CA Montpellier, 1re ch. B, 7 janvier 2003, n° 00-05056
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Decamus
Défendeur :
Soro (SARL), Electrolux (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guichard
Conseillers :
MM. Armingaud, Blanc-Sylvestre
Avoués :
SCP Capdevila-Vedel-Salles, SCP Argellies-Travier-Watremet, SCP Salvignol-Guilhem
Avocats :
Mes Bousquet, Bar, Monestier.
Faits, procédure, prétentions des parties:
Madame Gisèle Decamus a acheté le 24 octobre 1992 à la SARL Soro une cuisinière de marque Arthur Martin au prix de 9 220 F avec une garantie de 5 ans. La porte du four a explosé au mois de juillet 1998.
Madame Decamus, qui a refusé l'offre de la société Soro de remise en état gracieusement du four en changeant tous les éléments défectueux avec des pièces d'origine, a sollicité, en référé, l'institution d'une expertise qui a été ordonnée et confiée à M. Sans. A la suite du dépôt du rapport, Gisèle Decamus a sollicité devant le tribunal d'instance la réparation de son préjudice à hauteur des sommes de 8 220 F au titre du remboursement du prix d'achat, 4 129 F au titre du remboursement des frais d'expert, 8 000 F au titre de l'obligation d'acheter un second appareil, 3 000 F à titre de dommages-intérêts. Devant le premier juge, elle a sollicité en outre une somme de 6 000 F à titre de dommages-intérêts compte tenu de la longueur de la procédure.
Par jugement rendu le 6 octobre 2000, le Tribunal d'instance de Béziers a rejeté la demande formée par Gisèle Decamus, rejeté les demandes reconventionnelles formées par la SARL Soro, dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, laissé les dépens à la charge de Gisèle Decamus.
Gisèle Decamus a régulièrement relevé appel de cette décision, la SARL Soro a fait une déclaration d'appel provoqué à l'encontre de la société Electrolux.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 23 juillet 2002, Gisèle Decamus sollicite l'infirmation du jugement au vu des dispositions de l'article L. 221-1 du Code de la consommation, 1386-1 du Code civil et 1147 du même Code; elle demande à la cour de juger que la cuisinière ne présentait pas les garanties de sécurité auxquelles on pouvait légitimement s'attendre, de dire que la responsabilité contractuelle de la SARL Soro est engagée; elle conclut à la condamnation de cette société à lui payer la somme de 1 405,58 euros représentant le prix d'achat de la cuisinière, la somme de 914,69 euros en réparation du préjudice de jouissance, la somme de 914,69 euros en raison du préjudice moral résultant de la résistance abusive, et la somme de 914,69 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle conclut à la confirmation quant au rejet des demandes reconventionnelles.
Elle fait valoir que le rapport de l'expert n'est pas clair, qu'il écarte l'hypothèse d'un vice caché sans la moindre démonstration autre que le temps écoulé entre l'achat et l'accident ; selon elle, l'expert n'a pas totalement exclu le défaut de la vitre, il pense simplement que si ce défaut existait, il aurait dû être vu par les employés ; selon elle, l'expert n'a pas répondu à la mission qui lui avait été confiée, et attribue le bris du verre à un choc ou à une contrainte thermique sans le démontrer ajoutant que le phénomène fréquemment rencontré sur les pare-brises de voitures a conduit les fabricants à la production de verre feuilleté, ce qui tend, selon elle, à montrer que la cuisinière était affectée d'un défaut de sécurité, puisqu'il a été remédié à ce défaut pour les pare-brises de voitures; elle indique, en outre, que l'expert, pour déterminer son opinion, s'appuie sur les essais de fragmentations de verres effectués par le fabricant à des périodes postérieures à la mise en fabrication de la cuisinière et à la date d'achat de celle-ci, soit octobre 1992, indiquant qu'on ne peut se prévaloir de ces tests ou de ces normes pour déterminer la conformité avec ces dernières, d'un matériel qui a été conçu dix ans auparavant ; elle soutient que la cuisinière ne répond pas à l'obligation de sécurité prévue par l'article L. 221-1 du Code de la consommation; elle fait valoir que le premier juge a relevé simplement le défaut de vice caché estimé par l'expert, ainsi que l'absence d'incident du même type recensé par la revue Que Choisir, et qu'il ne s'est pas interrogé sur la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ; elle se réfère aux dispositions de l'article 1386-1 et suivants du Code civil, soutenant que le défaut doit être largement entendu, qu'il s'agit non seulement du produit dont le danger résulte d'un vice de conception et de fabrication, mais encore celui qui, intrinsèquement correct, est présenté de telle façon qu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ; elle indique que la notice d'emploi du four annexée au rapport d'expertise ne contient aucune indication particulière quant à la porte du four ou à une éventuelle contrainte thermique importante à éviter; elle estime qu'en ne relevant pas le fait que la vitre ne puisse pas résister à une contrainte thermique, alors même que ce phénomène a été solutionné pour les pare-brises de voitures et que cela puisse constituer un défaut au sens de la directive de 1985, le premier juge a dénaturé l'article L. 221-1 du Code de la consommation; elle estime que la responsabilité contractuelle du vendeur est engagée et qu'elle est fondée à solliciter l'indemnisation de son préjudice ; sur la demande de la SARL Soro, elle fait valoir que la lettre qu'elle a adressée à la revue Que Choisir ne peut en aucun cas être considérée comme un fait ayant généré un préjudice commercial.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 19 août 2002, la SARL Soro conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Mme Decamus de ses réclamations, et formant appel incident, elle réclame paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du trouble commercial occasionné avec l'intention de nuire ; elle réclame paiement de la somme de 2 000 euros pour procédure abusive ; subsidiairement, elle conclut à ce que la société Electrolux soit condamnée à la relever et garantir; elle réclame paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle indique qu'il n'existait pas de vices cachés selon l'expert, que la survenance d'un pareil désordre n'a jamais été signalée par ailleurs, qu'il s'agit donc d'un désagrément de caractère exceptionnel et unique; elle estime que l'éventualité d'une utilisation dans des conditions anormales par Mme Decamus ne peut être exclue en l'espèce, celle-ci ayant pu parfaitement donner elle-même le choc présumé comme étant à l'origine de l'explosion ; elle rappelle que Mme Decamus a reconnu dans un courrier du 30 juillet 1998 que les fragments de la vitre étaient non coupants; selon elle, la sécurité des personnes visées par les dispositions du Code de la consommation n'est nullement mise en cause; elle rappelle que les articles 1386-1 et suivants du Code civil, aux termes de l'article 1386-2 ne s'appliquent qu'à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, indiquant que Mme Decamus ne fait état d'aucun dommage corporel; elle estime que l'écoulement d'un délai de six années entre la vente et la survenance du désordre tend à démontrer que la vitre extérieure de la cuisinière n'était affectée d'aucun vice au jour de la vente ; elle souligne l'extravagance de la demande consistant à réclamer non seulement le remboursement du four après six ans d'utilisation, mais en outre un préjudice de jouissance, un préjudice moral et une demande accessoire soit au total une somme de 27 000 F; selon elle, l'acharnement de Mme Decamus à obtenir réparation en justice en dépit des propositions de règlement amiable à titre de geste commercial discrédite l'ensemble de sa démarche; elle rappelle les courriers adressés par Mme Decamus à l'Union Fédérale des Consommateurs, à la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes; elle rappelle également que bien que Mme Decamus prétende défendre l'intérêt général, il résulte d'un courrier de l'association Que Choisir que Mme Decamus était prête à ne pas intenter d'action si la société lui laissait choisir dans son magasin sa nouvelle cuisinière gratuitement.
Elle rappelle qu'elle a proposé une solution qui consistait à remplacer la porte gratuitement ; que compte tenu de la vétusté résultant d'un usage de six années, la cuisinière se trouvait évaluée à une valeur de 872,40 F au jour de l'expertise; que l'explosion de la vitre n'a causé aucun préjudice, ni corporel, ni matériel, qu'il n'y a aucun préjudice moral ; que le préjudice de jouissance ne résulte que de la cupidité de Mme Decamus qui s'est montrée fermée à toute solution amiable.
Elle soutient que la campagne de dénigrement à laquelle s'est livrée Mme Decamus lui a causé un préjudice, que l'association Que Choisir a diffusé par l'intermédiaire de sa revue un article extrêmement critique, qu'elle n'a pu toutefois que relever le caractère isolé du signalement fait par Mme Decamus ; selon elle, l'entreprise de discrédit lui a causé un préjudice commercial.
La SA Electrolux demande que soit déclaré irrecevable l'appel provoqué à son encontre et réclame paiement de la somme de 600 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Discussion et décision :
Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article L. 221-1 du Code de la consommation, les produits et les services doivent, dans des conditions normales d'utilisation, ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes ; que selon l'article 1386-1 du Code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime, les dispositions de l'article 1386 et suivants s'appliquant à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, selon l'article 1386-2;
Attendu en l'espèce, qu'il n'y a pas eu atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit lui-même;
Attendu qu'il incombe à Mme Decamus de démontrer que la cuisinière en cause ne présentait pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre;
Attendu qu'il faut observer que, selon les propres déclarations de Mme Decamus, le verre en cause s'est brisé en multiples fragments non coupants ; qu'il s'est brisé après six ans d'utilisation, que l'expert a indiqué que la porte du four n'avait subi aucune altération ni déformation, que le hublot intérieur en verre borosilicaté est intact, que le hublot extérieur teinté marron est intact, que l'espace entre les deux hublots est préservé, la fonction de ces deux hublots permettant la vision four fermé et de supporter la haute température d'utilisation, tout en évitant les risques de brûlure au contact de la vitre extérieure; qu'il n'est pas contesté que la revue Que Choisir, revue de consommateurs, n'a pas eu connaissance de pareils désordres sur l'ensemble du territoire ; il semble donc qu'il s'agit d'un incident isolé, qui s'est produit après six années d'usage, alors que ce type de cuisinière est ancien, que si des incidents pareils s'étaient produits, la revue Que Choisir n'aurait pas manqué d'en être informée ; que compte tenu de la durée d'utilisation, du fait qu'aucun autre cas semblable n'a été signalé, aucun vice caché n'est démontré; que l'expert retient plusieurs hypothèses possibles ayant occasionné le bris de la vitre; que notamment il retient la possibilité d'un choc ou d'une contrainte thermique restant en mémoire dans ta vitre pour une durée indéterminée et se manifestant pour une cause fortuite;
Attendu qu'il est évident que s'agissant d'un hublot en verre, le fait qu'un choc important puisse le détériorer ne démontre pas pour autant que cet appareil ne présente pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ; que le fait que les fabricants de voiture aient utilisé du verre feuilleté pour les pare-brise n'implique pas pour autant que les fabricants de cuisinières devaient en faire autant; qu'il est évident que si la cuisinière présentait un défaut de sécurité, ce défaut de sécurité se serait manifesté avant six années d'utilisation;
Que dès lors, Mme Decamus n'apporte pas la preuve à sa charge de ce qu'il existe un défaut de sécurité affectant cette cuisinière, aucun vice n'étant établi et l'utilisation pendant six ans faisant obstacle à ce que l'on puisse considérer qu'il existait un défaut de sécurité;
Que dès lors, Mme Decamus n'apporte pas la preuve nécessaire au succès de ses prétentions;
Qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme Camus de l'intégralité de ses réclamations;
Attendu sur la demande reconventionnelle que la SARL Soro ne démontre pas qu'elle a effectivement subi un préjudice commercial; que la demande sera rejetée;
Attendu que Mme Decamus a contraint la société Soro à exposer des frais irrépétibles; qu'elle sera condamnée au paiement de la somme de 1 220 euros par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu en ce qui concerne l'appel provoqué diligenté à l'encontre de la SA Electrolux, qu'au vu du jugement cette société n'était pas partie en première instance; qu'en tout état de cause, il n'y a pas lieu à examiner l'appel en garantie, Mme Decamus étant déboutée de ses réclamations ; qu'il n'y a pas lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de la société Electrolux;
Attendu que les dépens exposés par la SA Electrolux seront supportés par la SARL Soro, Mme Decamus étant condamnée en tous les autres dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise;
Par ces motifs, LA COUR, En la forme, reçoit l'appel; Au fond, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Y ajoutant ; Déclare irrecevable l'appel provoqué par la SARL Soro à l'encontre de la société Electrolux; Condamne Mme Gisèle Decamus à payer à la SARL Soro la somme de 1 220 euros par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toutes autres demandes; Condamne la SARL Soro aux dépens de l'appel provoqué à l'encontre de la SA Electrolux, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Salvignol-Guilhem, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile; Condamne Mme Decamus aux autres dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Argellies-Travier-Watremet, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.