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Décisions

CA Versailles, 1re ch. sect. 2, 8 juin 2001, n° 99-05817

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Carrefour France (SAS)

Défendeur :

Riche (Epoux), Riche (Epoux), Desserre (Epoux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chaix

Conseillers :

Mme Le Boursicot, M. Clouet

Avoués :

SCP Fievet-Rochette-Lafon, SCP Keime-Guttin

Avocats :

Mes Lévy, Bizard.

TI Rambouillet, du 11 mai 1999

11 mai 1999

FAITS ET PROCEDURE

Madame Marie-Joëlle Collibeaux, épouse Desserre a déposé au développement au magasin Carrefour de Rambouillet (78) onze pellicules photos relatives au mariage de Monsieur Dénoal Riche et Madame Desserre Anne, épouse Riche célébré le 12 juillet 1997.

Par acte en date du 7 mai 1998, Monsieur et Madame Dénoal Riche ont fait assigner la société Carrefour Rambouillet aux fins d'obtenir sa condamnation à leur payer la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 2 500 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le tout sous bénéfice de l'exécution provisoire.

A l'appui de leurs prétentions, ils ont exposé que les pellicules n'ont pu être retrouvées; qu'une tentative de conciliation devant le conciliateur de Rambouillet n'a pu aboutir; que la perte des pellicules leur a causé un préjudice important, eu égard au caractère exceptionnel de l'événement.

La société Carrefour a répondu que les demandeurs n'ont pas la qualité de contractant; que seule Madame Marie-Joëlle Collibeaux épouse Desserre a déposé les pellicules photographiques à son nom et que leur demande est irrecevable.

Elle a ajouté que sa responsabilité quasi-délictuelle ne pouvait être engagée, n'ayant commis aucune faute par imprudence ou négligence: a rappelé l'existence d'une clause limitative de responsabilité prévoyant en outre un dédommagement forfaitaire.

Les époux Riche et Desserre, parents des demandeurs, sont intervenus dans la cause et ont demandé la réparation de leur préjudice moral.

Reconventionnellement, la société Carrefour a demandé la condamnation solidaire des consorts Desserre et Riche a lui payer 30 000 F pour procédure abusive et 10 000 F su le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par jugement contradictoire en date du 11 mai 1999, le Tribunal d'instance de Rambouillet a rendu la décision suivante:

- Donne acte à Madame Marie-Joëlle Collibeaux épouse Desserre, Monsieur Jacques Desserre, Madame Marie-Madeleine Porée du Breuil épouse Riche et Monsieur Gwen Riche, de leur intervention volontaire,

- Déboute les époux Desserre Jacques et Marie-Joëlle née Collibeaux, de leur demande,

- Condamne la SA Carrefour à payer:

- aux époux Riche Dénoal et Anne-Christine née Desserre, la somme de vingt cinq mille francs (25 000 F) à titre de dommages et intérêts,

- aux époux Riche Gwen et Marie-Madeleine née Porée du Breuil, la somme de quinze mille francs (15 000 F) à titre de dommages et intérêts,

- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement,

- Déboute la société Carrefour de sa demande reconventionnelle,

- Condamne la société Carrefour à payer aux époux Riche Dénoal et Anne-Christine Desserre, et aux époux Riche Gwen et Marie-Mardeleine née Porée du Breuil, (par couple), la somme de deux mille cinq cent francs (2 500 F) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- et en tous dépens.

Par déclaration en date du 5 juillet 1999, la société Carrefour France SAS a relevé appel de cette décision.

Sur les demandes des époux Desserre, la société Carrefour entend rappeler que le juge ne peut écarter la clause limitative de responsabilité qu'en cas de dol ou de faute lourde, moyens inexistants en l'espèce, ou dans l'hypothèse où l'importance exceptionnelle des travaux aurait été signalée lors de leur remise, diligence ici omise; que compte tenu des faits, la société Carrefour a justement indemnisé leurs contractants; soutient que le premier juge n'a donc fait qu'appliquer la loi en jugeant que les époux Desserre ne justifiaient d'aucun dol de sa part.

Sur les indemnisations octroyées par le premier juge aux consorts Riche, la société Carrefour entend faire valoir que la faute pouvant engager sa responsabilité ne saurait être caractérisée par la violation ou l'inexécution d'une obligation contractuelle d'un contrat à l'égard duquel la prétendue victime est tiers; qu'au surplus, les consorts Riche ne démontrent pas l'existence d'une telle faute, ni ne font la démonstration de l'existence de leur préjudice; que les travaux photos effectués dans les grandes surfaces n' ont pas de valeur marchande; que les consorts Riche ne sont pas dépourvus de toutes photographies relatives au mariage.

Par conséquent, elle prie la cour de:

Déclarer bien fondée la société Carrefour Rambouillet en son appel.

Y faisant droit,

- Confirmer le jugement du Tribunal d'instance de Rambouillet rendu le 11 mai 1999 en ce qu'il a débouté M. et Mme Riche-Desserre en leurs demandes,

- Dire en conséquence les époux Desserre mal fondés en leur appel provoqué et les débouter.

Pour le surplus

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions.

Vu les dispositions de l'article 1382 du Code civil et de l'article 1165 du Code civil:

- Constater l'absence de toute faute commise par la société Carrefour Rambouillet,

- Débouter les consorts Riche de leurs demandes en dommages et intérêts,

- Ordonner en conséquence le remboursement des sommes indûment versées dans le cadre de l'exécution provisoire, avec intérêts légaux de droit.

Subsidiairement:

- Infirmer le jugement entrepris sur les quantum de dommages et intérêts octroyés aux consorts Riche,

- Fixer le montant des dommages et intérêts à de plus justes proportions, qui ne sauraient être supérieures à 10 000 F tous préjudices confondus.

En tout état de cause:

- Condamner solidairement les consorts Riche Dénoal, Riche Gwen, et Desserre au paiement d'une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- Les condamner sous la même solidarité aux entiers dépens, dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de la SCP Fievet-Rochette-Lafon, titulaire d'un Office d'avoué près la Cour d'appel de Versailles, et dont le recouvrement sera poursuivi conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur et Madame Dénoal Riche, Monsieur et Madame Gwen Riche et Monsieur et Madame Jacques Desserre soutiennent quant à eux, en ce qui concerne la responsabilité contractuelle de la société Carrefour à l'égard des époux Jacques Desserre, que la société avait une obligation de résultat en ce qui concerne la restitution de la chose; que sa faute est présumée jusqu'à preuve du contraire; que la clause limitative de responsabilité doit être réputée non écrite; qu'elle porte en effet sur l'obligation essentielle du contrat de développer les photographies; que Madame Desserre, cliente habituelle du magasin, a fait part à la personne a qui elle a remis les pellicules de leur exceptionnelle importance; que la société Carrefour avait parfaitement conscience de à gravité de la perte; que les avis de la Commission des clauses abusives et du Conseil National de la Consommation n'ont aucune valeur normative; que l'information sur l'importance des pellicules n'aurait en tout état de cause pas empêché leur perte. Sur la responsabilité délictuelle à l'égard des consorts Riche, ils allèguent que depuis longtemps la jurisprudence a admis que la mauvaise exécution d'une obligation contractuelle par une partie pouvait engager sa responsabilité délictuelle à l'égard de tiers; que la faute commise au cours de l'exécution du contrat d'entreprise a déjà été démontrée.

Enfin, sur le préjudice, ils prétendent qu'il s'agissait de photographies prises par un professionnel; que s'il existe d'autres clichés du mariage, il n'en existe cependant pas relativement au matin du mariage dans le jardin, ni lors de la cérémonie religieuse à l'intérieur de l'église.

Ils demandent donc à la cour de:

Vu les articles 1131, 1147, 1382 et suivants du Code civil,

- Confirmer le jugement du Tribunal d'instance de Rambouillet en date du 11 mai 1999 en ce qu'il a retenu que la responsabilité délictuelle de la société Carrefour était engagée à l'égard des Consorts Riche,

- Recevoir les intimés en leur appel incident et, y faisant droit,

- Infirmer le jugement pour le surplus,

- Dire et juger que la clause limitative de responsabilité présente un caractère abusif,

- Condamner la société Carrefour à payer à Monsieur et Madame Desserre:

- la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts sur le fondement contractuel,

- la somme de 2 000 F en remboursement de la note d'honoraires acquittée entre les mains de Monsieur Vincent Génot, photographe,

- la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

- Condamner la société Carrefour à payer à Monsieur et Madame Gwen Riche:

- la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles 1382 et suivants du Code civil,

- la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- Condamner la société Carrefour à payer à Monsieur et Madame Dénoal Riche:

- la somme de 30 000 F à titre de dommages et intérêts sur le même fondement,

- la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

- Condamner la société Carrefour aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Keime-Guttin, avoué aux offres de droit (article 699 du nouveau Code de procédure civile).

La clôture a été signée le 5 avril 2001 et l'affaire appelée à l'audience du 24 avril 2001.

Sur ce, LA COUR:

1°) Sur la responsabilité contractuelle de la société Carrefour à l'égard de M. et Mme Desserre

Considérant que la société Carrefour ne conteste pas que sa responsabilité contractuelle soit engagée vis-à-vis des époux Desserre, mais leur oppose la clause contractuelle limitative de responsabilité figurant sur le reçu remis aux clients, dont le premier juge a retenu l'application; que les intimes invoquent la nullité de cette clause en raison de son caractère abusif;

Considérant que cette clause prévoit un dédommagement forfaitaire sous la forme d'un film vierge et son traitement gratuit en cas de perte ou de détérioration totale de la pellicule; qu'il est précisé que dans le cas de travaux ayant une importance exceptionnelle, " il est recommandé d'en faire la déclaration lors de la remise afin de faciliter une négociation de gré à gré "; que cette clause ne confère pas un avantage excessif à la société Carrefour et ne revêt pas un caractère abusif, qu'il n'y a donc pas lieu de la déclarer nulle;

Considérant en outre que la preuve n'est pas rapportée d'un dol ou d'une faute lourde commise par la société Carrefour; qu'il n'y a donc pas lieu non plus d'écarter cette clause limitative de responsabilité pour ce motif,

Considérant que M. et Mme Desserre maintiennent que Mme Desserre n'a pas manqué de signaler à la personne de la société Carrefour, à laquelle elle a remis les pellicules, qu'il s'agissait des photos du mariage de sa fille; que cependant, la preuve n'est pas rapportée de la déclaration de l'importance exceptionnelle des travaux confiés; qu'en tout état de cause, il ressort des pièces communiquées par les parties que la société Carrefour a accepté de négocier de gré à gré le dédommagement de ses clients et a effectué à ce titre, sans en demander le paiement, des travaux de développement et numérisation de clichés pris par des invités lors de la cérémonie, pour un montant non contesté de 7 592,52 F;

Considérant que par conséquent, la société Carrefour est fondée à opposer aux époux Desserre la clause limitative de responsabilité; que ceux-ci seront donc déboutés de leur demande en paiement de dommages-intérêts;

2°) Sur la responsabilité quasi-délictuelle de la société Carrefour vis-à-vis des consorts Riche

Considérant qu'il est de droit constant que les tiers à un contrat sont fondés à invoquer l'inexécution défectueuse de celui-ci lorsqu'elle leur a causé un dommage;

Considérant que c'est à juste titre que le premier juge a retenu que la société Carrefour a reconnu, par son incapacité à restituer les films du fait de leur perte, avoir commis une faute, ne serait-ce que de négligence, laquelle engage donc sa responsabilité quasi-délictuelle vis-à-vis des tiers au contrat que sont les consorts Riche;

Considérant qu'il est constant que les films perdus étaient ceux réalisés lors de la cérémonie de mariage de M. Dénoal Riche et de Mme Anne Desserre, par M. Vincent Génod, reporter-photographe, engagé par les parents de la mariée pour effectuer le reportage photographique; que les mariés, ainsi que les parents de M. Dénoal Riche, qui n'ont pu récupérer les négatifs de ce reportage d'un caractère unique et exceptionnel pour eux, ont subi un préjudice personnel certain, résultant directement de la perte imputable à la faute de la société Carrefour, dont ils sont recevables et fondés à lui demander réparation; que les photographies prises par les invités du mariage n'ont pu combler la perte du reportage photographique réalisé par un professionnel et notamment, des clichés pris dans le jardin le matin de la cérémonie et surtout, dans l'église, où aucune autre photographie n'avait été autorisée;

Considérant que le premier juge a donc fait une exacte appréciation du préjudice à la fois des époux Riche-Desserre, les mariés et des époux Gwen Riche, parents du marié; que la cour confirme donc le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Carrefour à payer la somme de 25 000 F à titre de dommages-intérêts aux premiers et celle de 15 000 F aux seconds;

Considérant que par conséquent, la cour confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions;

3) Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:

Considérant qu'eu égard à l'équité, il y a lieu d'allouer d'une part aux époux Riche-Desserre et d'autre part, aux époux Gwen Riche, la somme de 3 500 F à chacun des couples, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs: LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort: Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Et y ajoutant: Déboute Monsieur et Madame Desserre des fins de toutes leurs demandes; Déboute la société Carrefour France des fins de toutes ses demandes; Condamne la société Carrefour France à payer d'une part, aux époux Riche-Desserre et d'autre part, aux époux Gwen Riche, la somme de 3 500 F à chacun des couples, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; La condamne à tous les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement contre elle par la SCP Keime Guttin, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.