Conseil Conc., 13 juin 2003, n° 03-D-29
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre par les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France dans le secteur du matériel médical de la circulation extracorporelle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Deparis, en remplacement de Mme Bergaentzle, empêchée, par Mme Pasturel, vice-présidente, présidant la séance, Mme Perrot, MM. Gauron, Piot, Ripotot, membres.
Le Conseil de la concurrence (section IV),
Vu la lettre enregistrée le 13 novembre 1998, sous le numéro F 1097, par laquelle le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence, sur le fondement de l'article L. 462-5 du Code de commerce, d'un dossier relatif à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du matériel médical de la circulation extracorporelle ; vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; vu les observations présentées par les sociétés Sorin Biomedica France et Dideco France et par le commissaire du Gouvernement ; vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Sorin Biomédica France entendus au cours de la séance du 15 avril 2003, en présence de la société Dideco France ;
Adopte la décision suivante :
I. - CONSTATATIONS
A. - Le secteur concerné
1. Le principe de la Circulation Extracorporelle (CEC)
1- Sur le plan physiologique, le cour est une pompe aspirante-foulante qui propulse le sang oxygéné fourni par les poumons à toutes les cellules de l'organisme. La circulation extracorporelle (CEC) est une technique permettant de remplacer totalement ou partiellement les fonctions cardiaques et pulmonaires d'un organisme lors des opérations chirurgicales et de pratiquer une opération sur un cour immobile et exsangue, en dérivant le sang veineux du patient vers une machine dite "CEC" où il est oxygéné puis propulsé à nouveau dans la circulation artérielle systémique. Le chirurgien peut ainsi travailler dans des conditions plus aisées.
2- La mise en œuvre de la CEC consiste matériellement à canaliser le sang qui arrive au coeur au niveau des veines caves supérieure et inférieure grâce à deux canules en plastique qui, de façon étanche, vont le drainer par gravité vers un oxygénateur. Cet appareil oxygène le sang et, à sa sortie, ce sang oxygéné est pris en charge par le coeur artificiel (pompe) et réinjecté au malade au niveau, le plus souvent, de la crosse aortique. Le sang réinjecté sous pression s'écoule alors dans deux directions. Vers l'amont, il va irriguer les artères coronaires nourricières du coeur et, vers l'aval, l'ensemble des cellules de l'organisme. Dans le cas où la valve aortique est incontinente ou à changer, le reflux sanguin va gêner le chirurgien. Dans ce cas, un clamp est placé entre le site d'injection aortique et le coeur, ce qui fait que les artères coronaires, ne recevant plus de sang, n'assurent plus leur rôle nutritionnel. Une technique particulière, la cardioplégie permet de pallier cet inconvénient.
2. Les produits et les matériels nécessaires à la réalisation de la CEC
a) Les oxygénateurs
3- Ils ont pour objet d'oxygéner, de ventiler et de contrôler la température du sang. Ils remplissent la fonction d'un poumon artificiel. Il en existe de deux sortes: à bulles ou à membrane. Depuis 1985, les oxygénateurs à membrane prennent une part de plus en plus importante du marché. Les oxygénateurs de ce type étaient majoritairement utilisés jusqu'à une époque récente (97 % en 1994 et plus de 98 % en 1995). Les oxygénateurs sont à usage unique.
b) Les pompes
4- Les pompes sont reliées à l'oxygénateur et en assurent tant la mise en œuvre que le fonctionnement. Il existe trois types de pompes actuellement utilisées en CEC: la pompe occlusive à galets, les pompes à galets non occlusives ou à corps tendu, les pompes centrifuges.
c) Les échangeurs thermiques
5- Pour mieux oxygéner le malade, il est nécessaire de pratiquer une hypothermie, c'est-à-dire un abaissement au-dessous de la normale de la température du corps. Pour ce faire, on utilise des échangeurs thermiques généralement intégrés dans l'oxygénateur, constitués de deux compartiments séparés par une paroi métallique ou plastique. L'un de ces compartiments est traversé par le sang du malade, l'autre par de l'eau dont on peut faire varier la température et ainsi modifier la température du sang.
d) Les aspirations et le réservoir de cardiotomie
6- Celles-ci sont rendues nécessaires par les saignements qui peuvent survenir dans les cavités cardiaques au cours des opérations. Ce saignement est de l'ordre de 500 ml/mn, soit 30 l/H : il est donc impossible de rejeter ce sang en aspiration perdue. Un système de canules d'aspiration actionné par des pompes permet de l'évacuer et le sang ainsi récolté par l'intermédiaire d'un réservoir dit de "cardiotomie" est filtré, oxygéné puis réinjecté au malade. Il existe, en général, trois canules d'aspiration : l'une pour le coeur droit, l'autre pour le coeur gauche et la troisième pour le champs opératoire. Ces canules d'aspiration sont actionnées par trois pompes distinctes.
e) les produits utilisés
7- Les oxygénateurs, les pompes et les échangeurs thermiques, c'est-à-dire tout le matériel constitutif de la circulation extracorporelle, sont reliés par un système de tuyauterie en plastique qui permet d'assurer la connexion du coeur-poumon artificiel au corps du malade. Tout cet ensemble se présente de façon étanche, stérile et vide de liquide. Avant le branchement sur le malade, il est nécessaire de remplir ce système par un fluide afin de le débarrasser de toutes les bulles d'air qui pourraient s'y trouver. C'est le processus de l'hémoconcentration.
8- Enfin, pour opérer sur un coeur, il faut qu'il soit arrêté et préservé de toute ischémie, c'est-à-dire qu'il ne doit plus recevoir de sang. La cardioplégie, réalisée par l'injection, à l'aide d'une pompe, avant l'intervention cardiaque, d'un liquide cristalloïde ou du sang contenant de fortes doses de potassium, permet un arrêt cardiaque, limité dans le temps, nécessaire pour opérer un coeur.
f) le set
9- Un circuit complet de CEC comprend un oxygénateur, un réservoir de cardiotomie, des tubulures avec cellule de mesure de saturation veineuse en gaz carbonique, un échangeur thermique, un set d'hémoconcentrateur et un set de cardioplégie. Les produits offerts sont soit des produits standards qui sont identiques, soit des produits spéciaux qui répondent à des besoins spécifiques. Dans les produits spéciaux sont intégrés des produits standards dans des configurations différentes: circuits avec ou sans oxygénateur, sets de cardiologie, sets d'hémoconcentration. Le circuit complet s'adapte sur des pompes, matériels lourds qui sont à usage multiple et souvent vendues par d'autres divisions des mêmes laboratoires ou sociétés qui commercialisent la CEC.
3. La demande
10- La demande de matériel médical de CEC émane des centres hospitaliers publics et cliniques privées pratiquant des opérations chirurgicales à coeur ouvert. En 1994 et 1995, 64 établissements - 43 établissements publics et 21 établissements privés - disposaient de services de cardiologie chirurgicale.
11- Le processus de décision, notamment dans le secteur public, fait intervenir plusieurs acteurs à des niveaux différents : le chef de service qui est généralement l'interlocuteur privilégié, le perfusionniste également intéressé au premier chef puisqu'il utilise le matériel de la CEC, les pharmaciens et enfin les services économiques des centres qui font valoir les préoccupations budgétaires, surtout en phase de restriction, et qui peuvent, en dernière analyse, peser sur les décisions d'achat. Les décisions sont prises de concert. Le rôle des agents commerciaux est essentiel pour établir une relation de confiance en amont et fidéliser, par des contacts suivis, des formations ou des soutiens matériels, les services hospitaliers intervenant dans le domaine de la CEC.
12- Les appels d'offre des hôpitaux publics concernant l'achat de matériels et de produits de CEC sont soumis aux règles communes régissant les marchés publics. Les relations commerciales entre les hôpitaux et les laboratoires pharmaceutiques sont régies par les dispositions introduites par la loi DMOS du 27 janvier 1993, à l'article L. 365-1 devenu l'article L. 4113-6 du Code de la santé publique, qui confie aux conseils départementaux de l'ordre des médecins le soin de donner un avis conforme sur les avantages en nature, ou en espèces, donnés par les entreprises aux établissements publics dans le cadre de travaux de recherche. Par ailleurs, le matériel médical de type chirurgical proposé par les sociétés offrant à la vente du matériel et des produits de CEC doit répondre aux normes et aux procédures d'homologation énoncées par le Code de la santé publique.
4. Les sociétés présentes sur le marché
13- Sur le territoire national, les principales sociétés fournissant des matériels de CEC sont les sociétés filiales de grands groupes internationaux pour lesquels la commercialisation de matériels de la CEC ne représente qu'une partie de leurs activités. Elles fournissent bien souvent le matériel lourd. D'autres sociétés peuvent intervenir, mais leurs parts de marché sont très résiduelles.
4-1. La société Bard
14- Cette société, selon son directeur commercial et marketing cardio-pulmonaire, entendu le 16 décembre 1997, est une filiale à 100 % du groupe américain CR Bard ; son chiffre d'affaires était, en 1997, d'environ 300 millions de francs depuis trois ans et elle employait alors 145 personnes. La CEC correspondait à 13 % de l'activité de cette société. Sa part de marché était alors estimée à 18, voire 19 % du total de la CEC.
15- La société Bard disposait d'une gamme de produits appelée "Quantum". Cette gamme comprenait, notamment, un oxygénateur à membranes, un réservoir de cardiotomie et veineux, un oxygénateur à membranes avec réservoir de cardiotomie et veineux intégré et un oxygénateur à membranes avec réservoir veineux souple.
4-2. La société Baxter
16- La société Baxter appartient au groupe américain Baxter et, selon son directeur des ventes et du marketing entendu le 7 janvier 1998, détenait environ 12 à 14 % du volume du marché de la CEC. Les chiffres d'affaires réalisés par la société étaient de 34,6 MF en 1995, de 30,9 MF en 1996 et de 26,4 MF en 1997.
17- Cette société disposait de deux gammes d'oxygénateurs, Duraflo II et Spiragold. Le prix des oxygénateurs à membranes variait, au moment des faits, de 3 855 F HT à 5 962 F HT et le prix des oxygénateurs à bulles était de 2 990 F HT.
4-3. La société Cobe
18- Selon son directeur commercial, entendu le 18 décembre 1998, cette société appartient au groupe suédois Gambro et commercialise des produits cardio-vasculaires et de transfusion sanguine depuis une vingtaine d'années. Son chiffre d'affaires était alors de 80 MF dont 35 MF pour le cardio-vasculaire et 45 MF pour la transfusion. La part de marché de la CEC est d'environ 18 à 20 % sur le nombre d'oxygénateurs en France.
19- Cette société disposait d'une gamme d'oxygénateurs appelés "Optima". Le prix d'un oxygénateur, comprenant une poche souple et un réservoir de cardiotomie était de 2 600 F HT en 1995.
4-4. La société Jostra
20- La société Jostra est une filiale à 100 % de Jostra Medzintchnik AG, société de droit allemand. Elle commercialise tous les produits de Jostra Allemagne et Jostra Suède dans le domaine de la chirurgie cardiaque et notamment la CEC. La part de marché de cette société était, en 1997, estimée à moins de 10 % du marché pour les consommables (oxygénateurs, circuits.) mais elle vend aussi des consoles qui représentaient 50 % de part des ventes depuis 1994. Le chiffre d'affaires de cette société, en 1996, était de 8 millions, en 1995, de 5 millions, en 1994, de moins de 3 millions. Le consommable de la CEC représentait 60 % du chiffre d'affaires.
21- La société Jostra commercialisait, notamment, une gamme d'oxygénateurs appelée "Quadrox". En 1995, l'oxygénateur à membranes coûtait 3 200 F HT et l'oxygénateur adulte à bulles, 3 800 F HT. La société Jostra commercialisait également des réservoirs de cardiotomie, des poches, des filtres, des hémoconcentrateurs, des échangeurs thermiques et des canules.
4-5. La société Medtronic
22- La société Medtronic a pour principal actionnaire Medtronic Inc. Minneapolis. La société employait, en 1997, cent personnes. Les chiffres d'affaires globaux pour les années 1995, 1996 et 1997 étaient respectivement de 457 MF, 501 MF et 603 MF.
23- En matière d'oxygénateur, la société Medtronic dispose d'une gamme "Maxima +". Le pack complet coûtait 3 490 F HT, en 1997.
4-6. La société Terumo
24- Terumo France, créée en 1970, est une filiale de Terumo Europe, filiale de Terumo Japon qui produit du matériel médical. Terumo France employait 35 personnes et son chiffre d'affaires global, pour le matériel médical était de 180 millions de francs. Terumo France, pour la CEC, se positionnait au 6e ou 7e rang sur 10 entreprises avec 6 % du marché et le chiffre d'affaires de la CEC était d'environ 6 MF.
25- Cette société vendait des oxygénateurs à membranes relevant d'une gamme appelée "Capiox". Elle commercialisait aussi des filtres artériels, des pièges à bulles, des réservoirs de cardiotomie. Les modèles "Capiox SX" sont adaptables tant aux adultes qu'aux enfants.
4-7 Les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France
26- Ces deux sociétés appartiennent toutes les deux au même groupe. Initialement, une société Sorin Biomédica avait été créée en 1975 en tant que filiale de la SNIA, elle-même filiale de la société Fiat jusqu'en 1998. En 1993, Sorin Biomédica a créé une filiale Dideco Spa. Les sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France sont toutes deux filiales à 100 % de Dideco Spa (p. 194 des annexes du rapport).
Sorin Biomédica France
27- Le siège de Sorin Biomédica France SA est situé Parc de Haute Technologie, 9, rue Georges Besse à Antony. Son activité consiste en la commercialisation d'appareils médicaux chirurgicaux. Au 31 décembre 1996, elle employait 88 salariés. Au moment de l'enquête, le service commercial était dirigé par M. X, alors directeur commercial et marketing et animé par M. Y, responsable commercial, tous deux assistés de deux agent commerciaux, l'un pour la région nord, l'autre pour la région sud. Les chiffres d'affaires globaux de la société ont été de 193,51 MF en 1994, de 186,22 MF en 1995, de 184,16 MF en 1996, de 151 MF en 1997, de 146 MF en 1998 et de 149,5 MF en 1999. Selon les déclarations de M. X recueillies par procès-verbal du 26 janvier 1998, la part de la CEC dans le chiffre d'affaires global a été de 31,4 MF en 1995, de 32,4 MF en 1996 et de 31,8 MF en 1997 (p. 227 du rapport).
28- Sorin Biomédica France commercialise les Monolyths (oxygénateurs à membranes pour adultes) et des circuits. Son plan marketing, pour 1996, décrivait la gamme des produits de la société dans les termes suivants : "La gamme extracorporelle de Sorin Biomédica France est très restreinte, ne reposant que sur un seul produit : le Monolyth. Les autres produits sont obsolètes ou inexistants (absence de produits pédiatriques, absence de canules, absence de matériel lourd et de monitorisation, etc..." (p. 335 du rapport). Entendu par la rapporteure le 29 octobre 2001 (p. 231 du rapport), M. X, directeur commercial, a précisé que : "Sorin Biomédica France vend environ 80 % de packs complets (les Monopacks) et 20 % d'oxygénateurs de base. Les Monopacks sont destinés à répondre à des demandes précises des utilisateurs. Ils intègrent notamment des packs avec ou sans oxygénateur, des packs de cardioplégie et des packs d'hémoconcentration. Les packs ne comprennent pas les canules". Selon les tarifs 1997 de la société Sorin Biomédica France, le prix du Monolyth, oxygénateur à membranes, variait de 2 700 F HT à 3 540 F HT. Les prix des réservoirs de cardiotomie s'étageaient de 495 F HT à 600 F HT. Les sets d'hémoconcentration étaient vendus entre 328 F HT et 665 F HT. Le prix des sets de cardioplégie s'établissait à 860 F HT environ (p. 279 à 283 du rapport).
La société Dideco France
29- Le siège de la société Dideco France est également situé Parc de Haute Technologie, 11, rue Georges Besse à Antony. La société comprenait 8 salariés, au 31 décembre 1996. Son activité consiste en la commercialisation d'appareils médicaux chirurgicaux. Au moment des faits, le département commercial était dirigé par M. Z, directeur commercial, et animé par M. A, responsable commercial, tous deux assistés de trois agents commerciaux (p. 202 du rapport). Les chiffres d'affaires de la société étaient de 50 MF en 1995, de 47 MF en 1996 et 1997, de 45,7 MF en 1998 et de 47,6 MF en 1999. Selon les déclarations du 2 février 1998 de M. Z, la part de la CEC dans le chiffre d'affaires global était de 32,15 MF en 1995, de 31,3 MF en 1996 et de 29,4 MF en 1997 (p. 212 du rapport).
30- Le président commun des sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France a déclaré aux enquêteurs, le 5 décembre 1997, "(...) Dideco commercialise les machines coeur-poumon (les pompes), des oxygénateurs à membranes adultes (plus vieux), oxygénateurs à bulles, oxygénateurs pédiatriques, des circuits, des canules, de la cardioplégie et des accessoires. La gamme est plus complète chez Dideco que chez Sorin." (p. 196 du rapport).
31- Lors de son audition du 5 décembre 1997, M. Z, directeur commercial de Dideco, a précisé : "(...) Nous sommes les spécialistes de la pédiatrie. Nous vendons environ 2 000 oxygénateurs à membranes adultes par an... Nous vendons environ 4 000 oxygénateurs pédiatriques." (p. 202 et 203 du rapport). S'agissant des produits, M. Z a complété ses déclarations lors du procès-verbal du 2 février 1998 : "(...)La spécialité de Dideco étant une large gamme en pédiatrie, son offre peut être complémentaire à celle de Sorin Biomédica France. Nous commercialisons les pompes CEC (machine coeur-poumon) qui coûtent de 400 000 F à 700 000 F, ce que Sorin Biomédica France ne fait pas.Nous ne mettons jamais des ensembles complets à disposition des hôpitaux. La vente des pompes représente entre 6 et 12 % des ventes de la CEC, c'est-à-dire entre quatre et six consoles par an." (p. 211 et 212 du rapport).
32- Les tarifs de Dideco France pour l'année 1995 fixent le prix d'un oxygénateur adulte à membranes à 3 500 F HT, le prix d'un oxygénateur adulte à membranes avec réservoir veineux intégré, un circuit CEC et un circuit de cardioplégie à 3 785 F HT et le prix d'un oxygénateur adulte à membranes avec réservoir veineux intégré, outre un circuit CEC et un circuit de cardioplégie avec échangeur thermique à 4 000 F HT (p. 278 du rapport).
5. L'organisation professionnelle
33- Le SNITEM (Syndicat national de l'industrie des technologies médicales) est défini, selon les termes du responsable de la branche CEC, comme : "(...) un syndicat de marché, et non de métier, qui regroupe les industriels du secteur de la santé, englobant tous les dispositifs médicaux en dehors du dentaire et du textile (...) depuis 1987. Nous sommes en charge de la surveillance des aspects réglementaires, techniques, économiques, santé publique (DGS, CNAM). Je suis en charge des affaires européennes. Nous réunissons pratiquement toutes les entreprises de la CEC. Les industriels élisent un conseil d'administration qui se réunit tous les deux mois" (p. 235 du rapport).
6. Le fonctionnement du marché de la CEC
Les dons ou prêts de matériels lourds
34- Selon les déclarations de différents responsables de sociétés, les matériels lourds de type consoles de contre-pulsion ou "coeurs artificiels", les pompes, peuvent être, selon le cas, prêtés ou vendus par les sociétés qui commercialisent, par ailleurs, dans d'autres unités, du matériel de CEC, avec l'espoir de fidéliser la clientèle.
Les prix
35- Les hôpitaux contribuent à former des prix de marché qui varient d'un centre hospitalier à l'autre. Pour des raisons de sécurité d'approvisionnement, les grands centres ne peuvent pas se permettre d'avoir un seul et unique fournisseur. Les prix varient en fonction des quantités. La présence de consultants dans les centres, rémunérés par les fournisseurs, peut aussi influer sur le choix des entreprises.
36- Les prix sont connus, a posteriori, car ils sont publiés au Journal officiel. Par ailleurs, il peut arriver que les prix des concurrents soient communiqués par les pharmaciens ou par le personnel des blocs aux agents commerciaux des différentes entreprises en fonction des liens que ces derniers ont réussi à nouer avec le personnel des centres hospitaliers.
Les ventes
37- Les ventes totales d'oxygénateurs dans les 64 centres hospitaliers pratiquant la CEC ont, selon le syndicat professionnel SNITEM, atteint les quantités suivantes (p. 235 du rapport) :
EMPLACEMENT TABLEAU
Un oxygénateur se vend entre 2 500 F et 4 500 F selon les spécificités.
La position des différents offreurs sur le marché
38- Le marché de la CEC se caractérise par une concentration des entreprises et une forte présence des capitaux internationaux. Le tableau ci-après indique le nombre d'oxygénateurs et de circuits vendus pour les années 1994, 1995, 1996 et 1997 :
EMPLACEMENT TABLEAU
On constate que les ventes d'oxygénateurs et de circuits ont baissé de 7 % en 1997 par rapport à 1994.
39- Le tableau ci-après indique les parts de marché en pourcentage :
EMPLACEMENT TABLEAU
40- Six sociétés sont particulièrement présentes sur le marché de la CEC : Bard, Baxter, Cobe, Dideco, Medtronic et Sorin Biomédica France. Aucune d'elles n'occupe une position dominante. Seules, les sociétés Bard et Medtronic ont progressé sur la période considérée tandis que la société Baxter a vu ses parts de marché diminuer. Les sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France ont vu leur activité fléchir. La société Sorin Biomédica France est demeurée, cependant, leader sur le marché de la CEC et le groupe Sorin Biomédica France et Dideco France réalisait près d'un tiers du marché.
41- En comparant les années 1995 et 1997, on peut relever que les centres ont fait appel à un nombre plus important de fournisseurs pour assurer leur approvisionnement (p. 254 et 255 du rapport). En 1995, sur 64 centres, 12 ont fait appel à un seul fournisseur, 26 à 2 fournisseurs, 14 à 3 fournisseurs, 6 à 4 fournisseurs, 4 à 5 fournisseurs, 2 à 6 fournisseurs. En 1997, sur 64 centres, 4 ont fait appel à un seul fournisseur, 17 à 2 fournisseurs, 14 à 3 fournisseurs, 17 à 4 fournisseurs, 6 à 5 fournisseurs, 4 à 6 fournisseurs et 2 à 8 fournisseurs. On constate donc une dilution croissante des fournisseurs du marché de la CEC.
42- Le chiffre d'affaires global de la CEC n'est pas connu mais il peut être estimé. Si on reprend les chiffres d'affaires annoncés par les sociétés Bard, Baxter, Cobe, Jostra, Terumo, Sorin Biomédica France et Dideco, on obtient un montant total d'environ 170 MF, relativement constant sur les années 1995, 1996 et 1997. Ce chiffre n'inclut pas les sociétés Medtronic, Avecor, Gamida, RMI, Haemonétics, Macchi et Minntech, Pall et Sofracob, lesquelles, si on se réfère au nombre d'oxygénateurs et de circuits qu'elles ont vendus, détiendraient une part de marché d'environ 15 %. Le chiffre d'affaires global moyen annuel sur la période 1994 à 1997 serait donc de l'ordre de 200 MF (12 % pour Medtronic, soit 24 MF et 8 % pour les sociétés Gamida, Avecor, RMI, Macchi et Minntech, Haemonétics, Pall et Sofracob, soit 6 MF).
7. Organisation de Sorin Biomédica France et de Dideco france
43- Sorin Biomédica France et Dideco ont mis en commun leurs services administratif et après-vente, c'est-à-dire l'administration et la logistique. Les services commerciaux et les services de recherche et de développement sont distincts. Les deux sociétés avaient, au moment des faits, le même président, M. B.
7-1. Les services communs
44- Une note d'information de ce président, adressée au personnel le 13 février 1995 et saisie dans les locaux de Sorin Biomedica France, annonce la mise en place de services communs aux deux sociétés : "Dans le cadre d'une optimisation des ressources du groupe et pour améliorer la compétitivité des activités Cardiotech en France, il a été décidé de rapprocher les deux sociétés Dideco et Sorin Biomédica en confiant la gestion administrative et logistique de Dideco à Sorin Biomédica. Les deux sociétés resteront juridiquement séparées ainsi que leurs organisations commerciales. Cette opération sera réalisée courant 1995 et le plan opérationnel sera étudié et réalisé conjointement" (p. 300 du rapport).
45- En effet, un contrat de prestations de services a été signé le 2 avril 1995 par les deux sociétés. Il prévoit un rapprochement de leurs activités qui se traduit par la mise à disposition de locaux par Sorin Biomédica France au profit de Dideco, la prise en charge par Sorin Biomédica France de la comptabilité et du contrôle de gestion des activités de Dideco et de la gestion des stocks et des pièces détachées de Dideco. Sorin Biomédica France facture à Dideco les prestations effectuées au profit de cette dernière (p. 301 à 303 du rapport). Entendu le 5 décembre 1997, le président des deux sociétés a indiqué qu'il n'existait aucun lien juridique entre elles : "(...) Nous avons décidé d'optimiser les services en commun, de gérer les deux sociétés avec un service administratif commun (...) Il n'y a aucun lien direct juridique ou financier entre Dideco France et Sorin (...)" (p. 194 et 195 du rapport).
46- Il a encore précisé que : "L'administration (DAF), la logistique, le SAV, les affaires réglementaires, l'informatique, les services commerciaux et le personnel sont des services gérés par Sorin Biomédica France (salariés payés par Sorin Biomédica France) et mis à disposition des deux sociétés. Mais les commerciaux de Dideco sont salariés de cette entreprise. L'administration des ventes (réception des AO et transmission des propositions) et l'assistance commerciale sont en permanence mises à disposition de Dideco par Sorin Biomédica France." (p. 198 du rapport).
47- Une salariée de Sorin Biomédica France s'occupe des soumissions de Dideco aux appels d'offres. Ainsi que l'a déclaré M. Z, directeur commercial de Dideco : "Les appels d'offres sont reçus chez Dideco par la responsable commerciale (Mme C., salariée de Sorin qui ne travaille que pour Dideco)" (p. 202 du rapport). Selon le président des deux sociétés, les responsables commerciaux fournissent les éléments nécessaires aux réponses aux appels d'offres : "Les appels d'offres arrivent par courrier. Les commerciaux donnent les indications, les modalités, les prix" (p. 197 du rapport).
48- Concernant le service après-vente, M. Z, a déclaré, le 2 février 1998, que : "Le SAV est un service commun entre Sorin et Dideco. Les techniciens de Sorin (3 d'entre eux) se sont spécialisés sur nos produits. Dideco paie cette prestation assurée par Sorin (p. 213 du rapport).
49- Jusqu'à l'année 1999, les activités du groupe liées au secteur cardio-vasculaire étaient regroupées sous l'appellation interne "Cardiotech". M. X, directeur commercial de Sorin Biomedica France a précisé à cet égard, le 5 décembre 1997, "Cardiotech désigne une "business unit" qui regroupe tout le cardio-vasculaire dans le groupe, comprenant donc la CEC de Sorin Biomédica France et Dideco" (p. 217 du rapport). Le 29 octobre 2001, il a indiqué que l'appellation Cardiotech, "peu usitée, a disparu officiellement le 31 mai 1999" (p. 230 du rapport). Il a aussi précisé : "La Business Unit correspond à un secteur d'activité de dimension mondiale avec à sa tête un responsable qui couvre chacune des entités équivalentes dans les filiales. C'est donc une organisation du type matricielle et non pyramidale" (p. 230 du rapport).
7-2. L'indépendance des deux sociétés
50- L'indépendance commerciale des sociétés est affirmée par M. B, président des deux sociétés, dans ses déclarations du 5 décembre 1997 (p. 195 et 196 du rapport) : "(...) Dideco a un directeur commercial (M. Z) et 2 équipes : oxygénation et autotransfusion. 4 personnes s'occupent du marché de la CEC (Ouest, Nord, Est et Sud). Pas de service administratif chez Dideco. Chez Sorin Biomédica France, il y a une direction administrative : comptabilité et informatique, une direction du personnel. Les résultats des ventes des deux sociétés sont gérés par le même système informatique. Mais nous avons deux comptabilités différentes. Le groupe fait la consolidation en Italie. Pour l'oxygénation, chez Sorin Biomédica France, une personne s'occupe des vendeurs (...) et une autre de l'administration des ventes (...). Chez Dideco, une personne s'occupe des vendeurs aussi (assistante commerciale) et une autre de l'administration des ventes (...). Sur le plan commercial, les deux sociétés sont parfaitement autonomes. Les prix sont fixés par les responsables commerciaux en toute indépendance l'une par rapport à l'autre. Si le service administratif est commun pour Sorin Biomédica France et Dideco, en revanche les directions commerciales sont autonomes et indépendantes." (p. 195 et 196 du rapport).
51- Les déclarations de M. Z confirment ces propos : "(...) Seuls les commerciaux sont payés par Dideco". M. X, directeur commercial de Sorin Biomédica France a déclaré pour sa part, le 5 décembre 1997 : "Au niveau marketing et commercial, il existe une autonomie de gestion distincte de Sorin et de Dideco (...) Nous tenons à ce que nos clients sachent que Sorin Biomédica France et Dideco sont deux entreprises distinctes ayant une liberté commerciale et une autonomie de gestion l'une par rapport à l'autre mais faisant partie du même groupe" (p. 220 du rapport).
52- Les services de recherche et de développement sont également distincts, selon le président des deux sociétés : "La recherche et développement est, en Italie, séparée pour Sorin Biomédica France et Dideco mais commune aux USA dans la mesure où il n'existe qu'une société (Sorin Biomédica)".
B. - Les pratiques révélées
1. Les accords généraux de répartition de marchés entre les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France
1-1 La collaboration croisée
53- Une collaboration "croisée" est évoquée dans une note manuscrite de deux pages, datée du 31 janvier 1995, saisie dans le bureau de M. Z, directeur commercial de Dideco. Sur la première page est portée la mention suivante : "Garder deux entités de sociétés mais synergie entre les 2 sociétés". Sur la seconde page figure la mention : "Coleader ship - JM : Marketing - LT : Ventes - sur Cardiotech" et en encadré la mention "collaboration croisée" (p. 304 et 305 du rapport). Les initiales JM et LT correspondent aux noms de M. X, directeur commercial de Sorin et de M. Z, directeur commercial de Dideco.
54- Le 5 décembre 1997, M. Z a précisé : "(...) Ma philosophie consiste à avoir des concurrents à différents degrés. Quand nous disposons des informations utiles nous faisons en sorte de ne pas cannibaliser les produits de Sorin Biomédica." (p. 204 du rapport).
55- Cette approche globale est confirmée par M. X, directeur commercial de Sorin Biomédica France, dans un procès-verbal du 5 décembre 1997 : "(...) La coordination des actions commerciales permet d'éviter la cannibalisation des produits. La stratégie de coordination commerciale du groupe Sorin-Dideco France est orientée contre la concurrence. Elle vise également à limiter les problèmes sur les produits communs, oxygénateurs à membranes adultes (techniquement légèrement différents mais qui répondent au même besoin) entre Sorin et Dideco. Nous sommes convenus de nous concentrer dans les ventes d'hémoconcentrateurs (filtration du sang en fin de CEC) et de moins privilégier la vente de matériel de cardioplégie (système de protection cardiaque). Inversement, Dideco développe ses ventes cardioplégie et nous laisse l'hémoconcentration. La "coordination des actions commerciales" signifie que nous évitons la concurrence interne inutile (cannibalisation entre Sorin et Dideco) pour préférer attaquer les parts de marché des concurrents. Les échanges d'informations entre Sorin et Dideco visent à préserver les parts de marché respectives de l'une ou l'autre société ou à conquérir de nouvelles parts de marché à nos concurrents en évitant au groupe de se cannibaliser, notamment dans les lignes de produits type hémoconcentrateur ou cardioplégie. Nous avons eu deux réunions de coordination avec Dideco sur ce point." (p. 217 et 218 du rapport).
1-2 Les échanges d'informations générales
56- Selon le président des sociétés Sorin Biomédica France et Dideco : "(...) Une "synergie" entre Sorin Biomédica France et Dideco signifie que certaines informations peuvent circuler sur des marchés qui peuvent profiter au groupe" (p. 196 du rapport).
57- Des réunions ont régulièrement lieu entre les dirigeants des deux sociétés. M. Z a déclaré à cet égard, le 5 décembre 1997, "(...) Au cours de réunions que nous avons pu avoir avec Sorin Biomédica France, nous analysons nos parts de marchés respectives et celles de nos concurrents" (p. 203 du rapport).
58- Une note manuscrite en date du 6 mai 1994, saisie dans le bureau de M. Z, adressée à M. D. de la société Dideco, mentionne :
"Meeting Dideco-Sorin- le 06-05-94 - chez Sorin
1) Analyse des centres importants Cardiotech
2) Transfert de produits Dideco vers Sorin et inverse
3) Promotion, invitation et congrès - coordination et synergies
4) Image et messages communs
" et " de différenciation." (p. 295 du rapport).
59- Une autre note manuscrite également saisie dans le bureau de M. Z, portant la mention "Business unit Cardiotech 10-02-95 réunion chez Sorin Biomédica France", comporte, notamment, les chiffres d'affaires globaux, les quantités de matériels vendus entre 1992 et 1995 commercialisés à la fois par Sorin Biomédica France et Dideco ainsi que les parts respectives de marchés en pourcentage de ces sociétés pour les années 1994 et 1995 (p. 306 du rapport).
60- Un tableau, saisi dans le même bureau, montre que les parts de marchés respectives des deux sociétés sont parfaitement connues. Ce tableau présente l'état des ventes d'oxygénateurs dans les centres hospitaliers réalisées par les deux sociétés ainsi que leurs parts de marché respectives en pourcentage pour les années 1994 et 1995 (p. 284 et 285 du rapport).
1-3 Les stratégies communes
61- Au-delà de cet échange d'informations générales, le plan marketing de Sorin Biomédica France pour l'année 1996 , saisi dans les locaux de Dideco, définit avec précision les stratégies communes à mettre en œuvre : "(...) Le point le plus important reste la complémentarité entre Sorin et Dideco France. Il est indispensable que la stratégie commune qui a été mise au point soit impérativement suivie pour éviter tout risque de problème. Le discours auprès des clients, les stratégies de ventes et de marketing et l'image doivent être constamment affinés, ne laissant pas la place à l'improvisation de chacun. Il est possible de construire des stratégies communes en menant :
- des actions commerciales coordonnées dans les centres où il existe des conflits potentiels suite aux divergences d'intérêts des réseaux ;
- des actions commerciales avec une synergie des réseaux dans les centres où il est possible de pénétrer ensemble ;
- des politiques de prix coordonnées ;
- des participations communes ou coordonnées aux congrès nationaux et internationaux ;
- des échanges d'informations sur le marché, la concurrence, les produits, grâce à des réunions régulières" (p. 338 du rapport).
62- Concernant les réponses aux appels d'offres, un cahier, saisi dans le bureau de M. Z, comporte une mention manuscrite datée du 29 novembre 1996, avec un encadré "Faire note" suivi de "Pour éviter tout risque de cannibalisation- 1) Contact systématique à chaque appel d'offres entre Dideco et France [pour Sorin Biomédica France]." (p. 374 du rapport).
63- Une note dactylographiée, rédigée par M. Z et saisie dans son bureau, rappelle la nécessité de coordonner les offres et les propositions de prix d'une manière systématique. Cette note, datée du 6 décembre 1996, a été adressée à M. A (Dideco) et communiquée à MM. X et Y de Sorin Biomédica France :
"Suite à notre réunion du 29.11.96 je te demande :
a) de coordonner avec M. Y de Sorin Biomédica France) les offres et propositions de prix et cela d'une façon plus systématique afin d'éviter toutes dérives" (p. 375 du rapport).
64- La coordination des offres et des prix est reconnue, selon les déclarations de M. Z en date du 5 décembre 1997, sur quelques marchés : "(...) Les coordinations des offres et propositions de prix que j'appelle de mes voux - constatée sur quelques marchés - visent pour Dideco à ne pas perdre des marchés au profit de Sorin Biomédica France (...) . Ponctuellement, nous constatons effectivement une harmonisation des prix (...)" (p. 203 du rapport).
1-4 Coordination des actions des réseaux
65- Des réunions de coordination des actions des réseaux sont organisées. Le rapport d'activité d'avril 1994 de Sorin Biomédica France prévoit d'harmoniser l'action des réseaux au cours d'une réunion prévue en mai : "... Une réunion avec Dideco France est prévue courant mai afin d'harmoniser au mieux les actions des réseaux. Une meilleure compréhension des actions doit éviter les problèmes rencontrés au cours des deux dernières années. La position de leader dans le marché de la CEC du groupe ne peut laisser place à l'improvisation" (p. 287 du rapport).
66- Le rapport d'activité de mai 1994 fait état des résultats de cette réunion : "Une réunion entre Sorin Biomédica France et Dideco France s'est déroulée comme convenu, début mai. Elle a fait apparaître que les problèmes de cohabitation ont fortement diminué. Il existe même un début de coopération entre certains vendeurs. Cependant, il existe peu de synergies planifiables réelles, seules des actions ponctuelles sont envisageables" (p. 289 du rapport).
67- M. X, directeur commercial de Sorin Biomédica France, a expliqué, le 5 décembre 1997, le sens à donner à ces réunions : "(...) La réunion de coordination entre Sorin Biomédica France et Dideco "courant mai" 1994 vise à éviter que les actions de Dideco n'occasionnent des pertes de marché pour Sorin Biomédica France et réciproquement. Sur le terrain, Sorin Biomédica France ou Dideco peut se retirer pour éviter une perte de marché de l'une ou l'autre (...)" (p. 219 du rapport).
68- Des séminaires rassemblant, par ailleurs, régulièrement les commerciaux des sociétés Sorin Biomédica France et Dideco ont pour but, notamment, de stimuler la motivation, de mettre au point des stratégies et d'analyser les parts de marchés des deux sociétés. M. X a déclaré à ce sujet, le 5 décembre 1997 : "(...) A Sainte-Maxime, nous avons eu une réunion de "motivation" de Sorin Biomédica France et Dideco" (p. 220 du rapport). Le rapport d'activité de Sorin Biomédica France de décembre 1994 indique : "(...) Au cours de la réunion conjointe des équipes de vente Sorin Biomédica France et Dideco à Ste-Maxime, des stratégies précises leur ont été présentées" (p. 294 du rapport).
69- Toutes les actions sont suivies et tout éventuel manquement fait l'objet d'une analyse. Ainsi en témoigne un tableau manuscrit saisi dans le bureau de M. Z, directeur commercial de Dideco, qui comporte deux colonnes. A la 10e ligne de la première colonne, est portée la mention suivante : "Cardioplégie Dideco". En face, il est écrit : "concurrence interne" Sorin Biomédica France =>Timone adulte, Lille." (p. 299 du rapport).
70- La "concurrence interne" évoquée dans ce tableau concerne le centre de La Timone à Marseille où, en 1994, Sorin Biomédica France a pris une part de marché au détriment de Dideco. C'est ce qu'explique une note manuscrite saisie dans le bureau de M. Z, qui a circulé au sein de Dideco. Cette note, adressée à "GC" (initiales de M. D, ancien directeur général de Dideco, parti à la retraite en 1995) par M. E (commercial), a été communiquée par télécopie, le 2 décembre 1994, à MM. A et Z. Dans cette note, il est constaté que Sorin Biomédica France n'a pas informé Dideco de sa démarche auprès de ce centre hospitalier : "Confirmation donc de l'entrée de Sorin avec la cardioplégie au sang, venant donc de prendre du business à Dideco qui avait 100 % de cette activité (500 unités/an) - deux aspects à cette affaire : - la non information de Sorin sur leur démarche." (p. 297 du rapport).
71- Par ailleurs, une note adressée le 20 novembre 1996 par M. X(Sorin) à M. Z (Dideco) effectue une mise au point relativement à un dysfonctionnement de la coordination des deux sociétés dans le cadre d'un appel d'offres lancé par l'hôpital Henri Mondor à Créteil. Cette note comporte, notamment, les mentions suivantes : "(...) Où il [il s'agit de M. Y, de Sorin] est moins satisfait (et c'est un euphémisme) c'est que cette proposition devrait être faite d'une façon coordonnée car elle devait aboutir à renforcer la position acquise de Sorin et refaire entrer Dideco.
Malheureusement, tout a été fait sans que Sorin ne soit impliqué et ce qui était prévisible est arrivé (...)
Ceci est d'autant plus difficile à digérer qu'il nous semble que ce genre d'avatars (qui avaient disparu et qui devaient être parfaitement contrôlés) se sont multipliés avec la période de discussion des marchés et ce, de façon très dangereuse (St-Roch, Metz, Mondor pour ne citer que ceux dont j'ai eu connaissance)(...)
Je pense qu'il faut refaire vite le point car si tu laisses établir ce genre d'attitude, il faudra, d'une part, que nous le justifiions et, d'autre part, que je canalise l'équipe de ventes Sorin pour éviter qu'elle aussi n'attaque les positions Dideco par des moyens similaires. Il me semblait que les stratégies étaient bien claires et assimilées par tous. Par contre, il faut que tu interviennes sur le plan de la coordination des ventes. Dès que possible, merci" (p. 371 du rapport).
1-5 Les primes
72- Les sociétés Dideco et Sorin Biomédica France ont, en outre, réfléchi, en 1997, à la mise en place d'une prime destinée aux commerciaux des deux sociétés afin de compenser les pertes éventuelles de rémunération liées à des parts de marchés perdues en interne en raison de la coordination des actions des réseaux. Ainsi, dans une note du 6 décembre 1996, M. Z (Dideco) demande à M. A (Dideco), à la suite d'une réunion du 29 novembre 1996, d'étudier la mise en place d'une prime :
"(...) Suite à notre réunion du 29.11.96 je te demande :
c) de réfléchir pour 1997 aux modalités d'une prime éventuelle pour les vendeurs destinée à stimuler la coopération entre nos deux sociétés et d'aplanir certaines difficultés qui pourraient naître compte tenu des impératifs de budgets respectifs. Merci de me donner des suggestions à ce sujet" (p. 375 du rapport).
73- En réponse, M. A a adressé à M. Z une note datée du 8 janvier 1997, à 14:20, en "haut niveau de priorité". Cette réponse fait état de concertations entre Dideco et Sorin Biomédica France sur la mise en place de la prime :
"Je te réponds sur le point c :
Comme je te l'ai dit (à plusieurs reprises depuis plus d'un an) ainsi qu'à M. X, la création d'une prime que l'on appellerait officieusement prime compensatrice (...) ou autrement (...) liée aux affaires perdues en interne (je veux dire passant d'une société à l'autre de Cardiotech) me paraît indispensable à l'évolution favorable des esprits des commerciaux (...) (p. 383 du rapport).
74- Un document dactylographié de M. A, saisi dans le bureau de M. Z, montre que la prime a été appelée "prime administrative" et que les propositions chiffrées de M. A ont été acceptées :
"Répartition des primes pour les vendeurs CEC (total 97 KF)
Usage unique à 100 % de réalisation 50 KF
Même barème que 1996 pour le calcul de la prime
Matériel Stockert à 100 % de réalisation 17 KF
Même barème que 1996
ATS en CEC à 100 % de réalisation 20 KF
Barème joint
Prime administrative* maximum 10 KF"
La mention correspondant à l'astérisque précise que : "*cette prime concerne officiellement :
le Market Survey du secteur avec le support informatique fourni en cours d'année - les rapports circonstanciés sur la concurrence - le bon suivi du matériel de prêt officieusement en plus elle a pour but d'améliorer les échanges d'informations au sein de Cardiotech et compenser le manque à gagner éventuel ce texte officieux n'est pas à écrire sur les plans de primes (...)" (p. 384 du rapport).
75- M. Z a précisé, le 5 décembre 1997 : "Les primes compensatrices n'ont jamais été mises en ouvre d'aucune façon. Mais nous avons mis au point en 1997 une prime administrative (market survey)" (p. 204 du rapport).
1-6 Préservation de l'identité des deux sociétés vis-à-vis de l'extérieur
76- Cependant, la mise en œuvre d'une stratégie de groupe ne doit pas nuire à la préservation de l'identité de chacune des sociétés. Telle est la préoccupation de Sorin Biomédica France, exprimée par M. X, son directeur commercial, lors d'une audition du 8 décembre 1997 : "(...) Nous tenons à ce que nos clients sachent que Sorin et Dideco sont deux entreprises distinctes ayant une liberté commerciale et une autonomie de gestion l'une par rapport à l'autre mais faisant partie du même groupe." (p. 220 du rapport).
77- Ainsi que l'a rappelé le directeur des ventes transfusion et oxygénation de la société Terumo, lors de son audition du 23 décembre 1997 : "(...) L'intérêt de disposer de deux marques permet de multiplier les chances d'obtenir des marchés. Aucun utilisateur ne prendra qu'une seule marque (...)" (p. 188 du rapport). Cet avis est confirmé par le directeur commercial de la société Cobe : "Je m'étonne que Sorin et Dideco soient séparées alors qu'en Europe c'est une même entité. Cela permet d'obtenir plus de marchés. Ils ont artificiellement maintenu une dualité pour se présenter aux yeux des services économiques comme concurrents, ces services étant moins au fait du marché. Sur certains marchés, ils se partagent à deux un même centre. En pratique, une même entreprise n'est pratiquement jamais retenue comme l'unique fournisseur. Il en faut au moins deux pour des raisons de sécurité et de constance dans l'approvisionnement. Sur Clermont Ferrand, Sorin et Dideco ont 98 % du marché à deux. A Rouen et Besançon également, ils sont les seuls détenteurs de ces marchés. Avec une seule marque ils pourraient difficilement maintenir cette situation. Ces marchés leur sont attribués depuis de nombreuses années et nous ne pouvons pas y entrer, "la forteresse est bien tenue" (p. 167 du rapport).
78- L'acheteur ne connaît pas toujours les liens unissant Sorin Biomedica France et Dideco France. En revanche, il est arrivé que, lorsque les liens entre les deux sociétés étaient connus, la désignation des attributaires des marchés en tienne compte. Tel est le cas de l'hôpital de cardiologie de Bordeaux : "Le PR. Baudet a considéré que, Dideco et Sorin Biomédica France faisant partie du même groupe, il était normal de répartir les lots en en tenant compte et a donc traité le chiffre d'affaires Dideco-Sorin Biomédica France globalement" (rapport d'activité de Sorin Biomédica France d'avril 1996 p. 355 du rapport).
79- Certaines initiatives sont perçues comme des menaces à la préservation de l'identité de chacune des sociétés. Tel est le cas d'une visite effectuée le 29 avril 1996, par des responsables des services marketing Cardiotech de Mirandola en Italie, à l'hôpital de La Pitié, le but de cette visite étant de connaître l'opinion des clients sur la qualité des produits et du service proposés par les sociétés Dideco et Sorin Biomédica France. Le rapport d'activité d'avril 1996 de Sorin Biomédica France mentionne : "Les concurrents s'efforcent de convaincre les clients que Dideco et Sorin Biomédica France ne forment qu'une seule et même société, alors qu'il faut s'efforcer de maintenir deux entités bien distinctes. Aussi, la démarche du département marketing Cardiotech a de quoi surprendre à la fois les clients et les forces de ventes Dideco et Sorin Biomédica France" (p. 354 du rapport).
2. La coordination des offres et des prix lors de certains appels d'offres
80- Plusieurs appels d'offres lancés par des centres hospitaliers ou chirurgicaux situés à Rouen, Paris, Plessis Robinson, Rennes, Caen, Créteil, Marseille et Montpellier ont été examinés dans le cadre de l'enquête.
2-1. L'hôpital de la Timone à Marseille
81- En 1995, Sorin Biomédica France a vu sa part de marché augmenter au détriment de Dideco à la suite d'un appel d'offres lancé, en 1994, par l'hôpital de la Timone à Marseille. Une note transmise au sein de Dideco, le 2 décembre 1994, par M. E à GC (M. D, directeur général de Dideco, parti à la retraite en 1995) ainsi qu'à Didier A et à Louis Z, comporte les mentions suivantes : "Concernant Sorin Biomédica France, il semble étonnant que JF G. (commercial de Sorin Biomédica France) ait agi seul pour nous déloger de la Timone. Ce n'est pas la première fois que cette attitude a été remarquée" (p. 298 du rapport).
82- Le rapport d'activité de novembre 1996 de Sorin Biomédica France envisage d'associer Dideco aux futures négociations : "Hôpital de la Timone de Marseille : le Dr. F, responsable de la perfusion, souhaiterait que M.G s'occupe des négociations de vente de la future console de CEC et des blocs thermiques Stockert. En effet, les excellentes relations entretenues dans ce centre avaient déjà abouti à ce genre de demande. Cependant, le fait que Dideco soit maintenue hors des conversations n'est pas possible et risque de poser des problèmes dans le futur" (p. 370 du rapport).
83- Un tableau concernant l'état des ventes d'oxygénateurs de Dideco et Sorin pour 1994 et 1995, saisi dans le bureau de M. Z, indique que dans ce centre hospitalier, en 1994, Dideco et Sorin Biomédica France détiennent 45 % de part de marché (260 oxygénateurs pour Dideco et 112 pour Sorin Biomédica France). En 1995, Dideco et Sorin Biomédica France détiennent 53 % de part de marché (260 oxygénateurs pour Dideco et 150 pour Sorin Biomédica France) (p. 284 du rapport).
2-2. Le CHU de Rouen
84- Concernant le CHU de Rouen, le rapport d'activité de Sorin Biomédica France de mars 1995 précise : "Il est important que la gestion de l'hôpital de Rouen soit réalisée avec Dideco car c'est un des centres où le groupe Sorin est exclusif et qu'il faut éviter de se présenter en contradiction sur la stratégie commerciale et promotionnelle" (p. 316 du rapport). Entendu sur ce point, M. X, directeur commercial de Sorin, a déclaré que des échanges d'informations sur les prix de soumission ont eu lieu entre Sorin Biomédica France et Dideco : "(...) Que la gestion de l'hôpital de Rouen soit réalisée avec Dideco" signifie des échanges d'informations sur la concurrence et nous-mêmes. Nous donnons par exemple à Dideco le prix auquel nous allons soumissionner et nous attendons de même de la part de Dideco. Nous faisons front commun face à la concurrence. Nous sommes grâce à cela toujours présents à Rouen" (déclarations du 5 décembre 1997 ; annexe 7 - cotes 510 et 511 ; p. 219 et 220 du rapport).
85- Figure, en outre, au dossier, une note manuscrite adressée par M. A de Dideco, notamment à MM. Z (Dideco) et X (Sorin Biomédica France), qui comporte les mentions suivantes : "Date 03-05
From DG
To LT (Louis Z) /GC/BJ/JMR (Jean Marie Richard) /GM/BP
Dossier de consultation Rouen
Je viens de faire mes prix. Tout est en harmonie avec Sorin.
Sorin + Dideco sont pressentis pour récupérer la moitié des CP chacun :
Prix Baxter 925 HT prix Sofracob ?
Sorin -Dideco : 940 HT : même position !
Sorin est pressenti pour récupérer toutes les cardioplégies au sang avec éch.thermique/Prix Sorin : 600 HT
Sorin : 600 cela passera sans problème
Dideco : 610 je me mets en retrait
Dideco est pressenti pour récupérer toutes les cardioplégies avec serpentin.
(Prix Baxter 370 HT)
Sorin : 460
Dideco : 370 ! ! ! (Prix d'achat 250) " (p. 310 du rapport).
86- A propos de ce message, M. Z a déclaré, le 5 décembre 1997 : "Je ne me souviens pas avoir pris connaissance du marché de Rouen de mai 1995. Dans ce cas précis, il y a eu harmonisation des prix entre Sorin et Dideco" (p. 204 du rapport).
87- Enfin, le rapport d'activité de Sorin Biomédica France de mars 1997 fait état des positions respectives de cette société et de Dideco dans ce centre de la manière suivante : "CHRU de Rouen : Le marché 1997-98 s'annonce d'ores et déjà difficile, de toute façon les prix seront à la baisse. La société Cobe semble vouloir se positionner, compte tenu des prix que cette société a l'habitude de pratiquer et du fait qu'elle propose une lecture de saturation veineuse en continue sans surcoût, tous les risques sont permis. Dideco se trouve en plus mauvaise posture que Sorin, d'une part parce que le Pr. H ne souhaite pas travailler avec deux sociétés faisant partie du même groupe et, d'autre part, parce que les perfusionnistes souhaitent changer de fournisseur" (p. 386 du rapport).
88- Le tableau mentionné au paragraphe 83 montre que, dans cet hôpital, en 1994, les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco détiennent 100 % du marché avec 354 oxygénateurs chacune. En 1995, Sorin Biomédica France et Dideco détiennent 99 % du marché avec 345 oxygénateurs chacune (p. 285 du rapport). Un document émanant de la société Bard indique qu'en 1997, Dideco et Sorin Biomédica France détiennent la totalité du marché avec 300 oxygénateurs chacune (p. 254 du rapport).
2-3. La clinique Saint-Roch à Montpellier
89- Le rapport d'activité de Sorin Biomédica France d'octobre 1996 évoque les conséquences d'un manque de concertation sur les prix lors de l'appel d'offres passé par la clinique Saint- Roch à Montpellier : "Après une proposition de prix très intéressante émanant de Dideco, le pharmacien de la clinique veut remettre en cause les prix négociés trois mois plus tôt avec Sorin. En effet, après accord avec tous les intervenants, Sorin (ainsi que Bard) avait fixé son prix à 3 800 F HT. Malheureusement, sans consultation, Dideco a proposé un pack complet à 3 500 F HT. Ceci démontre, combien il est important qu'au niveau du terrain les informations se fassent régulièrement, mais depuis les modifications de structure dans le sud pour Dideco, il y a un manque qui apparaît" (p. 365 du rapport).
90- Le tableau mentionné au paragraphe 83 montre que dans ce centre, Sorin Biomédica France n'était pas présente en 1994 et 1995. Dideco détenait une part de marché de 39 % en 1994 (66 oxygénateurs) et de 38 % en 1995 (80 oxygénateurs) (p. 284 du rapport).
2-4. L'hôpital Laennec à Paris
91- M. Z, directeur commercial de Dideco, a adressé, le 12 avril 1995, à M. X, directeur commercial de Sorin, la note manuscrite suivante :
"Suite à la demande de Geneviève, le prix du pack complet adulte de Dideco est 4 600 F HT avec une remise en packs de 10 %. Toutefois cette remise est accordée en raison du volume important réalisé à Laennec. Il faut donc que le prix que tu proposes soit plus élevé. Peux-tu me tenir au courant de ta proposition." (p. 308 du rapport). "Geneviève" désigne Mme I, qui a remplacé M. Y chez Sorin en 1995. (PV d'audition de M. Z en date du 5 décembre 1997, p. 204 du rapport).
92- S'agissant de cette note, M. Z a déclaré : "A Laennec, j'ai suggéré à Sorin que le prix du pack adulte soit plus élevé car détenant un volume important (800) d'oxygénateurs pédiatriques, je ne souhaitais pas que Sorin obtienne 80 oxygénateurs adultes" (p. 204 du rapport).
93- Le tableau mentionné au paragraphe 83 indique qu'en 1994, Dideco détenait, dans cet hôpital, une part de marché de 97 % avec 660 oxygénateurs. En 1995, Dideco et Sorin Biomédica France détenaient une part de marché de 97 % (620 oxygénateurs pour Dideco et 10 oxygénateurs pour Sorin Biomédica France) (p. 285 du rapport).
2-5. L'hôpital Marie Lannelongue au Plessis-Robinson
94- Concernant le centre médico-chirurgical de Marie Lannelongue, M. X, directeur commercial de Sorin Biomédica France, a déclaré, le 5 décembre 1997 : "(...) Le centre Marie Lannelongue fait l'objet d'une stratégie commune : nous répondons à l'offre adulte et Dideco à la pédiatrie (...)" (p. 220 du rapport).
95- Dans ce centre, le tableau mentionné au paragraphe 83 indique que Dideco et Sorin Biomédica France détenaient une part de marché de 83 % en 1994 (505 oxygénateurs pour Dideco et 450 pour Sorin Biomédica France). En 1995, cette part de marché était de 64 % (400 oxygénateurs pour Dideco et 370 pour Sorin Biomédica France) (p. 285 du rapport).
2-6. Le CHU de Rennes
96- Le rapport d'activité de Sorin Biomédica France en date du mois de février 1996 mentionne les faits suivants :
"A Rennes, F. Y assurera personnellement le soutien technique et les essais relatifs à ce marché, l'objectif poursuivi étant de prendre deux lots de 250 Monopack dont un lot clos avec le Monolyth C 600. En 1995, Sorin était présent dans ce centre avec un lot de 250 Monopack avec Monolyth normal. Si le produit est bien accepté par l'équipe, une proposition de prix sera faite avec une remise au cas où Sorin était retenue sur deux lots de packs complets. D'après les informations reçues aujourd'hui, il semble possible de prendre la place occupée par Baxter, sans pour autant nuire aux intérêts de Dideco qui est aussi présent dans ce centre avec un système clos" (p. 349 du rapport).
97- Le rapport d'activité de Sorin Biomédica France de mars 1996 évoque un accord précédant l'appel d'offres entre les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco :
"CHRU Rennes : les marchés sont décidés fin avril. Sorin est en bonne position pour espérer au minimum un lot de 250 Monopack. Ce lot pourrait être complété par l'obtention d'un autre lot de 250 Monopack avec le Monolyth C 600, mais rien n'est garanti, car la société Baxter qui semble bien être informée des intentions de Sorin réagit auprès du professeur J. afin de conserver ce lot de 250 packs avec oxygénateurs clos. Une proposition Sorin liant les deux lots est à l'étude, en accord avec Dideco qui est aussi présent sur ce marché et concerné par ces produits. De toute façon, une baisse des prix de 2,5 % à 7 % est inévitable" (p. 352).
98- M. X a déclaré, le 5 décembre 1997 : "A Rennes, notre cible privilégiée est la concurrence et non pas Dideco" (p. 220 du rapport).
2-7. L'hôpital Côte de Nacre à Caen
99- S'agissant de cet établissement hospitalier, le rapport d'activité de juillet et août 1996 de Sorin Biomédica France mentionne une stratégie de baisse des commandes de Sorin Biomédica France pour permettre un équilibrage avec la part de marché détenue par Dideco : "Hôpital Côte de Nacre, Caen : Un réajustement à la baisse des commandes Sorin est à prévoir afin de permettre un équilibrage avec le marché de Dideco" (p. 357 du rapport). Le rapport d'activité de septembre 1996 mentionne que Dideco a proposé un oxygénateur adulte à membranes, en accord avec Sorin Biomédica France : "CHU de Caen : En accord avec l'équipe Sorin, Dideco propose la membrane D 704 équipée de la poche souple du C 600. Sorin ne doit pas être inquiété sur ses propres lots" (p. 361 du rapport).
100- Le tableau mentionné au paragraphe 83 indique qu'en 1994, Dideco et Sorin Biomédica France détiennent dans cet hôpital 22 % de part de marché (40 oxygénateurs pour Dideco et 68 pour Sorin Biomédica France). En 1995, Dideco et Sorin Biomédica France détiennent 23 % de part de marché (50 oxygénateurs pour Dideco et 70 pour Sorin Biomédica France) (p. 284 du rapport).
2-8. La clinique Saint-Martin à Caen
101- Le rapport d'activité d'octobre 1996 de Sorin Biomédica France définit la stratégie à appliquer pour contrer la société Medtronic et maintenir les parts respectives de marché des sociétés Sorin Biomédica France et Dideco : "La société Medtronic qui, depuis l'an passé déjà, bloque le marché par la fourniture de têtes centrifuges dans ses packs vient, avec l'appui du chirurgien, de faire une proposition pour la fourniture de 400 packs complets avec tête Biomedicus et la mise à disposition d'une console électromagnétique pour 4 000 F HT (Sorin facture ses Monopack à 4 350 F sans la tête centrifuge pour une quantité de 200 par an). Afin de tenter de contrer cette action commerciale, Sorin et Dideco proposent en commun la fourniture d'un groupe thermique en contrepartie du maintien du marché en l'état actuel et cela pour une durée de deux années" (p. 365 du rapport).
102- Une suite de messages figurant sur un même document, saisi dans le bureau de M. Z, comporte des indications concernant la clinique Saint Martin à Caen (p. 376 du rapport). Un premier message, adressé par M. Y de Sorin Biomédica France, à MM. A (Dideco) et X (Sorin Biomédica France), intitulé "Proposition de prix St Martin - Urgent", est ainsi libellé : "PROPOSITION À FAIRE RAPIDEMENT SI TOUS LES INTERÉSSÉS SONT D'ACCORD SUR LE PRINCIPE".
103- La réponse de M. X fait l'objet d'un deuxième message, adressé le 6 décembre 1996, notamment à M. Y de Sorin Biomédica France et à M. A de Dideco : "Sur le principe de l'offre, je suis tout à fait d'accord. Mais, il est impossible de faire figurer sur une proposition Sorin le fait que l'offre de mettre à la disposition du service un bloc thermique est liée à l'achat de produits Sorin Biomédica France et Dideco. Ceci ne peut être fait par écrit. Désolé, mais cette recommandation est importante à suivre" (p. 376 du rapport).
104- Dans un troisième temps, un message a été adressé par M. A de Dideco à M. Xde Sorin Biomédica France, le 9 décembre 1996 et également communiqué à M. Z de Dideco : "Rien à ajouter si ce n'est qu'à ce jour lundi 9-12 nous n'avons toujours pas reçu la demande de prix, objet de votre réponse. Nous les relançons ce jour. Tout me paraît OK. Resteront à définir les modalités internes de notre accord.".
105- Le tableau mentionné au paragraphe 83 indique qu'en 1994, Dideco et Sorin Biomédica France détenaient dans cet hôpital 51 % de part de marché (70 oxygénateurs pour Dideco et 200 pour Sorin Biomédica France). En 1995, Dideco et Sorin Biomédica France détenaient 47 % de part de marché (65 oxygénateurs pour Dideco et 175 pour Sorin Biomédica France) (p. 284 du rapport).
2-9. L'hôpital Henri Mondor à Créteil
106- Il ressort de pièces du dossier décrites supra au paragraphe 71, que la société Sorin Biomédica France n'a pas été retenue dans le cadre de l'appel d'offres lancé pour 1997 par l'hôpital Henri Mondor et que c'est Dideco qui a emporté le marché en cause, en dépit d'un accord intervenu, avant l'appel d'offres, entre les deux sociétés, notamment lors d'une réunion de coordination en Corse, afin que Sorin soit réintroduite sur ce marché d'où elle était absente depuis la nomination d'un nouveau chef de service. La réunion rassemblait les commerciaux des deux sociétés ainsi que le professeur K de l'hôpital Henri Mondor. Les correspondances échangées entre Sorin Biomédica France et Dideco au sujet de cette affaire mentionnent le nom d'un employé de l'hôpital qui était en relation avec les fournisseurs, M. Gérard L.
107- Une note adressée le 20 novembre 1996 par M. X (Sorin Biomédica France) à M. Z (Dideco) expose, comme suit, les éléments de l'affaire (p. 371 du rapport) :
"F. Y vient de m'avertir. M. L l'avait prévenu que Sorin venait de perdre le marché 1997 d'Henri Mondor (marché qu'il nous avait donné comme acquis) au profit de Dideco.
Ce marché de 200 packs sur deux ans, comme je l'ai compris, a été obtenu après avoir été proposé à K la mise à disposition d'un bloc thermique comme contrepartie.
F. Y est très content de voir que la suggestion qu'il avait faite lors de la réunion de coordination en Corse a réussi, suggestion qui avait été retenue pour faciliter la repénétration de Dideco dans ce centre.
Où il est moins satisfait (et c'est un euphémisme) c'est que cette proposition devait être faite d'une façon coordonnée car elle devait aboutir à renforcer la position acquise de Sorin et refaire entrer Dideco.
Malheureusement, tout a été fait sans que Sorin ne soit impliqué et ce qui était prévisible est arrivé.
Certes, les affaires sont difficiles et il faut être agressif, mais il va être très dur d'expliquer à M. M. pourquoi Sorin a perdu 100 Monopack (et sans autre contrepartie que les habituels frais promotionnels) au profit de Dideco (qui est obligé pour le même résultat de donner un bloc thermique !) (...)
108- Une note interne à Dideco, datée du 27 novembre 1996, émanant de M. Oet adressée à MM. Z et A, rappelle la chronologie des faits : "Voici l'ordre chronologique des démarches effectuées pour le marché de Créteil.
Jeudi 26-09 : suite à information de M. N. sur la possibilité d'avoir à remplacer une console de CEC à H. Mondor, nous envisageons lors de la réunion en Corse avec MM. Y et X (de Sorin Biomédica France) d'aborder cette question avec le professeur K. sous l'angle de Cardiotech .
Hélas, quelques heures plus tard, il s'avère qu'il y a eu confusion entre H. Mondor et un autre éts de l'AP.
Vendredi 04-10 : RV avec M. L afin de trouver une brèche nous permettant de remettre les pieds à H. Mondor dont nous sommes absents depuis la nomination du Pr K au poste de chef de service.
J'apprends alors que le service attend depuis maintenant deux ans la mise au budget d'un générateur thermique pour lequel nous avions fait un devis.
Gérard me confie par la même occasion qu'il y a de fortes chances que la part de marché de Baxter diminue (ce qui confirme ce que F. Y m'avait dit en Corse), et qu'il ne voyait aucune opposition au retour de Dideco.
A la sortie de ce RV, je prends RV auprès du professeur K.
Semaine 43 : Vu avec M. A de Dideco pour la stratégie à adopter, il est décidé de proposer un deal sur 200 oxys étalés sur 2 ans (Px AP de l'oxy 2 800 F HT) notamment pour ne pas donner tentation à K de remettre en question la part de Sorin, mais pour exploiter "l'opportunité Baxter".
Lundi 28-10 : RV avec K très intéressé par le marché proposé. Je refais une mise au point sur les rapports Dideco/Sorin, suite à quoi K me dit avoir connaissance de Cardiotech, ce dont je profite pour lui confirmer que le but de ma démarche n'est en aucun cas de virer Sorin, mais de réintroduire Dideco dans la maison et ainsi de renforcer la position de Cardiotech à Mondor.
M. K me demande alors de confirmer ma proposition par fax dans la journée car la première réunion pour les marchés doit avoir lieu le lendemain.
Mardi 29-10 vers 16 h : Message Alphapage, je dois rappeler Gérard. Il me confirme l'intérêt porté à notre proposition, me dit que Sorin doit garder sa part de marché et qu'a priori nous devrions grignoter Baxter. Mais certains fournisseurs potentiels sont à la porte de K et tout n'est pas encore joué.
Lundi 04-10 : Tel à Gérard pour nouvelles. Il me confirme ce qu'il m'a dit le 29-10 et me demande un renseignement sur les canules veineuses.
Semaine 46 : Tel à Gérard. Me confirme notre part de marché, me dit signer le bon de commande le 25-11 et me dit qu'un dernier RV est prévu entre Baxter et le Pr K
Lundi 18-11 19h : je croise Francis (Francis Y de Sorin Biomédica France). Lui apprend que normalement tout est décidé, il me dit qu'il va rappeler Gérard car il n'a pas de nouvelles.
Jeudi 21-11 Strasbourg : je croise Francis qui m'apprend qu'il est sorti de Mondor à notre profit" (p. 372 du rapport).
109- En réponse à un "mémo confidentiel" du 20 novembre 1996, M. Z a adressé, le 29 novembre 1996, la lettre suivante à M. X :
"La perte d'un marché d'une société de Cardiotech est toujours regrettable. Reste à en préciser les circonstances, la chronologie et l'esprit qui ont présidé à ce résultat.
"Les stratégies sont pour moi et mes collaborateurs toujours claires et assimilées". Toutefois, leur application dans le contexte hyperconcurrentiel et la position dominante de Sorin Biomédica France sont parfois difficilement maîtrisables à 100 %. N'omettons pas que le pouvoir de décision final appartient toujours au client malgré toutes les précautions que nous pouvons prendre.
Créteil en est l'exemple, (Rapport joint de JP O) qui confirme que Gérard L nous faisait rentrer sur la part de Baxter et qu'il n'y avait aucun risque pour Sorin Biomédica France. De plus, il ne s'agissait plus de négocier une console complète mais un simple générateur thermique.
A propos de Saint-Roch, Dideco vendait via l'intermédiaire de Tehcmaperf à moins de 3 000 F (remise en marchandise) et Sorin Biomédica France nous remplace à 3 500 F (ce qui fait un gain pour Cardiotech de plus de 18 %).
Concernant Claude Bernard à Metz, à aucun moment on nous a signifié que Sorin Biomédica France était pressenti (au même titre que Dideco déjà fournisseur dans ce centre) pour être nouveau fournisseur. De plus, personne de ton service n'est entré en contact avec Dideco pour éviter que l'entrée éventuelle de Monolyth ne se fasse au détriment du bulleur cardio Dideco.
Comme tu peux le lire, la préservation de nos intérêts communs, tout en conservant l'agressivité commerciale nécessaire dans la conjoncture actuelle, n'est pas aussi évidente à réaliser dans les faits.
Il est nécessaire que nous en reparlions ensemble pour éviter tout débordement..." (p. 373 du rapport).
110- Le tableau mentionné au paragraphe 83 montre qu'en 1994, Sorin Biomédica France avait fourni à ce centre hospitalier 250 oxygénateurs, ce qui représentait 31 % de part de marché. En 1995, elle a fourni 100 oxygénateurs ce qui représentait 13 % de part de marché (p. 376 du rapport).
C. - Les griefs modifiés
111- Sur la base des constatations qui précèdent, les griefs suivants ont été notifiés aux sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France :
"- (...) s'être réparti les ventes de matériel de circulation extra-corporelle qu'elles ont en commun ;
- avoir coordonné leurs offres antérieurement au dépôt des offres pour les marchés publics et privés des centres suivants : CHRU de Rouen, hôpital Laennec à Paris, hôpital Marie Lannelongue à Plessis-Robinson, CHRU de Rennes, hôpital de la Côte de nacre à Caen, clinique Saint-Martin à Caen, hôpital La Timone à Marseille, hôpital Henri Mondor à Créteil et clinique Saint-Roch à Montpellier.
Ces pratiques, mises en œuvre sur le marché du matériel médical de la circulation extracorporelle, qui ont eu pour objet et pour effet de limiter l'intensité de la concurrence entre les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France entre elles, de limiter l'accés au marché aux acheteurs et de tromper les acheteurs sur la réalité et l'étendue de la concurrence entre les soumissionnaires, sont contraires aux dispositions de l'article L.420-1 du Code de commerce."
II. - DISCUSSION
A. - Sur la procédure
112- La société Sorin Biomédica France soutient, dans ses écritures en réponse au rapport, que le délai de réponse de deux mois imparti par l'article L. 463-2 du Code de commerce a été trop bref pour lui permettre d'enquêter de manière exhaustive auprès des utilisateurs de CEC afin de recueillir des témoignages à l'appui de sa défense.
113- Aux termes de l'article L. 463-2 du Code de commerce "Sans préjudice des mesures prévues à l'article L. 464-1, le rapporteur général notifie les griefs aux intéressés ainsi qu'au commissaire du Gouvernement, qui peuvent consulter le dossier et présenter leurs observations dans un délai de deux mois. Le rapport est ensuite notifié aux parties, au commissaire du Gouvernement et aux ministres intéressés. Il est accompagné des documents sur lesquels se fonde le rapporteur et des observations faites, le cas échéant, par les intéressés. Les parties ont un délai de deux mois pour présenter un mémoire en réponse qui peut être consulté dans les quinze jours qui précédent la séance par les personnes visées à l'alinéa précédent.". La Cour d'appel de Paris, dans un arrêt en date du 12 décembre 2000 qui a fait l'objet d'un pourvoi rejeté par la Cour de cassation le 28 janvier 2003, a précisé que si le droit à un procès équitable, proclamé à l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales ainsi qu'à l'article 14-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, doit permettre à chaque partie d'avoir la possibilité raisonnable d'exposer sa cause dans des conditions qui ne la désavantagent pas d'une manière appréciable par rapport à la partie adverse, il appartient à la partie invoquant le déséquilibre de prouver la rupture d'égalité invoquée.
114- En l'espèce, la société défenderesse ne justifie pas des raisons particulières pour lesquelles le délai de deux mois prévu par l'article L.463-2 du Code de commerce aurait pu lui porter préjudice. Le moyen doit, en conséquence, être écarté ;
B. - Sur la définition des marchés et la position des sociétés Dideco France et Sorin Bomédica
115- Il résulte d'une jurisprudence constante que le marché pertinent est le point où se rencontrent l'offre et la demande de produits ou de services offerts et considérés comme substituables par les demandeurs.
116- Toutefois, dans le cas où des pratiques d'entente sont relevées dans le cadre des réponses à un ou plusieurs appels d'offres, chaque appel d'offres est considéré comme un marché en soi.
117- En l'espèce, la demande est circonscrite par les appels d'offres examinés qui concernent le matériel de la CEC tel que défini au paragraphe 9 de la présente décision. La substituabilité des différentes marques de matériel CEC est établie par l'intervention conjointe des différentes sociétés soumissionnaires lors de ces appels d'offres et la compatibilité de la plupart de ces produits entre eux. Elle est, en outre, attestée par le fait que les demandeurs ont, ainsi qu'il a été relevé au paragraphe 35, l'habitude de recourir à plusieurs offreurs concurrents pour des raisons de sécurité et de constance d'approvisionnement.
118- Sur ce marché, les sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France, appartenant au même groupe international, bénéficient d'une forte notoriété, d'un matériel performant et représentent une part significative en termes de ventes. De façon globale, si l'on considère ensemble les oxygénateurs pédiatriques et adultes, ainsi que les circuits complets, les deux sociétés détenaient, pour les années 1994 à 1997, ainsi qu'il résulte des données figurant aux paragraphes 38 et 39, plus du tiers des parts du marché.
119- La société Sorin, sans remettre en cause la définition du marché de la CEC, expose que beaucoup plus d'opérateurs que ceux énumérés par le dossier y sont actifs et rendent le marché concurrentiel et dynamique.
120- Il résulte des différents documents du dossier, notamment des informations fournies par le SNITEM, reprises au paragraphe 38, que, pour les années 1994 à 1997, intervenaient sur le marché de la CEC les sociétés suivantes : Avecor, Bard, Baxter, Cobe, Dideco, Jostra, Medtronic, Polystan, Sofracob, Sorin Biomédica France et Terrumo. Ces sociétés totalisaient aux termes des évaluations fournies par ce syndicat, près de 99 % des parts de marché. L'omission de sociétés de création récente, détenant des parts infinitésimales de marché, ou n'ayant pas communiqué leurs données, n'est pas de nature à remettre en cause la validité de l'analyse précédente.
C. - Sur le grief d'entente de répartition
Sur le comportement d'entreprises appartenant au même groupe lors de procédures de mise en concurrence
121- En premier lieu, selon une jurisprudence constante, tant communautaire que nationale, notamment rappelée par le Conseil dans sa décision n° 03-D-01 du 14 janvier 2003, les dispositions prohibant les ententes illicites ne s'appliquent pas, en principe, aux accords conclus entre des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, comme une société-mère et ses filiales, ou les filiales d'une même sociétè-mère entre elles, ou comme les sociétés-mères d'une filiale commune, si elles ne disposent pas d'une autonomie commerciale et financière, à défaut de volonté propre des parties à l'accord. En effet, en l'absence d'autonomie commerciale et financière, les différentes sociétés du groupe forment alors une unité économique au sein de laquelle les décisions et accords ne peuvent relever du droit des ententes.
122- En deuxième lieu, il est loisible à des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une réelle autonomie commerciale, de présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt de ces offres ;
123- En troisième lieu, il est loisible à des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers, mais disposant d'une autonomie commerciale, de renoncer, généralement ou ponctuellement, à cette autonomie commerciale, à l'occasion des mises en concurrence ou d'une mise en concurrence et de se concerter pour décider quelle sera l'entreprise qui déposera une offre ou de se concerter pour établir cette offre, à la condition de ne déposer qu'une seule offre. En revanche, si de telles entreprises déposent plusieurs offres, la pluralité de ces offres manifeste l'autonomie commerciale des entreprises qui les présentent et l'indépendance desdites offres, alors que, ayant été établies en concertation ou après que les entreprises ont communiqué entre elles, ces offres ne sont plus indépendantes. Dès lors, les présenter comme telles trompe le responsable du marché sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence. Une telle pratique a, en conséquence, un objet ou, potentiellement, un effet anticoncurrentiel. Il est, par ailleurs, sans incidence sur la qualification de cette pratique que le responsable du marché ait connu les liens juridiques unissant les sociétés concernées, dès lors que l'existence de tels liens n'implique pas nécessairement la concertation ou l'échange d'informations.
Sur la nature des accords entre les deux sociétés
124- Il ressort des documents ou déclarations cités aux points 53 à 79 de la présente décision que les deux sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France se sont concertées pour échanger des informations précises sur le marché et l'état de la concurrence, pour élaborer une politique commerciale commune déclinée, dans les deux entreprises en cause, en deux politiques coordonnées et correspondant aux caractéristiques propres du marché et à leurs spécificités commerciales afin de mieux adapter leurs offres et d'assurer la complémentarité de leurs produits. Ces sociétés ont, en commun, surveillé la mise en œuvre de leurs politiques concertées au cours des années 1994, 1995, 1996, 1997, et elles ont effectué régulièrement des contrôles de cette coordination, la ligne directrice de leur accord étant d'éviter toute concurrence interne, toute "cannibalisation" de l'une par l'autre.
125- Cette stratégie commune avait pour objectif, ainsi que le démontrent les déclarations de M. X, directeur commercial de la société Sorin, reprises au paragraphe 55, d'effacer toute concurrence effective entre Sorin Biomedica France et Dideco en s'assurant d'une totale collaboration entre les deux entités tout en les présentant comme deux sociétés distinctes auprès de leurs clients (paragraphes 76 à 79). Elle visait les hôpitaux publics ou les cliniques privées, dont la commande est, pour des raisons de sécurité d'approvisionnement, souvent répartie entre au moins deux fournisseurs.
126- La mise en œuvre de cette politique commune a consisté, en premier lieu, à organiser des réunions ou des séminaires entre les dirigeants et les agents commerciaux des deux sociétés afin de coordonner les actions de réseaux (supra, paragraphes 61, 63, 65, 66 et 68).
127- En deuxième lieu, ainsi que le prévoyait le plan marketing de Sorin Biomédica France pour 1996 (paragraphe 61), des politiques de prix coordonnées ont été mises en œuvre, notamment au travers de contacts systématiques entre Dideco et Sorin (paragraphe 62), de coordination de leurs offres et propositions de prix (paragraphes 63 et 64). Dès 1994, il était, d'ailleurs, constaté par Sorin, à cet égard, que "(...) Les problèmes de cohabitation ont fortement diminué (...)" et qu'il existait "(...) un début de coopération entre certains vendeurs (...)" (paragraphe 66).
128- En troisième lieu, un suivi de la collaboration sur le terrain a permis un examen des défaillances constatées dans le fonctionnement du système et la mise en œuvre de moyens pour y remédier. Il résulte, ainsi, des documents mentionnés aux paragraphes 70 et 71, qu'à la suite des résultats de l'appel d'offres de l'hôpital de la Timone de Marseille et du constat de ce que Sorin Biomédica France avait acquis des parts de marché au détriment de Dideco, cette dernière société a envisagé d'associer Dideco France aux négociations pour l'appel d'offres de 1994. De même, lors de l'échec constaté des négociations engagées dans le cadre des appels d'offres de l'hôpital H. Mondor, la note de M. X (Sorin), en date du 20 novembre 1996, citée au paragraphe 71, indique, à l'attention de M. Z (Dideco), "je pense qu'il faut refaire vite le point car si tu laisses établir ce genre d'attitude, il faudra, d'une part, que nous le justifiions et d'autre part, que je canalise l'équipe des ventes Sorin pour éviter qu'elles aussi n'attaquent les positions Dideco par des moyens similaires. Il me semblait que les stratégies étaient bien claires et assimilées par tous. Par contre, il faut que tu interviennes sur le plan de la coordination des ventes".
129- Enfin, ainsi qu'il résulte des paragraphes 72 à 75, les deux sociétés, pour prévenir les effets négatifs de leur coopération sur la rémunération de leurs agents commerciaux, ont envisagé l'instauration d'une prime compensatrice liée aux affaires sciemment perdues en interne et passant d'une société à l'autre. L'objectif poursuivi, évoqué de la façon suivante "(...) officieusement en plus, elle a pour but d'améliorer les échanges d'informations au sein de Cardiotech et compenser le manque à gagner éventuel, ce texte officieux n'est pas à écrire sur les plans de prime", démontre que cette initiative était destinée à compenser la perte de résultat par l'une ou l'autre des équipes de vente, que provoquait la répartition des marchés entre les deux filiales.
130- Les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France font valoir pour leur défense qu'elles n'ont jamais caché leur appartenance au même groupe. Elles ajoutent que ce fait était connu des professeurs de médecine et produisent, à cet effet, une attestation du professeur de médecine P, qui, ayant exercé des fonctions de chef de service de chirurgie cardiaque au centre hospitalier Marie-Lannelongue à l'époque des faits, précise, notamment : "(...) Il est connu des centres hospitaliers français et en tout cas du centre chirurgical Marie Lannelongue, où j'ai exercé en qualité de chirurgien cardiaque (adulte-enfants), que les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France appartiennent toutes les deux au même groupe. (...) Bien qu'appartenant au même groupe, ces sociétés ont toujours agi séparément et distinctement. Il ne pouvait en être autrement (...) car Dideco était connue et reconnue pour ses oxygénateurs pédiatriques tandis que Sorin était, elle, connue pour ses oxygénateurs adultes. (...) Quand, dans de rares cas, elles pouvaient répondre aux mêmes besoins, les personnes de mon service et moi-même décidions des matériels de CEC qui nous paraissaient les plus appropriés en nous basant sur des critères qualitatifs préalablement définis, tout en restant vigilants sur les prix (...)".
131- Cependant, ainsi qu'il a été précisé au paragraphe 122, la connaissance par les maîtres d'ouvrage des liens éventuels existant entre les entreprises présentant des offres est indifférente à la qualification d'une pratique d'entente, dans la mesure où l'existence de liens juridiques ou économiques n'implique pas nécessairement la concertation entre ces entreprises ou l'échange d'informations dans le cadre de l'élaboration de leurs offres. Au surplus, il résulte des éléments énoncés, notamment, aux paragraphes 76 à 79, que la stratégie mise en œuvre par ces entreprises tendait généralement à les présenter comme autonomes alors que leurs offres étaient établies en concertation (paragraphes 62 et 66).
132- Les entreprises en cause font aussi valoir qu'indépendantes et autonomes, elles offrent à la vente des produits différents et ne se trouvent donc pas en position de concurrence, sauf en ce qui concerne les oxygénateurs adultes et, pour une partie marginale, certains accessoires de la CEC.
133- Toutefois, il ressort des éléments du dossier et, notamment, de ceux relevés aux paragraphes 30 et 31, ainsi que des déclarations de M. Z reprises au paragraphe 55, que si Dideco France était, certes, spécialisée dans le domaine de l'oxygénateur pédiatrique, cette société intervenait également, pour une part non négligeable, dans le secteur de l'oxygénateur pour adulte et que "la stratégie de coordination commerciale du groupe (...) vis[ait] également à limiter les problèmes sur les produits communs, oxygénateurs à membranes adultes (techniquement légèrement différents mais qui répondent au même besoin (...)".
134- Il résulte de l'ensemble des éléments ainsi relevés que les sociétés Dideco et Sorin Biomedica France, filiales toutes deux à 100 % de la société Dideco Spa et commercialement autonomes selon les propres déclarations de leur président commun et du directeur commercial de Dideco (paragraphes 50 et 51), ont, dans le cadre de leurs réponses aux appels d'offres lancés par les établissements de soins publics ou privés pour la fourniture de matériel de CEC, mis en œuvre une politique générale de concertation consistant à se coordonner pour élaborer leurs offres néanmoins présentées comme concurrentes. Cette pratique a eu pour objet de fausser le jeu de la concurrence.
Sur l'effet des pratiques
135- Les sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France font valoir que leur coordination a été souvent mise en échec et soutiennent qu'en tout état de cause, les pratiques litigieuses n'ont affecté de manière sensible ni la concurrence ni les comptes publics au regard de la part infinitésimale du marché de la CEC dans le déficit de la sécurité sociale.
136- Le Conseil relève, cependant, que le marché concerné par les pratiques est un marché où les positions acquises et les contacts par là-même établis avec les différents décisionnaires des hôpitaux ou des cliniques favorisent le renouvellement des contrats arrivés à terme. Cette situation se trouve accentuée par le fait que les sociétés en cause détiennent une part importante du marché, Sorin Biomédica France étant, à elle seule, leader et le groupe Sorin Biomédica France / Dideco France représentant près d'un tiers du marché de la CEC. Les données fournies par le SNITEM et retranscrites aux paragraphes 38 et 39 de la décision permettent de constater que, pour l'année 1994, les sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France ont vendu respectivement 6 968 et 8 712 oxygénateurs et circuits sur un total de 40 172 appareils vendus et qu'en 1995, leurs ventes respectives ont été de 7 124 et 8 333 sur un total de 40 282, ce qui représente des parts de marché cumulées de 39 % pour 1994 et 38 % pour 1995.
137- Le fait pour les entreprises en cause de se présenter comme autonomes, alors que leurs offres étaient établies en concertation, leur a permis d'augmenter artificiellement leurs chances d'emporter les appels d'offres, d'autant que les demandeurs de ces marchés, soucieux de se garantir des risques de rupture d'approvisionnement, évitent d'accorder la totalité du marché à un seul offreur et préfèrent traiter avec au moins deux sociétés différentes, ainsi que le démontrent les données citées au paragraphe 41. En conséquence, les pratiques en cause, mises en œuvre par des entreprises détenant conjointement une part importante du marché, ont nécessairement eu un effet sur celui-ci.
138- Enfin, les difficultés rencontrées par les entreprises en cause pour faire respecter par leurs équipes commerciales les plans établis en commun n'ont pas été telles qu'elles aient pu en compromettre l'application. Au contraire, il ressort des éléments relevés aux paragraphes 69 à 71 que les dysfonctionnements constatés ont été analysés et ont servi de contre-exemples aux directeurs commerciaux pour mieux coordonner leurs efforts à l'avenir.
139- Les pratiques visées par le premier grief ont donc eu pour effet, au moins potentiel, de fausser le jeu de la concurrence. Ces pratiques, que l'appartenance au même groupe des deux entreprises mises en cause ne peut justifier, sont prohibées par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
D. - Sur le grief de concertations ponctuelles lors de certains appels d'offres
Sur l'appel d'offres de l'hôpital de la Timone à Marseille
140- Il est reproché aux sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France d'avoir échangé des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer pour les appels d'offres organisés par l'hôpital de la Timone à Marseille ; ce grief, contesté par les entreprises, se fonde, en premier lieu, sur une note en date du 2 décembre 1994 et, en second lieu, sur le rapport d'activité de novembre 1996 de la société Sorin Biomédica France, décrits aux paragraphes 81 et 82.
141- Cependant, la note du 2 décembre 1994 montre que Sorin Biomédica France n'a pas informé Dideco France des démarches entreprises concernant l'hôpital de la Timone, ce qui conduit, d'ailleurs, son auteur à déplorer autant cette situation que ses conséquences. En outre, si le rapport d'activité de la société Sorin Biomédica France, en date de novembre 1996, envisage d'associer Dideco France aux futures négociations au sein de cet hôpital, aucun élément du dossier ne démontre que ce projet se serait concrétisé par une pratique ayant pour objet et ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence.
142- Ces documents, s'ils illustrent la politique générale de coordination conduite entre les deux sociétés, ne caractérisent pas un échange anticoncurrentiel d'informations préalable au dépôt des offres relatives au marché en cause.
Sur l'appel d'offre du CHU de Rouen
143- Il est reproché aux sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France d'avoir échangé des informations sur les prix et déposé des offres de couverture réciproques lors de l'appel d'offres organisé par le CHU de Rouen pour 1995. Ce grief repose sur les déclarations de M. X de la société Sorin Biomédica France, sur une mention du rapport d'activité de Sorin Biomédica France de mars 1995 et sur une note manuscrite du 3 mai 1995 adressée par Monsieur A, responsable CEC de Dideco France, à son directeur commercial, M. Z, ainsi qu'à M. X, directeur commercial de Sorin Biomédica France, (paragraphes 84 à 87).
144- La société Sorin Biomédica France oppose que l'identité du prix des packs de cardioplégie au sang, dont font état ces éléments, ne peut être considérée comme suspecte dans la mesure où les produits sont fabriqués à l'identique ; que, s'agissant de packs avec serpentin, la société Sorin Biomédica France n'a pas déposé d'offre de complaisance en les proposant à des prix plus élevés, dans la mesure où, seule, la société Dideco France en possédait dans sa gamme, contrairement à la société Sorin Biomédica France qui devait se procurer ce type de produit auprès d'une société tierce et ne pouvait donc pas être compétitive. Elle ajoute qu'à supposer que la coordination demandée par Dideco ait réellement influencé les prix proposés, celle-ci n'a pas été très efficace puisqu'elle n'a empêché ni une baisse des prix ni le choix d'un concurrent proposant un prix inférieur, en l'espèce la société Baxter. La limitation de la concurrence ou l'éventuel dommage à l'économie seraient inexistants.
145- Cette analyse est, cependant, contredite par les déclarations du 5 décembre 1997 de M. Z qui a, en effet, reconnu que "(...) Dans ce cas précis, il y a eu harmonisation des prix entre Sorin Biomédica France et Dideco France (...)" (paragraphe 84). En outre, les éléments figurant dans la note manuscrite du 3 mai 1995 (paragraphe 85) démontrent que l'ensemble du marché a fait l'objet d'une coordination des offres. Ce document débute, en effet, par la mention suivante : "(...) Dossier de consultation Rouen - je viens de faire mes prix. Tout est en harmonie avec Sorin Biomédica France (...)". Les mentions "Sorin est pressenti pour récupérer toutes les cardioplégies au sang avec ech.thermique/prix Sorin : 600 HT (...) Dideco 610/je me mets en retrait (...) Dideco est pressenti pour récupérer toutes les cardioplégies avec serpentin (Prix Baxter 370 HT) Sorin : 460 Dideco : 370 (...)" exposent de manière explicite le partage du marché entre les deux sociétés, Dideco se mettant "en retrait" pour les cardioplégies au sang, avec une offre supérieure à celle de Sorin et inversement pour les cardioplégies avec serpentin. Enfin, le rapport d'activité de mars 1995 de la société Sorin Biomédica France s'explique sans ambiguité sur la stratégie de concertation mise en œuvre dans ce centre : "Il est important que la gestion de l'hôpital de Rouen soit réalisée avec Dideco (...)".
146- Il est donc établi que les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France ont échangé des informations sur les prix auxquels elles envisageaient de soumissionner et procédé à des offres de couverture réciproques afin de se répartir les lots de l'appel d'offres organisé par le CHU de Rouen. Cette pratique, qui a eu pour objet et pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, constitue une entente prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Sur l'appel d'offres de la clinique Saint-Roch à Montpellier
147- Il est reproché aux sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France d'avoir échangé des informations sur leurs offres et leurs prix, lors de l'appel d'offres organisé par la clinique Saint-Roch de Montpellier. Ce grief, contesté par les entreprises, repose sur des mentions figurant au rapport d'activité de Sorin Biomédica France en date d'octobre 1996 (paragraphe 89) évoquant l'existence de "prix négociés avec Sorin" ainsi que les conséquences d'une offre inférieure de Dideco, sans consultation de Sorin.
148- Il ressort, cependant, des termes du rapport d'activité de la société Sorin Biomédica France susvisé que si les trois sociétés Sorin Biomédica France, Dideco France et Bard semblent, dans un premier temps, s'être accordées pour fixer leurs propositions de prix, la société Dideco a, finalement et sans concertation, proposé un prix inférieur à celui convenu pour les packs complets, ce qui conduit l'auteur du document à conclure "(...) ceci démontre, combien il est important qu'au niveau du terrain les informations se fassent régulièrement, mais depuis les modifications de structures dans le sud pour Dideco, il y a un manque qui apparaît". L'échec de la concertation sur ce centre a, par ailleurs, été évoqué par le directeur commercial de la société Dideco France dans une lettre du 29 novembre 1996 adressée à son homologue de la société Sorin Biomédica France, au terme de laquelle il concluait : "(...) Comme tu peux le lire, la préservation de nos intérêts communs, tout en conservant l'agressivité commerciale nécessaire dans la conjoncture actuelle, n'est pas aussi évidente à réaliser dans les faits. Il est nécessaire que nous en reparlions ensemble pour éviter tout débordement (...)" (paragraphe 109).
149- Ainsi, les échanges constatés, s'ils illustrent la politique générale de coordination entre les deux sociétés, ne peuvent à eux seuls caractériser la mise en œuvre d'une entente anticoncurrentielle dans le cadre de l'appel d'offres organisé par la clinique Saint-Roch de Montpellier en 1996.
Sur l'appel d'offres de l'hôpital Laennec à Paris
150- Il est reproché aux sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France d'avoir échangé des informations sur les propositions qu'elles envisageaient de déposer pour les appels d'offres organisés par l'hôpital Laennec. Ce grief se fonde sur une note adressée, le 12 avril 1995, par M. Z, directeur commercial de Dideco France, à son homologue M. X, de la société Sorin Biomédica France, ainsi que sur les déclarations de M. Z en date du 5 décembre 1997 (paragraphes 91 et 92).
151- La société Sorin Biomédica France oppose que les informations dont l'échange était demandé ne concernaient pas les mêmes produits et que la note dont il s'agit exprime de simples suggestions de la part d'un cadre d'une seule de ces deux sociétés. Elle fait valoir, en outre, que le résultat de la prétendue concertation a été à l'inverse du but recherché puisque c'est Sorin Biomédica France qui a obtenu le marché des oxygénateurs adulte contre Dideco, ce qui démontrerait que la concurrence a bien joué sur le marché, en particulier entre les deux sociétés du groupe.
152- Cependant, les termes de la note du 12 avril 1995, tels qu'ils sont retranscrits au paragraphe 91, démontrent qu'à la suite de la demande de Mme I, le directeur commercial de Dideco France a communiqué à son homologue de la société Sorin Biomédica France le prix proposé par Dideco pour le pack complet adulte et lui a précisé : "Il faut donc que le prix que tu proposes soit plus élevé. Peux-tu me tenir au courant de ta proposition (...)". Par ailleurs, lors de son audition du 5 décembre 1997, dont les termes sont rappelés au paragraphe 92, le directeur commercial de Dideco France a reconnu avoir échangé des informations sur les prix et avoir suggéré au directeur commercial de Sorin Biomédica France de fixer un prix plus élevé afin de pouvoir conserver le marché. Il est donc établi que la pratique a concerné le même produit, à savoir l'oxygénateur pour adulte, pour lequel les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France étaient en concurrence.
153- S'agissant de l'effet de la pratique, il ressort des termes de la note du 12 avril 1995 qu'en raison du volume important d'oxygénateurs pédiatriques vendus à l'hôpital Laennec, la société Dideco France avait procédé à une remise de 10 % sur les oxygénateurs pour adulte. Dès lors, l'entrée sur ce marché de la société Sorin Biomédica France, avec la prise d'une part trop importante, ne pouvait que nuire à l'équilibre économique global de l'offre de la société Dideco. Ceci explique les raisons pour lesquelles M. Z, ainsi qu'il l'a précisé lors de son audition, ne souhaitait pas que Sorin Biomédica France vende un nombre trop élevé d'oxygénateurs pour adulte. Le résultat escompté s'est effectivement produit, dans la mesure où la société Sorin Biomédica France a vendu à cet hôpital, en 1995, 10 oxygénateurs, alors que la société Dideco en vendait 620.
154- Il résulte de ce qui précède que les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France ont coordonné leurs offres concurrentes dans le cadre de l'appel d'offres lancé par l'hôpital Laennec à Paris en 1995. Cette pratique, qui a eu pour objet et pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Sur l'appel d'offres organisé par l'hôpital Marie Lannelongue au Plessis-Robinson
155- Il est reproché aux sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France d'avoir échangé des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer pour l'appel d'offres organisé par l'hôpital Marie-Lannelongue au Plessis-Robinson. Ce grief, contesté par les deux entreprises, repose sur les déclarations de M. X, directeur commercial de Sorin Biomédica France, qui sont retranscrites au paragraphe 94.
156- Lors de son audition en date du 5 décembre 1997, M. X a effectivement fait mention d'une "stratégie commune", s'agissant de l'hôpital Marie Lannelongue, ainsi que d'un partage des marchés, Sorin répondant aux demandes d'oxygénateurs adultes et Dideco à celles d'oxygénateurs pédiatriques pour lesquels elle était "connue et reconnue" selon l'attestation du professeur P, chirurgien cardiaque dans cet établissement à l'époque des faits (paragraphe 130). Cependant, les éléments du dossier n'établissent pas que les deux sociétés se seraient présentées en concurrence sur les mêmes produits après coordination de leurs offres. Dès lors, un tel partage de marché entre sociétés d'un même groupe en fonction des spécificités de chacune n'est pas, en l'absence de pratiques anticoncurrentielles avérées, prohibé par les dispositions relatives aux ententes anticoncurrentielles.
Sur l'appel d'offres organisé par l'hôpital Côte de Nacre à Caen
157- Il est reproché aux sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France d'avoir échangé des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer pour l'appel d'offres organisé par l'hôpital Côte de Nacre à Caen. Ce grief, contesté par les entreprises, est fondé sur des mentions des rapports d'activité de Sorin Biomédica France de juillet et août 1996 et de septembre 1996, retranscrites au paragraphe 99.
158- Il résulte des termes du rapport d'activité de juillet et août 1996 qu'il était prévu un réajustement à la baisse des commandes de Sorin Biomédica France pour permettre un équilibrage avec la part de marché détenue par Dideco. Le rapport d'activité de septembre 1996 mentionne que Dideco a proposé un oxygénateur adulte à membranes équipé de la poche veineuse C 600 de Sorin et que "Sorin ne doit pas être inquiétée sur ses propres lots".
159- Toutefois, les mentions de ce rapport ne traitent que des conséquences objectives de la prise de parts de marché par Dideco auprès de l'hôpital Côte de Nacre à Caen et celles du rapport de septembre 1996 expriment, selon les explications fournies, lors de la séance, par leur auteur M. X, directeur commercial de la division cardio-pulmonaire de Sorin, tout à la fois une protestation et une inquiétude en direction de sa hiérarchie destinataire du rapport. A défaut d'autres éléments démontrant que les deux sociétés se seraient livrées à des pratiques ayant pour objet de fausser le jeu de la concurrence, ces mentions sont insuffisantes à démontrer l'existence d'une pratique prohibée par les dispositions relatives aux ententes anticoncurrentielles.
Sur l'appel d'offres organisé par le CHRU de Rennes
160- Il est reproché aux sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France d'avoir échangé des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer pour l'appel d'offres organisé par le CHRU de Rennes. Ce grief repose sur des extraits des rapports d'activité de Sorin Biomédica France de février et mars 1996 ainsi que sur les déclarations de Monsieur X, directeur commercial de Sorin Biomédica France, retranscrites aux paragraphes 96 à 98.
161- La société Sorin Biomédica France oppose que les documents invoqués à l'appui de ce grief ne démontrent ni un échange d'informations effectif entre les deux sociétés ni une entente portant sur leurs prix ou leurs offres. Elle explique que les sociétés sont simplement entrées en contact avant le dépôt de leurs offres pour étudier une proposition liant les deux lots de produits identiques (des oxygénateurs adultes) et non pour les répartir entre elles. La société Sorin Biomédica France ajoute qu'à supposer que des offres aient été coordonnées avant leur dépôt, on ne peut véritablement conclure à une atteinte à la concurrence puisque la confrontation entre les différentes sociétés (dont Baxter) a abouti à une baisse des prix.
162- Les rapports d'activité précités démontrent, cependant, que, dans le cadre de l'appel d'offres lancé par le centre hospitalier de Rennes, trois sociétés se trouvaient en concurrence pour la commercialisation d'oxygénateurs pour adultes, Sorin Biomédica France, Baxter et Dideco France. Les sociétés Sorin Biomédica France et Baxter détenaient chacune, avant l'appel d'offres, une part de marché correspondant à 250 oxygénateurs. Pour Sorin, il s'agissait de 250 monopacks avec monolyth normal, pour Baxter, de 250 oxygénateurs clos. Il résulte aussi des explications fournies dans ces rapports que la société Sorin Biomédica France a cherché à gagner la part de marché de la société Baxter, sans "(...) nuire aux intérêts de Dideco France qui est aussi présent dans ce centre avec un système clos" (rapport de février 1996 cité au paragraphe 96) et que, pour ce faire : "(...) Une proposition Sorin liant les deux lots est à l'étude, en accord avec Dideco France qui est aussi présent sur ce marché et concerné par ces produits." (rapport de mars 1996, paragraphe 97). Dans le rapport de février 1996, il était annoncé qu'une proposition de prix serait faite au cas où Sorin serait retenue sur deux lots de packs complets. Ainsi, la nécessité de demander l'"accord de la société Dideco" avant de proposer des oxygénateurs clos ne peut s'expliquer autrement que par la préoccupation, formulée dans les deux rapports d'activité, de ne pas gêner l'activité de cette société en protégeant sa part de marché et non par la recherche d'une offre liée présentée par les deux sociétés. Cette analyse est confortée par les déclarations de M. X en date du 5 décembre 1997 "A Rennes, notre cible privilégiée est la concurrence et non pas Dideco France".
163- S'agissant de l'absence prétendue d'effet de la pratique alléguée, si le rapport de 1996 indique : "(...) De toute façon, une baisse des prix de 2,5 % à 7 % est inévitable", aucun élément du dossier ne permet de constater que tel aurait été le cas en l'espèce. En tout état de cause, rien ne permet de conclure qu'en l'absence de la pratique mise en œuvre, qui a nécessairement restreint le jeu de la concurrence, la baisse des prix n'aurait pas été plus importante.
164- Il ressort des éléments qui précèdent que les sociétés Sorin Biomédica France et Dideco France ont échangé des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer pour l'appel d'offres organisé en 1996 par le CHRU de Rennes. Cette pratique, qui avait pour objet et a pu avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence, constitue une infraction aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Sur l'appel d'offres organisé par la clinique Saint-Martin à Caen
165- Il est reproché aux sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France d'avoir échangé des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer pour l'appel d'offres organisé par la clinique Saint-Martin à Caen. Ce grief, contesté par les entreprises, est fondé sur des mentions du rapport d'activité d'octobre 1996 de Sorin Biomédica France, ainsi que sur un document daté du 9 décembre 1996, saisi dans le bureau de M. Z, et comportant une suite de messages relatifs à des échanges d'informations entre les sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France (paragraphes 101 à 104).
166- Le rapport d'activité d'octobre 1996 de Sorin Biomédica France confirme que cette société étudiait une stratégie pour contrer la position de la société Medtronic et maintenir les parts respectives des sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France sur le marché en cause en proposant conjointement la fourniture d'un groupe thermique "en contrepartie du maintien du marché en l'état actuel et cela pour une durée de deux années" (paragraphe 101). Si les échanges de messages retranscrits aux paragraphes 102 à 104 démontrent que Sorin s'est opposée à ce que ses offres et celles de Dideco soient liées, ce qui appuierait l'existence d'une stratégie commune visant à ce que les deux entreprises se présentent comme indépendantes et donc en concurrence, aucun de ces messages ne permet cependant de constater que les sociétés mises en cause ont échangé leurs prix ni quelle a été, en pratique, la suite du projet envisagé.
167- En l'absence d'éléments démontrant que Sorin Biomédica France et Dideco France auraient effectivement échangé des informations sur le montant de leurs offres, ces seuls documents sont insuffisants à rapporter la preuve d'une pratique anticoncurrentielle.
Sur l'appel d'offres organisé par l'hôpital Henri Mondor à Créteil
168- Il est, enfin, reproché aux sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France d'avoir échangé des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer pour l'appel d'offres organisé par l'hôpital Henri Mondor à Créteil en 1996. Ce grief, contesté par les entreprises, repose sur les mentions de différentes notes retranscrites aux paragraphes 106 à 109, à savoir une note datée du 20 novembre 1996, adressée par M. Xde la société Sorin Biomédica France à M. Z de Dideco France, une note interne à Dideco France, datée du 27 novembre 1996 et une lettre datée du 29 novembre 1996 adressée par M. Z à M. X
169- Il résulte des termes de la note interne du 27 novembre 1996 (paragraphe 108) que Dideco, qui ne vendait plus de matériel à l'hôpital Henri Mondor depuis la nomination d'un nouveau professeur de chirurgie cardiaque dans cet établissement, a tenté d'en redevenir fournisseur tout en préservant la part de Sorin, au détriment de la société Baxter. Dans cette perspective, les responsables commerciaux des deux sociétés se sont rencontrés et ont décidé de proposer la fourniture de 200 oxygénateurs sur deux ans, avec la mise à disposition d'un bloc thermique. Cependant, la stratégie mise en œuvre a échoué dans la mesure où l'offre de Dideco a effectivement été acceptée, mais au détriment de Sorin, qui s'est trouvée évincée du marché. Il semble, à cet égard, que chacune des sociétés ait présenté son offre de manière indépendante, la société Dideco ayant seulement précisé oralement, lors d'un entretien avec le professeur de chirurgie, que le but de sa démarche n'était pas d'évincer Sorin mais de réintroduire Dideco. La note adressée, le 20 novembre 1996, par M. X (Sorin) à M. Z (Dideco) déplore que "(...) cette proposition (qui) devait être faite d'une façon coordonnée car elle devait aboutir à renforcer la position acquise de Sorin Biomédica France et refaire entrer Dideco", a été faite "sans que Sorin ne soit impliqué et ce qui était prévisible est arrivé (...)".
170- Ces éléments démontrent que, dans le cadre de cet appel d'offres, la concertation n'a pas été conduite au point où elle aurait pu permettre de fausser le jeu de la concurrence. Si les comportements relevés sont susceptibles d'illustrer la pratique générale de concertation des deux entreprises, ils ne permettent toutefois pas, s'agissant du marché de l'hôpital Henri Mondor, de caractériser une pratique d'entente anticoncurrentielle prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
171- Ainsi, les pratiques de concertation relevées à l'égard des appels d'offres lancés par le CHU de Rouen en 1995, par l'hôpital Laennec à Paris en 1995 et par le CHRU de Rennes en 1996, montrent comment s'est décliné, dans ces trois cas particuliers, l'accord général de concertation sur la répartition des marchés, les offres et les prix. Cependant, les pratiques, relevées à l'occasion de ces trois appels d'offres qui constituent la mise en œuvre des accords conclus entre les entreprises, ne sauraient, sous peine de sanctionner deux fois la même infraction, donner lieu à des sanctions spécifiques pour leurs auteurs.
III. - Sur les sanctions
172- Les infractions retenues ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. Par suite et en vertu du principe de la non rétroactivité des lois à caractère répressif énoncé par les articles 6 et 7 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, ainsi que par l'article 15-1 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.
173- Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : "le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 1 524 490,17 euros" ;
Sur la gravité des faits et le dommage à l'économie
174- Les pratiques relevées ont, ainsi qu'il a été précisé ci-dessus, consisté en une entente générale de Sorin Biomédica France et de Dideco France, filiales du même groupe, visant à se répartir les marchés et, bien que se présentant comme des entités distinctes et concurrentes, à s'entendre ponctuellement pour échanger des informations sur les offres qu'elles envisageaient de déposer ensuite de façon indépendante et apparemment concurrentielle. Ces pratiques ont concerné le matériel de la CEC indispensable à des interventions médicales mettant en jeu la vie des malades et dont le coût est pris en charge par les organismes de sécurité sociale, ce qui garantit au fournisseur la solvabilité de la demande.
175- Eu égard aux caractéristiques qui viennent d'être rappelées, un respect scrupuleux des règles de la concurrence était particulièrement nécessaire dans le cadre de la procédure de désignation des fournisseurs par les demandeurs lors de la passation des marchés, car l'effectivité de la concurrence constituait alors le seul frein susceptible d'empêcher une concentration des offres au profit des mêmes sociétés et d'éviter, à terme, des hausses de prix injustifiées.
176- La pratique consistant, pour deux filiales d'un même groupe représentant un tiers du marché, à mettre en œuvre une politique générale de tromperie en laissant croire, par le dépôt d'offres apparemment concurrentes, que la procédure de marché public ou privé pouvait se dérouler de façon fructueuse, alors qu'en réalité les offres avaient été concertées pour fausser le jeu de la concurrence, revêt un caractère certain de gravité. Il importe peu que certains personnels hospitaliers aient pu connaître les liens unissant Sorin Biomédica France et Dideco France, dès lors que cette connaissance n'impliquait pas nécessairement celle de l'existence et de la portée de l'entente entre ces deux sociétés.
177- La société Sorin fait valoir, sur ce point, que la vente de matériel de CEC constitue une part infime des dépenses de consommation médicale totale et de coût des soins hospitaliers. Elle rappelle, de surcroît, que les dépenses annuelles de chaque centre hospitalier sont contingentées dans une enveloppe budgétaire globale et que, dès lors, les pratiques en cause n'ont pas pu concourir à la dérive des dépenses de santé publique.
178- Les considérations fondées sur la part représentée par les dépenses de CEC dans la totalité des dépenses de santé publique ne sauraient, cependant, amoindrir la gravité de pratiques concernant des matériels, d'une part, indispensables aux centres hospitaliers acquéreurs et qui, d'autre part, ne sont pas soumis aux contraintes usuelles que constituent la solvabilité de la demande et sa réaction à la baisse en cas de hausse de prix. Par ailleurs, le fait que les dépenses hospitalières soient contenues dans des enveloppes globales est sans effet sur la gravité de ces pratiques, dans la mesure où l'impact que celles-ci ont pu avoir sur les prix retentit nécessairement sur la nature et le montant des autres acquisitions de matériels qui auraient été permises dans le cadre des enveloppes globales.
179- S'agissant du dommage à l'économie, la société Sorin fait valoir que si la jurisprudence, et notamment la Courd'appel de Paris dans un arrêt du 20 novembre 2001, a retenu que "(...) le dommage à l'économie est indépendant du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe apportée au libre jeu de la concurrence par la généralisation et le caractère systématique des ententes (...)", ce dommage doit toutefois être apprécié et atténué par la prise en compte, en premier lieu, du nombre et de l'importance des marchés concernés, en deuxième lieu, de l'affectation du marché de manière substantielle ou seulement partielle, en troisième lieu, de l'effet ou non de hausse sur les prix et, enfin, de l'étendue et de la répétition des pratiques.
180- En l'espèce l'évaluation du dommage à l'économie peut être approchée par la comparaison du montant total du marché de la CEC estimé, ainsi qu'il a été relevé au paragraphe 42, à 200 millions de francs annuels, avec la part détenue par les deux entreprises en cause sur ce marché, qui est environ du tiers (paragraphe 40). Il y a lieu, par ailleurs, de relever que les pratiques retenues à leur charge ont été commises au moins de 1994 à 1997 et que, s'il n'est pas démontré qu'elles ont engendré des augmentations de prix des oxygénateurs, elles ont toutefois pu faire obstacle à ce que ces prix diminuent.
181- Il doit, enfin, être signalé que les deux sociétés ont, lors de la séance, annoncé leur intention de fusionner pour éviter toute confusion entre elles à l'avenir, cette opération devant avoir lieu dans un futur proche. L'articulation factice de Sorin Biomédica France et de Dideco en deux sociétés distinctes, qui se trouve à l'origine des pratiques en cause, devrait donc disparaître pour l'avenir.
Sur la situation de chacune des sociétés mises en cause
182- Le chiffre d'affaires réalisé en France, en 2001, par la société Sorin Biomédica France, s'est élevé à 17 548 535 euros. Au vu des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 175 000 euros.
183- Le chiffre d'affaires réalisé en France, en 2001, par la société Dideco France, s'est élevé à 12 779 460 euros. Au vu des éléments généraux et individuels tels qu'appréciés ci-dessus, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 128 000 euros.
DÉCISION
Article 1 : Il est établi que les sociétés Dideco France et Sorin Biomédica France ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en se répartissant les ventes aux établissements de soins de matériels de circulation extra-corporelle qu'elles ont en commun, par la mise en œuvre d'une politique générale de concertation.
Article 2 : Il est établi que, dans le cadre des appels d'offres lancés par le CHU de Rouen, par l'hôpital Laennec à Paris et par le CHRU de Rennes, les sociétés Dideco France et Sorin Biomedica France ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en se concertant préalablement pour assurer la coordination de leurs offres.
à la société Dideco France : 128 000 euros ;
à la société Sorin Biomédica France Biomédica : 175 000 euros.