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Décisions

Cass. crim., 21 novembre 1989, n° 88-85.358

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

Mme Ract-Madoux

Avocat général :

M. Galand

Avocats :

SCP Waquet, Farge, SCP Desaché, Gatineau.

TGI Lille, ch. corr., du 2 oct. 1987

2 octobre 1987

LA COUR: - Statuant sur les pourvois formés par le procureur général près la cour d'appel de Douai, la Fédération des familles de France-Nord, partie civile, contre l'arrêt de ladite Cour, 4e chambre, en date du 22 juin 1988 qui a relaxé Jean-Claude S des chefs de publicité de nature à induire en erreur et d'infractions à la loi sur les loteries et a débouté la partie civile de ses demandes; - Joignant les pourvois en raison de la connexité; - Vu les mémoires produits en demande et en défense; - Sur le second moyen de cassation proposé par le procureur général, pris de la violation de l'article 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973, défaut de motifs, et manque de base légale;

" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé le prévenu du chef de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur

" aux motifs que " X ne prenant d'autre engagement que celui de lui remettre l'un des lots reproduits sur le dépliant il n'est ici aucune allégation mensongère, chaque client étant réellement bénéficiaire de l'un ou l'autre de ces lots, avec l'assurance de pouvoir se le faire remettre "; que " la Cour ne saurait suivre les premiers juges en ce qu'ils posent comme postulat que le participant devait être en mesure de déterminer ses chances, alors que la chance ne procède par définition que du hasard ", notion dont tout " consommateur moyen et normalement intelligent " peut avoir une insuffisante perception "; que " sans qu'il soit d'importance qu'il y ait eu prétirage et que l'organisateur des jeux avait lui-même connaissance des gagnants des lots principaux, il n'apparaît pas (...) que soit de nature à induire en erreur (...) une démarche publicitaire au moyen de laquelle le consommateur est informé qu'il a participé à un concours et qu'il lui revient l'un des lots, lequel d'ailleurs, si minimes qu'aient été ses chances, peut être l'un des lots principaux; et que " la Cour enfin cherchera en vain où il y a allégation mensongère ou de nature à induire en erreur, lorsqu'il est dit que la valeur marchande d'une palette de maquillage est de 90 F, alors que ce prix est effectivement indiqué à l'époque par X dans son catalogue et que nulle raison ne peut justifier que les clients de cette entreprise soient tenus par elle informés des conditions de sa gestion financière ";

" alors que, aux termes de l'article 44 de la loi du 27 décembre 1973 est interdite toute publicité comportant sous quelque forme que ce soit des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, lorsque celles-ci portent sur les éléments visés par ledit article; et que les documents publicitaires visés à la prévention laissaient croire à leurs destinataires qu'ils pouvaient être gagnants d'un lot de valeur alors que la quasi-totalité d'entre eux étaient déjà désignés par le sort comme bénéficiaires d'un simple lot de consolation;

Et sur le premier moyen de cassation proposé par la Fédération des familles de France-Nord, pris de la violation des articles 44 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé le prévenu du chef de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur; aux motifs que ne sont pas mensongères ou de nature à induire en erreur, ni une démarche publicitaire organisée par X au moyen de laquelle le consommateur est informé qu'il a participé à un concours, et qu'il lui revient l'un des lots, lequel peut, malgré les chances minimes, être l'un des lots principaux, ni l'indication de la valeur marchande d'une palette de maquillage comme étant de 90 F, dès lors que ce prix est celui qui est indiqué dans le catalogue de X;

" alors, d'une part, qu'au moment de l'envoi des documents publicitaires portant offre de participation aux jeux, indiquant aux destinataires qu'ils avaient gagné l'un des lots, l'organisateur savait qu'après prétirage au sort et attribution des 10 lots principaux à 10 personnes déterminées, la quasi-totalité des destinataires des offres étaient déjà désignés comme ayant " gagné " un objet sans valeur; que les documents adressés à ces clients étaient donc mensongers et de nature à les induire en erreur, dès lors qu'ils leur faisaient croire qu'ils pouvaient gagner l'un quelconque des 11 lots présentés; alors, d'autre part, qu'en ne recherchant pas si la valeur annoncée de la palette de maquillage (90 F) pouvait, compte tenu de son prix d'achat (8,13 F) être considérée comme la valeur marchande réelle de ce lot, ou si au contraire celle-ci n'était pas mensongère, la cour d'appel a privé sa décision de base légale;

Lesdits moyens étant réunis; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société X, dont Jean-Claude S est le directeur général, a adressé à ses clients des documents publicitaires personnalisés, les invitant à participer à 2 jeux comportant l'attribution gratuite de nombreux lots tirés au sort;

Attendu qu'il était reproché au prévenu d'avoir fait diffuser des publicités comportant des allégations de nature à induire en erreur, d'une part, en laissant croire aux clients qu'ils étaient gagnants des lots principaux alors qu'il savait que la quasi-totalité d'entre eux ne recevrait qu'un lot de consolation, dès lors que les gagnants des lots principaux avaient été identifiés par un prétirage avant le lancement de l'opération et, d'autre part, en présentant l'un des lots de consolation comme ayant une valeur marchande de 90 F alors qu'il avait été acheté par la société au prix de 8,13 F toutes taxes comprises;

Attendu que pour déclarer le délit non constitué la cour d'appel relève que, dans les 2 jeux, le client était avisé qu'il avait gagné l'un des lots reproduits sur le dépliant qui lui était adressé, X ne prenant d'autre engagement que celui de lui remettre ce lot, sans qu'il y ait pour le gagnant une quelconque obligation d'achat; qu'il n'existait en l'espèce aucune allégation mensongère, chaque client étant réellement bénéficiaire de l'un ou l'autre de ces lotset qu'il n'importait qu'il y ait eu prétirage et que l'organisateur des jeux ait lui-même eu connaissance du nom des gagnants des lots principaux; que les juges ajoutent que le fait d'avoir présenté un lot de consolation comme ayant une valeur de 90 F ne constitue pas une allégation mensongère dès lors que ce prix était effectivement celui indiqué à l'époque dans le catalogue de vente de la société;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués aux moyens; que ces moyens doivent dès lors être écartés;

Sur le premier moyen de cassation proposé par le procureur général, pris de la violation des articles 2 de la loi du 21 mai 1836 et 410 du Code pénal, défaut de motifs et manque de base légale;

" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé le prévenu du chef d'organisation de loteries prohibées au motif que " le lien commutatif nécessaire entre l'offre et le sacrifice pécuniaire n'existait pas lorsque, comme en l'espèce, le participant a, dès l'instant où l'offre l'a atteint, été informé de ce que le hasard avait déjà de manière gratuite pour lui, déterminé son sort, et que l'opération, abstraction faite de ses conséquences attendues au plan commercial, n'a d'autre retentissement que celui de le placer devant le choix d'entrer ou non en possession de ce qui s'avère n'être qu'une libéralité, dont, de la plus importante jusqu'à la plus modeste, il peut estimer la valeur;

" alors que, d'une part, aux termes de la loi du 21 mai 1836, modifiée en dernier lieu par celle du 9 septembre 1986, et de la jurisprudence en la matière, une telle loterie est prohibée dès lors qu'un sacrifice pécuniaire, si minime soit-il (participation symbolique, frais de dossier, apposition d'un timbre poste sur l'enveloppe réponse) est exigé du consommateur, et que, d'autre part, une libéralité n'exige aucun débours en contrepartie;

Et sur le second moyen de cassation proposé par la société civile professionnelle Waquet et Farge, pris de la violation des articles 1, 2 et 3 de la loi du 21 mai 1836, 410 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé le prévenu du chef d'organisation de loteries prohibées;

" aux motifs que pour qu'il y ait loterie prohibée, la participation des joueurs doit se matérialiser par un sacrifice pécuniaire; qu'en l'espèce, la remise des lots constitue une libéralité;

" alors que les participants au " grand jeu des numéros de la chance " ne pouvaient se voir attribuer leur lot, c'est-à-dire participer à la loterie, que contre l'envoi d'une commande d'achat ou à défaut d'une somme de 11 F; que cette contrepartie financière caractérisait le sacrifice pécuniaire consenti par les joueurs pour participer à la loterie, de sorte que le délit d'organisation de loteries prohibées était constitué en tous ses éléments;

" alors, d'autre part, que la notion de libéralité est totalement exclue lorsque la remise, aux participants de la loterie, d'un lot d'une valeur de 8,13 F nécessitant des frais de port de 2,63 F (total 10,76 F) exigeait de leur part une contrepartie financière de 11 F, correspondant à la valeur totale de leur lot et de ses frais d'envoi ";

Lesdits moyens étant réunis; - Attendu qu'il était également reproché au prévenu d'avoir organisé une loterie, prohibée par la loi du 21 mai 1836, dès lors qu'était exigé du consommateur, pour avoir connaissance du lot attribué par le sort, un sacrifice financier correspondant au frais d'envoi en timbres pour une valeur de 11 F, ce qui avait pour effet de conférer un caractère onéreux à la loterie;

Attendu que pour relaxer le prévenu de cet autre délit, la cour d'appel énonce que le sacrifice financier n'était pas consenti par le participant en contrepartie de l'offre qui lui était faite et n'avait d'autre effet que de lui permettre d'entrer en possession de ce qui n'était qu'une libéralité;qu'elle relève en outre que le client, en l'absence de commande, avait la faculté soit de se manifester par téléphone, soit de retourner son titre de gagnant en y joignant une somme de 11 F en timbres pour frais de mise à disposition du lot;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations d'où il résulte que la participation du client au coût de l'expédition ne conférait pas en l'espèce un caractère onéreux à l'opération, la cour d'appel a justifié sa décision, sans encourir les griefs allégués aux moyens, lesquels doivent dès lors être écartés;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Par ces motifs: rejette le pourvoi.