CA Rennes, 5e ch. prud'homale, 23 janvier 2001, n° 99-06889
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Léon
Défendeur :
Jagep Jeune (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ploux
Conseillers :
Mmes Legeard, Van Ruymbeke
Avocats :
Mes Léon, Berthome.
EXPOSE DU LITIGE:
Engagé en qualité de VRP par la société nouvelle des établissements Jager Jeune à compter du 1er juin 1981, Monsieur Léon a été admis au bénéfice de l'allocation remplacement pour l'emploi (ARPE) à compter du 1er août 1998.
Un différend opposant les parties relativement au remboursement d'une somme prétendument trop versée puis restituée au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, Monsieur Léon a saisi le Conseil de prud'hommes de Saint-Malo lequel, par jugement du 17 septembre 1999 a:
- condamné la société Jager Jeune à rembourser à Monsieur Léon la somme de 10 997,05 F correspondant à l'indemnité de congés payés sur la prime de l'objectif perçu au titre de l'année 1997-1998 et à lui verser la somme de 9 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les parties étant déboutées de toutes leurs autres demandes étant précisé que Monsieur Léon avait sollicité le paiement d'une somme de 403 976 F au titre de l'indemnité compensatrice de la clause de non-concurrence.
Appel de cette décision a été interjeté par Monsieur Léon qui demande à la cour de:
- condamner la société Jager Jeune au paiement des sommes suivantes:
-- rappel de congés payés: 10 997,05 F;
-- indemnité compensatrice de non-concurrence: 403 976 F; avec intérêts au taux légal à compter de la demande en justice;
- confirmer pour le surplus le jugement dont appel;
- condamner la société Jager Jeune au paiement d'une somme de 10 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
- la condamner aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait valoir que doit être inclue dans l'assiette de congés payés la prime d'objectif attribuée en fonction des résultats personnels du salarié laquelle s'est élevée, au titre de l'exercice 1997-1998 à 109 970,58 F, ce versement ayant fait l'objet d'un accord écrit entre les parties par avenant au contrat de travail en date du 3 novembre 1997 et avait en conséquence un caractère obligatoire pour l'employeur qui reste lui devoir la somme de 10 997,05 F au titre de congés payés.
Sur l'indemnité compensatrice de non-concurrence, il fait état de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 et du fait que l'employeur, dans les quinze jours de la rupture du contrat,ne l'a pas dispensé de l'exécution de la clause de non-concurrence prévue au contrat de travail.
Il relève que le salarié, admis au bénéfice de l'ARPE conserve la faculté de reprendre une activité professionnelle rémunérée et qu'ainsi, l'employeur ne peut prétendre qu'il aurait renoncé définitivement à l'exercice d'une profession, le délai de dénonciation de la clause de non-concurrence ayant commencé à courir au jour de son départ de l'entreprise soit en l'espèce à compter du 31 juillet 1998.
Il ajoute que la rupture du contrat intervenue d'accord des parties s'apparente à une démission, l'indemnité mensuelle devant être ainsi fixée au tiers du salaire moyen, hors frais professionnels, la prime d'objectif devant être incluse dans le calcul de l'indemnité.
En réplique, la société Jager Jeune allègue que doivent être exclues de la rémunération servant de base au calcul de l'indemnité compensatrice de congés payés les primes ou gratifications annuelles ou bisannuelles non affectées par le départ du salarié en congé et calculées globalement pour l'ensemble de l'année ce qui est le cas de la prime annuelle d'objectif versée à Monsieur Léon, peu importe son caractère contractuel et obligatoire.
Sur l'indemnité compensatrice de clause de non-concurrence, elle soutient que le dispositif de l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE) instituée postérieurement à l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975 crée un mode de rupture du contrat de travail "Sui generis " ne pouvant s'analyser ni en un licenciement ni en une démission.
Elle observe qu'il n'existe aucune notification de rupture mais la rencontre de deux volontés observant que l'accord donné par l'employeur est un accord conditionnel lié à l'acceptation du dossier par l'ASSEDIC et que dans ces conditions, il ne peut être exigé de lui qu'il décide du maintien ou de la levée d'une clause de non-concurrence à un moment où il n'a aucune certitude sur la réalité de la cessation d'activité du salarié laquelle est en conséquence un mode autonome de rupture du contrat de travail qui ne peut entraîner l'application de l'article 17 de la convention collective des VRP.
Elle souligne en outre que la clause de non-concurrence est devenue sans objet alors que sa finalité est d'interdire à l'ancien salarié de travailler pour une entreprise concurrente alors même que la reprise d'une activité professionnelle est incompatible avec le dispositif de l'ARPE puisque dans cette hypothèse, le versement de l'allocation est suspendue pendant toute la durée de l'activité.
Elle indique ainsi que dans la commune intention de la société et de Monsieur Léon, celui-ci avait renoncé à reprendre une quelconque activité professionnelle rémunérée d'autant plus que l'intéressé a perçu une indemnité de cessation anticipée conséquente de 126 244 F à laquelle elle a ajouté une prime de départ de 100 000 F.
Elle ajoute qu'elle n'avait dès lors aucun intérêt à accepter le départ en ARPE de Monsieur Léon ce qui reviendrait à une démission particulièrement coûteuse, un tel départ ne pouvant s'assimiler ni à un licenciement comme une préretraite ni à une démission comme un départ en retraite, la sanction prévue en cas de la reprise d'une activité professionnelle (suspension immédiate de l'allocation ARPE) démontrant que l'esprit du texte est bien de voir le salarié cesser toute activité professionnelle et ce afin de favoriser l'emploi.
A titre subsidiaire, elle estime qu'il aurait lieu d'ordonner la restitution de l'indemnité de départ exceptionnelle de 100 000 F celle-ci étant alors sans objet.
Elle demande à la cour de:
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Monsieur Léon 10 197,05 F au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés et 6 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté Monsieur Léon de sa demande d'indemnité compensatrice de clause de non-concurrence;
- condamner Monsieur Léon à 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la cour:
I - SUR L'INDEMNITE COMPENSATRICE DE CONGES PAYES:
Monsieur Léon demande que soit inclus dans l'assiette de calcul des congés payés, le montant de la prime d'objectif qui a effectivement, comme il l'indique, fait l'objet d'un accord écrit entre les parties le 3 novembre 1997.
Cet avenant au contrat de travail est ainsi rédigé:
" Suite à notre dernière conversation et la communication de votre budget concernant votre secteur pour l'année 1997-1998 (1er août 1997-31 juillet 1998) nous avons arrêté ensemble et convenu que votre objectif de chiffre d'affaires sera de 17 000 000 F. La réussite de cet objectif nécessitera de votre part des efforts constants et c'est pourquoi la direction générale a accepté d'assortir la réalisation de cet objectif pour cet exercice, des avantages financiers suivants:
A) si l'objectif fixé est atteint (CA HT nets encaissés): une prime de 0,5 pour mille sera versée.
B) si l'objectif estime dépassé de plus de 500 000 F: un intéressement "super bonus " de 4 % sur le dépassement vous sera acquis.
J'espère que vous accepterez ces nouvelles propositions de stimulations (applicables pour l'exercice en cours)... ".
Même si cette prime d'objectif correspond effectivement à l'activité personnelle du salarié et présente un caractère obligatoire pour l'employeur, il n'en demeure pas moins que son versement n'est pas constant puisqu'ayant fait l'objet d'une discussion spécifique pour l'année 1997-1998. En outre, elle correspond à un pourcentage sur le chiffre d'affaires réalisé pour l'ensemble de l'année, période de travail et période de congés payés confondues.
En conséquence, cette prime d'objectif ne doit pas être incluse dans l'assiette de calcul des congés payés et en conséquence, le jugement déféré sera réformé sur ce point, Monsieur Léon devant être débouté de sa demande en paiement formulée au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.
II - SUR L'INDEMNITE DE NON-CONCURRENCE:
Le contrat de travail conclu le 27 mai 1981 entre la SA Jager Jeune et Monsieur Léon comporte effectivement une clause de non-concurrence d'une durée de deux ans suivant la cessation de ses services.
S'il est constant que sauf dispositions contractuelles spécifiques, la cause de la rupture du contrat de travail (licenciement, démission, retraite) n'a pas d'incidence sur la contrepartie pécuniaire due par l'employeur en application de l'accord national interprofessionnel VRP du 3 octobre 1975, le contexte du départ de Monsieur Léon doit cependant en l'occurrence être pris en considération.
En effet, l'appelant a bénéficié d'un nouveau dispositif prévu par l'accord du 6 septembre 1995 relatif au développement de l'emploi en contrepartie de la cessation d'activité de certaines catégories de salariés.
Ce système permet en effet aux salariés qui dispose du nombre de trimestres validés au titre de l'assurance vieillesse suffisant (160 trimestres) de cesser leur activité avant 60 ans tout en percevant l'allocation de remplacement pour l'emploi (ARPE) sous réserve d'obtenir l'acceptation de leur employeur lequel a alors l'obligation de remplacer le salarié concerné par une nouvelle embauche,
Ainsi que le soutient l'intimée, la cessation des relations contractuelles entre un salarié et un employeur du fait de l'application de l'accord du 6 septembre 1995 constitue un mode autonome de rupture qui ne peut s'assimiler à une démission ou un licenciement voire à une mise en retraite.
Dès lors, dans la mesure où il se trouve substitué dans ses services par le salarié embauché pour le remplacer, même si le poste de travail peut être différent, Monsieur Léon ne peut se prévaloir de l'indemnité compensatrice de l'obligation de non-concurrence même si celle-ci n'a pas été levée par la société Jager Jeune dans les quinze jours suivant son départ de l'entreprise et ce d'autant plus qu'ainsi le souligne l'intimée, cette clause de non-concurrence était désormais sans intérêt, Monsieur Léon, par le choix fait de recourir au dispositif ARPE manifestant à l'évidence son intention de cesser toute activité professionnelle, raison qui explique d'ailleurs que l'employeur lui a fait bénéficier à son départ d'une indemnité exceptionnelle de 100 000 F.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur Léon de sa demande en paiement de l'indemnité compensatrice de la clause de non-concurrence.
Eu égard aux circonstances de l'espèce, l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de laisser à chacune des parties la charge des dépens exposés par elle.
Par ces motifs: LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Réforme partiellement le jugement déféré, Déboute Monsieur Léon de l'ensemble de ses demandes, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.