Livv
Décisions

Ministre de l’Économie, 29 janvier 2003, n° ECOC0300121Y

MINISTRE DE L’ÉCONOMIE

Lettre

PARTIES

Demandeur :

MINISTRE DE L'ECONOMIE

Défendeur :

Président-directeur général de la société AGIP française SA

Ministre de l’Économie n° ECOC0300121Y

29 janvier 2003

MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE

Monsieur le Président,

Par dépôt d'un dossier dont il a été accusé réception le 3 janvier 2003, vous avez notifié l'acquisition de 35 stations-service dans le Sud-Est et le Centre de la France par la société anonyme AGIP française SA (ci-après " AGIP ") auprès de la société Société des pétroles Shell (ci-après " Shell "). Cette acquisition a été formalisée par un protocole d'accord signé le 5 décembre 2002.

I. - Les parties et l'opération

Shell, société anonyme et filiale du groupe anglo-hollandais Royal Dutch/Shell, est propriétaire, directement ou via ses filiales à 100% (Europe Service Restauration SA, Station du Forum Sarl et Socovi SA), d'un réseau de stations-service. La partie française du groupe Shell est constituée d'un ensemble de 38 sociétés de droit français, dont les trois principales sont la Société des Pétroles Shell, Shell Chimie et Butagaz, actives dans les secteurs du pétrole, la chimie et du gaz.

En accord avec la stratégie du groupe, Shell a décidé de céder, pour son propre compte ou pour le compte de ses filiales susmentionnées, 35 stations-service, dont trois " autoroutières ", réparties entre dix-sept départements du Sud-Est et du Centre de la France. Au regard du contrat de location-gérance type qui lie Shell aux exploitants desdites stations-service, il apparaît que seule la vente de carburants est effectuée pour le compte direct du pétrolier. Les rapports entre le pétrolier et l'exploitant de la station-service pour ce qui est des autres produits (lubrifiants, accessoires...) sont des rapports de fournisseur à client ; l'exploitant est libre de fixer les conditions de vente de ces marchandises, notamment leur prix. Le contrôle du pétrolier sur le locataire-gérant porte uniquement sur l'activité de vente de carburants. Au cas d'espèce, il convient donc de ne s'attacher qu'au seul chiffre d'affaires réalisé par la vente des carburants.

Sur l'exercice 2001, le réseau cédé, composé des 35 stations-service objets de la cession, a réalisé un chiffre d'affaires dans la vente de carburants d'environ 29,2 millions d'euros.

AGIP, filiale du groupe ENI, a une activité qui porte essentiellement sur la distribution en France de carburants et lubrifiants et exploite un réseau de 181 stations-service comprenant 31 stations autoroutières et 150 stations du réseau traditionnel. En octobre 2002, AGIP a développé son réseau d'exploitation de stations-service en procédant à l'acquisition de 19 stations-service dans l'Est de la France auprès de la société Sorala, filiale à 100% de BP France. Cette opération a fait l'objet d'une notification auprès du ministre et d'une décision d'autorisation en date du 20 novembre 2002 (cf. note 1).

AGIP a réalisé en France un chiffre d'affaires d'environ 245 millions d'euros en 2001. Le groupe ENI, pétrolier italien, a réalisé un chiffre d'affaires consolidé mondial d'environ 49 milliards d'euros en 2001.

En vertu de l'accord précité, et au regard des seuils en chiffre d'affaires fixés par l'article L. 430-2 du Code de commerce, l'opération constitue une opération de concentration, elle n'est pas de dimension communautaire et relève des dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce relatives à la concentration économique.

II. - Définition des marchés

A. - Les marchés de produits

Les parties à l'opération estiment que le marché de produit concerné est le seul marché de la vente au détail de carburants par stations-service, que ces stations se situent sur ou hors autoroute. A l'appui de cette délimitation de marché de produits proposée, les parties font valoir plusieurs arguments.

Selon elles, il n'est pas pertinent de segmenter le marché de la vente au détail de carburants en autant de types de carburants vendus. Les ventes de carburants comprennent les ventes aux automobilistes d'essence ARS (cf. note 2), d'essence sans plomb, de gazole et de GPL. Les parties font valoir que, si du côté de la demande les différents types de carburants ne sont pas substituables en raison des caractéristiques techniques des véhicules utilisés, l'ensemble des carburants est disponible dans un seul et même point de vente.

Elles considèrent de plus qu'il n'y a pas lieu de distinguer les stations-service selon qu'elles sont situées sur une autoroute à péage ou hors réseau autoroutier. Elles se fondent alors sur le fait que l'autonomie des véhicules permet aux automobilistes empruntant le réseau autoroutier de s'approvisionner hors autoroutes puisque des entrées et des sorties ponctuent le réseau tous les 30 kilomètres en moyenne. Elles arguent à l'appui de cette démonstration de l'existence de panneaux d'information à proximité des sorties d'autoroute sur les prix de vente de carburants pratiqués par les stations-service implantées hors du réseau autoroutier.

Il convient cependant de préciser que si la Commission européenne a admis qu'il n'y avait pas lieu de distinguer en autant de marchés les différents carburants à usage des automobilistes, elle a en revanche à plusieurs reprises (cf. note 3) démontré une absence de substituabilité entre les stations-service autoroutières et les stations-service hors réseau autoroutier. Elle a considéré en effet que la clientèle sur autoroute est captive. Elle a de plus mis en exergue que les prix des carburants sur autoroutes sont structurellement plus élevés et évoluent de manière différente par rapport à ceux pratiqués hors autoroutes. En conclusion, une segmentation doit être opérée entre les stations-service situées sur autoroutes à péage et celles situées dans les agglomérations ou le long des routes franches.

Les 35 stations-service objets de l'acquisition par AGIP sont pour 32 d'entre elles situées en agglomération ou sur des routes franches, les trois restantes sont situées sur le réseau autoroutier. Les marchés de produits concernés par la présente opération sont donc le marché de la vente au détail de carburants par stations-service hors autoroutes et le marché de la vente au détail de carburants par stations-service du réseau autoroutier.

Pour ce qui est des activités annexes à la vente de carburants (vente de lubrifiants, d'accessoires...), il est utile de rappeler que le contrat qui lie la société pétrolière à la société exploitant la station oblige cette dernière à vendre exclusivement les lubrifiants, ainsi que certains accessoires, à la marque du pétrolier. Mais, compte tenu du caractère marginal des volumes ainsi vendus, de la présence d'opérateurs spécialisés et des GMS, la définition de ces marchés peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation de marché retenue, la présente opération n'y aura qu'un impact marginal.

B. - Le marché géographique

Quant à la dimension géographique des marchés de la vente au détail de carburants par stations-service hors et sur autoroutes, elle est définie par les parties comme locale. Elles considèrent que le marché géographique de la vente de carburants est délimité par référence à la demande, constituée par les automobilistes qui se " ravitaillent " dans les stations-service se situant à proximité de leurs lieux de vie et de leurs centres d'activités. S'agissant du marché de la vente au détail de carburants par stations-service hors autoroutes, cette analyse a d'ores et déjà été validée dans les décisions précitées de la Commission européenne, et confirmée par le ministre (cf. note 4). Dans sa décision Total/PetroFina, la Commission précise en outre que " les zones de chalandise des stations-service peuvent se recouper du point de vue de la demande et ce phénomène d'interpénétration peut produire des effets sur l'homogénéité des conditions de concurrence ".

En revanche, s'agissant du marché de la vente de carburants au détail par stations-service du réseau autoroutier, la Commission, dans sa décision TotalFina/Elf (cf. note 5), propose deux délimitations géographiques, nationale, d'une part, et par zones d'interconnexion infranationales, d'autre part, sans toutefois trancher entre les deux. Sur la base d'une étude des prix pratiqués sur l'ensemble du réseau, la Commission a en effet mis en lumière que les prix pratiqués sur les zones d'autoroutes urbaines se rapprochaient des prix affichés hors réseau autoroutier. En supposant que les zones urbaines constituent réellement une frontière entre les autoroutes, ce que la Commission ne tranche pas, elle énonce que le jeu des interconnexions entre autoroutes amènerait alors à définir trois marchés pertinents distincts possibles sur chacun desquels existe une chaîne de substituabilité qui aboutirait à un marché distinct. Ces ensembles seraient les suivants:

1. Normandie/Nord/Est de la France : autoroutes A13, A16, A26, A28, A1, A2, A4, A5, A19, A6, A39, A36, A35, A40, A41 et A43 ;

2. Ouest/Sud de la France : autoroutes A8, A11, A81, A10, A85, A83, A71, A72, A75, A9, A7, A46, A48, A49, A50, A52, A61, A62 et A20 ;

3. Sud-Ouest de la France : autoroutes A63 et A64.

Si la question d'une délimitation précise du marché géographique de la vente au détail de carburants par stations-service du réseau autoroutier peut être laissée ouverte au cas d'espèce dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées, l'analyse concurrentielle portera néanmoins, compte tenu des éléments précédemment développés, sur les zones, ci-dessus définies, concernées par l'opération.

III. - Analyse concurrentielle

A. - Sur les marchés de la vente au détail de carburants par stations-service hors réseau autoroutier

La présente opération emporte l'acquisition par AGIP de 32 stations-service hors autoroute réparties entre seize départements : l'Ain (01), les Bouches-du-Rhône (13), la Charente (16), le Doubs (25), la Drôme (26), l'Hérault (34), l'Isère (38), la Loire (42), la Haute-Loire (43), le Puy-de-Dôme (63), le Rhône (69), la Saône-et-Loire (71), la Savoie (73), la Haute-Savoie (74), le Tarn (81) et les Hauts-de-Seine (92). Leur situation géographique se décompose comme suit :

dans l'Ain : Oyonnax (1 station-service) et Bellegarde (1 station) ;

dans les Bouches-du-Rhône : Marseille (4 stations) et Les Pennes-Mirabeau (1 station) ;

en Charente : Champniers (1 station) ;

dans le Doubs : Pontarlier (1 station) et Sochaux (1 station) ;

dans la Drôme : Crest (1 station) ;

dans l'Hérault : Montpellier (2 stations), Cap-d'Agde (1 station) et Sète (1 station) ;

en Isère : Grenoble (3 stations) ;

dans le département de la Loire : Riorges (1 station) et Saint-Etienne (1 station) ;

dans la Haute-Loire : Chadrac (1 station) ;

dans le Puy-de-Dôme : Clermont-Ferrand (1 station) ;

dans le département du Rhône : Villeurbanne (1 station), Fleurieu-sur-Saône (1 station) et Vourles (1 station) ;

en Saône-et-Loire : Tournus (1 station), Le Creusot (1 station) et Chalon-sur-Saône (1 station) ;

en Savoie : Saint-Alban-Leysse (1 station) ;

en Haute-Savoie : Annecy (1 station) ;

dans le Tarn : Lavaur (1 station) ;

dans les Hauts-de-Seine : Courbevoie (1 station).

Avant l'opération, AGIP est absent des marchés de la vente au détail de carburants par stations-service hors autoroutes sur les départements de la Charente et des Hauts-de-Seine ; l'opération ne donne donc lieu sur ces derniers à aucune addition de parts de marché. De plus, il convient de souligner que la station objet de l'acquisition, dans ces deux départements, ne peut offrir qu'une part de marché insignifiante sur les marchés concernés.

Quant aux stations-service hors réseau autoroutier, objets de la cession envisagée, dans les départements de l'Ain, du Doubs, de la Drôme, de la Loire, de la Haute-Loire, du Puy-de-Dôme, de la Saône-et-Loire, de la Savoie, de la Haute-Savoie et du Tarn, elles ne viennent que quelque peu renforcer un réseau AGIP marginalement présent sur les zones considérées. L'opération aurait ainsi pour conséquence de porter le nombre de stations-service hors autoroute aux couleurs du pétrolier à 5 sur un total de 86 stations dans l'Ain, 5 sur un total de 92 dans le Doubs, 5 sur 98 dans la Drôme, 9 sur 106 dans la Loire, 2 sur 43 dans la Haute- Loire, 3 sur 106 dans le Puy-de-Dôme, 7 sur 107 dans la Saône-et-Loire, 8 sur 86 dans la Savoie, 5 sur 110 dans la Haute-Savoie, et 2 sur 64 dans le Tarn. Ces stations sont de plus réparties dans des agglomérations ou routes franches différentes sur chacun des départements énumérés. Aussi, sans qu'il soit besoin de définir les marchés géographiques concernés sur ces zones, il peut être admis que l'addition de parts de marché résultant de l'opération envisagée sur chacun d'eux est nulle ou peu significative, d'une part, et que les parts de marché du nouveau réseau sur les marchés géographiques qui pourraient être considérés ne peuvent être de nature à lui conférer la capacité de s'abstraire de la pression concurrentielle.

Par l'opération envisagée, AGIP ne renforcerait significativement sa présence que sur les départements des Bouches-du-Rhône, de l'Isère, de l'Hérault et du Rhône. Hors stations-services des grandes et moyennes surfaces (ci-après " GMS "), AGIP disposerait respectivement de 23 points de vente sur 158, 14 sur 102, 10 sur 119, et 20 sur 132.

Au regard de la situation géographique des stations-service cédées dans ces départements, et compte tenu de l'implantation des stations-service AGIP antérieures, l'opération n'a d'impact sensible que sur trois zones, couvrant les agglomérations de Grenoble, Montpellier et Marseille. Bien qu'AGIP dispose d'un réseau important dans le département du Rhône, la relative dispersion de ses actifs dans ce département limite les chevauchements d'activité au niveau infra-départemental.

Il est tout d'abord utile de rappeler que les stations-service en agglomération sont en concurrence avec celles des grandes et moyennes surfaces (ci-après " GMS "). Ces stations GMS, leader sur les marchés de vente au détail de carburants par stations-service hors autoroutes, exercent une pression concurrentielle forte sur les stations traditionnelles. La Commission européenne a déjà eu l'occasion de mettre en exergue ce point, notamment dans sa décision TotalFina/Elf précitée, où elle a relativisé la puissance du nouveau groupe leader par l'accroissement continu de la part de marché des GMS. En 2001, les GMS distribuaient en volume 57,2% des carburants vendus au détail sur le territoire national. Sur la même année, les réseaux des sociétés pétrolières ont enregistré une érosion de 1% du volume total de leur vente de carburants automobiles et le nombre de stations-service aux marques de ces sociétés est passé en un an de 7 100 à 6 590.

Sur chacune des agglomérations de Grenoble, Montpellier et Marseille, l'opération projetée a pour conséquence de porter la part des stations-service de la nouvelle entité à au moins un cinquième de l'ensemble des stations-service des réseaux des sociétés pétrolières (hors GMS). Pour autant, et sans qu'il soit nécessaire de délimiter précisément les marchés couvrant ces agglomérations, il apparaît que sur chacun d'eux sont représentés dans des proportions équivalentes ou proches les réseaux de TotalFina/Elf, de BP et, dans une moindre mesure, d'Esso. Il convient par ailleurs de préciser qu'un fonctionnement oligopolistique de ces marchés peut être écarté par la présence multiple dans les agglomérations précitées de stations GMS, pour lesquels la vente de carburants joue souvent le rôle de " produit d'appel ".

Au regard de ces éléments, la présente opération n'est pas de nature à modifier les conditions du jeu concurrentiel sur les marchés de la vente au détail de carburants par stations-service hors autoroutes concernés dans les agglomérations de Grenoble, Montpellier et Marseille.

B. - Sur les marchés de la vente au détail de carburants par stations-service du réseau autoroutier

Avant l'opération, AGIP exploite 31 stations autoroutières. Les stations-service du réseau autoroutier objets de la présente opération sont au nombre de trois. S'il devait être considéré un marché national de la vente de carburants au détail par stations-service du réseau autoroutier, l'opération envisagée serait sans impact sur ce dernier, eu égard à la faible représentativité d'AGIP.

Les stations autoroutières cédées sont les deux stations d'Audéjos, situées chacune dans un sens de l'autoroute A64, dans le département des Pyrénées-Atlantiques, et la station de Gignac-la-Nerthe, sise sur l'autoroute A55, entre Marseille et Martigues, dans le département des Bouches-du-Rhône.

S'agissant des deux premières, le segment concerné le plus étroit serait, selon l'analyse de la Commission, un périmètre autoroutier " Sud-Ouest " englobant les autoroutes A63 et A64. AGIP étant absent de cette zone avant l'opération, cette dernière n'a donc pas pour conséquence de renforcer la position d'AGIP.

Quant à la station de Gignac-la-Nerthe, elle est située en zone urbaine sur un tronçon d'autoroute franc. S'il devait être considéré le segment le plus fin envisagé par la Commission, ladite station-service pourrait être assimilée à une zone de chalandise englobant l'agglomération de Marseille. Aussi, au regard de l'analyse développée précédemment sur l'agglomération en cause, l'acquisition de la station-service de Gignac ne saurait conférer à AGIP une quelconque position dominante sur le marché ainsi délimité.

Pour finir, il convient de souligner que le contrat d'acquisition ne porte que sur des stations-service. Aucune cession d'actifs dans la chaîne logistique n'est envisagée, qu'il s'agisse des dépôts d'importation, des oléoducs ou des dépôts de maillage. AGIP ne voit donc pas sa position évoluer sur les marchés amont, position au demeurant assez marginale.

En conclusion, il apparaît que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence. Je vous informe donc que j'autorise cette concentration.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de mes sentiments distingués.

NOTE (S) :

(1) Décision en instance de publication.

(2) Essence plombée jusqu'en janvier 2000, remplacée par l'ARS depuis qui est une essence sans plomb enrichie en potassium.

(3) Notamment dans sa décision du 26/03/1999 relative au cas n° COMP/M.1464 Total/PetroFina et dans sa décision du 09/02/2000 relative au cas n° COMP/M.1628 TotalFina/Elf.

(4) Lettre du Ministre du 20 novembre 2002 relative à l'acquisition du réseau est de la société Sorala par AGIP, en instance de publication.

(5) Affaire COMP/M. 1628 TotalFina/Elf, publiée au JO n° L 143 du 29/05/2001 pp. 0001-0073.