Livv
Décisions

CA Rennes, 1re ch. C, 14 janvier 1993, n° 447-92

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sovesa (SARL)

Défendeur :

Houllier (Mme)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel (faisant fonction)

Conseillers :

Mmes Froment, L'Hénoret

Avoués :

Mes Leroyer-Barbarat, Gauvain, Demidoff, Cadiou-Nicolle, Guillou

Avocat :

Me Szuskin

CA Rennes n° 447-92

14 janvier 1993

Exposé des faits, procédure, objet du recours :

Par acte du 5 octobre 1992, la société à responsabilité limitée " Sovesa " (dite société Sovesa) a formé appel d'une ordonnance rendue le 23 septembre précédent par l'un des juges des référés du Tribunal de grande instance de Rennes qui l'a condamnée à délivrer à Geneviève Houllier, dans un délai de quinze jours, gratuitement et sans conditions, deux billets d'avion aller et retour pour une date de son choix et pour l'une des destinations suivantes : Londres, New York ou Orlando.

Elle demande en effet à la cour :

- à titre principal, de débouter Geneviève Houllier de ses prétentions et de la condamner à lui verser la somme globale de 20 000 F à titre de dommages-intérêts et en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ou, subsidiairement, de soumettre la délivrance des billets d'avion réclamés par Geneviève Houllier à la constitution préalable, par ceux-ci, d'une garantie bancaire en couvrant le prix.

Geneviève Houllier, qui conclut au contraire à la confirmation de la décision déférée, réclame en outre elle aussi à la société Sovesa la somme globale de 10 000 F toujours à titre de dommages-intérêts et en application du même texte.

Moyens proposés par les parties :

Considérant qu'après avoir rappelé que le présent litige trouve son origine dans une opération promotionnelle à laquelle elle a participé en sa qualité de vendeur immobilier aux particuliers et qui consistait essentiellement " à proposer à des consommateurs objectivement sélectionnés et qui se présenteraient dans son magasin ", la remise gratuite de deux billets d'avion, à charge pour eux de supporter le coût des frais de séjour liés à l'acquisition de voyages organisés par la société Promotravel, dans diverses villes, la société Sovesa, qui souligne par ailleurs que cette offre n'était nullement liée à l'achat d'un salon, fait tout d'abord grief au premier juge, non seulement d'avoir estimé à tort que les conditions d'application de l'article 808 du nouveau Code de procédure civile étaient réunies en l'espèce, mais en outre d'avoir violé le principe de la contradiction en soulevant d'office un moyen de pur droit sans l'avoir préalablement invitée à présenter ses observations ;

Qu'elle conteste en outre, pour divers motifs développés dans ses écritures d'appel, l'interprétation faite en premier instance de l'article 29 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, souligne, d'ailleurs à tort, qu'elle n'est pas l'auteur de l'offre de vente avec prime refusée par Geneviève Houllier et met l'accent sur " l'atteinte substantielle à sa réputation et à son image de marque irréversiblement attachée à (la décision déférée) " pour justifier en particulier ses prétentions accessoires ;

Considérant que Geneviève Houllier, qui persiste à soutenir qu'elle a bien " gagné deux billets d'avion à l'occasion d'un concours organisé par la société Home Salon ", mais adopte également, au moins implicitement, les motifs du premier juge, estime elle aussi subir un préjudice complémentaire dont elle est fondée réclamer réparation ;

Motifs de l'arrêt :

Considérant que les articles 808 et 809 du nouveau Code de procédure civile autorisent seulement le juge des référés :

- soit à ordonner, en cas d'urgence, toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend,

- soit à prendre celles, conservatoires ou de remise en état, qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite,

- soit à ordonner l'exécution d'une obligation de faire lorsque l'existence de cette obligation n'est pas sérieusement contestable ;

Or considérant que l'on doit admettre tout d'abord que les conditions d'application du premier de ces textes et du premier alinéa du second ne sont pas réunies en l'espèce, dès lors que Geneviève Houllier, qui reconnaît elle-même bénéficier de vacances, quatre fois par an, ne soutient même pas avoir à ce jour réservé par elle-même un hôtel dans la ville de son choix et risquer en conséquence de perdre le bénéfice de cette réservation ;

Considérant, en outre, que si le fait, pour un vendeur de meubles, de proposer en son nom, à des clients " préalablement sélectionnés (sur la base de critères dont on ignore tout) " des billets d'avion gratuits, à charge pour ceux-ci, non seulement de se rendre dans le magasin du vendeur, mais encore d'acquérir à l'occasion de cette visite des séjours " à des tarifs privilégiés dans (des) hôtels (préalablement) sélectionnés " par une autre société organisatrice de voyages, s'analyse à l'évidence comme une offre de vente avec prime illicite, au sens de l'article 29 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, il n'en reste pas moins qu'à défaut de d'urgence, aucun texte ou principe n'autorise les bénéficiaires d'une telle offre à réclamer seulement le bénéfice de la prime tout en refusant de contracter à titre onéreux avec l'auteur de cette offre ;

Qu'il s'agit là en tout état de cause d'une contestation sérieuse relevant de la seule compétence des juges du fond, d'autant que Geneviève Houllier ne justifie en l'état, contrairement à ce qu'elle soutient, d'aucun préjudice ;

Qu'abstraction faite des autres arguments des parties (et, en particulier, de ceux de Sovesa, qui ne conclut pas expressément à l'annulation de la décision déférée) à, cette décision sera donc infirmée ;

Considérant toutefois que le seul fait que l'appelante, qui ne caractérise pas la mauvaise foi de Geneviève Houllier et ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ait cru devoir former de telles prétentions accessoires, alors qu'elle ne pouvait ignorer dès l'origine le caractère prohibé d'une opération commerciale censée " dynamiser " ses propres ventes, justifie sa condamnation aux dépens de première instance et d'appel ;

Décision :

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Infirmant l'ordonnance déférée, et statuant à nouveau, Se déclare incompétente pour connaître du litige opposant Geneviève Houllier à la société à responsabilité limitée Sovesa, Déboute les parties de leurs prétentions accessoires, Condamne la société à responsabilité limitée Sovesa aux dépens de première instance et d'appel.