Cass. crim., 7 décembre 1999, n° 98-87.994
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roman (faisant fonction)
Rapporteur :
Mme Ferrari
Avocat général :
M. Géronimi
Avocat :
SCP Gatineau
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par W Ian, la société X civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 13e chambre, en date du 16 novembre 1998, qui, pour publicité de nature à induire en erreur, a condamné le premier à 100 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 147 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, L. 121-1 du Code de la consommation, 6, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception "non bis in idem" ;
"aux motifs propres que vainement Ian W soutient qu'à l'occasion du même message publicitaire, il a été poursuivi et relaxé par jugement du Tribunal correctionnel de Grasse du 16 mai 1997 devenu définitif et qu'il ne peut être poursuivi deux fois pour les mêmes faits ; que la cour observe en effet que si les faits qui lui sont déférés et ceux jugés par le Tribunal de grande instance de Grasse présentent un lien de connexité s'agissant d'une campagne publicitaire unique, il n'en demeure pas moins qu'ils sont distincts dans la mesure où la publicité se présente de manière individualisée, ainsi que parfaitement décrit par les premiers juges dans la décision attaquée ; que la cour relève, comme le tribunal, que même s'ils sont connexes par rapprochement à une même campagne publicitaire, les faits délictueux sont distincts, dès lors que les documents publipostés ne sont pas standardisés, mais individualisés par la citation et la mise en scène de leur destinataire, objet des allégations trompeuses ; qu'il s'agit, dès lors, de publicités distinctes pouvant faire l'objet de poursuites séparées ;
"et aux motifs adoptés des premiers juges que si les documents postés par X à chacun des clients choisis dans son fichier pour participer à l'opération "poids en or" ne diffèrent ni dans leur contenu ni dans leur présentation, ils laissent volontairement place à des éléments d'individualisation qui ne se limitent pas à l'apposition d'un nom et d'une adresse à l'emplacement réservé ; que sur la première page, encadrée de rouge à la manière d'un diplôme, se détache en très gros caractères sous le titre "information officielle" la phrase : "Mme x a été officiellement désignée pour recevoir son poids en or" ; que sont ensuite rappelés le numéro de participant du gagnant, son numéro de client, la date de sa première commande et la ville où il réside ; que fait suite à cet "avis d'expédition" un questionnaire confidentiel que le destinataire est invité impérativement à compléter et à retourner après l'avoir daté, signé et scellé, pour recevoir son lot ; que la lettre d'accompagnement met en scène le bénéficiaire recevant son poids en or : "Chère Mme x, vous n'êtes désormais plus du tout un client comme les autres. Vous avez été choisie pour recevoir votre poids en or. Il s'agit d'or 18 carats 750 millièmes que nous avons d'ores et déjà réceptionné et mis à l'abri sous clé dans l'attente de son expédition chez vous à (suit le nom de la ville du destinataire). Lorsque vous le réceptionnerez, vous pourrez constater de vos propres yeux la présence du poinçon officiel. J'ai joint à ce courrier un questionnaire confidentiel d'attribution que je vous demande de remplir avec le plus grand soin ; Les renseignements que vous nous transmettrez, vous avez ma parole Mme x, resteront strictement confidentiels Encore mes plus vives félicitations pour l'événement dont vous être aujourd'hui, Mme x, la bénéficiaire incontestée" ;
"que même s'ils sont connexes par rapprochement à une même campagne publicitaire, les faits délictueux sont distincts, dès lors que les documents publipostés ne sont pas standardisés, mais individualisés par la citation et la mise en scène de leur destinataire, objet des allégations trompeuses ; qu'il s'agit, dès lors, de publicités distinctes pouvant faire l'objet de poursuites séparées ;
"alors, d'une part, que le délit de publicité de nature à induire en erreur, même s'il se manifeste lors de chaque communication au public d'une telle publicité, constitue une infraction unique qui ne peut être poursuivie et sanctionnée qu'une seule fois dès l'instant où il s'agit d'allégations identiques contenues dans le même message publicitaire et diffusées simultanément ; que l'individualisation des bulletins de participation, limitée comme en l'espèce à l'indication du nom du bénéficiaire, à des renseignements élémentaires sur l'intéressé (numéro de participation, numéro de client, date de la première commande, ville où il réside), et à un questionnaire sommaire sur l'or, ne saurait suffire à faire considérer comme distinctes les publicités adressées à chacun des participants, dès lors que, comme l'ont relevé les premiers juges, les documents publicitaires litigieux "ne diffèrent ni dans leur contenu ni dans leur présentation" ; que, par suite, les faits objet de la poursuite ne se distinguaient pas de ceux qui ont donné lieu antérieurement à un jugement, devenu définitif, du tribunal correctionnel de Grasse ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les textes visés au moyen ;
"alors, d'autre part, que les poursuites intentées devant le tribunal correctionnel de Grasse, ayant été engagées par le ministère public sans que celui-ci se réfère à des victimes particulières, avaient nécessairement pour objet l'opération publicitaire dans son ensemble et non les seuls documents publicitaires qui auraient été envoyés à certaines personnes déterminées ; qu'ainsi, les faits déférés à la juridiction de Paris se trouvaient nécessairement inclus dans ceux qui avaient fait l'objet du jugement rendu par le Tribunal de Grasse et ne pouvaient, dès lors, donner lieu à de nouvelles poursuites ; qu'en rejetant néanmoins l'exception de chose jugée, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-6 et L. 213-1 du Code de la consommation, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Ian W coupable de publicité de nature à induire en erreur et l'a condamné à des sanctions pénales ainsi qu'à des réparations civiles ;
"aux motifs adoptés des premiers juges que si l'effet de choc recherché par l'annonce initiale est largement obtenu, rien n'est fait dans la suite du texte pour dissiper l'erreur du consommateur ; que, bien au contraire, tout dans la présentation des documents et le choix des termes tend à renforcer l'ambiguïté créée par l'expression "votre poids en or", laquelle est susceptible de deux interprétations ; qu'en lisant un peu plus loin que le nouveau catalogue X "lui aussi vaut son pesant d'or", le client est incité à entendre qu'il a gagné "son pesant d'or" et non "un poids en or" d'une valeur dérisoire ; que la désignation du jeu comme opération "de l'or au poids" induit l'idée du gain d'une importante masse d'or ; que cette idée est renforcée par la formule "une opération hors du commun que jamais aucune société de vente par correspondance n'avait eu la possibilité d'organiser jusqu'à ce jour" ; que X précise en post-scriptum que, pour éviter de choquer par l'offre d'une telle quantité d'or, elle a décidé de faire simultanément un don de 1 000 francs à une œuvre de bienfaisance ; qu'elle joint à son envoi un "certificat de contrôle" garantissant la teneur en métal précieux de "tout l'or" gagné par le destinataire, lequel pourra donc être vendu au cours officiel ou travaillé par un bijoutier sous l'appellation "or véritable" ; que, pour mieux faire croire à la valeur importante du lot offert, X insiste sur la confidentialité de son expédition : "j'ai fait en sorte, en confiant votre dossier à Sylvie Hugue, que l'expédition de votre poids en or se fasse en toute discrétion ; il n'est jamais très recommandé de susciter la convoitise autour de soi, certains gagnants du loto ou du millionnaire peuvent en témoigner" ; que la remise du lot est subordonnée au retour d'un questionnaire confidentiel comportant quatre questions : "avez-vous déjà reçu un cadeau de valeur ou gagné un gros lot à un jeu ? ; Vous a-t-on déjà offert de l'or ? ; Pensez-vous qu'il soit judicieux de conserver de l'or chez soi ? ; Si vous en possédez déjà, avez-vous pris soin d'en faire état auprès de votre compagnie d'assurance de façon à vous garantir en cas de sinistre ou de vol ? ; que ces questions sont dépourvues de sens si on les rapporte à la possession d'une masse d'or d'un décigramme ; que la seule mention destinée, d'après la défense, à éclairer le destinataire sur la nature et la valeur de son gain est un renvoi faisant suite à l'avis "Mme x a été officiellement désignée pour recevoir son poids en or" et annoncé par un astérisque ; que l'avis, qui occupe la moitié de la page, est composé en caractères hauts de 8 mm, alors que ceux du renvoi n'excèdent pas un millimètre de hauteur ; que l'emplacement du renvoi, entre deux traits rouges formant cadre, le rend presque indiscernable, et qu'il faut retourner la feuille pour le lire puisqu'il est disposé verticalement ; que, surtout, une fois franchis ces obstacles matériels, la mention elle-même demeure ambiguë : "1 décigramme env. représentant 0,00981 N", que le symbole "N" n'est pas une unité de mesure courante ; que le lecteur ainsi avisé qu'un décigramme d'or "env" (pourquoi cette abréviation ?) représente 0,00891 N ne comprend pas nécessairement que son lot se limite à ce modeste poids d'or, alors que tout le reste du document tend à le persuader du contraire ; qu'une présentation habile et trompeuse, laissant croire au destinataire qu'il a gagné un prix de grande valeur alors qu'il s'agit d'un lot insignifiant, est une des modalités classiques de la publicité trompeuse en matière de loterie publicitaire ; qu'en l'espèce, la valeur de l'objet était inférieure à la somme de 39 francs que devait payer le client s'il ne passait pas de commande ; qu'il suffit, pour que soit constitué le délit de publicité trompeuse, que les allégations publicitaires soient de nature à induire en erreur, même si l'annonceur n'a pas agi délibérément à cette fin ; qu'en l'espèce, l'accumulation des formules à double entente et des présentations tendancieuses ne peut être le seul fait du hasard ; que le délit de publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur est constitué en tous ses éléments à l'encontre de Ian W ;
1 )"alors que le caractère trompeur d'une publicité s'apprécie par référence au discernement et au sens critique d'un consommateur normalement intelligent et avisé ; que la publicité emphatique n'est pas interdite par la loi ; qu'en l'espèce, le document publicitaire litigieux informait le destinataire qu'il avait été "officiellement désigné pour recevoir son poids en or" ; qu'aucune personne de bon sens ne pouvait raisonnablement croire qu'elle avait gagné l'équivalent de son poids en or ; que le renvoi, après les mots "poids en or", à la mention "1 décigramme environ", signifiait sans ambiguïté possible que le lot gagné consistait dans un poids en or pesant environ 1 décigramme ; que, dès lors, en se bornant à relever que les parties civiles avaient été induites en erreur, sans rechercher si la publicité litigieuse pouvait raisonnablement tromper un consommateur moyen, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen ;
2 )"alors que le prévenu avait fait valoir qu'aucun renseignement sur leur poids n'avait été demandé aux destinataires du document publicitaire litigieux, ce qui rendait impossible l'attribution d'un lot représentant la contre-valeur du leur poids en or et excluait par là même qu'il pût s'agir d'un tel lot ; qu'en délaissant ce moyen péremptoire de défense, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
3 )"alors que la publicité trompeuse est une infraction de négligence ; qu'en se bornant à relever que la publicité litigieuse était trompeuse sans constater que le prévenu aurait négligé de vérifier la sincérité et la véracité du message publicitaire avant d'en assurer la diffusion, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément moral de l'infraction poursuivie et a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen" ; Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, après avoir écarté l'exception de chose jugée, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit de publicité trompeuse dont elle a déclaré le prévenu coupable et ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice découlant de cette infraction ; d'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en discussion l'appréciation souveraine, par les juges du fond, du caractère individualisé et trompeur de la publicité incriminée, ne sauraient être accueillis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette le pourvoi.