CA Rennes, 2e ch. com., 4 juillet 2001, n° 00-00286
RENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fouasse (SA), Facques (ès qual.)
Défendeur :
Eole (SARL), Gueguen
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bothorel
Conseillers :
M. Poumarede, Mme Nivelle
Avoués :
SCP Leroyer-Barbarat Gauvain, Demidoff, SCP d'Aboville de Moncuit, le Callonec
Avocats :
Mes Raffali, Le Brun, Facques.
Le 4 février 1992 Guillaume Gueguen était engagé par la SA Fouasse en qualité de VRP exclusif sur les départements 44, 85 et 49 ; il succédait à son père qui avait créé et développé la clientèle désormais attachée à la SA Fouasse.
Le 27 février 1997 Guillaume Guegen démissionnait de ses fonctions ;
Le 4 juin 1997 il signe avec la société Algaflex un contrat d'agent commercial pour les départements 22, 29, 35, 53, 56 et 72.
Le 2 juin précédent il avait immatriculé au registre du commerce la Sarl Eole dont l'objet social était identique à celui de la SA Fouasse : "stores, rideaux, cloisons extensibles, murs mobiles, produits acoustiques" ;
Par exploit en date du 14 décembre 1999 la SA Fouasse faisait assigner la Sarl Eole devant le président du Tribunal de commerce de Nantes à fin d'expertise ;
Par ordonnance en date du 28 décembre 1999 le président du Tribunal de commerce de Nantes déboutait la SA Fouasse de sa demande et la condamnait à payer à la Sarl Eole la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA Fouasse a interjeté appel de cette décision ;
Mise en redressement judiciaire suivant jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 27 juillet 2000, par Maître Facques ès-qualité d'administrateur du Redressement Judiciaire de la SA Fouasse intervient à la procédure ;
Les appelants sollicitent à nouveau dans le dernier état de leurs écritures la désignation d'un expert en comptabilité avec pour mission de se prononcer sur le préjudice de la SA Fouasse suite au départ de Guillaume Guegen et à sa réinstallation ;
Ils demandent également la condamnation de la Sarl Eole à lui payer une somme de 500 000 F à valoir sur son préjudice commercial outre 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La Sarl Eole conclut à la confirmation de la décision attaquée et sollicite la condamnation des appelants au paiement de la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
A titre infiniment subsidiaire elle sollicite un sursis à statuer dans l'attente du résultat de l'instance prud'homale engagée par la SA Fouasse à l'encontre de son ancien salarié Guillaume Guegen ;
MOYENS PROPOSES PAR LES PARTIES
Considérant qu'au soutien de leur recours les appelants, se fondant sur la clause de non concurrence contenue dans le contrat du 4 février 1992, reprochent à Guillaume Guegen d'avoir détourné la clientèle de la SA Fouasse en installant le siège de sa nouvelle société (Eole) à Vertou, en Loire Atlantique, au coeur même du secteur visé par la clause de non concurrence, conservant au surplus la même adresse et le même numéro de téléphone, gardant ainsi un lien direct avec ses clients ;
D'avoir également détourné cette clientèle au profit de la société Algaflex qui est le concurrent direct de la SA Fouasse ;
Considérant que les appelants font observer qu'à la suite de ces agissements déloyaux le chiffre d'affaires de la SA Fouasse sur le secteur attribué à Guillaume Guegen est passé de 3 852 920 F pour l'année 1996 à O F pour l'année suivante ;
Considérant sur le préjudice que les appelants font remarquer que la société Eole a réalisé un chiffe d'affaires hors taxe de 2 036 398 F sur ses 16 premiers mois d'activité; que de toute évidence et compte tenu de la date de son immatriculation (le 2 juin 1997) la Sarl Eole a commencé à fonctionner avant le début du préavis de Guillaume Guegen ; qu'ils pointent encore le chiffre d'affaires résiduel réalisé par Guillaume Guegen pendant son préavis ;
Qu'en effet, alors qu'il réalisait un chiffre mensuel de 350 000 F, son chiffre d'affaires durant ses trois mois de préavis (jusqu'au 3 juin 1997) n'a été que de 20 000 F ;
Considérant que la SA Fouasse estime que pour la seule année 1997 elle a subi un préjudice de 4 000 000 F, cette somme devant être majorée pour couvrir le préjudice subi en 1998, 1999, 2000 et 2001;
Que la réparation de son préjudice doit également tenir compte de la clientèle en cours de prospection et des chantiers potentiels dont elle a été privée ;
Considérant que les appelants estiment enfin l'expertise indispensable sur le fondement de l'article 146 du nouveau Code de procédure civile et en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation ;
Considérant que la SARL Eole rétorque que Guillaume Guegen avait toute possibilité de se domicilier à Vertou dès lors qu'il n'y prospectait pas la clientèle ;
Que la Sarl Eole fait observer qu'il avait également pris la précaution de modifier sa numérotation téléphonique ;
Considérant que critiquant l'acharnement procédural de la SA Fouasse la Sarl Eole fait valoir qu'il n'appartient pas à la cour de palier la carence des parties en matière de preuve et que la démonstration des appelants repose sur des affirmations péremptoires ;
Que par ailleurs il n'est pas interdit à un ex-salarié de se domicilier sur une zone couverte par la zone de non concurrence, seule la sollicitation de la clientèle lui étant interdite ;
Considérant que la Sarl Eole fait encore valoir que le but d'une mesure d'investigation n'est pas d'offrir à un concurrent les moyens d'obtenir des informations confidentielles sur ses rivaux ce qui serait considéré comme une atteinte au secret des affaires ;
Qu'une mesure d'instruction ne peut pas non plus avoir pour finalité de découvrir le fondement d'une éventuelle demande au fond ;
Considérant enfin que la Sarl Eole rappelle qu'il est de jurisprudence constante que le Tribunal de commerce saisi d'une action en concurrence déloyale reposant sur des faits litigieux reprochés par un employeur à un de ses anciens salariés doit surseoir à statuer dans l'attente de la solution définitive de l'instance prud'homale opposant les mêmes parties ;
Considérant que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision et aux conclusions déposées ;
MOTIFS DE L'ARRET
Considérant qu'aux termes de l'article 18 du contrat de VRP signé le 4 février 1992 entre la SA Fouasse et Guillaume Guegen ce dernier s'engageait pendant un an à ne pas faire de concurrence à la SA Fouasse sur le secteur où il exerçait jusque là son activité de commercial (44, 85 et 49) ;
Que cependant, le 4 juin 1997, il signait un contrat d'agent commercial avec la société Algaflex, concurrent direct de la SA Fouasse ;
Que ce contrat concernant Guillaume Guegen pris personnellement, la faute qui lui est reprochée sera appréciée dans le cadre de l'instance prud'homale actuellement pendante devant la chambre sociale de la Cour d'appel de Rennes ;
Considérant que le tribunal de commerce n'étant saisi que de la demande dirigée conte la Sarl Eole, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer ;
Considérant que, dès l'expiration de son délai de préavis, Guillaume Guegen créait sa propre société, la société Eole, ayant le même objet social que la SA Fouasse, dont il était le gérant et dont l'exercice débutait le 2 juin 1997 ce qui permet d'affirmer qu'il avait préparé son départ et sa reconversion depuis de nombreuses semaines ;
Considérant que cette société Eole est domiciliée, sinon dans la même rue que Guillaume Guegen, mais en tout cas à Vertou, ce qui ne peut que créer une confusion dans l'esprit de la clientèle de la SA Fouasse qui avait l'habitude de travailler avec Guillaume Guegen depuis de nombreuses années et avec son père avant lui ;
Considérant que les courriers versés aux débats et émanant de clients de la SA Fouasse ; et notamment de la Cigetec et de Patrick Bacon, témoignent de cette confusion ;
Considérant ainsiqu'il apparaît que la Sarl Eole a commis à l'encontre de la SA Fouasse des actes de concurrence déloyale dont il appartiendra au juge du fond de déterminer la gravité ;
Considérant sur le dommage, qu'il résulte du compte-rendu de l'assemblée générale ordinaire de la Sarl Eole que cette société a dégagé au cours de l'exercice clos le 30 septembre 1998 soit, sur 16 mois un chiffre d'affaires de 2 036 398 F ;
Considérant que parallèlement un tableau des chiffres d'affaires, signé par le commissaire aux comptes, fait apparaître un baisse du chiffre d'affaire de la SA Fouasse pour 1997, le chiffre d'affaires réalisés par Guillaume Guegen au cours de l'année 1997 étant nul alors qu'il avait travaillé pendant 6 mois pour son ancien employeur ;
Considérant ainsi que la preuve est suffisamment rapportée par la SA Fouasse de la réalité de son dommage pour qu'il soit fait droit à sa demande d'expertise sans que celle-ci soit l'occasion pour la SA Fouasse de s'immiscer dans les comptes de la Sarl Eole ;
Considérant que, compte tenu du chiffre d'affaires réalisé par Guillaume Guegen lorsqu'il travaillait pour la SA Fouasse et qui était pour l'année 1996, précédent l'année de son départ, de 3 852 920 F pour un chiffre d'affaires de l'entreprise de 31 356 338 F, il apparaît justifiée également de faire droit à la demande de provision présentée par les appelants ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge des appelants l'intégralité des frais irrépétibles engagés à l'occasion de la procédure d'appel; qu'il convient de leur accorder la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Considérant que, succombant en appel la Sarl Eole supportera les entiers dépens ;
DECISION
Par ces motifs, LA COUR infirmant la décision déférée et statuant à nouveau; ordonne une expertise comptable confiée à Monsieur Dedouit Jean-Jacques demeurant 19 rue Clément Marot 75008 Paris (tél : 01.47.23.99.98) avec pour mission de déterminer aussi précisément que possible le dommage causé à la SA Fouasse par la Sarl Eole du fait de son implantation en Loire Atlantique; Fixe à la somme de 40 000 F (6 064,56 euros) le montant de la provision qui devra être versée au greffe du tribunal de commerce de Nantes par la Sarl Eole, dans un délai de deux mois à compter de la présente décision; rappelle au besoin qu'à défaut de consignation de cette somme dans le délai imparti, la désignation de l'expert sera de plein droit caduque; ordonne le dépôt du rapport au greffe du Tribunal de commerce de Nantes dans un délai de six mois à compter de la saisine de l'expert. Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert ou de refus de sa part, il sera, à la requête de la partie la plus diligente, de procéder à son remplacement par ordonnance du président du Tribunal de commerce de Nantes. Dit que l'expert commis devra se faire remettre tous documents nécessaires à l'accomplissement de sa mission ; Qu'il devra notamment se prononcer sur le préjudice de la SA Fouasse pour les années 1997 à 2001; Condamne la Sarl Eole à payer à la SA Fouasse et à Maître Facques es qualité d'administrateur du redressement judiciaire de la SA Fouasse à titre de provision la somme de 500 000 F (75 806,97 euros) à valoir sur le préjudice commercial que celle-ci pourrait avoir subi ; Condamne la Sarl Eole à payer à la SA Fouasse et à Maître Facques es qualité d'administrateur du règlement judiciaire de la SA Fouasse, la somme de 10 000 F (1 524,49 euros) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la Sarl Eole aux dépens de première instance et d'appel, ceux ci pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.