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Décisions

CJCE, président, 14 décembre 1999, n° C-335/99 P(R)

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

HFB E.A.

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodriguez Iglesias

Avocat général :

M. Léger.

CJCE n° C-335/99 P(R)

14 décembre 1999

LE PRÉSIDENT DE LA COUR,

Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 septembre 1999, HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH & Co. KG, HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH, Verwaltungsgesellschaft, Isoplus Fernwärmetechnik Vertriebsgesellschaft mbH, Isoplus Fernwärmetechnik Gesellschaft mbH et Isoplus Fernwärmetechnik GmbH ont formé, conformément aux articles 225 CE et 50, deuxième alinéa, du statut CE de la Cour de justice, un pourvoi contre l'ordonnance du président du Tribunal de première instance du 9 juillet 1999, HFB e.a./Commission (T-9-99 R, non encore publiée au Recueil, ci-après " l'ordonnance attaquée"), par laquelle celui-ci a rejeté leur demande en référé tendant au sursis à l'exécution et à la suspension de l'exécution forcée des articles 3, sous d), et 4 de la décision 1999-60-CE de la Commission, du 21 octobre 1998, relative à une procédure d'application de l'article 85 du traité CE (IV-35.691-E-4 - Conduites précalorifugées) (JO 1999, L 24, p. 1), dans sa version résultant de la décision rectificative du 6 novembre 1998.

2 Outre l'annulation de l'ordonnance attaquée, les requérantes demandent:

- le sursis à l'exécution et la suspension de l'exécution forcée des articles 3, sous d), et 4 de la décision 1999-60, pour autant que des sommes représentant une partie du montant de l'amende infligée par la Commission n'ont pas déjà été payées à celle-ci, jusqu'au 15 décembre 2000 et, au plus tard, jusqu'au prononcé de l'arrêt du Tribunal mettant fin à la procédure sur le fond, pour autant que, dans les quatre semaines faisant suite à l'ordonnance qui statuera sur cette demande, une garantie bancaire couvrant une partie du montant de l'amende, à savoir 1 500 000 euros, majorés des intérêts à partir du 14 février 1999, sera fournie à la Commission et que, pour le 15 décembre 1999, un montant de 350 000 euros sera payé par virement à cette dernière,

- le renvoi, le cas échéant, de l'affaire devant le Tribunal afin qu'il statue à nouveau,

- la condamnation de la Commission aux dépens.

Par acte déposé au greffe le 4 octobre 1999, la Commission a présenté ses observations écrites devant la Cour.

Faits et procédure

Les faits qui sont à l'origine du litige sont exposés dans l'ordonnance attaquée dans les termes suivants:

"1 Les requérantes sont cinq sociétés de droits autrichien et allemand productrices de conduites précalorifugées, principalement utilisées dans les systèmes de chauffage urbain.

2 Le 13 novembre 1998, les requérantes ont reçu notification de la décision

1999-60... Dans la lettre de notification, il était précisé que, si les requérantes introduisaient un recours devant le Tribunal, la Commission ne procéderait à aucune mesure de recouvrement tant que l'affaire serait pendante devant cette juridiction, pour autant que la créance produise des intérêts, à partir de la date d'expiration du délai de paiement de l'amende, et qu'une garantie bancaire, acceptable par la Commission et couvrant le montant de la dette principale ainsi que les intérêts et les majorations qui seraient dus, soit constituée au plus tard à cette date.

3 La décision 1999-60 a été notifiée aux requérantes en leur qualité de membres du 'groupe Henss/Isoplus'. Son article 1er reproche aux requérantes, notamment, d'avoir enfreint les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) pendant la période allant d'octobre 1991 à mars ou avril 1996 au moins. Par conséquent, l'article 3, sous d), inflige au groupe Henss/lsoplus une amende de 4 950 000 euros, à laquelle sont solidairement tenues les cinq entreprises requérantes ainsi que la société Isoplus Fernwärmetechnik GmbH - stille Gesellschaft. Les parties sont, toutefois, convenues de ne pas impliquer cette dernière société en l'espèce.

4 Il ressort des explications fournies par les requérantes lors de l'audition qu'elles sont toutes liées à M. Henss. Elles décrivent de la manière suivante les liens qui les unissent à ce dernier:

- première requérante, HFB Holding für Fernwärmeteclmik Beteiligungsgesellschaft mbH & Co KG, Rosenheim (Allemagne) (ci-après 'HFB KG') : M. Henss détient la majorité des parts de l'entreprise. Il en est le commanditaire majoritaire;

- deuxième requérante, HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH, Verwaltungsgesellschaft, Rosenheim (ci-après 'HFB Holding') : M. Henss détient la majorité des parts de l'entreprise;

- la troisième requérante, Isoplus Fernwärmetechnik Vertriebsgesellschaft mbH, Rosenheim (ci-après 'Isoplus - Rosenheim'): elle est à 100 % la propriété de HFB KG ; M. Henss en est donc indirectement le propriétaire;

- quatrième requérante, Isoplus Fernwärmetechnik Gesellschaft mbH, Hohenberg (Autriche) (ci-après 'Isoplus - Hohenberg') : M. Henss en est l'actionnaire majoritaire;

- la cinquième requérante, Isoplus Fernwärmetechnik GmbH, Sondershausen (Allemagne) (ci-après 'Isoplus - Sondershausen') appartenait, au moment de l'adoption de la décision 1999-60, pour un tiers à la première requérante, pour un autre tiers à une société qui est elle-même détenue à 100 % par M. Henss et pour un dernier tiers à une famille tierce. Après le 6 novembre 1998, la participation de M. Henss dans le capital d'Isoplus-Sondershausen s'est encore accrue. "

5 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 janvier 1999, les requérantes ont demandé l'annulation de la décision 1999-60.

6 Le 5 février 1999, Isoplus - Rosenheim, Isoplus - Hohenberg et Isoplus - Sondershausen ont procédé chacune à un versement de 770 000 euros, soit un total de 2 310 000 euros, en faveur de la Commission, à titre de paiement partiel de l'amende infligée par cette dernière, ramenant ainsi le montant de l'amende restant dû à 2 640 000 euros, intérêts non compris.

7 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 10 février 1999, les requérantes ont introduit, en vertu de l'article 242 CE, une demande de sursis à l'exécution et de suspension de l'exécution forcée des articles 3, sous d), et 4 de la décision 1999-60 jusqu'au prononcé de l'arrêt mettant fin à la procédure sur le fond.

8 Le 30 avril 1999, les requérantes ont limité leur demande en référé, limitation qui a ramené la portée de celle-ci, en substance, à l'équivalent des conclusions formulées dans le présent pourvoi, telles qu'elles sont énoncées au point 2 de la présente ordonnance.

L'ordonnance attaquée

9 Par l'ordonnance attaquée, le président du Tribunal a rejeté la demande en référé.

10 Quant à l'objet de la procédure, le juge des référés a constaté, d'une part, que la demande de sursis à exécution ne pouvait avoir d'autre objet utile qu'une dispense de l'obligation de constituer une garantie bancaire comme condition du non-recouvrement immédiat du montant restant dû de l'amende infligée par la décision 1999-60 et, d'autre part, que la demande tendant à la suspension de l'exécution forcée de cette décision était dépourvue d'objet.

11 Il ressort par ailleurs du point 27 de l'ordonnance attaquée que la condition relative au fumus boni juris est satisfaite en l'espèce.

12 En revanche, en ce qui concerne la condition relative à l'urgence, le juge des référés a estimé que les requérantes n'avaient pas démontré que l'exécution de la décision 1999-60 pourrait leur causer des dommages graves et irréparables.

13 Pour parvenir à cette conclusion, le juge des référés s'est appuyé en substance sur quatre types de considérations.

14 En premier lieu, il a constaté, au point 33 de l'ordonnance attaquée, " qu'aucune conclusion ne [pouvait] être tirée des chiffres non vérifiés produits par les requérantes". En effet, bien que ces dernières aient produit des bilans, une expertise sommaire relative à l'état de leurs liquidités et d'autres informations émanant d'institutions bancaires, il ressort des constatations opérées par le juge des référés que:

- la vérification des comptes pour 1998 n'avait pas été effectuée (point 30 de l'ordonnance attaquée);

- les chiffres produits dissimulaient des réserves importantes ou, à tout le moins, il existait une réelle incertitude sur ce point (point 31 de l'ordonnance attaquée);

- les liquidités à plus d'un an dont les requérantes pouvaient disposer n'avaient pas été prises en considération par l'expertise sommaire (point 32 de l'ordonnance attaquée).

15 Il ressort du point 35 de l'ordonnance attaquée qu'il existait également une incertitude quant à la question de savoir dans quelle mesure M. Henss, qui est directement ou indirectement le propriétaire principal des cinq requérantes, aurait été leur créancier pour une partie de leurs dettes à court terme, représentant un montant total d'environ 5 300 000 DEM.

16 En deuxième lieu, le juge des référés a constaté, au point 34 de l'ordonnance attaquée:

"Le docteur Reimnitz a également fait observer que, en droit allemand, le simple fait que, dans certaines situations, les associés ou le dirigeant d'une société soient obligés de déposer une demande d'ouverture de la procédure de faillite n'entraîne pas que celle-ci soit acceptée. L'existence de difficultés de trésorerie ne conduit pas nécessairement à la liquidation de l'entreprise et, en corollaire, à la suppression d'emplois. Les requérantes ont confirmé que, non seulement en droit allemand mais aussi en droit autrichien, il existe une alternative à la faillite. Ainsi, lorsqu'une entreprise se trouve en situation d'insolvabilité, elle peut, sous le contrôle de la juridiction nationale compétente, signer un concordat avec ses créanciers, dans le cadre duquel ses dettes sont apurées. "

17 En troisième lieu, jugeant approprié de tenir compte des possibilités que peuvent avoir les associés d'assister la société aux fins de la constitution d'une garantie bancaire, le juge des référés a relevé, au point 36 de l'ordonnance attaquée, que les requérantes n'avaient pas tenté de rapporter la preuve que M. Henss, en sa qualité de propriétaire principal direct ou indirect des cinq entreprises, n'était pas en mesure de leur fournir une telle assistance.

18 En dernier lieu, le juge des référés a considéré, au point 37 de l'ordonnance attaquée, que la preuve qu'il n'existait aucune possibilité d'obtenir une garantie bancaire pour le montant de l'amende restant dû n'avait pas été rapportée par les requérantes, dès lors que seules deux de ces dernières avaient produit des déclarations d'institutions bancaires confirmant le refus de leur octroyer pareille garantie et qu'elles ne s'étaient adressées qu'aux trois banques avec lesquelles elles avaient coutume de travailler.

19 En se fondant sur l'ensemble de ces considérations, le juge des référés a conclu, à la première phrase du point 38 de l'ordonnance attaquée, que les requérantes n'avaient pas rapporté la preuve que le risque de faillite ou de mise en liquidation était prévisible avec un degré de probabilité suffisant au cas où elles auraient dû fournir une garantie bancaire couvrant le montant restant dû de l'amende infligée.

20 Aux termes de la seconde phrase du point 38 de l'ordonnance attaquée:

" À cet égard, il y a lieu de souligner que le simple risque que les requérantes se trouvent dans l'obligation de demander l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité ne saurait constituer un dommage grave et irréversible.., l'objectif d'une telle procédure étant, au contraire, de tenter de redresser la situation des entreprises concernées."

Les arguments des parties

Les arguments des requérantes

21 À l'appui de leur pourvoi, les requérantes invoquent quatre moyens tirés de la violation du droit communautaire et, subsidiairement, d'irrégularités de procédure ayant porté atteinte à leurs intérêts. Elles reprochent en substance au juge des référés une interprétation erronée de la notion d'urgence au sens de l'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal.

22 Par le premier moyen, il est fait grief au juge des référés d'avoir considéré à tort, d'une part, que le simple risque que les requérantes se trouvent dans l'obligation de demander l'ouverture d'une procédure de faillite ne saurait constituer un dommage grave et irréparable et, d'autre part, qu'une telle procédure aurait pour objectif de redresser la situation de l'entreprise concernée.

23 Rappelant qu'il existe un dommage irréparable lorsque la réparation intervient trop tard, par exemple dans le cas d'une faillite qui serait prononcée avant l'intervention de l'arrêt sur le fond, les requérantes font valoir que le risque d'ouverture d'une procédure de faillite portant sur le patrimoine de la partie qui sollicite la mesure provisoire constitue un tel préjudice irréparable.

24 Les requérantes soutiennent également que, tant en Allemagne qu'en Autriche, les procédures d'insolvabilité ont comme objectif premier de désintéresser collectivement les créanciers d'un débiteur, le patrimoine de celui-ci étant intégralement liquidé et le produit en étant réparti entre ces derniers. Ce ne serait que sous certaines conditions, liées en particulier à l'accord des créanciers pour renoncer à une grande partie de leurs droits, qu'un règlement dérogatoire permettant le maintien de l'entreprise pourrait être décidé dans le cadre d'un plan d'insolvabilité.

25 En outre, l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité aurait en elle-même de graves conséquences sur le patrimoine et la gestion de l'entreprise et entraînerait également d'importants inconvénients d'ordre économique. Les requérantes font état à cet égard d'une atteinte à la réputation de l'entreprise, d'une perte de la possibilité de soumissionner, des contrôles exercés par des tiers, etc.

26 Selon les requérantes, le juge des référés aurait donc adopté une interprétation erronée de la notion de préjudice irréparable au sens du droit communautaire et aurait procédé à un certain nombre de constatations contraires aux éléments qui ressortent du dossier.

27 S'agissant du paiement d'une amende qui n'a pas encore été fixée de façon définitive, compte tenu du recours en annulation contre la décision de la Commission, il serait juridiquement injustifiable d'exiger de l'entreprise intéressée l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité et des créanciers de l'entreprise une renonciation importante à leurs créances dans le but d'assurer le redressement de celle-ci.

28 Par leur deuxième moyen, les requérantes reprochent au juge des référés de s'être fondé de façon erronée, pour évaluer leurs capacités financières, sur celle de M. Henss, en sa qualité d'associé personne physique, alors que la responsabilité de ce dernier pour les dettes sociales des entreprises concernées est limitée à ses apports. Une telle personne physique, associée d'une entreprise, ne constitue pas, en effet, une entreprise au sens des articles 85, paragraphe 1, du traité ou 53 de l'accord sur l'Espace économique européen. Contrairement à ce qui est le cas pour des sociétés liées par des relations de groupe, il n'existerait aucun fondement juridique qui permettrait d'obliger de tels associés à verser des montants supplémentaires aux fins de la constitution d'une garantie bancaire.

29 L'approche du juge des référés créerait en outre une discrimination à l'encontre des entreprises dont les associés sont identifiables par rapport à celles au sein desquelles, eu égard au changement permanent des détenteurs du capital, ils ne sont pas connus, comme c'est le cas par exemple des sociétés anonymes cotées en bourse ayant des titres au porteur.

30 Par leur troisième moyen, les requérantes arguent que, dans le cadre d'une demande de mesures provisoires, la survenance d'un dommage grave et irréparable doit être prévisible avec un degré suffisant de probabilité et n'a pas à être établie avec une certitude absolue. Dès lors, la partie qui sollicite une mesure provisoire n'aurait pas à apporter la preuve de l'urgence mais devrait simplement faire état d'allégations convaincantes, de sorte que l'octroi de la mesure sollicitée soit justifié "à première vue". La charge de la preuve serait ainsi soumise à des conditions sensiblement moins strictes que lorsque le requérant doit apporter la démonstration complète de ce qu'il invoque.

31 Or, il ressortirait de l'ordonnance attaquée que, contrairement à ces principes, le juge des référés aurait exigé des requérantes un niveau de preuve de l'urgence excessif, ce qui serait constitutif d'une violation du droit communautaire ou d'une irrégularité de procédure ayant porté atteinte à leurs intérêts. Tel serait le cas notamment au point 36 de l'ordonnance attaquée, en ce qui concerne la prise en compte de la situation financière de M. Henss, au point 37, à propos de la preuve de l'impossibilité d'obtenir une garantie bancaire, et au point 38, s'agissant de la preuve du risque de faillite ou de mise en liquidation des requérantes. Ces dernières demandent donc à la Cour, à titre exceptionnel, de réexaminer les moyens de preuve présentés et de procéder à une nouvelle constatation des éléments de fait devant être considérés comme justifiés "à première vue".

32 Par leur quatrième moyen, les requérantes font valoir que le juge des référés s'est fondé sur des constatations contraires au contenu du dossier qui lui était soumis. En effet, il ressortirait du point 31 de l'ordonnance attaquée que le juge des référés aurait mis en doute les chiffres produits devant lui au motif que trois des requérantes avaient été en mesure de verser une somme importante le S février 1999 alors que leurs bilans tendaient à prouver que, au 3j1 décembre 1998, elles ne disposaient plus de liquidités suffisantes pour acquitter le solde de l'amende. Or, dans l'expertise sommaire, produite en annexe de la demande de mesures provisoires, il était dûment expliqué de quelle manière, nonobstant un déficit de trésorerie au 31 décembre 11998, il avait néanmoins été possible d'effectuer certains versements en février 1999, et ce, au détriment d'autres dettes à court terme. Selon les requérantes, cette erreur serait constitutive d'une violation du droit communautaire ou d'une irrégularité de procédure portant atteinte à leurs intérêts.

Les arguments de la Commission

33 À titre liminaire, la Commission expose son interprétation de l'ordonnance attaquée. Elle considère tout d'abord que la conclusion principale du juge des référés est celle qui est énoncée à la première phrase du point 38, selon laquelle les requérantes n'ont pas rapporté avec un degré de probabilité suffisant la preuve du risque de faillite ou de mise en liquidation au cas où elles devraient fournir une garantie bancaire couvrant le montant restant dû de l'amende infligée. Elle estime ensuite que cette constatation du juge des référés quant à l'absence de preuve doit être comprise comme valant également pour le risque que les requérantes doivent présenter une demande d'ouverture d'une procédure de faillite. Selon elle, en effet, la motivation de l'ordonnance ne permet en aucune façon de penser que le juge des référés aurait considéré ce dernier risque comme suffisamment prouvé.

34 Enfin, quant à la conclusion énoncée dans la seconde phrase du point 38 de l'ordonnance attaquée, selon laquelle le risque d'une demande d'ouverture d'une procédure de faillite ne constitue pas un dommage grave et irréversible, il s'agirait d'une motivation supplémentaire ou subsidiaire.

35 La Commission en déduit que le pourvoi devrait être rejeté dès lors que les moyens soulevés à l'encontre de la conclusion principale de l'ordonnance attaquée, en l'occurrence les deuxième, troisième et quatrième moyens, ne permettent pas de réfuter cette conclusion. Le premier moyen ne devrait donc être examiné qu'à titre subsidiaire.

36 En ce qui concerne ce premier moyen, la Commission soutient que les requérantes elles-mêmes avaient admis que, même après la déclaration de faillite, il existe des possibilités d'éviter une liquidation de l'entreprise. Telle serait en substance la portée qu'il conviendrait de donner à la seconde phrase du point 38 de l'ordonnance attaquée.

37 Quant aux dommages que les requérantes supporteraient, selon elles, même dans le cas où la procédure d'insolvabilité se conclurait par une transaction ou un arrangement, ils n'auraient pas été invoqués en première instance. Au surplus, ces dommages ne seraient nullement irréversibles, car les requérantes n'auraient pas démontré qu'ils ont une nature durable et structurelle et ne peuvent donc pas faire l'objet d'une réparation financière.

38 Pour ce qui concerne le prétendu dommage que subiraient les associés en raison de la nécessité de mettre des fonds à la disposition de l'entreprise pour éviter sa liquidation, il s'agirait d'un procédé normal et au demeurant purement financier. En tout état de cause, selon la Commission, les requérantes ne seraient pas habilitées à invoquer le préjudice que risque de subir un tiers afin de démontrer l'urgence de leur demande (ordonnance du 4 mai 1964, Ley/Commission, 12-64 R, Rec. 1965, p. 175, 176).

39 S'agissant du deuxième moyen, la Commission fait valoir que c'est à juste titre que le juge des référés a tenu compte des possibilités des associés, en l'espèce M. Henss, d'assister les sociétés aux fins de la constitution d'une garantie bancaire.

40 À cet égard, elle se réfère à l'ordonnance du 7 mars 1995, Transacciones Maritimas e.a./Commission (C-12-95 P, Rec. p. I-467, point 12), dans laquelle aucune différence n'a été faite, pour apprécier la capacité d'une entreprise à constituer une caution bancaire, entre ses actionnaires, d'une part et le groupe d'entreprises auquel elle appartient, d'autre part.

41 Rappelant que la dispense de l'obligation de constituer une garantie bancaire ne peut être accordée qu'en présence de circonstances exceptionnelles, la Commission soutient que, jusqu'à ce que l'amende soit levée ou réduite, les associés doivent être prêts à subir tous les inconvénients résultant pour eux du poids de cette amende sur la société, notamment lorsqu'ils souhaitent que celle-ci poursuive ses activités malgré cette charge qui pèse sur elle. Cela paraîtrait d'autant plus justifié qu'ils pourraient avoir tiré des avantages du comportement contraire aux règles de la concurrence ayant donné lieu à l'amende. Il serait donc sans importance de savoir si les associés sont des personnes physiques ou morales ou s'ils exercent ou non une activité d'entreprise en leur nom propre.

42 La Commission conteste la thèse selon laquelle cette approche entraînerait une discrimination entre les entreprises selon leur structure, puisque, même lorsque les actionnaires sont très nombreux ou changent souvent, la direction pourrait convoquer une assemblée générale pour faire voter une augmentation de capital appropriée. Au surplus, en l'espèce, le juge des référés n'aurait pas pris en considération les associés des requérantes en général mais M. Henss en tant que propriétaire principal, qui contrôle toutes les requérantes et peut donc prendre seul les décisions pertinentes.

43 En ce qui concerne le troisième moyen du pourvoi, relatif à la charge de la preuve de l'urgence qui incombe à la personne sollicitant l'octroi de mesures provisoires, la Commission réfute les affirmations des requérantes selon lesquelles une situation d'urgence ne devrait pas être prouvée mais seulement justifiée "à première vue ".

44 La Commission relève tout d'abord que, aux termes de l'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, une demande de mesures provisoires doit spécifier " les circonstances établissant l'urgence "; une simple justification " à première vue " ne serait envisagée dans cette disposition que pour les "moyens de fait et de droit" censés fonder l'octroi de la mesure provisoire sollicitée.

45 Ensuite, il découlerait d'une jurisprudence constante que le requérant doit établir l'existence d'une situation d'urgence, afin de mettre le juge des référés en mesure de décider "en pleine connaissance de cause" (ordonnance du 3 avril 1992, Parlement/Frederiksen, C-35-92 P-R, Rec. p. I-2399, point 21). Cette solution, qui correspond aux règles générales de répartition de la charge de la preuve, serait d'autant plus justifiée en l'espèce que la dispense de l'exigence d'une garantie bancaire ne pourrait être accordée que dans des circonstances exceptionnelles.

46 Enfin, la Commission admet qu'il n'est pas exigé, pour prouver l'urgence d'une demande, une certitude absolue quant à la survenance du préjudice invoqué. Si l'on peut donc se contenter d'établir le caractère imminent d'un préjudice, la charge de la preuve incombant aux requérantes n'en resterait pas moins inchangée, en ce sens qu'elles devraient prouver intégralement les faits qui sont censés constituer le fondement de ces prévisions.

47 La Commission en conclut que les griefs formulés dans le cadre du troisième moyen, qui portent sur les motifs énoncés dans l'ordonnance lors de l'examen successif des faits, se rapportent en réalité à l'appréciation de ceux-ci et sont irrecevables au stade du pourvoi.

48 Quant au quatrième moyen, selon lequel l'ordonnance attaquée serait fondée sur des constatations contraires au contenu du dossier soumis au Tribunal, la Commission relève que, dans l'expertise sommaire mentionnée au point 30 de l'ordonnance attaquée, les paiements de février 1999 étaient mentionnés comme de simples projets. Par ailleurs, aucune indication n'aurait été donnée sur l'origine des fonds utilisés ni sur les effets réels de ces paiements sur les chiffres indiqués dans l'expertise sommaire, qui traduisaient la situation au 31 décembre 1998. L'argumentation des requérantes reviendrait donc à contester l'appréciation des faits effectuée par le juge de première instance.

49 Dès lors que les observations écrites des parties contiennent toutes les informations nécessaires pour qu'il soit statué sur le pourvoi, il n'y a pas lieu de les entendre en leurs explications orales.

Appréciation

50 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que, selon les articles 225 CE et Si du statut CE de la Cour de justice, le pourvoi est limité aux questions de droit et doit être fondé sur des moyens tirés de l'incompétence du Tribunal, d'irrégularités de procédure devant le Tribunal portant atteinte aux intérêts de la partie requérante ou de la violation du droit communautaire par ce dernier.

51 Le Tribunal est seul compétent, d'une part, pour constater les faits, sauf dans les cas où l'inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d'autre part, pour apprécier ces faits.

52 En Outre, la Cour n'est, en principe, pas compétente pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l'appui de sa constatation ou de son appréciation des faits. En effet, dès lors que les principes généraux du droit et les règles de procédure applicables en matière de charge et d'administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d'apprécier la valeur qu'il convient d'attribuer aux éléments qui lui ont été soumis [ordonnance du 25 juin 1998, Antilles néerlandaises/Conseil, C-159-98 P(R), Rec. p. I-4147, point 68].

53 En l'espèce, il convient de relever au préalable que les quatre moyens invoqués par les requérantes à l'appui de leur pourvoi présentent des liens étroits. Ils se rattachent en effet aux divers éléments que le juge des référés a pris en considération de façon globale dans l'ordonnance attaquée pour aboutir à la conclusion que l'urgence de la demande des requérantes n'avait pas été suffisamment établie par ces dernières.

54 Leur admission ou leur rejet n'apparaît donc possible que de façon globale.

55 En outre, il importe de relever, en vue d'apprécier le mérite de ces moyens visant à mettre en cause l'examen de l'urgence opéré dans l'ordonnance attaquée, que le juge des référés a effectué cet examen dans le cadre très particulier d'une demande de dispense de l'obligation de constituer une garantie bancaire comme condition du non-recouvrement immédiat d'une amende infligée par la Commission. Une telle demande, ainsi qu'il est constaté à juste titre au point 17 de l'ordonnance attaquée, ne peut être accueillie qu'en présence de circonstances exceptionnelles (ordonnances du 6 mai 1982, AEG/Commission, 107-82 R, Rec. p. 1549, point 6; du 7 mai 1982, Hasselblad/Commission, 86-82 R, Rec. p. 1555, point 3; du 15 mars 1983, Ferriere di Roè Volciano/Commission, 234-82 R, Rec. p. 725, points 5 et 6, et du 24 septembre 1986, Montedipe/Commission, 213-86 R, Rec. p. 2623, point 22). La possibilité d'exiger la constitution d'une caution est en effet expressément prévue pour les procédures en référé, par les règlements de procédure de la Cour et du Tribunal, et correspond à une ligne de conduite générale et raisonnable de la Commission (voir ordonnance du 11 novembre 1982, Klöckner-Werke/Commission, 263-82 R, Rec. p. 3995, point 5).

56 S'agissant du premier moyen, par lequel les requérantes reprochent au juge des référés de n'avoir pas considéré comme un dommage grave et irréparable le risque qu'elles encourent de devoir solliciter l'ouverture d'une procédure de faillite, il convient de souligner qu'une situation dans laquelle une entreprise est contrainte de solliciter l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité peut être constitutive d'un préjudice grave et irréparable, étant donné les risques que celle-ci fait peser sur l'existence même de l'entreprise concernée et les conséquences importantes qu'une telle procédure génère et qui entravent son fonctionnement normal.

57 Une telle appréciation doit toutefois être opérée au cas par cas, compte tenu des circonstances de fait et de droit qui caractérisent chaque affaire.

58 À cet égard, il ressort de l'ordonnance attaquée que le juge des référés, même s'il n'a pas entièrement exclu que la constitution de la garantie bancaire puisse contraindre la requérante à demander l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité, a toutefois relativisé la portée de cet élément. Il a en effet constaté que les difficultés dont faisaient état les requérantes tenaient pour l'essentiel à un déficit de trésorerie et, ainsi qu'il est relevé au point 34 de l'ordonnance attaquée, que des difficultés de cette nature ne conduisent pas nécessairement à la liquidation de l'entreprise, ce que confirme l'examen des droits nationaux applicables.

59 Cette appréciation des faits opérée par le juge des référés ne saurait être directement remise en cause dans le cadre d'un pourvoi.

60 Par leur deuxième moyen, les requérantes font grief au juge des référés d'avoir tenu compte des possibilités que pouvait avoir M. Henss de les assister aux fins de la constitution d'une garantie bancaire.

61 À cet égard, il ressort d'une jurisprudence constante que, pour apprécier si une entreprise est en mesure de constituer une garantie bancaire, il convient de tenir compte du groupe d'entreprises dont elle fait partie (ordonnance Hasselblad/ Commission, précitée, point 4) et, en particulier, des ressources dont dispose globalement ce groupe (ordonnance Transacciones Maritimas e.a./Commission, précitée, point 12).

62 Cette approche repose sur l'idée que les intérêts objectifs de l'entreprise concernée ne présentent pas un intérêt autonome par rapport à ceux des personnes, physiques ou morales, qui la contrôlent et que le caractère grave et irréparable du dommage allégué doit donc être apprécié au niveau du groupe que ces personnes composent. Cette confusion des intérêts justifie en particulier que l'intérêt de l'entreprise concernée à survivre ne soit pas apprécié indépendamment de l'intérêt que ceux qui la contrôlent portent à sa pérennité.

63 Ce sont les mêmes motifs qui justifient que, dans une situation comparable, le préjudice d'une association d'entreprises soit apprécié en prenant en compte la situation financière de .ses membres, lorsque les intérêts objectifs de l'association ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des entreprises qui y adhèrent [voir ordonnance du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C-268-96 P(R), Rec. p. I-4971, points 35 à 38].

64 Le fait que, comme en l'espèce, la personne qui, en tant que propriétaire principal des entreprises, en exerce le contrôle soit une personne physique qui ne constitue pas elle-même une entreprise apparaît donc dénué de pertinence.

65 Les requérantes ne sont pas davantage fondées à soutenir que le raisonnement suivi par le juge des référés serait constitutif d'une discrimination entre les entreprises selon que les actionnaires de celles-ci sont connus ou non. En effet, l'appréciation du caractère grave et irréparable du dommage allégué doit s'effectuer en considération des particularités de chaque espèce et non de façon générale, sur base de catégories abstraites. Or, une entreprise dont il est établi qu'elle est contrôlée par d'autres personnes se trouve dans une situation particulière, laquelle doit donc être prise en considération par le juge des référés.

66 Le troisième moyen du pourvoi est relatif à la charge de la preuve qui incombe aux requérantes pour établir que la condition de l'urgence est remplie.

67 Ainsi que la Commission le relève à juste titre, s'il est exact que, pour établir l'existence d'un dommage grave et irréparable, il n'est pas nécessaire d'exiger que la survenance du préjudice soit établie avec une certitude absolue et qu'il suffit que celui-ci soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant, il n'en reste pas moins que les requérantes demeurent tenues de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d'un tel dommage grave et irréparable.

68 Cette exigence est d'autant plus justifiée dans un cas comme celui de l'espèce, compte tenu du principe énoncé au point 55 de la présente ordonnance.

69 S'agissant du quatrième et dernier moyen, il suffit de constater que les informations auxquelles font référence les requérantes constituent de simples précisions, qui viennent certes compléter les faits relatés au point 31 de l'ordonnance attaquée, mais dont il ne résulte pas que les constatations opérées par le juge des référés seraient entachées d'une inexactitude matérielle.

70 Dans ces circonstances, pour les motifs rappelés aux points 50 à 52 de la présente ordonnance, l'appréciation des éléments de preuve opérée par le juge des référés ne saurait être réexaminée à l'occasion du pourvoi.

71 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que les moyens invoqués par les requérantes au soutien de leur pourvoi ne sauraient être accueillis et, en conséquence, celui-ci doit être rejeté.

Sur les dépens

72 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l'article 118, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA COUR,

Ordonne :

1) Le pourvoi est rejeté.

2) HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH & Co. KG, HFB Holding für Fernwärmetechnik Beteiligungsgesellschaft mbH, Verwaltungsgesellschaft, Isoplus Fernwärmetechnik Vertriebsgesellschaft mbH, Isoplus Fernwärmetechnik Gesellschaft mbH et Isoplus Fernwärmetechnik GmbH sont condamnées aux dépens.