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Décisions

CA Versailles, 9e ch., 14 octobre 1999, n° 714-99

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

UFC Que Choisir

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guirimand

Avocat général :

Mme Ghesquière-Dierickx

Conseillers :

Mme Delafollie, M. Boilevin

Avocats :

Mes Duminy, Brasseur

TGI Versailles, ch. corr., du 8 févr. 19…

8 février 1998

RAPPEL DE LA PROCEDURE

LE JUGEMENT

Par jugement en date du 8 février 1999, le Tribunal correctionnel de Versailles a déclaré Thierry F coupable de :

Publicité mensongère ou de nature à induire enerreur

Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6 al. 1, L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation

Faits commis d'octobre 1997 à janvier 1998 dans le département des Yvelines

L'a condamné à une amende délictuelle de 30 000 F;

A titre de peine complémentaire, a ordonné à son égard la publication dudit jugement dans "Le Parisien" et "France-Soir".

Sur l'action civile

A déclaré recevable en la forme la constitution de partie civile de UFC Que Choisir;

A déclaré le prévenu entièrement responsable des conséquences de l'infraction subie par la partie civile;

A condamné Thierry F à payer à UFC Que Choisir la somme de 30 000 F à titre de dommages intérêts, et en outre la somme de 5 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale;

A déclaré la société X civilement responsable avec Thierry F, du paiement des réparations civiles accordées;

APPELS

Appel a été interjeté par:

- F Thierry, le 8 février 1999 des dispositions pénales et civiles du jugement,

- le Ministère public, le 8 février 1999

- UFC Que Choisir, le 23 février 1999 des dispositions civiles du jugement

- X, civilement responsable, le 20 août 1999, des dispositions civiles du jugement

LA COUR,

après en avoir délibéré conformément à la loi:

Il est statué sur l'appel interjeté par M. F Thierry, prévenu, le 8 février 1999 à l'encontre des dispositions pénales et civiles d'un jugement rendu contradictoirement par le Tribunal de grande instance de Versailles le 8 février 1999, dont le dispositif est rappelé ci-dessus.

Le Ministère public a également interjeté appel dudit jugement, le 8 février 1999, de même que la société X le 20 août 1999 en sa qualité de civilement responsable, et l'UFC (Union Fédérale des Consommateurs), partie civile, le 23 février 1999.

Le recours de la société civilement responsable est irrecevable comme tardif, mais la cour doit statuer sur les appels du prévenu, du Ministère public et de la partie civile, formés dans les délais de la loi ;

Le tribunal, après avoir rejeté l'exception d'irrecevabilité formée par le prévenu à l'encontre de la constitution de partie civile de I'UFC, comme mal fondée, a retenu comme étant de nature à induire en erreur la publicité figurant sur l'emballage incriminé du produit commercialisé par la société X dirigée par M. F, lequel emballage se trouve joint à la procédure;

Le tribunal a relevé que, selon la citation directe régulière délivrée par l'UFC le 21 juillet 1998, au cours des mois d'octobre à décembre 1997 et janvier 1998, la société X avait commercialisé par l'intermédiaire de grands magasins ou des catalogues de vente par correspondance des sociétés Sedao et Outiror, un produit appelé "Bûche Ramoneuse" dont l'emballage annonçait qu'il permettait de "ramoner" les cheminées après combustion et comportant notamment mentions suivantes:

" Allumez c'est ramoné - votre certificat de ramonage à l'intérieur-après traitement de la bûche ramoneuse : Résultats 1. Plus de goudrons 2. Faites du feu en toute sécurité... dans les 10 ou 15 jours qui suivent vous verrez + ou - de goudrons tomber dans votre foyer. A la fin de cette période, ce qui peut rester dans le conduit est totalement traité et partira avec le feu. Votre conduit est ramoné ".

Le tribunal a estimé que les agissements poursuivis constituaient le délit de publicité trompeuse prévu par l'article L. 121-1 du Code de la consommation et puni par l'article L. 213-1 du même Code.

Les premiers juges ont observé que malgré les tests effectués à la demande de la société X, il était avéré que si du fait de la combustion du produit incriminé, le dépôt de fumée diminuait et se détachait de la paroi du conduit expérimenté, si l'inflammabilité des résidus des combustions antérieures diminuait également, la disparition des goudrons n'était d'environ que de 60 %; qu'ils ont déduit de ces constatations que la société qui commercialisait la "Bûche Ramoneuse" ne rapportait nullement la preuve que ce produit éliminait la totalité des résidus inflammables provenant des feux antérieurs, qu'ainsi le dit produit ne pouvait être qu'un complément au ramonage mécanique et que l'emballage incriminé, en laissant entendre que l'action de ladite bûche remplaçait ce dernier procédé, comportait de fausses allégations de nature à induire en erreur le consommateur moyennement averti.

En répression, le tribunal a condamné M. F à payer une amende délictuelle d'un montant de 30 000 F et a ordonné la publication de la décision à titre de peine complémentaire;

Sur les intérêts civils, le tribunal, après avoir constaté la recevabilité et de l'action de l'UFC "Que choisir", a condamné le prévenu à lui verser, à titre de dommages-intérêts la somme la somme de 30 000 F et, sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la somme de 5 000 F; les premiers juges ont en outre rejeté la demande d'injonction de faire cesser la publicité présentée;

Devant la cour, le prévenu et la société X sollicitent dans des conclusions régulières, l'infirmation du jugement entrepris aux motifs que le ramonage dit "catalytique" tel qu'opéré par la "Bûche ramoneuse" n'est prohibé par aucun texte légal ou réglementaire, que les publications éditées par les sociétés Sedao et Outiror n'était pas le fait de la société X que l'emballage du produit incriminé n'indique pas que le procédé utilisé peut remplacer le ramonage traditionnel et qu'il ne comporte pas de mentions mensongères, compte tenu des tests d'efficacité pratiqués; le prévenu indique également que les mentions figurant sur l'emballage critiqué ne sont plus utilisées à ce jour;

M. F demande également de rejeter la constitution de partie civile, comme "irrecevable et mal fondée" en raison de son ton inutilement polémique, partial, et du caractère injustifié du préjudice allégué. Il demande que l'UFC "Que Choisir" soit condamnée aux entiers dépens de toute l'instance.

La partie civile, dans des conclusions régulières, prie la cour de confirmer le jugement entrepris sur le principe de la condamnation et sur la peine qui doit en résulter ; elle maintient sa demande de cessation de publicité en application des articles L. 121-3 et L 421-2 du Code de la consommation, ainsi que ses demandes de dommages et intérêts à hauteur de 200 000 F, et de versement de la somme de 15 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale pour les frais d'appel; elle conclut à la condamnation à la publication, aux frais du prévenu, de l'arrêt à intervenir dans trois journaux et deux magazines spécialisés pour un coût de 35 000 F par insertion.

EN CET ETAT,

Sur la culpabilité

Considérant qu'il résulte de l'article L. 121-l du Code de la consommation qu'est "interdite toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur un ou plusieurs éléments ci-après : existence, nature, composition, qualités substantielles, teneur en principe utiles, espèce, origine, quantité (...) propriétés (...) qui font l'objet de la publicité, conditions de leur utilisation, résultats qui peuvent être attendus de leur utilisation (...) portée des engagements prix par l'annonceur, identité, qualités ou aptitudes du fabricant, des revendeurs, des promoteurs ou des prestataires";

Considérant que le tribunal a justement estimé qu'il était saisi, non de la publicité relative au produit en cause dans des catalogues spécialisés, mais de celle effectuée sur l'emballage dudit produit, commercialisé par la société X ; que les premiers juges ont, par des motifs pertinents que la cour fait siens justement noté que la prévention était établie ; qu'il suffira d'ajouter qu'en cause d'appel le prévenu a reconnu que le résultat annoncé du produit était finalement limité, contrairement à ce qui était mentionné sur l'emballage incriminé distribué en 1997 et 1998;

Considérant, par ailleurs, que M. F a indiqué que depuis sa mise en cause, la société qu'il dirige avait présenté aux autorités de tutelle une nouvelle version de cet emballage sur laquelle les mentions critiquées avaient été supprimées, que le nouvel emballage avait été agréé, et que l'offre gratuite d'un "certificat de ramonage" avait également été supprimée pour être remplacée par l'adhésion à une assurance groupe;

Qu'il convient de retenir, qu'à l'époque de l'infraction, outre les constatations rappelées par le tribunal, différentes publicités versées aux débats, et non contestées par le prévenu, ont affirmé que "une seule bûche suffit pour ramoner votre cheminée aussi efficacement qu'un ramonage traditionnel" (publicité octobre 1997), "une seule bûche équivaut à un ramonage mécanique" (automne 1997), "N'attendez plus l'intervention coûteuse du ramoneur", "une seule bûche suffit à remplacer efficacement un ramonage traditionnel" (publicité janvier 1998);

Qu'il est donc établi que la publicité critiquée était de nature à induire en erreur le consommateur moyennement averti, étant d'ailleurs précisé sur ce point que les allégations de la société X ont été confortées par la jonction, à l'emballage incriminé, d'un "certificat de ramonage" qui, selon l'article 36-l du règlement sanitaire départemental des Yvelines applicable au lieu du siège social de la société, ne pouvait être délivré, selon les pièces versées aux débats, qu'après un ramonage mécanique;

Qu'il y a lieu de constater que le délit reproché à M. F prévu et puni aux articles L. 121-1, L. 121-5 et L. 213-1 du Code de la consommation, est établi en tous ses éléments constitutifs, tant matériel qu'intentionnel ;

Que le jugement entrepris qui a exactement rappelé et qualifié les faits de la cause doit être confirmé sur la déclaration de culpabilité;

Sur la peine

Considérant qu'eu égard à la nature de l'infraction retenue, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise ainsi qu'à la personnalité du prévenu, dont le bulletin n° 1 du casier judiciaire ne porte pas trace d'une condamnation, la peine infligée par le tribunal constitue une juste application de la loi pénale;

Qu'il échet en conséquence de confirmer l'amende délictuelle de 30 000 F initialement infligée à M. F Thierry;

Que compte tenu des modifications apportées aux publicités du produit, le prévenu doit être relevé de la publication de la présente décision;

Considérant par ailleurs que les circonstances de la cause ne rendent pas nécessaire l'injonction de cessation de publicité ou celle de publication dès lors que la publicité trompeuse par l'emballage incriminé a cessé par l'agrément d'un nouvel paquetage; qu'il y a lieu d'écarter la prétention de la partie civile sur ce point;

Sur l'action civile

Considérant que le prévenu n'apporte devant la cour aucun élément de nature à entraîner la réformation des motifs du jugement entrepris concernant la recevabilité de la partie civile, qui a régulièrement consigné à la suite du jugement de fixation prononcé à cet effet le 25 mai 1998; qu'il est établi en outre que l'UFC "Que Choisir" est recevable à agir, en vertu de l'article L. 421-1 du Code de la consommation et du décret du 6 mai 1988 ainsi que de l'arrêté préfectoral du 13 août 1996, agréant son intervention en justice pour la défense collective des intérêts des consommateurs;

Qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris sur ce point; que l'indemnité accordée en première instance à la partie civile répare exactement le préjudice subi ; qu'elle doit être confirmée; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner cependant de mesure de publication de la décision à titre de supplément de réparation;

Qu'il serait inéquitable de laisser à l'UFC "Que Choisir" la charge des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager;

Qu'en application de l'article 475-l du Code de procédure pénale il y a lieu de condamner M. F à verser à la partie civile la somme de 15 000 F en cause d'appel, celle accordée en première instance étant par ailleurs confirmée;

Par ces motifs, et ceux, non contraires, du jugement déféré, Statuant publiquement et contradictoirement, En la forme : Déclare l'appel formé par la société X irrecevable comme tardif; Reçoit les appels régulièrement formés par Thierry F, prévenu, par le Ministère public, et par l'Union Fédérale des Consommateurs " Que Choisir " (UFC) partie civile ; Au fond : Confirme le jugement entrepris sur la déclaration de culpabilité à l'encontre de M. F Thierry ; Confirme le jugement en celles des dispositions ayant condamné M. Thierry F à une amende délictuelle d'un montant de trente mille francs (30 000 F); Relève M. Thierry F de la mesure de publication prévue par l'article L. 121-4 du Code de la consommation; Sur l'action civile : Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions civiles et en celles relatives à l'application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale; Y ajoutant: Condamne M. F Thierry à verser à la partie civile la somme de quinze mille francs (15 000 F), sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, pour les frais irrépétibles engagés en cause d'appel; Déclare la société X civilement responsable ; Rejette toutes autres demandes, plus amples ou contraires des parties, comme inopérantes au mal fondées.