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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 5 juin 1998, n° 96-14254

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Publiprint (SA), Bayard Presse Publicité (SARL)

Défendeur :

Slifac (SA), Faux, Frechou (ès qual.), Gorins (ès qual.), Archeops Editique (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Conseillers :

M. Cailliau, Mme Radenne

Avoués :

SCP Baskal, SCP Bourdais-Virenque, SCP Bommart-Forster

Avocats :

Mes Granger, Chauvel, Deubel.

T. com. Paris, 1re ch., du 13 nov. 1995

13 novembre 1995

LA COUR, statue sur l'appel relevé respectivement par Publiprint, la société Slifac et la société Bayard Presse Publicité du jugement réputé contradictoire, rendu le 13 novembre 1995, par le Tribunal de commerce de Paris qui a notamment débouté Publiprint et la société Bayard Presse Publicité de leurs demandes dirigées contre la société Slifac et les a condamnées à payer à celle-ci la somme de 5 000 F par application de l'article 700 NCPC.

Référence faite aux énonciations de la décision déférée ainsi qu'aux écritures des parties pour l'exposé des faits, et des prétentions et moyens initialement présentés, il suffit de rapporter les éléments essentiels du litige.

Publiprint et la société Bayard Presse Publicité ont sollicité de la société Slifac, celle-ci liée à la société Archeops Editique par un contrat d'affacturage, le paiement de factures correspondant à des annonces publicitaires parues respectivement dans les périodiques " Le Figaro Magazine " et " Notre Temps " qui leur ont été commandées par la société Archeops Editique, agence de publicité, mandataire de Ohfom, laquelle en a acquitté le règlement entre les mains de la société Slifac, prétentions auxquelles celle-ci a résisté.

Par le jugement déféré, le tribunal, pour l'essentiel, a retenu que si Ohfom, annonceur, avait notifié aux vendeurs d'espaces publicitaires qu'elle avait désigné la société Archeops Editique comme son mandataire, Publiprint et la société Bayard Presse Publicité, qui ne justifiaient pas avoir communiqué à l'annonceur leurs factures respectives, avaient établi lesdites factures au nom de celui-ci qui en était devenu débiteur, de sorte que l'agence de publicité, redevable des factures, avait pu à son tour facturer à l'annonceur les prestations des vendeurs et remettre les factures à la société Slifac qui les a affacturées, que la société Slifac, subrogée dans les droits dont la société Archeops Editique disposait à l'encontre de l'annonceur, avait pu se faire payer par Ohfom sans qu'un lien de droit se fût formé entre ces derniers, étant observé que Publiprint et la société Bayard Presse Publicité avaient déclaré leurs créances au passif de la société Archeops Editique, et, par ailleurs, a estimé que la demande de la société Slifac dirigée contre M. Faux, en qualité de caution de la société Archeops Editique était devenue sans objet.

Appelantes, Publiprint et la société Bayard Presse Publicité soutiennent que la société Archeops Editique, n'étant intervenue qu'en qualité de mandataire des annonceurs en vertu d'un contrat de mandat, établi conformément aux dispositions de l'article 20 alinéa 3 de la loi du 29 janvier 1993, ne pouvait, pour n'être pas propriétaire de la créance, facturer l'achat d'espaces et par suite affacturer ces factures mais seulement sa prestation d'agence,

que le cessionnaire ne pouvant disposer de plus de droit que le cédant, la demande en paiement concernant la vente des espaces formée à l'encontre du mandataire substitué, la société Slifac, contre lequel elles bénéficient d'une action directe, est fondée,

que le contrat d'affacturage ayant pour objet de mobiliser des ventes de services matérialisées par des factures correspondant auxdits services, la société Slifac n'a pu acquérir régulièrement et de bonne foi les factures émises par la société Archeops Editique, alors d'une part, qu'elle avait connaissance du mandat et d'autre part, qu'elle n'a pas rempli son devoir de contrôle,

qu'en application de l'article 1166 du Code civil, elles sont fondées, pour être subrogées dans les droits de Ohfom, à exercer les droits et actions de l'annonceur qui a payé indûment entre les mains d'un tiers non habilité à recevoir paiement,

que, par application de l'article 1239 du Code civil, ni la société Archeops Editique, ni la société Slifac n'ayant reçu mandat de leur part ne pouvaient recevoir paiement de la prestation accomplie par les venderesses d'espaces,

que les dispositions d'ordre public de la loi Sapin ont été par elles respectées.

Elles demandent en conséquence à la cour, par voie de réformation, de dire que la société Archeops Editique, ne disposant pas de créance à l'encontre de Ohfom, ne pouvait facturer celle-ci et, par suite, transmettre à la société Slifac un droit de créance dont elle ne disposait pas, de dire que leur action dirigée contre la société Slifac qui a reçu un paiement indu est fondé, en conséquence de condamner la société Slifac à payer :

- à la société Bayard Presse Publicité, les sommes de 253 194,40 F avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, correspondant aux factures de vente des espaces, et celle de 37 979,16 F, montant de la clause pénale,

- à Publiprint, la somme de 322 188,70 F au titre des factures de ventes d'espaces,

outre une somme de 50 000 F à chacune d'elles en application de l'article 700 NCPC.

Egalement appelante, la société Slifac fait valoir

- à l'égard de Publiprint et de la société Bayard Presse Publicité,

que celles-ci, en l'absence d'un lien de droit, ne peuvent se prévaloir d'un droit de créance à son égard, de sorte qu'elles ne peuvent prétendre au paiement des factures en cause,

que les rapports existant entre elle-même et la société Archeops Editique sont fondés sur la subrogation, exclusive de l'existence d'un mandat, qu'elle n'a pas la qualité de mandataire substitué de l'agence de publicité dont elle n'est pas cessionnaire,

que les dispositions de la loi Sapin n'interdisent pas à l'agence de publicité de mobiliser les factures émises sur son mandant, sans que les énonciations de la circulaire du 19 septembre 1994 et la recommandation de la DGCCRF puissent être utilement opposées dès lors que les fonds reçus par la société Archeops Editique sont nécessairement entrés dans son patrimoine,

qu'en outre l'agence est ducroire de l'annonceur, de sorte que Ohfom n'est pas l'unique débiteur des vendeurs d'espaces,

que l'opération d'affacturage par laquelle elle a été investie d'un droit de créance précis par l'effet de la subrogation, est intervenue de manière régulière et qu'il ne peut lui être fait de reproche pour ne pas avoir exercé un contrôle des factures par elle achetées à la société Archeops Editique,

que, pas davantage, Publiprint et la société Bayard Presse Publicité ne peuvent arguer de la qualité de mandataire substitué de la société Archeops Editique,

que les dispositions de l'article 1166 du Code civil n'ont pas vocation à s'appliquer, étant précisé que Ohfom ayant payé sa dette, l'opération ne saurait être remise en cause,

- à l'égard de M. Faux,

que l'engagement de caution souscrit par celui-ci est valide pour être signé de sa main et se trouve complété par des éléments extrinsèques,

que l'information de la caution légalement requise lui a été adressée,

que M. Faux ne peut se prévaloir d'une faute par elle commise pour avoir acheté les factures litigieuses alors qu'il a émis et créé des factures indues,

que sa créance ayant été intégralement déclarée et admise, elle est fondée à en réclamer le paiement à hauteur du montant à ce jour inférieur à la somme admise.

La société Slifac demande en conséquence à la cour de confirmer le jugement en ce que les prétentions formées par Publiprint et la société Bayard Presse Publicité à son encontre ont été rejetées, mais le réformant pour le surplus et y ajoutant, de condamner M. Faux à lui payer la somme de 124 265 F avec intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 1994, sollicitant, en outre, le bénéfice de l'article 700 NCPC.

Intimé et appelant incidemment, M. Faux expose

que son engagement de caution, lequel constitue un faux en écriture privée pour comporter des mentions manuscrites dont il n'est pas l'auteur, est nul,

qu'au surplus, cet acte est contraire aux dispositions édictées par l'article 2037 du Code civil,

que la société Slifac a méconnu son obligation d'information,

que le montant réclamé par la société Slifac n'est pas justifié pour ne pas tenir compte du solde créditeur et du gage en espèces,

que les prétentions de Publiprint et de la société Bayard Presse Publicité ne peuvent reposer sur un fondement contractuel,

que, en l'absence d'action directe existant entre Ohfom et la société Slifac, Publiprint et la société Bayard Presse Publicité ne peuvent se prévaloir de l'action oblique, ni invoquer la répétition de l'indu au regard des stipulations du contrat d'affacturage,

que celles-ci n'établissent pas l'existence d'une faute imputable à la société Slifac, étant précisé qu'eu égard aux termes du mandat et de l'existence de la procédure collective, l'intervention de la société Slifac est indifférente,

que, pour le cas où la mobilisation de créance serait jugée irrégulière, la société Slifac a commis une faute la privant de tout recours à l'égard de la caution.

Il demande en conséquence à la cour de prononcer la nullité de l'acte de cautionnement, de débouter la société Slifac de sa demande formée à son encontre, subsidiairement de réduire cette demande à la somme de 18 071,74 F, et subsidiairement sur la demande principale de débouter Publiprint et la société Bayard Presse Publicité de leurs prétentions, en tout état de cause de dire l'appel en garantie formé à son encontre par la société Slifac mal fondé, et de condamner celle-ci au paiement d'une somme de 20 000 F en application de l'article 700 NCPC.

En réplique, les parties ont à nouveau précisé leur argumentation respective.

Intimés, Me Frechou, ès qualités de représentants des créanciers de la société Archeops Editique et Me Gorins, ès qualités d'administrateur au redressement judiciaire de la société Archeops Editique ont été régulièrement assignés et réassignés et n'ont pas constitué avoué. Il sera statué par arrêt réputé contradictoire.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que le 1er octobre 1990, la société Archeops Editique a conclu avec la société Slifac un contrat d'affacturage qui dispose en son article V que "la société Slifac, propriétaire des créances du fait de la subrogation possède seule le droit de poursuivre le recouvrement des créances...";

Considérant qu'aux termes d'une notification de mandat en date du 21 juillet1993, conclu en application des dispositions de la loi Sapin du 29 janvier 1993, Ohfom a désigné M. Faux comme son mandataire pour effectuer d'ordre et pour compte de la première l'achat d'espace publicitaire, étant expressément précisé que le contrat de mandat prévoit que les règlements des ordres passés par le mandataire seront effectués au régisseur directement par lui pour le compte de l'annonceur, que le mandataire se porte garant pour le compte de l'annonceur desdits règlements, cette garantie étant confirmée par ailleurs par le mandataire, étant entendu que dans tous les cas l'annonceur est le débiteur principal envers le régisseur, notamment en application de l'article 1998 du Code civil;

Que le 23 suivant, M. Faux a émis les factures d'ordres d'insertion à l'ordre de Ohfom ;

Que, par courrier du 23 décembre suivant adressé à Ohfom, la société Archeops Editique confirmait avoir transmis dans le courant du mois de juillet précédent la société Slifac les notifications de mandat la désignant comme mandataire de l'annonceur pour les achats d'espace;

Que, par une correspondance de même date, Ohfom confirmait que Ohfom avait désigné la société Slifac pour collecter les fonds pour son compte et qu'à la demande expresse de celle-ci les factures d'achats d'espace lui avaient été réglées;

Considérant qu'il est établi par les productions que Publiprint et la société Bayard Presse Publicité ont rempli leurs obligations découlant de l'article 20 de la loi précitée en adressant à l'annonceur l'original de leurs factures et le duplicata de ces documents à l'agence de publicité, de sorte que conformément aux termes du mandat et des dispositions légales elles disposent d'une action contre l'annonceur dont la mise en œuvre dépend de leur appréciation;

Considérant, à l'égard de la société Slifac, que si le factor, porteur des créances de l'adhérent lesquelles lui ont été transmises par l'effet de la subrogation, n'a pas plus de droits que son subrogeant aux lieu et place duquel il agit, il s'avère, en l'espèce, que l'opposabilité "erga omnes" de cette subrogation ne permet pas au créancier du subrogeant de réclamer le paiement au subrogé celui-ci ayant été réglé par le débiteur dès lors que la facture accompagnée de justificatif (notification du mandat) a été régulièrement acquise;

Que la créance sur les annonceurs détenue par la société Archeops Editique contractuellement, ducroire, était certaine liquide et exigible, qu'elle a donc pu les transmettre au factor, sans qu'un manquement tenant au devoir de contrôle puisse lui être reproché;

Que la loi Sapin n'interdit pas à l'agence de publicité de mobiliser les factures émises sur l'annonceur, étant rappelé que les énonciations de la circulaire du 29 septembre 1994, d'ailleurs publiée postérieurement aux faits, précisant un dispositif d'ordre comptable, pas plus que les recommandations de la DGCCRF, ne sauraient faire obstacle au mécanisme de la subrogation adoptée;

Considérant que, vainement, Publiprint et la société Bayard Presse Publicité invoquent la qualité de mandataire substitué de la société Archeops Editique en se référant à l'article V in fine du contrat d'affacturage, alors que cette disposition est précisément limitée à la réception de paiement libellé au nom de l'adhérent, et par ailleurs acquis que le factor ne reçoit aucun mandat dans le cadre de l'activité propre de son adhérent;

Considérant que, pas davantage Publiprint et la société Bayard Presse Publicité ne peuvent se prévaloir d'une prétendue qualité de mandataire substitué de l'annonceur à l'égard duquel elles conservent leur action directe, ainsi qu'il a été dit;

Considérant que le paiement par Ohfom ayant été régulièrement effectué, les dispositions de l'article 1239 du Code civil ne s'appliquent pas, pas plus que celles relatives à l'article 1166 du Code civil;

Que, eu égard à l'argumentation précédemment développée, les règles relatives à la répétition de l'indu deviennent sans objet;

Que, par suite, les demandes formées par Publiprint et la société Bayard Presse Publicité seront rejetées;

Considérant, sur le cautionnement, que la société Slifac fait justement valoir que l'engagement souscrit par M. Faux vaut commencement de preuve par écrit;

Considérant que cet acte se trouve utilement complété par les éléments extrinsèques que constituent les énonciations du contrat d'affacturage signé par M. Faux visant expressément le cautionnement;

Considérant que M. Faux soutient à tort que la société Slifac a manqué à son obligation d'information spécifique annuelle dès lorsqu'il est établi que celle-ci lui a adressé par lettre recommandée avec accusé de réception les 12 mars 1992, 9 mars 1993 et 29 juin 1994 les informations circonstanciées sur le montant de l'endettement de la société Archeops Editique, étant observé que ces courriers ont été adressés au domicile fourni par la caution;

Considérant qu'est justifié le décompte établi par la société Slifac faisant apparaître un solde de 124 265 F, après déduction du compte courant (50 193 F et du fonds de garantie 56 000 F);

Qu'il convient de déclarer redevable M. Faux de cette somme, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 13 juin 1994;

Considérant que les moyens tirés d'une faute prétendue de Slifac sont inopérants;

Considérant qu'aucune circonstance d'équité ne commande de faire bénéficier les parties qui en ont fait la demande des dispositions de l'article 700 NCPC au titre des frais non recouvrables exposés en cause d'appel;

Par ces motifs, Statuant dans les limites de l'appel, Confirme le jugement entrepris en ce que Publiprint et la société Bayard Presse Publicité ont été déboutées de leurs prétentions à l'égard de la société Slifac et sur les sommes allouées par application de l'article 700 NCPC, Le réformant pour le surplus et Statuant à nouveau, Condamne M. Faux à payer à la société Slifac la somme de 124 265 F, avec intérêts au taux légal à compter du 13 juin 1994, Rejette toute demande, autre, plus ample ou contraire des parties, Dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés dans la proportion des deux tiers par Publiprint et la société Bayard Presse Publicité et d'un tiers par M. Faux, et Admet la SCP Bommart-Forster, avoué, au bénéfice de l'article 699 NCPC.