Ministre de l’Économie, 22 novembre 2002, n° ECOC0300182Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société Norbert Dentressangle
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 18 octobre 2002, vous avez notifié le projet d'acquisition de 99,28 % du capital et des droits de vote de la société Stockalliance par la société Groupe Norbert Dentressangle auprès de la société Transalliance Participations. Cette opération a été formalisée par un contrat de cession signé le 6 septembre 2002.
I. - LES PARTIES ET L'OPÉRATION
Stockalliance est une société détenue à 99,28 % par Transalliance Participations. Cette dernière est contrôlée indirectement à 100 % par l'Etablissement public de financement et de restructuration, qui est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de l'Economie. Stockalliance, qui contrôle plusieurs filiales, est spécialisée dans la prestation de services logistiques. Dans la mesure où elle ne possède pas de flotte de camions, elle sous-traite à d'autres entreprises les prestations de transport de marchandises qui font notamment partie de ses prestations de logistique. Dans le cadre de son activité, elle gère 32 entrepôts représentant 460 000 m², dont [...] % sont en propriété, et emploie près de 1 000 personnes. En 2001, le groupe Stockalliance (ci-après " Stockalliance ") a réalisé un chiffre d'affaires de [>15] millions d'euros, quasi exclusivement en France.
La société Groupe Norbert Dentressangle est contrôlée par la société Financière Norbert Dentressangle, elle-même entièrement contrôlée par la famille Dentressangle. La Financière Norbert Dentressangle est à la tête d'un groupe (ci-après " Dentressangle "), présent essentiellement dans les services de transport et de logistique. L'activité du groupe est organisée autour de quatre branches : (i) transport des produits conditionnés, (ii) logistique des produits conditionnés, (iii) transport et logistique des produits vrac et (iv) transport et logistique des produits sous température. Dentressangle dispose d'un réseau européen comprenant 190 agences, dont 155 en France. Il possède en outre une flotte de 4 500 véhicules ainsi qu'une capacité de stockage et d'entreposage de 1,5 million m² à travers l'Europe. Le groupe a réalisé des chiffres d'affaires de près de 1 094 et 930 millions d'euros au cours des exercices clos respectivement au 31 mars 2002 et au 31 mars 2001. Un peu plus de 60 % du chiffre d'affaires du groupe est réalisé en France.
L'opération notifiée a pour effet d'entraîner le contrôle exclusif de Stockalliance au profit de Dentressangle. Cette opération constitue donc une concentration au sens de l'article L. 430-1 du du Code de commerce.
Compte tenu des chiffres d'affaires des entreprises concernées, cette opération n'est pas de dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du du Code de commerce, relatives à la concentration économique.
II. - LA DÉFINITION DES MARCHÉS
L'activité concernée par l'opération notifiée est celle des services de logistique. Les services de logistique associent les différents maillons d'une chaîne d'approvisionnement de marchandises entre un point d'origine et un point d'arrivée, et ce afin de gérer de manière optimale le flux et le stockage desdites marchandises. Cette activité peut s'assimiler à une offre globale, dans la mesure où elle combine un ensemble de services tels que, notamment, le stockage, l'inventaire de stocks, la prise de commandes, et le transport de marchandises en un temps et en un lieu définis par le client.
De manière constante, la Commission européenne (ci-après la " Commission ") a considéré que les services de logistique constituaient un marché (cf. note 1). Bien que constatant que plusieurs professionnels de la logistique étaient spécialisés sur certains types de produits (par exemple : denrées périssables, produits toxiques, produits inflammables), elle a estimé, d'une manière générale, qu'il n'était pas pertinent de définir sur cette base plusieurs marchés séparés. En effet, la Commission a constaté que, souvent, les prestataires de logistique ne possèdent pas tout ou partie des infrastructures qu'ils exploitent, ce qui signifie qu'ils peuvent s'adapter facilement aux exigences de l'offre et de la demande, notamment en acquérant ou louant auprès de tiers les infrastructures nécessaires (cf. note 2).De même, bien que laissant la question ouverte, la Commission n'a pas souhaité segmenter le marché selon que les produits franchissent ou non les frontières. Elle a en effet constaté (i) que seulement 12 % des services de logistique concernaient des flux transfrontaliers, (ii) que la plupart des opérateurs importants de logistique agissent tant au niveau national qu'international, et enfin (iii) qu'il n'y a pas de barrières significatives pour fournir des prestations de logistique internationales (cf. note 3). Dans la mesure où l'instruction du dossier ne fait pas apparaître d'élément propre à remettre en cause l'analyse de la Commission, il sera retenu un seul marché des services de logistique.
Les parties estiment que le marché des services de logistique est de dimension européenne.
Tout d'abord, elles avancent que les clients les plus importants ont tendance à concentrer leurs activités logistiques en un nombre limité de centres européens, voire en un seul centre, ce qui expliquerait, selon elles, que les opérateurs les plus importants du fret et de la logistique ont été conduits à développer des réseaux européens d'agences. Les parties citent à cet égard le groupe [...], qui a récemment réduit le nombre de ses entrepôts à deux (au lieu de quarante auparavant) pour toute l'Europe, ainsi que Dentressangle qui développe un réseau d'agences et de filiales paneuropéennes.
Ensuite, les parties font observer que les principaux opérateurs de logistique opèrent tant à un niveau européen que national, puisque 13 des 20 plus importants logisticiens au niveau européen figurent également parmi les 20 premiers logisticiens en France.
Enfin, les parties soulignent que le marché des services de logistique ne comporte pas de barrière importante à l'entrée, ce qui autorise facilement le développement de cette activité à une échelle supranationale.
En revanche, la Commission a considéré dans un premier temps que le marché des services de logistique avait, pour l'essentiel, une dimension nationale (cf. note 4). Dans un second temps, elle a laissé la question ouverte quant à une dimension européenne du marché, tout en faisant état d'éléments plaidant nettement pour une dimension nationale (cf. note 5). Dans ses enquêtes remontant à l'année 2000, la Commission a en effet constaté que les clients font avant tout appel à des prestataires établis dans leur propre pays, même si elle reconnaît que certaines prestations de logistique peuvent avoir une dimension européenne. Ainsi, elle a constaté que les logisticiens présents dans plusieurs pays européens le sont avant tout au travers d'agences réparties sur un territoire national. A cet égard, la Commission a observé que les parts de marché des opérateurs de taille européenne différaient sensiblement selon le pays considéré, ce qui semble bien indiquer que le fonctionnement et la structure du marché concerné diffèrent sensiblement selon les pays. Enfin, on peut noter que la Commission fait souvent état, dans ses décisions, de propositions, émanant des parties notifiantes, visant à conférer une dimension nationale au marché des services de logistique.
Eu égard à ce qui précède, les éléments fournis par les parties ne semblent pas être à même de remettre en cause l'analyse de la Commission. Ainsi, une étude de la revue Logistiques Magazine (cf. note 6), consacrée au classement des prestataires de services de logistique confirme bien l'importance que les principaux opérateurs accordent à une implantation nationale : les 10 premiers prestataires européens exploitent tous plusieurs sites dans chaque pays où ils interviennent. Par ailleurs, même si certains clients concentrent leurs activités logistiques dans un nombre réduit de centres, les parties ne démontrent pas qu'il s'agit d'un phénomène général et massif. A cet égard on peut relever que la Commission avait récemment constaté que seulement un peu plus de 10 % des services de logistique concernaient des flux transfrontaliers. En outre, la possibilité de concentrer fortement les activités logistiques pour certaines catégories de produits, telles que les denrées périssables ou les produits dangereux, demanderait à être confirmée.
Pour les besoins de la présente décision, il sera donc retenu un marché des services de logistique de dimension nationale, l'examen des positions des entreprises concernées au niveau européen ne modifiant pas, en tout état de cause, les conclusions de l'analyse.
Par ailleurs, au sein de l'activité de fret, les parties ont défini un marché du transport routier, qu'elles considèrent comme étant de dimension européenne.
Au cas présent, Stockalliance n'exerce pas d'activité de fret. Pour ses besoins de logisticien, elle confie le transport à d'autres entreprises. Par ailleurs, Dentressangle, seule entreprise concernée présente dans le transport routier, est concurrencée, en France comme en Europe, par de nombreuses entreprises de transport routier. Plusieurs d'entre elles, également actives dans la logistique, ont, en France, un chiffre d'affaires généré par l'activité de transport routier nettement supérieur à celui de Dentressangle. En conséquence, dans la mesure où l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence en matière de fret, et notamment en matière de transport routier, il n'est pas nécessaire de définir précisément le ou les marchés concernés.
III. - ANALYSE CONCURRENTIELLE
Il ressort des données statistiques fournies par les parties (cf. note 7) que Dentressangle et Stockalliance ont réalisé environ respectivement [0-10] % et [0-10] % du chiffre d'affaires (CA) généré par l'activité de services de logistique en France. A l'issue de l'opération de concentration, la nouvelle entité deviendrait le 3e opérateur en matière de logistique, derrière Geodis ([10-20] %) et Hays ([10-20] %). Il existe dans cette activité une centaine d'opérateurs en France, ce qui confirme l'absence de barrières importantes à l'entrée sur ce marché. Plusieurs de ces concurrents, dont certains sont de taille internationale, ont une position significative.Ainsi en est-il de STEF-TFE ([0-10] %), FM Logistic ([0-10] %), SDV ([0-10] %), Daher ([0-10] %), Giraud Logistics ([0-10] %), Danzas ([0-10] %), Fret SNCF ([0-10] %), TNT Logistics [0-10] %, Tibbet & Britten ([0-10] %).
En conséquence, l'opération de concentration n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante au profit de Dentressangle.
Enfin, Dentressangle ne sera pas en mesure, à la suite de l'opération de concentration, de fermer l'accès de l'activité de transport routier de marchandises à ses concurrents. En effet, d'une part, Stockalliance ne possède pas un pouvoir de marché significatif au travers de ses achats de prestations de transport routier : celles-ci ont été de [...] millions d'euros en 2001, alors que le CA généré par l'activité de transport routier de marchandises des entreprises françaises (donc hors logistique) était d'environ 27,7 milliards d'euros en 2000 (1). D'autre part, bien qu'étant un opérateur significatif du transport routier de marchandises, Dentressangle est en concurrence avec de nombreuses autres entreprises présentes dans cette activité, dont certaines sont de taille internationale(2).
Il ressort de ces éléments que l'opération de concentration notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés identifiés. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
(1) Source : DAEI-SES (enquête annuelle d'entreprise Transport), ministère de l'Equipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer.
(2) Selon une Etude Xerfi (février 2002) consacrée au transport routier de marchandises, les cinq premiers opérateurs de transport routier de marchandises étaient en 2000 Geodis, STEF-TFE, Dentressangle, Giraud et Transalliance. Ils réalisaient au total un chiffre d'affaires d'environ 2,9 milliards d'euros pour la seule activité de transport routier de marchandises (donc hors prestations de logistique), dont 585 millions pour Dentressangle.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale.
Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
NOTE (S) :
(1) DSV/TNT Logistics/DSV Logistics (décision du 27 juin 2002).
(2) La Commission a toutefois laissé ouverte la possibilité de distinguer un marché séparé des services de logistique relatifs aux véhicules neufs.
(3) M. 1895 Ocean Group/Exel (NFC), décision du 3 mai 2000.
(4) M. 1405 TNT Post Group/Jet Services (décision du 15 février 1999) ; M. 1500 TPG/Technologistica (décision du 11 mai 1999).
(5) M. 1895 Ocean Group/Exel (NFC), précitée ; M. 2411 Autologic/TNT/Wallenius/CAT JV (décision du 27 juin 2001) ; M. 2722 Autologic/TNT/Wallenius/Wilhelmsen/CAT JV (décision du 25 février 2002) ; M. 2831 DSV/TNT Logistics/DSV Logistics précitée.
(6) Logistiques Magazine, n° 163 (décembre 2001).
(7) Les données statistiques utilisées par les parties émanent du numéro de la revue Logistiques Magazine précitée. Seules les données relatives à l'année 2000 étaient disponibles à la date de la présente décision.