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Décisions

CA Paris, 13e ch. B, 21 janvier 1999, n° 98-02714

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Ministère public, Chambre syndicale des commerces de l'habillement nouveauté et accessoires de la région parisienne, Fédération nationale de l'habillement nouveauté et accessoires

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Sauret

Avocat général :

Mme Auclair

Conseillers :

Mmes Marie, Content

Avocats :

Mes Pecnard, Doueb

TGI Paris, 31e ch., du 2 mars 1998

2 mars 1998

RAPPEL DE LA PROCÉDURE:

LE JUGEMENT:

Le tribunal, par jugement contradictoire, a déclaré V Bruno coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, du 10 février 1997 au 22 mars 1997, à Paris, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 213-1 du Code de la consommation,

et, en application de ces articles, l'a condamné à 40 000 F d'amende,

a ordonné la publication par extrait dans "Elle" et "Madame Figaro" ;

Sur l'action civile : le tribunal a reçu la Fédération nationale de l'habillement nouveauté et accessoires et la Chambre syndicale des commerces de l'habillement nouveauté et accessoires de la région parisienne en leur constitution de partie civile et a condamné V Bruno à payer à chacune d'elles la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 1 500 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

LES APPELS:

Appel a été interjeté par :

Monsieur V Bruno, le 6 mars 1998, sur les dispositions pénales et civiles,

M. le Procureur de la République, le 6 mars 1998 contre Monsieur V Bruno,

DÉCISION:

Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant sur les appels régulièrement interjetés par le prévenu et le Ministère public à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence pour l'exposé de la prévention ;

La Fédération nationale de l'habillement, nouveauté et accessoires, la Chambre syndicale du commerce de l'habillement nouveauté et accessoires de la région parisienne, demandent à la cour de confirmer le jugement rendu en ce qu'il a déclaré V Bruno coupable pour avoir à Paris, du 10 février 1997 au 22 mars 1997, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses, ou de nature à induire en erreur sur les prix et conditions de ventes de biens, services qui font l'objet de la publicité et de le réformer en ce qui concerne les dommages et intérêts, en conséquence de le condamner à payer à chacune des parties civiles la somme de 250 000 F en réparation du préjudice subi, d'ordonner la publication du présent arrêt par extraits aux frais du condamné dans trois journaux nationaux, dont le journal "Le Détaillant" spécialisé dans le secteur de l'habillement et du prêt-à-porter, de condamner, en outre, V Bruno à payer à chacune des parties civiles la somme de 15 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Elles exposent à cet effet que le 10 février 1997, V Bruno, directeur général de X a lancé une importante campagne de publicité pour son opération "Y" par voie d'affichage sur les autobus et les quais de métropolitain, des encarts dans la presse quotidienne Libération et Le Figaro, des messages radios sur Europe 1 et 2, des catalogues de 12 pages insérés dans les magazines Elle du 10 mars 1997 et Madame Figaro du 8 mars 1997, et des catalogues mis à disposition de la clientèle à l'intérieur du magasin.

Ce catalogue présentait principalement des photographies d'articles textiles et de prêt-à- porter, avec un bref descriptif et des prix sous forme d'un double marquage (un prix barré et un prix net).

La Fédération nationale de l'habillement, nouveautés et accessoires et la Chambre syndicale des commerces de l'habillement de Paris et de la région parisienne ont été alertées par de nombreux adhérents sur le caractère fictif de l'opération : les articles figurant sur le catalogue et faisant l'objet d'un double marquage n'étaient pas encore en vente dans les rayons.

Suivant courrier du 11 mars 1997, la FNH et la Chambre syndicale de la région parisienne indiquaient à la DGCCRF "qu'il s'agit donc, manifestement, d'une infraction à l'article 77-105 P ceci dans le but de faire croire à la clientèle qu'un rabais leur était consenti par rapport à des prix qui auraient été pratiqués.

En outre, lors de notre visite, nous avons constaté qu'entre tous les rayons étaient installés, sur des tables, désassortis de saisons précédentes avec un double marquage de prix et qui avaient déjà été soldés..."

V Bruno conteste à la fois, la matérialité de l'infraction et son élément intentionnel.

Au soutien de son appel, il verse une consultation de Messieurs les professeurs Mousseron et Sordino qui ne résiste pas à l'analyse des faits.

L'essentiel de l'argumentation de V Bruno est d'affirmer qu'il lui est impossible matériellement de produire les tickets de caisse ou de justifier les ventes des articles comportant un prix barré "en raison de l'absence d'un système de gestion unitaire par article"; ceci est inexact.

Il est versé aux débats, une étiquette et un ticket de caisse avec un code barre, où figure notamment, l'indication du magasin, du rayon, du fournisseur, de la catégorie de marchandise, de l'article individualisé et de son prix.

Contrairement à ce qui est prétendu, X a un système de gestion des stocks en temps réel, série par série : fournisseur, modèle et prix, et même éventuellement, couleur et taille.

Ce qui explique que les étiquettes sont éditées avec un code barre permettant la saisie et l'affichage du prix en caisse.

Tous ces éléments sont destinés à permettre l'inventaire périodique des marchandises et de connaître les renseignements (nombre de vente, période de vente et taux de démarque inconnue aux inventaires).

Il est parfaitement possible à X de savoir pour chaque série d'articles, la date de la commande, la quantité commandée, le prix d'achat et de vente, les dates de vente de chacun des articles et le stock encore disponible.

Il existe sur le marché plus d'une vingtaine de logiciels de gestion de stock en temps réel. Les "grands magasins" ont été les premiers à s'équiper de cet outil de gestion. Actuellement, quasiment tous les magasins de prêt-à-porter réalisant un chiffre d'affaires moyen (8 à 10 000 000 F) en sont équipés.

En tout état de cause, il incombe au commerçant qui pratique des prix barrés de justifier l'existence de prix de référence.

Ce qui n'a pas été établi par l'appelant.

Il est établi que non seulement, les marchandises n'étaient pas offertes à la vente, mais que la plupart d'entre elles n'étaient pas encore livrées.

La DGCCRF a pu observer que de nombreux articles ont été livrés directement avec un marquage imprimé en double prix ce qui confirme que cette marchandise ne pouvait être proposée à la vente, préalablement à la date du 12 mars 1997.

Le 11 mars 1997, plusieurs adhérents des Fédération et Chambre syndicale intimées ont constaté que les articles devant être offerts à la promotion, n'étaient toujours pas exposés.

Les factures et bons de livraison démontrent que notamment, les articles suivants, ont été livrés après que la campagne publicitaire ait débuté, soit les :

* 14 février 1997 : chemises et jean I

* 19 février 1997 : chaussettes B

* 25 février 1997 : vestes et pantalons T

* 27 février 1997 : vestes S

* 28 février 1997 : vestes V

* 29 février 1997 : chaussures C

* 6 mars 1997 : chaussures Z

Le prévenu déclare " la règle que nous demandons aux directeurs de respecter est de la mise en vente au moins un mois avant la période de promotion des produits. "

Ces propos sont, d'ailleurs, en contradiction avec ceux de L Jacqueline, Directrice des services juridiques, qui a précisé "que l'ensemble des produits "Y" ont été préalablement (à cette opération) mis en vente dans le magasin, environ deux ou trois jours après la date de leur livraison".

La plupart des articles n'étant pas en vente avant l'opération "Y" il est impossible de satisfaire à ces dispositions.

V Bruno le reconnaît de manière implicite en énonçant que "sur les prix de référence, ceux-ci sont exactement ceux pratiqués pour des produits similaires vendus par les boutiques et les grands magasins. Il existe un prix de marché pour les produits. Les prix de référence sont exactement ceux du marché."

La jurisprudence n'a jamais retenu l'existence d'un prix de marché abstrait et exige, conformément aux dispositions précitées, que l'annonceur justifie le prix de référence "effectivement pratiqué".

La note de service n° 5179 de Monsieur W en date du 20 août 1986 ne dispense pas les professionnels de justifier le prix de référence effectivement pratiqué mais prévoit des aménagements pour leur permettre de répondre à ces exigences.

En particulier, ladite note de service énonce clairement la nécessité de justifier, outre du prix pratiqué, notamment par la production de factures d'achat marquées du prix de vente et de bordereaux de démarques, de la vente effective des produits mis en promotion pendant la période de référence en apportant la preuve au moyen de toutes pièces portant état du stock et permettant d'établir qu'il y ait eu sortie de marchandises durant cette période.

La réalité des rabais n'est pas rapportée en l'absence de prix de référence probant.

V Bruno prétend, à juste titre, qu'en application de l'article 121-3 du nouveau Code pénal et de l'article 339 de la loi n° 92-1336 du 16 septembre 1992 relative à l'entrée en vigueur du Code pénal, la catégorie des délits contraventionnels a été supprimée.

Cependant, l'article précité dispose que les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à son entrée en vigueur demeurent constitués en cas d'imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d'autrui, même si ces textes ne prévoient pas expressément.

Or, le délit de publicité fausse ou de nature à induire en erreur satisfait à ces conditions.

Ainsi conserve toute sa valeur la jurisprudence antérieure à la loi du 16 septembre 1992, affirmant que l'annonceur doit vérifier la publicité avant sa diffusion.

La Fédération nationale de l'habillement, nouveautés et accessoires et la Chambre syndicale des commerces et de l'habillement, nouveauté et accessoires de la région parisienne ont un intérêt légitime à agir et sont recevables à se constituer partie civile.

Aux termes de leurs statuts modifiés, elle a en charge de :

"défendre et de veiller aux intérêts généraux de la profession et éventuellement de réclamer, par tout moyen de son choix, le dédommagement de tout préjudice causé aux commerçants et à la profession, notamment en estant en justice".

Cette Fédération et ce Syndicat régional sont très représentatif de la profession des commerçants détaillants des secteurs de l'habillement de la nouveauté et des accessoires et publient à cet effet une revue professionnelle "Le détaillant" depuis plusieurs décennies.

Les faits établis constituent non seulement une infraction mais également une pratique de concurrence déloyale.

Compte tenu de l'importance de l'opération commerciale - un chiffre d'affaires évalué entre au moins 50 000 000 à 60 000 000 F - le montant des dommages-intérêts alloués, apparaît dérisoire.

En effet, toute violation d'une règle économique est constitutive d'un acte de concurrence déloyale.

En l'espèce, il s'agit non seulement d'une tromperie du consommateur, mais également d'un acte de concurrence déloyale qui porte un préjudice commercial certain et nuit à l'image de l'ensemble de la profession.

Les faits incriminés causent un préjudice d'autant plus important à la profession :

Que l'opération litigieuse a été précédée d'une campagne publicitaire très importante, chiffrée à 1 621 000 F ce qui a gravement préjudicié aux commerçants respectueux de la réglementation.

Que pour l'opération "Y", X a acquis spécialement 20 488 888 F HT de marchandises, ce qui constitue un manque à gagner de 50 à 60 000 000 F TTC pour l'ensemble de la profession, après application du coefficient multiplicateur en onze jours.

Le quartier de X a de très nombreux commerces de prêt-à-porter et de textile, V Bruno, parfaitement informé de la législation économique en vigueur et dûment conseillé, a sciemment violé cette réglementation.

Il est clair que les techniques de ventes employées par X sont parfaitement déloyales.

L'importance de la campagne publicitaire a, encore, aggravé le préjudice subi par la profession.

Elles demandent en conséquence la condamnation de V Bruno à leur payer la somme de 250 000 F à chacune d'entre elles et 15 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Le Ministère public expose qu'en application de l'article 121-3 du Code pénal et de l'article 339 de la loi du 16 septembre 1992, relatifs à l'entrée en vigueur du Code pénal, les délits contraventionnels ont été effectivement supprimés, que l'article 121-3 dispose que les délits non intentionnels demeurent constitués en cas d'imprudence et de négligence même si le texte ne le prévoit pas de façon précise, que le délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, notamment sur l'origine de la marchandise, le prévoit expressément.

Il demande en conséquence à la cour de majorer sensiblement le montant de l'amende infligée à V Bruno et en conséquence d'augmenter les dommages-intérêts accordés aux parties civiles qui sont dans leurs droits en agissant au nom des commerçants voisins de X, qui ont dû voir réduire sensiblement le montant de leurs chiffres d'affaires, dans la période du 10 février 1997 au 22 mars 1997.

Il précise l'actualité de la note de service rédigée au mois d'août 1986 qui insiste sur la production de factures d'achat mentionnant le prix de vente, comparées à celles de la vente des produits pendant la période de référence, pour établir qu' il y a bien eu sortie de marchandises du magasin, pendant la période de vente.

V Bruno demande à la cour de le déclarer recevable et bien fondé en son appel, d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions :

En conséquence,

- dire et juger que la partie poursuivante ne rapporte pas la preuve des éléments constitutifs du délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur le consommateur ;

- constater que tant l'élément matériel que l'élément moral de l'infraction reprochée ne sont pas réunis en l'espèce ;

- dire et juger que l'infraction reprochée n'est pas constituée en l'espèce ;

- relaxer Monsieur V avec toutes les conséquences de droit ;

- débouter la Fédération nationale de l'habillement, nouveauté et accessoire et la Chambre syndicale des commerces de l'habillement nouveauté et accessoire de la région parisienne en leurs demandes de parties civiles ;

En conséquence,

- dire n'y avoir lieu au paiement d'un quelconque dommage et intérêt à leur profit ;

- dire n'y avoir lieu aux frais du condamné à la publication de la décision à intervenir ;

- dire n'y avoir lieu au paiement de la moindre somme au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

Pour tous les motifs ci-dessus exposés, la cour constatera l'absence des éléments constitutifs du délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur le consommateur et infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

En conséquence, elle relaxera le prévenu.

A titre subsidiaire,

Si la cour devait reconnaître V Bruno coupable du délit reproché, il conviendrait qu'elle déboute les parties civiles de l'ensemble de leurs demandes, compte tenu de l'absence d'éléments de preuve de la faute et du préjudice allégué.

Il conviendrait également qu'elle assortisse sa décision d'un sursis simple, conformément aux dispositions de l'article L. 132-29 et suivants du Code pénal.

En effet, il convient d'indiquer que comme il ressort à la lecture de l'extrait du casier judiciaire de V Bruno que ce dernier n'a jamais fait l'objet de la moindre condamnation.

Au demeurant, V Bruno depuis plus de 25 ans a occupé des postes de responsabilité dans le secteur de la distribution et exerce les fonctions de directeur général adjoint auprès de X depuis plus de 2 ans et demi, et le prononcé d'une mesure de publication de la condamnation dans deux revues à diffusion nationale ne manquerait pas de mettre ce dernier dans une position délicate.

Compte tenu des bons renseignements dont il fait l'objet, la cour ne manquera pas de lui accorder le sursis.

Si elle ne faisait pas droit à une telle demande, elle pourrait pour le moins ne pas mentionner au bulletin 1102 de V Bruno la condamnation qu'elle serait amenée à prononcer, selon les dispositions de l'article 775-1 du Code de procédure pénale.

V Bruno réitère cette demande en appel, les premiers juges ne s'étant pas prononcé à cet égard dans le jugement attaqué.

Comme il a été indiqué précédemment, V Bruno n'a jamais eu d'antécédents judiciaires. Son passé étant vierge de toute condamnation.

Dès lors, faire figurer une telle mention au bulletin n° 3 de V Bruno pourrait compromettre gravement la carrière future de ce dernier.

Il résulte du procès-verbal de délit dressé le 13 mars 1997 par la DGCCRF que :

- la campagne de publicité "Y" a débuté le 10 février 1997 et a coûté 1 621 010 F ;

- l'opération promotionnelle "Y" a duré onze jours, du 12 mars au 22 mars 1997 ;

- X a investi la somme de 20 488 000 F hors taxes pour l'achat d'articles spécifiques pour l'opération "Y" ;

- ces articles ont été livrés directement avec un marquage imprimé en double prix, sans avoir été préalablement proposés à la vente ;

- pantalons J - facture comporte la mention "Sélection Y mars 1997"

- foulards O - facture et devis comportent la mention "Y"

- trench R - facture comporte la mention "marchandises semaine fantastique"

- jupe Ventilo - facture comporte la mention "Y"

- chemises et jean I - facture et liste de colisage comportent la mention "Y"

- jupes et vestes Z - facture de livraison comporte la mention "commande Y"

- chemises K - facture comporte la mention "prix cassés"

- chemises et blousons H - facture comporte la mention "Y"

- chaussures U - facture comporte la mention "commande spéciale 8 jours"

l'examen de ces factures et bons de livraison a permis de constater que :

* 13 articles (soit 28 % des produis offerts en promotion) avaient été livrés moins d'un mois avant la date de promotion,

* 34 articles ont été livrés à la fin du mois de janvier et au début du mois de février 1997,

* seuls 3 articles ont été achetés et livrés au mois de décembre 1996.

V Bruno n'a pu justifier de la réalité des prix de référence figurant sur ses catalogues diffusés par la presse et la radio ;

Les prix de référence ont été établis par l'application d'un coefficient multiplicateur nettement supérieur au coefficient habituellement pratiqué par la profession (pour l'Ile-de-France 1,95 à 2,50 pour les vêtements homme et 2,10 à 2,90 pour les vêtements femme et enfant) ;

* coefficient supérieur à 3 pour 24 articles

* coefficient supérieur à 4 pour 8 articles

Compte tenu de ces constatations, V Bruno a été prévenu :

- d'avoir à Paris et sur le territoire national du 10 février 1997 au 22 mars 1997, effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les prix et conditions de vente de biens, services qui font l'objet de publicité,

- en l'espèce, en présentant lors d'une campagne publicitaire de promotion (du 10 février au 11 mars 1997) dans la presse, à la radio et sur un catalogue publicitaire de promotion d'au moins 46 articles comportant un double marquage de prix dont le prix de référence n'avait jamais été pratiqué dans les 30 jours précédant le début de la publicité et qui était artificiels puisque appliquant un coefficient multiplicateur supérieur à ceux couramment pratiqué (articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6, L. 213-1, L. 121-4 du Code de la consommation).

Aux termes de :

l'article 3 de l'arrêté 77-105 P du 2 septembre 1977, le prix de référence en comparaison duquel s'opère une annonce de réduction de prix, s'entend du prix le plus bas effectivement pratiqué par l'annonceur pour un article ou une prestation similaire dans le même établissement de détail, au cours des trente derniers jours précédant le début de la publicité,

et que l'alinéa 2 de l'article 3 de l'arrêté 77-105 P du 2 septembre 1977 l'annonceur doit être à même de justifier par ces notes, bordereaux, bons de commande, ticket de caisse des prix qu' il a effectivement pratiqués au cours de cette période.

Il est de jurisprudence constante que le délit de la publicité est "suffisamment caractérisé par le simple fait de ne pas s'assurer de sa sincérité et de sa clarté ou de ne pas vérifier le contenu avant sa diffusion" (Paris 9 juin 1993).

Ou encore " ayant relevé, outre le caractère trompeur de la publicité, que la société n'avait pas vérifié la sincérité et la véracité du message publicitaire avant d'assurer sa diffusion, la cour d'appel a justifié la condamnation du prévenu, directeur adjoint, pour publicité fausse ou de nature à induire en erreur, ces motifs caractérisant en effet la négligence du prévenu tant au regard des dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-6 du Code de la consommation que de l'article 339 de la loi d'adaptation du 16 décembre 1992 " (Crim. 14 décembre 1994, Bull. Crim. décembre 1994).

L'élément moral de l'infraction, imprudence ou négligence, est clairement rapporté.

La DGCCRF considère même qu'un élément intentionnel est caractérisé.

Pour la DGCCRF, les mentions portées sur les différents documents commerciaux remis par la société F établissent que la plupart de ces marchandises ont été spécialement commandées pour l'opération "Y" et qu'elles n'ont été remises en rayon qu'à cette occasion.

En outre, les prix de référence, allégué par le prévenu, ont été établis, dans de nombreux cas, par application de coefficient supérieur au coefficient moyen de la profession.

L'élément intentionnel est, dès lors, suffisamment démontré pour la DGCCRF.

Le 13 mars 1997 des agents de la DGCCRF ont procédé au contrôle de la légalité de l'opération promotionnelle "Y" organisée du 12 au 22 mars 1997 par le magasin "X" exploité par la société "F" dont le président directeur général est Philippe P.

La publicité pour cette opération promotionnelle s'est effectuée par différents moyens tels que des affichages sur les autobus et les quais du métro des encarts dans la presse quotidienne (Libération et Le Figaro) et des messages radios (Europe 1 et Europe 2). Par ailleurs, un catalogue de 12 pages a été inséré dans les magazines Elle du 10 mars 1997 et Madame Figaro du 8 mars 1997 et mis à la disposition de la clientèle à l'intérieur du magasin. Les coûts publicitaires générés par cette campagne se sont élevés à 1 621 000 F.

Le catalogue publicitaire imprimé et diffusé à cette occasion présentait un choix d'articles sélectionnés parmi l'ensemble des produits faisant l'objet des promotions "Y". Outre une représentation photographique de l'article considéré, il indiquait un bref descriptif ainsi que le prix, sous la forme d'un double marquage (prix barré et prix net) à l'exception d'un article.

L Jacqueline, directeur juridique, a précisé que l'ensemble des produits "Y" avait été mis en vente dans le magasin 2 à 3 jours après la date de leur livraison et que 20 488 000 F d'achats spécifiques avaient été investis pour cette opération.

X a produit comme justificatifs des prix de référence, d'une part, des documents intitulés "justificatif de démarque" se présentant sous la forme de tableaux remplis de façon manuscrite au moyen d'indications sur la désignation du produit son prix initial, son prix démarqué, la quantité et le montant de la démarque et d'autre part, d'indications manuscrites portées sur les factures ou les bons de livraison.

A l'examen des documents fournis par X, les agents de la DGCCRF ont constaté que :

la majorité des articles objets de la promotion a été réceptionnée en magasin à la fin du mois de janvier et au cours du mois de février 1997 ;

certains articles ont été réceptionnés moins d'un mois avant le début de l'offre promotionnelle ;

les articles ont fait l'objet de commandes spécifiques à cette opération ;

aucun document de nature à attester de façon irréfutable la mise en vente ou la vente des articles au prix de référence dans les 30 jours précédant le début de la période promotionnelle n'a été présenté.

Les prix de référence ont été établis par application de coefficients multiplicateurs supérieurs à 3 pour 24 articles (à 4 pour 8 de ces articles) supérieurs aux coefficients moyens de la profession pour ce type d'articles ainsi que l'atteste la monographie régionale d'Ile-de-France qui retient un coefficient situé entre 1,95 et 2,50 pour les hommes et entre 2,10 et 2,90 pour les femmes et enfants.

V Bruno n'a pu justifier la validité des prix de référence pratiqués par X puisqu'il n'a pu démontrer que ces prix avaient été effectivement pratiqués dans les 30 jours précédant le début des publicités incriminées. Au contraire, les mentions portées sur les différents documents commerciaux établissent que la plupart de ces marchandises ont été spécialement commandées pour cette opération et n'ont été mises en rayon qu'à cette occasion.Par ailleurs, les prix de référence ont été établis, dans de nombreux cas, par application de coefficients supérieurs aux coefficients moyens de la profession.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur la culpabilité de V Bruno.

La Fédération nationale de l'habillement, nouveautés et accessoires de la région parisienne se sont constituées parties civiles et sollicitent la condamnation de V Bruno à leur payer à chacune:

la somme de 250 000 F en réparation du préjudice subi,

d'ordonner la publication du présent arrêt par extraits, aux frais du condamné dans trois journaux nationaux, dans le journal Le Détaillant, de condamner en outre V Bruno à payer à chacune des parties civiles la somme de 15 000 F selon les dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Aux termes de leurs statuts, ces deux organismes ont en charge de défendre et de veiller aux intérêts généraux de la profession et éventuellement de réclamer par tout moyen de leur choix le dédommagement de tout préjudice causé aux commerçants et à la profession, notamment dans les cas de pratiques commerciales déloyales.

La publicité incriminée a causé un préjudice à l'intérêt collectif des commerçants de l'habillement qui sera réparé par les dommages intérêts fixés au dispositif.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit les appels du prévenu et du Ministère public, Confirme le jugement entrepris ayant condamné V Bruno à 40 000 F d'amende pour infractions aux délits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6 alinéa 1, L. 213-1 du Code de la consommation, de publicité mensongère commis à Paris du 10 février 1997 au 22 mars 1997, Ordonne la publication du présent arrêt, par extraits, dans les journaux Le Figaro, édition du samedi, Elle, Le Détaillant, Condamne en outre V Bruno à payer: - 30 000 F à la Fédération nationale de l'habillement nouveautés et accessoires, 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, - 30 000 F à la Chambre syndicale des commerces de l'habillement nouveauté et accessoires de la région parisienne, 5 000 F en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Dispense V Bruno, né le [date], de l'inscription de la présente condamnation à son casier judiciaire. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 800 F dont est redevable le condamné.