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Décisions

CA Poitiers, ch. civ. sect. 1, 6 janvier 1993, n° 1473-91

POITIERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Langlois

Défendeur :

Ompex GmbH (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Egal

Conseillers :

Mme Meniche, Mlle Lafon

Avoués :

SCP Gallet, Me Musereau Drouineau Rosaz

Avocats :

Mes Blet, Wagner

TGI Poitiers, du 18 mars 1991

18 mars 1991

Faits et procédure:

Courant 1989 Mme Geneviève Langlois a reçu de la société Ompex divers documents publicitaires et un catalogue de vente par correspondance faisant état du fait que son nom avait été retenu pour participer à un jeu dans le cadre duquel divers lots étaient attribués.

Mme Langlois était amenée à passer une commande dans la perspective du gain d'un lot de 60 000 F qui semblait lui être attribué dans le cadre du "prix du 4e tirage".

Postérieurement, malgré plusieurs demandes adressées par lettres recommandées avec avis de réception, Mme Langlois n'obtint aucun prix et se vit uniquement adresser un pendentif dit "zodiacal" sans valeur marchande.

Par acte en date du 13 juin 1990 Mme Langlois a assigné la société Ompex devant le Tribunal de grande instance de Poitiers afin de l'entendre condamner au paiement de la somme de 60 000 F montant du prix avec intérêts de droit à compter de l'assignation.

Par jugement en date du 18 mars 1991 le Tribunal de grande instance de Poitiers a:

- débouté Mme Langlois de sa demande,

- condamné Mme Langlois aux dépens.

Mme Langlois a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A l'appui de son appel, elle indique:

- que les documents publicitaires qu'elle a reçus font état du fait qu'elle a gagné un deuxième prix de 60 000 F sans mention de l'existence d'un quelconque bijou,

- que le bijou "zodiacal" qu'elle a reçu n'a rien à voir avec son prix contrairement à ce qu'a jugé par erreur le tribunal dès lors qu'il a été reçu dès la première commande,

- que la société Ompex pour preuve de sa bonne foi ne communique pas la liste des gagnants et la preuve de la remise à ces derniers des bijoux qui d'après elle constituaient leurs prix attribués dans le cadre du 4e tirage,

- que l'analyse à laquelle s'est livré le tribunal démontre le caractère tendancieux des documents qui lui ont été adressés par la société Ompex et qui tendaient à lui faire croire qu'elle avait gagné 60 000 F,

- que la société Ompex a donc commis une faute justifiant l'allocation de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

Elle sollicite donc l'allocation d'une somme de 60 000 F à titre de dommages et intérêts outre 3 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

La société Ompex rétorque:

- que le deuxième prix dont fait état Mme Langlois représentait la valeur totale de tous les bijoux gagnés par le deuxième prix,

- que les documents adressés à Mme Langlois précisaient qu'elle avait gagné un bijou en l'occurrence le pendentif zodiacal qu'elle reconnaît avoir reçu et qui correspond à la description du 2e prix du 4e tirage décrit au verso du document intitulé "2e information du gagnant du 4e tirage",

- que l'analyse des premiers juges qui a rapproché du document de "2e information au gagnant du 4e tirage" le texte figurant au-dessus du bon de commande apparaît fondée.

Elle sollicite donc le rejet de l'appel interjeté par Mme Langlois et la confirmation du jugement entrepris.

La procédure a été clôturée par une ordonnance en date du 12 novembre 1991.

Motifs

Attendu qu'il résulte des documents versés aux débats et dont la teneur n'est contestée par aucune des parties:

- que Mme Langlois a reçu une première documentation jointe à un bon de commande l'informant qu'elle avait gagné un pendentif zodiacal avec pierre précieuse et que si elle passait commande elle recevrait plus vite un second prix;

- qu'elle a passé une commande dont la livraison, au-demeurant non conforme à ses souhaits, lui a permis d'entrer en possession du pendentif avec pierre qui lui avait été promis initialement,

- qu'elle a reçu en outre un document intitulé "2e information aux gagnants du 4e tirage", l'informant en ces termes "maintenant c'est certain vous avez gagné un deuxième prix" au titre du 5e tirage;

Attendu que ce document comportait au verso une définition des prix attribués dans les termes suivants "2e prix: 60 000 F" complétés de la mention "les prix suivants seront remis lors du 4e tirage: 2e prix bijoux avec pierres précieuses";

Attendu que la société Ompex imposait simplement à l'heureux gagnant qui désirait entrer en possession de son prix:

- soit de mettre immédiatement le bon de commande dans l'enveloppe réponse,

- soit à défaut de commande de coller la demande de prix constituée d'une vignette dorée au dos de l'enveloppe réponse;

Attendu que dans le cadre de ses écritures d'appel de la société Ompex ne conteste plus que Mme Langlois ait rempli l'une de ces deux conditions pour entrer en possession du prix qui lui était attribué dans le cadre du 4e tirage;

Attendu également que la société Ompex ne peut arguer du fait que Mme Langlois serait entrée en possession dudit prix dès lors que le pendentif "zodiacal" qui lui a été adressé correspond en réalité au premier bijou joint à sa première commande, attribué semble-t-il dans le cadre d'un tirage vraisemblablement accordé à tous les clients potentiels;

Attendu en outre que la rédaction du document intitulé "2e information aux gagnants du 4e tirage", compte tenu des termes utilisés, notamment du fait que le "2e prix" était défini comme portant sur une valeur de 60 000 F constituée "de bijou avec pierres précieuses" sans allusion à une quelconque division de ce dernier entre divers attributaires était de nature à persuader Mme Langlois que son numéro tiré au sort lui avait permis de se voir attribuer un prix d'une valeur de 60 000 F;

Attendu d'ailleurs que la société Ompex ne justifie pas à l'appui de son argumentation de l'identité éventuelle des autres gagnants du "2e prix", du caractère effectif de la remise d'un prix à chacun d'entre eux et de la nature de ce dernier ainsi que de sa valeur;

Attendu dès lors que le comportement de la société Ompex qui a conduit Mme Langlois à se convaincre légitimement mais de manière illusoire du gain d'un prix de 60 000 F est constitutif pour le moins d'une faute civile au sens de l'article 1382 du Code civil; que cette faute est à l'origine d'un préjudice pour Mme Langlois puisqu'elle a fait naître en elle une fausse espérance à des fins purement mercantiles; que ce dernier doit être compensé, compte tenu des circonstances, par l'allocation d'une somme de 60 000 F; qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs: LA COUR, infirme le jugement entrepris, y substituant, condamne la société Ompex à payer à Mme Geneviève Langlois la somme de 60 000 F, condamne la société Ompex aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide judiciaire.