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Décisions

CA Douai, 6e ch. corr., 21 octobre 1993, n° 1123

DOUAI

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Confédération Syndicale des Familles, Fédération des Familles, Union Fédérale des Consommateurs de Rennes, Peyaud, Richard, Gardes, Slupianeu, Distretti, Bogdanoff, Eisenstein, Paumero, Ventura

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Michel

Substitut :

général: M. Chaillet

Conseillers :

MM. Lambret, Kantor

Avocats :

Mes Perrin, Lefevre, Toulet, Ferval.

TGI Lille, du 27 mars 1992

27 mars 1992

Par jugement contradictoire en date du 27 mars 1992, le Tribunal correctionnel de Lille, auquel il convient de se reporter pour l'exposé des demandes présentées par les parties à l'instance, a condamné M. Daniel R et M. Jean-Jacques V chacun à la peine de 30 000 F d'amende et à titre complémentaire à la publication par extrait du jugement dans les journaux Le Figaro, Le Monde, 50 Millions de Consommateurs et le catalogue X.

La SARL X a été déclarée civilement responsable des condamnations prononcées. M. R et M. V ont été condamnés au paiement des frais et dépens.

Au plan civil, le tribunal a reçu les constitutions des parties civiles.

M. R et M. V ont été condamnés à leur payer les sommes de 2 500 F à titre de dommages-intérêts pour celles qui se sont constituées par lettre recommandée ou représentées et de 1 500 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale aux parties civiles représentées avec intérêts au taux légal à compter du jugement.

Ce jugement a été frappé d'appel le 31 mars par M. V et M. R, le 3 avril par le Ministère Public et Mme Peyaud, le 9 avril par la Confédération Syndicale des Familles.

Conclusions d'irrecevabilité de la citation et de disjonction de M. V:

Avant toute défense au fond, le conseil de M. V a demandé que la citation soit déclarée "irrecevable" et que le cas de son client soit disjoint.

LA COUR, après avoir entendu les parties a joint l'incident au fond.

Il est exposé que la citation délivrée à V serait irrégulière, que V ne travaille plus depuis des années à X alors qu'il a été cité au siège de cette entreprise et que les conclusions qu'il a déposées comportent son adresse, qu'il a reçu la citation de façon informelle et tardive et qu'il n'a pas été à même de préparer sa défense.

L'examen des pièces du dossier montre que M. V a été cité à comparaître en première instance au siège de l'entreprise X, le jugement attaqué a été rendu contradictoirement à son égard. Le prévenu en a relevé appel dans le délai légal par l'intermédiaire de son conseil et a expressément donné comme étant son adresse le siège de l'entreprise X <adresse>.

V a été cité à cette adresse le 8 juin 1993 pour l'audience du 21 juin 1993, l'acte a été reçu par une employée d'X qui l'a retransmis au prévenu.

Devant la cour, V a comparu assisté de son conseil.

Il est constant que la cour est saisie non par la citation qui n'a d'autre but que de faire connaître la date d'audience mais par l'acte d'appel.

Les griefs invoqués par la défense d'atteinte à ses droits ne sont pas établis alors qu'une citation régulière a été délivrée dans le délai légal, à l'adresse fournie par le prévenu dans l'acte d'appel et qu'il s'est présenté à l'audience assisté d'un avocat.

La citation attaquée n'est donc pas irrégulière.

En conséquence, la demande de déclaration d'irrecevabilité de la citation et de disjonction du cas de V n'apparaît pas justifiée et sera rejetée l'arrêt étant contradictoire à son égard.

Sur la délégation de pouvoirs:

Il résulte des déclarations faites à l'audience par les prévenus que la SARL X est dirigée par M. R gérant salarié qui n'aurait aucune part dans le capital de cette entreprise, celui-ci serait détenu en totalité par une entreprise V ayant son siège aux Pays-Bas.

L'objet de la SARL X est la vente par correspondance, son chiffre d'affaires annuel est de 280 millions de F, elle emploie 120 personnes dont 12 cadres.

M. V exerçait la profession de directeur commercial et avait pour mission de promouvoir les jeux ou loteries qui accompagneraient systématiquement les envois de catalogue.

La part de la publicité selon les prévenus représentait environ 30 % du chiffre d'affaires annuel.

M. V, qui signait les jeux sous le nom de Vanneau, indiquait qu'il les remettait lors des réunions d'entreprises à la direction et que l'envoi massif des pièces aux particuliers résultait de telles réunions.

M. R prétend avoir donné une délégation de pouvoirs à M. V en date du 1er décembre 1987.

Dans cette pièce, il est indiqué "qu'à l'intérieur de ses fonctions de directeur commercial figure la responsabilité de prévoir, préparer, organiser et assurer l'exécution des différents jeux promotionnels organisés dans la société". "Il va sans dire que ceci doit bien entendu être réalisé dans le cadre des lois, réglementations et déontologies professionnelles existantes".

Il s'agit en réalité d'une définition des fonctions et non d'une délégation réelle de pouvoirsdéniée comme il a été indiqué ci-dessus par le fonctionnement de l'entreprise.

Au surplus, la délégation de pouvoirs est susceptible d'exonérer la responsabilité pénale du chef d'entreprise en matière de publicité mensongère s'il rapporte la preuve qu'il l'a donnée à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et de moyens nécessaires.

La preuve incombe à celui qui l'invoque en l'espèce à M. R lequel n'établit pas que M. V disposait des moyens notamment financiers utiles à l'accomplissement de sa mission. La responsabilité de M. R est donc à bon droit recherchée.

Il apparaît en outre des pièces du dossier que M. V a concouru de manière active à la réalisation des faits en cause en liaison avec M. R et doit être maintenu dans la cause.

Les faits et la culpabilité:

Le Grand Jeu BMW est un jeu lui-même composé de plusieurs jeux, s'intégrant dans une opération plus vaste dénommée grand tirage de fin d'année 1990 dont chaque élément doit être examiné.

I - Le Grand Jeu BMW:

Chaque destinataire recevait des documents établis sous la responsabilité du directeur commercial M. V et du gérant M. R.

Le Grand Jeu BMW a été transmis par voie postale à partir du 20 décembre 1989 à 1 500 000 exemplaires.

L'examen de ces pièces montrait que le jeu BMW est constitué de deux loteries et d'une vente avec prime.

Aux termes des textes en vigueur, les loteries sont nécessairement gratuites et sans obligation d'achat. La vente avec prime est réglementaire, la prime est d'un montant faible.

Tout destinataire peut en droit, et au vu même du règlement d'X, participer à la loterie et en cas de commande bénéficier de la prime de faible valeur.

Le destinataire reçoit, outre le catalogue X, plusieurs pièces où les écritures sont nombreuses, le nom et l'adresse figurent à plusieurs reprises notamment à proximité du premier prix. Les termes: gagnant gratuit prioritaire apparaissent à différents endroits de ces documents dont l'objet est de laisser croire au destinataire qu'il bénéficie d'une faveur spéciale.

Première loterie:

La première loterie est présentée avec plusieurs photographies en couleur de lots dont un véhicule de marque BMW.

Le client potentiel est invité à une démarche active susceptible de créer un conditionnement psychologique.

Il constate l'existence d'un unique code gagnant BMW dans son courrier personnalisé, il lui est attribué un code, il est invité à rechercher sous l'autocollant figurant sur une photographie d'une BMW si ce code y figure bien. Ce code donné à tous est le numéro BMW 987245.

La conclusion d'X en petits caractères au milieu des termes Félicitations, gagnants est de préciser que le destinataire a gagné le droit d'être "candidat".

Il doit être observé que tout ce montage n'a donné aucun avantage au destinataire puisqu'il a déjà eu droit à la possibilité de jouer à ce jeu.

"L'unique code gagnant" n'a donc pour X aucune importance, seul compte le numéro personnel du destinataire.

Celui-ci doit ensuite coller une vignette détachable pour préciser s'il désire recevoir une BMW ou 152 500 F en espèce.

Cette vignette est collée sur un bon de participation joint à un bon de commande de telle sorte que le client potentiel qui ne maîtrise pas parfaitement les textes en vigueur sur les loteries peut imaginer qu'il s'agisse d'une même pièce.

Deuxième loterie:

La deuxième loterie a pour effet d'inciter le destinataire à retourner sa réponse avant le délai de 10 jours. Il participera ainsi au "super prix pactole 1990 de 200 000 F".

A la lecture des pièces contradictoires X peut ne s'engager à verser un lot de 50 000 F qu'au seul réel gagnant dont il sera en outre question plus loin, et à la condition supplémentaire que celui-ci "réagisse" dans le court délai fixé.

Vente avec prime:

La vente avec prime, consistant en l'espèce en une montre à quartz, est dans le jeu BMW associé à un prétendu autre code, le destinataire se voit attribué le code A407 et doit vérifier si son "enveloppe de commande prioritaire" comporte effectivement ce code.

Il apparaîtra, fait non contesté, que ce "code" était imprimé sur tous les envois.

Diffusion:

Le Grand Jeu a été diffusé par voie postale. X mélange ces trois jeux qui dans l'esprit du consommateur représentent un véritable amalgame.

II - Le tirage au sort:

Le "Grand Jeu BMW" est intégré dans le "Grand Tirage du Nouvel An" lequel est composé de six jeux X.

Le 18 décembre 1989 un tirage au sort de 17 gagnants est effectué par un huissier de justice sur le fondement non pas de "l'unique code gagnant BMW" mais des numéros personnels des destinataires.

Les lots étaient affectés entre les jeux si bien que le Grand Jeu BMW n'était pas attributaire de tous les prix figurant par écrit et sur photographie dans les imprimés.

La BMW est indiquée comme gain possible alors qu'elle ne faisait pas partie de la dotation des jeux.

Le constat d'huissier de justice précisait ainsi que le premier prix du "Grand Tirage" était un lot d'une valeur de 150 000 F alors que les publicités mentionnaient une voiture ou sa contre valeur en espèces soit 152 500 F.

De même, les 3e, 4e, 5e et 6e prix du Grand Jeu BMW ont été attribués à d'autres jeux du Grand Tirage selon le constat d'huissier.

Il apparaissait ainsi qu'aucun des destinataires n'avaient de chance de gagner les lots indiqués malgré les efforts inutiles qu'il sera invité à faire après le tirage.

X indique pour sa défense que la pratique du "groupage" de jeux est légale et annoncée dans son règlement aux articles 1 et 4, le consommateur ne pouvait être trompé.

Les articles 1 et 4 du règlement sont ainsi libellés "Le Grand Jeu BMW fait partie du Grand Tirage du Nouvel An 1990". "Les prix mis en jeu pour le Grand Jeu BMW 1990" sont:

1 - une BMW avec accessoires d'une valeur de 152 500 F ou 152 522 F en espèces.

2 - des vacances au choix pour deux personnes d'une valeur de 20 000 F.

3 - de l'essence pour une valeur de 5 000 F ou 5 000 en espèces.

4 - lecteur de cassettes CD d'une valeur de 2 500 F.

5 - un auto-radio/lecteur de cassettes d'une valeur de 2 000 F.

6 - un nécessaire dépannage voiture d'une valeur de 1 000 F.

7 - plus de 1 000 cartes routières d'Europe d'une valeur de 50 F.

S'il réagit sous 10 jours, le gagnant du premier prix gagnera 50 000 F supplémentaires. Tous ces prix font également partie de la dotation d'autres jeux du Grand Tirage de Nouvel an 1990.

Le lecteur de ce règlement ne pouvait en réalité être suffisamment informé car une ambiguïté réside sur le terme "faire partie" qui en français a le double sens soit d'élément constitutif c'est-à-dire qu'il constitue un tout qui s'ajoute à d'autres, soit de partie d'un tout avec une idée de retrait. X ne peut valablement prétendre que le consommateur est ainsi suffisamment informé.

Sur l'action publique:

Les éléments constitutifs du délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur sont dès lors effectivement caractérisés à l'égard des prévenus.

Ces faits méritent d'être sanctionnés avec vigueur en raison de leur caractère professionnel et de la stratégie commerciale qu'elle implique qui vise non seulement le "consommateur moyen" mais aussi des personnes en situation de faiblesse morale ou matérielle.

Il sera tenu compte de la personnalité de chaque prévenu.

Le jugement doit être confirmé sur le principe de la culpabilité mais les pénalités seront adaptées aux éléments de l'espèce.

Sur l'action civile:

Les parties civiles non appelantes ne peuvent obtenir malgré leurs demandes en appel au delà de ce qu'elles ont obtenues, le jugement compte tenu des éléments de l'espèce sera confirmé à leur égard.

Toutefois, il apparaît inéquitable de laisser à la charge des parties civiles appelantes ou intimées présentes ou représentées les frais irrépétibles du procès.

La Confédération Syndicale des Familles appelante se verra allouer la somme obtenue en première instance la décision étant confirmée de ce chef.

Mme Peyaud demeurant à Antony (92160) appelante, demande, par l'intermédiaire de son Conseil, qu'il lui soit attribuée la somme de 200 000 F correspondant à la valeur de la BMW et du prix express outre 10 000 F au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Il résulte des éléments de l'affaire que X n'a pas, malgré certaines apparences, établi dans le Grand Jeu BMW à l'égard des destinataires une reconnaissance de dette valable en termes de contrats à hauteur des sommes indiquées.

Mme Peyaud n'est fondée à réclamer que le montant des dommages résultant de l'infraction. Le fait que celle-ci ait dû devoir engager des dépenses importantes après avoir reçu l'imprimé d'X ne découle pas directement en droit du fait incriminé.

Le jugement doit être également confirmé, toutefois Mme Peyaud est susceptible de bénéficier d'indemnités au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

M. Robert Jallerat se déclare appelant par lettre toutefois sa constitution de partie civile n'ayant pas été reçue en première instance est irrecevable devant la cour d'appel.

Par ces motifs: Et ceux non contraires des premiers juges qui sont expressément adoptés, LA COUR, statuant publiquement, par défaut à l'égard du civilement responsable, de la Fédération des Familles, de l'Union Fédérale des Consommateurs de Rennes, de M. Slupianeu, de Mme Distretti, de Mme Bogdanoff, de Mme Eisenstein, de M. Paumero, de M. Ventura, par arrêt contradictoire à signifier à l'égard de M. Richard, et contradictoirement à l'égard des autres parties. Rejette l'exception d'irrecevabilité de la citation et de disjonction de M. V. Confirme le jugement entrepris sur la culpabilité des prévenus. Et l'infirmant quant aux pénalités. Condamne: M. R à six mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 F (trente mille francs) d'amende. M. V à trois mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 F d'amende. Ordonne la publication par extrait du présent arrêt dans Le Monde, Le Figaro, L'Événement du Jeudi, 50 Millions de Consommateurs, La Voix du Nord et le catalogue X sans que le coût de chaque insertion n'excède 6 500 F (six mille cinq cents francs). Sur l'action civile: Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions y compris celles relatives à l'allocation d'une indemnité au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Déboute les parties civiles appelantes du surplus de leur demande. Condamne les prévenus et le civilement responsable à payer, en cause d'appel, solidairement aux parties civiles appelantes ou intimées, présentes ou représentées à l'audience telles que ces mentions figurent au présent arrêt la somme de 1 500 F (mille cinq cents francs) à chacune d'entre elle au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Condamne les prévenus aux dépens de l'action civile. "La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F (huit cents francs) dont est redevable chaque condamné".