époux Labbé et la société Gendrot et Fils de leur demande tendant à interdire à la SA Maine Color tout démarchage des établissements scolaires ;
Mais considérant en l'espèce que c'est également à bon droit et par une juste appréciation des éléments de la cause non démentie par les débats devant la cour et par les pièces qui y ont été produites que le tribunal a considéré que la SA Maine Color s'était livrée à l'égard tant des époux Labbé que de la société Gendrot et Fils à des actes de concurrence déloyale ;
Considérant en effet que c'est à tort, et dans l'intention de jeter le doute dans l'esprit de la clientèle, que la SA Maine Color a employé dans un courrier adressé à diverses écoles les 14 et 15 septembre 1999 les termes de "collaborateurs-mandataires" pour désigner tant Monsieur Gendrot que Monsieur Labbé ;
Que par ailleurs, ces mêmes courriers mettaient en doute leur honnêteté en laissant planer le soupçon sur la destination des fonds récoltés par eux et en affirmant qu'ils travaillaient avec un matériel fourni par Maine Color, ce qui est démenti par les intéressés ;
Considérant qu'il résulte enfin de courriers adressés à la société Gendrot et Fils par des chefs d'établissement que la SA Maine Color a fait passer celle-ci pour une entreprise illicite ;
Considérant que le tribunal de commerce a fait par ailleurs une juste appréciation du dommage incontestable subi par les époux Labbé et la société Gendrot et Fils, y compris en ce qui concerne l'utilisation de leur portrait dans les encarts publicitaires par la SA Maine Color ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Gendrot et Fils l'intégralité des frais irrépétibles engagés à l'occasion de la procédure d'appel ; qu'il convient de lui accorder la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que, succombant en appel, la SA Maine Color supportera les entiers dépens ;
DÉCISION
Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision déférée ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires ; Condamne la SA Maine Color à payer à la société Gendrot et Fils la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la SA Maine Color aux dépens de première instance et d'appel, ceux-ci pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.