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Décisions

CA Versailles, 9e ch., 13 mai 1993, n° 446

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Benmakhlouf

Substitut général :

M. Schonn

Conseillers :

M. Franck, Mme Delafollie

Avocat :

Me Dazi Masmi

TGI Nanterre, 15e ch. corr., du 2 juin 1…

2 juin 1992

LA COUR,

Statuant sur l'appel principal de M Patrick et de la société X, ainsi que l'appel incident du Ministère public ;

Considérant que M Patrick est prévenu d'avoir, à Colombes :

- courant 1990, exposé, mis en ventre ou vendu des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux, des boissons ou des produits agricoles ou naturels en sachant qu'ils étaient falsifiés ou corrompus ou toxiques, en l'espèce en commercialisant des produits contenant de l'aspartame,

faits prévus et réprimés par les articles 3 al. 1 1° et 2° de la loi du 1er août 1905, 11-6, 7 et 6 de ladite loi,

- courant 1990, trompé le contractant sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition, la teneur en principes utiles de la marchandise vendue, en commercialisant un produit Y lequel n'a ni la composition ni les propriétés d'un aliment pouvant se substituer à un ou plusieurs repas dans le cadre d'un régime amaigrissant,

faits prévus et réprimés par les articles 1, 6 et 7 de la loi du 1er août 1905,

- courant septembre 1989, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur le fait que le produit Z ne contient pas les teneurs annoncées en protides, glucides et lipides et que sa composition n'est pas celle d'un produit diététique de l'effort,

faits prévus et réprimés par les articles 44-I, 44-II al. 7, 8, 9 et 10 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 1 de la loi du 1er août 1905 ;

Considérant que les appels, régulièrement interjetés dans les délais légaux, sont recevables en la forme ;

Considérant que la SA X est une filiale d'un groupe allemand, constituée en 1988, immatriculée au registre du commerce et des sociétés à Nanterre le 14 septembre 1988, dont l'objet social est la commercialisation, outre d'articles de sport. de produits de nutrition et de diététique, qui est administrée par un conseil d'administration dont le président est Helmut O, mais la direction effective est assurée par le directeur général et administrateur Monsieur Patrick M qui n'a pas contesté sa mise en cause à ce titre ;

Que la SA X importe, en vue de la vente, les produits du groupe qui sont d'abord testés en laboratoire, font chacun l'objet d'analyses et d'établissements de fiches et de dossiers techniques, puis qui sont mis en vente en Allemagne avant d'être diffusés vers les autres pays européens ou hors CEE ;

Que la SA X se définit comme filiale d'un groupe allemand reconnu pour sa spécialisation dans l'élaboration de produits diététiques, ainsi :

- les spécialités diététiques hospitalières commercialisées par la Division X Phar,

- les spécialités diététiques de l'effort commercialisées par la Division X Spor qui " met son sérieux et sa rigueur au service de tous les sportifs " ;

Considérant que, le 14 septembre 1989, la SA X a vendu à Monsieur Cironte tenant une salle de gymnastique, à Cagnes-Sur-Mer, 36 boîtes de Z de la gamme X Spor ; que le 20 février 1990 la Direction départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Alpes-Maritimes a prélevé pour analyse 3 de ces boîtes, sans que figure sur le procès-verbal, pas plus que sur la facture à Cironte de X un numéro de lot ou une date limite de consommation ; que le 23 juillet 1990, le laboratoire de la Répression des Fraudes de Massy concluait à la non-conformité de Z sur deux points ;

Que la SA X a alors fait l'objet de procès-verbaux de délits, établis par Monsieur Mudry, commissaire à la Direction départementale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes des Hauts-de-Seine :

- du 18 avril 1991 visant la publicité mensongère concernant le produit Z,

- du 29 avril 1991 concernant le délit de tromperie, relevé relativement aux produits A - B - Y ;

Sur la publicité mensongère ou de nature à induire en erreur portant sur le produit Z :

Considérant que, commis à Colombes courant 1989, le délit consisterait en une publicité comportant des allégations, indications ou représentations fausses ou de nature à induire en erreur, en ce que le produit Z ne contiendrait pas les teneurs annoncées en protides, glucides, lipides et en ce que sa composition ne serait pas celle d'un produit diététique de l'effort ;

Qu'il est rappelé que l'infraction qui aurait consisté en la commercialisation de ce produit, falsifié par l'addition d'aspartame, n'est pas poursuivie puisqu'en effet la prévention n'a pas repris ce grief énoncé sur le procès-verbal, initialement, poursuivie séparément avant le tribunal n'ordonne la jonction ;

Considérant que pour la Répression des Fraudes, l'examen du dossier révèle l'infraction de publicité fausse ou de nature à induire en erreur parce que :

d'une part, l'étiquette et la fiche de présentation informant le consommateur mentionnent des teneurs, selon le bulletin d'analyse de :

- 3,90 % de protides

+ 34 et 47 % en glucides

- 90 % en lipides (1 g annoncé, 0,10 g trouvé à l'analyse)

d'autre part, la présentation de Z laisse croire qu'il s'agit d'un produit diététique de l'effort, et hyperprotidique, alors que la composition de Z ne correspond pas à ce type de produits diététiques de l'effort ;

Que la Répression des Fraudes, compte tenu des compositions exposées en l'arrêté ministériel du 20 juillet 1977 portant application du décret 75-65 du 24 janvier 1965 remplacé par le décret 81-574 du 15 mai 1981 qui définit plusieurs catégories de produits diététiques ou de régime et notamment les produits diététiques de l'effort définis comme " des produits présentés comme répondant aux besoins nécessités par un effort physique particulier ou effectué dans des circonstances spéciales " (article 49),

lesdites compositions permettant de classer les produits dans la sous-catégorie soit :

- des produits équilibrés (article 50)

- des produits apportant des glucides et des lipides (articles 51)

a déterminé, par comparaison des teneurs prévues aux articles 50 et 51 avec les teneurs ou pourcentages annoncés dans Z, qu'il n'était pas un produit :

- équilibré de l'effort,

- ni dans la répartition de la valeur calorique par protides, glucides et lipides (proportion de protides très supérieure à la norme, celle des glucides et lipides très inférieure à la même norme) ;

- ni dans la teneur en vitamines B1, B6 et C et en minéraux calcium et magnésium ;

- ni un produit de l'effort apportant glucides ou lipides, le pourcentage annoncé de glucides et lipides étant très inférieur au pourcentage fixé en l'article 51 ;

Que Z est simplement un produit hyper protidique comportant cette dénomination et contenant essentiellement des protides ;

Que la Répression des Fraudes fait remarquer que cependant Z est présenté comme un produit diététique de l'effort répondant aux besoins particuliers des sportifs et permettant d'accroître la masse musculaire :

Ainsi dans un document publicitaire où Z est présenté parmi d'autres produits sous l'intitulé " Xspor ", la diététique de " l'effort ",

Ainsi sur l'étiquetage du produit, en accroche, : " Z - Muscle gain ", et dans le texte " reconstituant de la masse musculaire ", " comme complément nutritif dans le cadre d'un entraînement ", " Z contribue à l'accroissement du volume musculaire ",

Ainsi dans la fiche de présentation où Z est censé répondre aux besoins nécessités par un effort physique particulier (en vue d'accroître la masse musculaire) et effectué dans des circonstances spéciales (celles d'un entraînement intensif), avec graphique montant les effets de Z sur " la croissance musculaire " en fonction d'un " entraînement intensif " avec indications d'emploi " dans le cadre d'un entraînement intensif " ;

Qu'un tel produit Z, ainsi présenté, est mis en vente principalement dans les salles de sport ;

Considérant que le prévenu fait valoir que la poursuite se fonderait sur l'analyse du laboratoire de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes qu'il critique, que Z ne viserait nullement les sportifs, que Z ne tomberait sous le coup de la loi pénale que du fait d'un avis de l'administration ;

Considérant que ces différents arguments sont inopérants puisqu'en effet la comparaison a été effectuée entre les teneurs ou pourcentages annoncés sur Z dans les divers documents édités sur ce produit et les teneurs réglementaires ; qu'en effet encore, si l'avis de l'administration fut produit, à titre d'information, ce sont les règlements qui ont été la norme de comparaison ;

Considérant qu'il est établi que les composants de Z ne sont pas dans leur proportion ceux d'un produit diététique de l'effort alors que la documentation sur Z présente ce produit comme ayant ce but ;

Considérant enfin que le prévenu fait valoir que la clientèle de la société X n'est pas le consommateur tel que conçu par le public,que cette clientèle est celle d'hôpitaux, de salles de sport et de magasins tournés vers un grand public sportif ;que les produits X sont vendus à la clientèle de professionnels sur catalogue ;

Que le délit visé se devrait d'être analysé et retenu au regard de la perception, dont est capable le consommateur visé, des informations qui lui sont données au regard de sa capacité et de sa connaissance de la matière ;

Maisconsidérant que l'infraction, dès lors que ces éléments constitutifs sont établis, existe quelle que soit la perception inconnue et variable des citoyens ciblés, aux capacités et connaissances diverses ;

Considérant qu'en l'espèce, en tant que directeur général, Monsieur M connaissait le produit lui-même et sa non-conformité par composition, aux but et destination que ce produit se proposait d'atteindre ;

Que l'infraction est donc établie en tous ses éléments constitutifs ;

Sur la falsification dans la commercialisation de produits contenant de l'aspartame :

Considérant que la falsification consiste à modifier la composition d'une denrée alimentaire soit en ajoutant soit en retranchant une substance, en violation d'un règlement ;

Que, aux termes de l'article 7 du décret 81-574 du 15 mai 1981 relatif aux fraudes sur les denrées et boissons destinées à une alimentation particulière, il est interdit d'importer, de détenir en vue de la vente, de mettre en vente ou de vendre des produits diététiques ou de régime lorsqu'ils ont été additionnés de produits chimiques ou de substances biologiques autres que ceux dont l'emploi est déclaré licite par arrêté des ministres de l'Agriculture, de l'Economie et de la Santé, après avis du Conseil supérieur d'hygiène publique et de l'Académie nationale de médecine ;

Que l'article 1 de l'arrêté interministériel du 11 mars 1988 sur l'emploi d'édulcorant n'autorise l'aspartame que dans un nombre limité d'aliments ;

Que la falsification est répréhensible, même au cas où elle serait connue du consommateur ;

Considérant que la substance visée est l'aspartame, édulcorant obtenu à partir de deux acides animés, qui se présente sous forme de poudre blanche, au pouvoir sucrant très élevé mais faible teneur énergétique ;

Considérant que l'aspartame peut être utilisé dans deux catégories de produits destinés à une alimentation particulière :

- les aliments de régime hypoglucidique,

- les aliments de régime hypocalorique ;

Considérant que dans la gamme des produits de la société X, la prévention a visé A - B ;

Que A est édulcoré à l'aspartame selon la fiche technique et l'analyse de la société Nutrichem ;

Que B, quel que soit l'arôme, ne comporte pas d'aspartame dans l'énoncé des ingrédients et aucune analyse ne permet d'affirmer le contraire ; que c'est par erreur que la présence d'aspartame est mentionnée dans la fiche de présentation de ce produit ; qu'il n'y a pas lieu de retenir d'infraction sur ce produit ;

Considérant que A n'est pas un aliment de régime hypocalorique, et est au contraire hautement calorique ; qu'il ne s'agit pas davantage d'un produit de consommation courante, où l'emploi d'édulcorant n'est pas prohibé pas l'arrêté du 11 mars 1988, tels que les boissons sans alcool et préparations correspondantes (soit à base de jus de fruits, soit à base d'extraits végétaux ou d'arômes et apportant au plus 50 kcal par litre), laits fermentés et fromages frais, desserts lactés et crèmes desserts, glaces et sorbets, produits de confiserie, gommes à mâcher ;

Qu'en particulier, A n'a pas le caractère de préparation pour boisson apportant au plus 50 kcal par litre ; qu'il peut être mélangé à toutes sortes d'aliments (lait, yaourt, fromage blanc) ; qu'il n'est pas composé à base d'extraits végétaux ou d'arômes ; qu'il apporte (lorsqu'il est mélangé à un liquide) 360 kcal par litre ;

Considérant que l'adjonction d'aspartame, établie pour A, a été faite en violation des textes susvisés fondant la prévention ;

Considérant que Monsieur M connaissait ladite adjonction constitutive d'une falsification ;

Que c'est vainement qu'il affirme, justement d'ailleurs, que l'aspartame est vendu au grand public, dès lors que c'est la falsification qui est poursuivie ;

Considérant enfin que le prévenu fait valoir que A est légalement et régulièrement vendu en Allemagne, Etat membre de la CEE, où il est fabriqué ;

Qu'il fait état d'un projet de texte élaboré par la CEE tendant à uniformiser les législations des pays membres de la CEE portant sur les aliments destinés au régime de l'amaigrissement et du contrôle de poids qui dépénaliserait totalement l'infraction pour laquelle il est poursuivi ; qu'ainsi il est indiqué que la proposition de directive du conseil, concernant les édulcorants destinés à être employés dans les denrées alimentaires, n° 92-C 206-02 présentée par la Commission européenne du 18 juin 1992, Journal Officiel des Communautés européennes du 13 août 1992 P. C 206-3-4 et 8, autorise l'emploi d'aspartame dans les compléments alimentaires, préparations diététiques.

Que cependant il ne s'agit pas de droit positif ; que les projets communautaires peuvent tout au plus constituer un élément d'appréciation quant à la réelle ampleur de la responsabilité pénale du prévenu ;

Sur la tromperie sur la composition, qualités de Y :

Considérant que le produit Y n'aurait ni la composition ni les propriétés d'un aliment pouvant se substituer à un ou plusieurs repas dans le cadre d'un régime amaigrissant ;

Qu'il s'agit d'un produit pour régime hypocalorique (contenant de l'aspartame, autorisé) ;

Que la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes fait état de ce que Y manquerait de 6,72 g de protides pour 1 000 calories ; qu'il manquerait donc 9,6 % de protides et serait trop riche en vitamines ;

Considérant que dans l'étiquetage et dans la fiche de présentation Y est présenté comme " produit de régime hypocalorique équilibré pour personnes actives ", et " substitut de repas pour régime amaigrissant " ;

Que Y entre dans la catégorie de produits destinés aux régimes hypocaloriques, définie en l'article 32-2° de l'arrêté ministériel du 20 juillet 1977, comme " aliments équilibrés à 1 000 kcal maximum et convenant aux régimes de l'amaigrissement entant que substitut d'un ou de plusieurs repas de la journée " ;

Que la composition de l'aliment équilibré est fixée à l'article 34 de l'arrêté précité ;

Qu'il a été relevé que les teneurs annoncées dans Y (pour 444 kcal, ramené à 1 000 kcal) par rapport au produit équilibré, selon teneurs réglementaires pour 1 000 kcal, étaient :

- protides : 63,28 g au lieu de 70 à 90 g

- vitamine A : 7 506 u.i au lieu de 2 000 à 3 000 u.i.

- vitamine B2 : 2,5 mg au lieu de 1 à 2 mg

- vitamine C : 100,12 mg au lieu de 60 à 90 mg ;

Qu'il a été conclu que Y n'avait pas la composition d'un aliment équilibré pouvant se substituer à un ou plusieurs repas dans le cadre d'un régime amaigrissant alors qu'il est présenté comme tel ;

Considérant que le prévenu à d'abord fait valoir, en ce qui concerne les vitamines, que les produits de la gamme offerte par la société X ont une durée de vie de 18 mois à 2 ans et sont garantis en teneur de vitamines à la date limite de vente ; que du fait de la décroissance des vitamines dans le temps, le produit est enrichi au départ pour que le consommateur ne soit pas trompé et soir assuré qu'à la date limite de vente, le produit contienne au moins la teneur en vitamines annoncée ;

Que l'argumentation pertinente doit être retenue ; que le prévenu a aussi fait valoir que le produit devait être situé dans le contexte législatif européen, que le projet CEE propose d'admettre tel quel ce produit qui est d'ailleurs en conformité avec les législations allemandes et d'autres pays européens qui le commercialisent ; que la CEE et la France préconiseraient 50 g de protides pour 1 000 calories ; que ce produit ne met pas en cause la santé publique, que la France ne peut pas opposer la spécificité de sa législation interne dont l'application est une entrave à la libre circulation des produits dans le marché communautaire ;

Que cependant, le projet dont il est fait état n'est pas le droit positif actuel ; qu'un déficit de 9,6 % de protides sur 1 000 calories par jour dans un produit qui peut être utilisé (cf. mode d'emploi) comme aliment " exclusif " n'est pas indifférent dans la gestion de son amaigrissement, et par conséquent de sa santé, par le consommateur, question expressément réservée par le traité CEE ;

Qu'il y a lieu de considérer qu'il y a tromperie sur la composition à raison du déficit en protides dans Y ;

Considérant que la société X, importatrice des produits, doit être déclarée civilement responsable ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; En la forme, dit les appels recevables ; Au fond, confirme le jugement sur la déclaration de culpabilité, sous réserve de l'infraction de falsification concernant B qu'il y a lieu de dire non constituée, et sur la déclaration de la SA X civilement responsable ; Emendant sur la peine, Condamne M Patrick à une amende de 50 000 F.