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Décisions

Cass. crim., 18 février 1998, n° 96-85.786

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roman

Rapporteur :

Mme Ferrari

Avocat général :

M. Cotte

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan

TGI Nice, 6e ch. corr., du 18 nov. 1994

18 novembre 1994

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par G Bernard, la société F, civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, en date du 4 octobre 1995, qui, pour loterie publicitaire illicite, l'a condamné à 150 000 F d'amende, dont 75 000 F avec sursis, a ordonné des mesures de publication et d'affichage, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu le mémoire produit commun aux demandeurs ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société de vente par correspondance F a annoncé le déroulement d'une loterie publicitaire par l'envoi d'un document intitulé " notification officielle ", adressé à chaque destinataire sous une enveloppe à en-tête de la " Trésorerie Générale " ;

Attendu que Bernard G, directeur général de la société, est poursuivi pour avoir présenté cette opération publicitaire à l'aide de documents de nature à susciter la confusion avec un document administratif, délit prévu et réprimé par l'article 5 de la loi du 23 juin 1989, devenu les articles L. 121-37 et L. 121-41 du Code de la consommation ;

En cet état : - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-36, L. 121-37 et L. 121-41 du Code de la consommation, 121-3 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" En ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard G coupable du délit de loterie publicitaire irrégulière ;

" aux motifs que Bernard G faisait adresser des enveloppes contenant des slogans publicitaires pour des produits distribués par sa société, enveloppes comportant à l'extérieur, outre la mention imprimée en caractères gras " Trésorerie générale ", l'indication de l'attribution ou l'espérance pour le destinataire d'un gain en espèces, indication portée sur une deuxième enveloppe collée au recto de la première, rappelant à l'évidence par sa couleur et son format le modèle généralement utilisé par l'Administration fiscale notamment pour le recouvrement des impôts ; que la conception même des documents litigieux traduit à l'évidence sa volonté de capter l'attention du destinataire en lui laissant penser, ne serait-ce qu'un instant, qu'il reçoit un pli officiel ; et aux motifs adoptés que, certes, on peut envisager que le destinataire averti eût pu démasquer le procédé de publicité et ne pas se laisser prendre au piège ; que, cependant, il convient de se référer, en matière de publicité, à la perception des individus les moins aptes à faire la différence entre l'impossible ou l'improbable et la réalité ;

" alors, d'une part, que l'article L. 121-37 du Code de la consommation n'interdit la loterie publicitaire que dans la mesure où cette publicité est de nature à susciter une confusion avec un document administratif, c'est-à-dire une erreur réelle et durable sur la nature du document reçu ; que, dès lors, la " confusion " ne saurait être constituée ni par le rapprochement sciemment opéré par le destinataire entre le document publicitaire et un document administratif, tenant à la couleur ou au format communs, ni par la pensée fugitive d'être en présence d'un tel document ; qu'en se déterminant, néanmoins, par ces seuls motifs pour déclarer l'infraction constituée, l'arrêt attaqué n'a pas légalement justifié sa décision ;

" alors, d'autre part, que, dans ses écritures en appel, Bernard G faisait valoir que, contrairement aux énonciations des premiers juges, l'appréciation du caractère trompeur des documents litigieux devait s'effectuer par référence au consommateur moyen, normalement avisé et attentif ; qu'en omettant de répondre à cette articulation, et en se bornant à confirmer la déclaration de culpabilité du demandeur, l'arrêt attaqué se trouve privé de tout motif ;

" alors, enfin, que l'intention frauduleuse est un élément constitutif du délit de loterie publicitaire prohibée ; que l'arrêt attaqué, qui ne caractérise pas la conscience, chez Bernard G, d'induire le consommateur en erreur en provoquant une confusion sur la nature du document reçu, mais seulement sa volonté de capter un instant l'attention du destinataire, n'a pas légalement justifié la décision de condamnation ;

Attendu que, pour déclarer le délit constitué, la juridiction du second degré relève que les documents incriminés, adressés sous une enveloppe portant, en caractères gras, la mention " Trésorerie Générale ", rappelaient, par leur couleur et leur format, le modèle habituellement employé par l'Administration fiscale pour le recouvrement des impôts ;que les juges ajoutent que ce procédé traduit la volonté de capter l'attention du destinataire, en lui laissant penser, ne serait-ce qu'un instant, qu'il reçoit un pli officiel ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance ou de contradiction, d'où il résulte que le prévenu a agi en connaissance de cause, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ; que le moyen, qui se borne à remettre en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 1382 du Code civil, 1er de la loi n° 88-14 du 5 janvier 1988, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" En ce que l'arrêt attaqué a accordé 2 000 F de dommages-intérêts à " l'Union Fédérale des Consommateurs - Que choisir ? " - et la même somme à " Union Régionale des Consommateurs Provence-Alpes-Côte-d'Azur " ;

" alors, d'une part, qu'une association de consommateurs ne peut obtenir de dommages-intérêts qu'à condition que soit établi que le délit porte atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs ; qu'en l'espèce, la décision n'établit pas en quoi le délit prétendument commis par Bernard G aurait porté atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs ;

" alors, d'autre part, que la décision attaquée, qui alloue 2 000 F à chacune des associations, ne constate pas qu'elles auraient subi un préjudice prenant directement ou indirectement sa source dans l'infraction ; que, dès lors, c'est en violation des textes susvisés que la cour d'appel leur a accordé des dommages-intérêts ;

Attendu qu'en accordant des dommages-intérêts aux deux associations de consommateurs agréées, constituées parties civiles dans les poursuites exercées contre Bernard G du chef de loterie publicitaire illicite, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 1er de la loi du 5 janvier 1988, devenu l'article L. 421-1 du Code de la consommation ; qu'en effet, la réglementation des loteries publicitaires tend à la protection du public contre l'attrait de l'aléa que ces jeux comportent ; qu'il s'ensuit que sa transgression est nécessairement de nature à porter atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs ; que le moyen doit, dès lors, être écarté ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

" En ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'agent judiciaire du Trésor et a condamné Bernard G à lui payer la somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts ;

" alors, d'une part, que l'infraction de loterie publicitaire irrégulière par imitation d'un document pouvant émaner du Trésor public, adressé à des clients potentiels, ne cause aucun préjudice au Trésor public ; qu'ainsi, la constitution de partie civile de l'agent judiciaire du Trésor devait être déclarée irrecevable ;

" alors, d'autre part, qu'une personne morale publique ne peut exercer l'action civile qu'en réparation d'un préjudice matériel résultant directement pour elle de l'infraction poursuivie ; qu'elle ne saurait, en revanche, exercer l'action civile en vertu d'un intérêt purement moral qui se confond nécessairement avec l'intérêt social dont la protection est assurée par l'action publique ; que, dès lors, en l'espèce, la constitution de partie civile de l'agent judiciaire du Trésor, qui n'allègue aucun préjudice matériel particulier, devait être déclarée irrecevable ;

Vu lesdits articles ; - Attendu que l'action civile prévue par les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement souffert d'un dommage directement causé par l'infraction, distinct de l'atteinte portée aux intérêts généraux de la société, dont la réparation est assurée par l'exercice de l'action publique ;

Attendu que l'agent judiciaire du Trésor public s'est constitué partie civile, sollicitant l'allocation d'une somme de 1 franc à titre de dommages-intérêts, en réparation de l'atteinte portée à l'image du service par les agissements du prévenu ; que la juridiction du second degré a déclaré cette demande recevable et fondée ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, alors que le préjudice moral allégué ne se distinguait pas du trouble social que réparait l'exercice de l'action publique, la cour d'appel a méconnu les textes et principes ci-dessus rappelés ; que la cassation est, dès lors, encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire, et de mettre fin au litige ;

Par ces motifs : casse et annule l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 4 octobre 1995, mais seulement en ce qu'il a accordé des dommages-intérêts à l'agent judiciaire du Trésor ; Vu l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire, déclare l'action de l'agent judiciaire du trésor irrecevable ; dit n'y avoir lieu à renvoi.