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Décisions

CA Paris, 1re ch. B, 7 mars 1997, n° 95-24417

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Drou

Défendeur :

Biotonic (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Kamara (faisant fonction)

Conseillers :

Mme Marais, M. Charruault

Avoués :

SCP Bommart-Forster, SCP Cossec

Avocats :

Mes Joulain-Lerich, Lumbroso.

TGI Créteil, 1re ch. civ., du 19 mai 199…

19 mai 1995

LA COUR statue sur l'appel interjeté par Madame Drou d'un jugement rendu le 19 mai 1995 par le Tribunal de grande instance de Créteil, qui l'a déboutée de sa demande d'indemnisation formée contre la société de vente par correspondance Biotonic.

Référence étant faite au jugement déféré et aux écritures échangées entre les parties pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il suffit de rappeler ici les éléments suivants :

Courant février 1993, la société Biotonic a adressé à Madame Drou son catalogue de vente ainsi que divers documents relatifs au gain d'une " BMW ou 133 000 F cash ".

Estimant qu'en raison du libellé et de la présentation des documents émanant de cette société, elle avait pu légitimement croire au gain de ce prix et avait donc subi un préjudice en ne recevant pas ledit lot bien qu'elle ait envoyé son bulletin de participation, Madame Drou a assigné l'entreprise en réparation.

Le tribunal ayant rendu le jugement déféré, Madame Drou poursuit sa réformation en faisant valoir qu'à la lecture des différentes formules utilisées, elle a été faussement persuadée d'avoir gagné les prix litigieux et a ainsi subi un préjudice moral incontestable qui doit recevoir réparation. Elle demande en conséquence la condamnation de la société Biotonic à lui verser la somme de 133 000 F à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, outre celle de 10 000 F en vertu de l'article 700 du NCPC.

La société Biotonic conclut à la confirmation du jugement déféré aux motifs que les documents adressés à l'appelante étaient relatifs à un jeu dont les termes étaient attractifs mais non ambigus et que cette consommatrice ne pouvait ignorer, compte tenu de l'usage extrêmement développée des jeux promotionnels, le caractère aléatoire du gain. Elle sollicite en outre l'allocation de la somme de 10 000 F par application de l'article 700 précité.

Cela étant exposé, LA COUR,

Considérant que la société Biotonic, qui soutient avoir permis à Madame Drou de participer à un jeu promotionnel avec pré-tirage au sort sans lui faire aucunement croire qu'elle avait gagné le prix mis en jeu, se devait de l'informer loyalement et sans ambiguïté de l'aléa relatif à l'attribution du lot annoncé, sans l'induire en erreur sur le contenu exact du message qui lui était adressé ni circonvenir sa vigilance, aucun motif lié à sa volonté d'assurer la publicité et la vente de ses produits ne l'autorisant à s'affranchir de l'obligation de loyauté envers la consommatrice qu'elle sollicitait chez elle, ni des règles régissant la responsabilité civile ;

Considérant qu'en présentant de façon affirmative la simple éventualité du gain d'un lot important, qui ne constituait qu'un événement hypothétique, et en persuadant faussement Madame Drou qu'elle avait gagné un véhicule automobile ou sa contre-valeur en argent, la société Biotonic a commis une faute et engagé à son égard sa responsabilité délictuelle ;

Considérant, en effet, que cette entreprise lui a adressé notamment un document révélant, au grattage d'une case réservée à cet effet, 2 cours et 3 cours, lequel mentionnait :

- " Madame Drou nous vous garantissons que si l'une des séries figurant sur votre bon d'attribution complète une combinaison gagnante vous gagnez l'un de ces prix ! " ;

- " Si vous arrivez à compléter la combinaison gagnante 2 cours 3 cours ou 2 cours 3 fleurs, vous gagnez la BMW 316 ou 133 000 F cash " ;

- " Ces trois séries ont été attribuées personnellement à Madame Drou : 2 cours 3 cours une BMW 316 " ;

- " Chère Madame Drou, pour chacun des prix ci-dessus, deux combinaisons dont l'une est gagnante. Si l'une des séries figurant ci-dessus complète une des combinaisons gagnantes, vous gagnez l'un de ces prix. Faites Vite. " ;

- " Important : si l'une de vos séries complète une combinaison, conservez précieusement ce document à titre de justificatif " ;

Considérant qu'ainsi, pour créer la confusion dans l'esprit de la destinataire et la persuader faussement qu'elle avait gagné un bien de valeur, afin de l'inciter à acheter des articles de son catalogue, la société Biotonic a intentionnellement associé, de manière sélective et répétée, le nom de Madame Drou, la qualité de gagnant et la mention du véhicule BMW en une présentation solennelle employant des termes personnalisés, affirmatifs, inscrits en caractères de grande taille, de nature à tromper le consommateur normalement avisé et diligent, doté d'une capacité de compréhension moyenne;

Qu'en présence de la teneur de ce message, duquel il n'apparaissait pas résulter que la consommatrice, bien que détenant " l'une des combinaisons gagnantes ", n'avait pas gagné le lot mis en jeu et ne disposait que d'une chance aléatoire de gain, il ne saurait être reproché à Madame Drou de ne pas avoir, alors qu'elle n'y était pas tenue, accompli la démarche de demander une copie du règlement du jeu, l'appelante n'ayant pu raisonnablement envisager que ce règlement pourrait démentir ce que la société lui annonçait dans un courrier qu'elle avait choisi de lui adresser à son domicile en s'abstenant de joindre le règlement par elle conçu ;

Considérant qu'en faisant naître chez Madame Drou la vaine croyance du gain d'un bien de valeur, la société Biotonic lui a causé un préjudice moral à la mesure de la déception subie, qui sera réparé par l'allocation de la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que l'intimée, succombant en ses prétentions, ne peut prétendre au bénéfice de l'article 700 du NCPC ;

Qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame Drou les frais irrépétibles par elle exposés ;

Par ces motifs, LA COUR Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris ; Dit la société Biotonic tenue de verser à Madame Drou la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC ; Rejette toute autre demande ; Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société Biotonic et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code précité.