CA Paris, 2e ch. B, 19 mars 1998, n° 96-16922
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Schultess
Défendeur :
Maillard, Baffet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Trochain
Conseillers :
Mme Schoendoerffer, M. Laurent-Atthalin
Avoués :
SCP Verdun-Gastou, SCP Barrier-Monin, SCP Faure-Arnaudy
Avocats :
Mes Ramain, Ferrand, De Heaulme.
LA COUR, statue sur l'appel principal de Madame Nicole Schultess d'un jugement rendu le 29 mai 1996 par le Tribunal de grande instance de Paris dans un litige qui l'oppose à Monsieur Claude Maillard et à Monsieur Jean Baffet, notaire.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère expressément à la décision querellée et aux conclusions des parties échangées en cause d'appel.
Il suffit de rappeler que M. Claude Maillard a assigné Nicole Schultess pour obtenir sa condamnation à exécuter le contrat de révélation de succession qu'elle a signé le 4 juillet 1990 et pour qu'il lui soit ordonné de lui faire connaître le montant de l'actif net perçu par elle dans la succession de son demi-frère Monsieur Loffet, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard passé le délai d'un mois après signification du jugement à intervenir. Il a aussi sollicité une provision de 300 000 F avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et une indemnité de 11 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Nicole Schultess a conclu au débouté des prétentions de M. Maillard au motif que le contrat de révélation de succession que lui a fait signer le généalogiste est nul pour défaut de cause, aucun véritable secret ne lui ayant été révélé, sa fille étant notamment en contact avec son demi-frère.
Elle a appelé en intervention forcée, Jérôme Baffet, notaire, afin qu'il précise les démarches qu'il a entreprises pour rechercher d'éventuels héritiers du défunt et qu'il en justifie.
M. Jérôme Baffet a conclu au rejet dans la mesure où c'est Jean Baffet, son père, dont il est le successeur, qui était titulaire de l'office notarial au moment du décès de M. Loffet. Il a demandé la somme de 4 000 F pour ses frais exposés hors dépens. Jean Baffet, assigné à son tour, a conclu au rejet des prétentions de Mme Nicole Schultess, estimant n'avoir commis aucune faute et précisant qu'il n'a pas fait appel au généalogiste bien qu'il soit le notaire du défunt dont il ne lui connaissait aucune descendance ou héritier. Il a réclamé la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et 4 000 F pour ses frais irrépétibles.
Par le jugement querellé le tribunal, faisant droit aux prétentions et moyens de M. Maillard, après avoir prononcé la mise hors de cause de M. Jérôme Baffet, a déclaré valable le contrat de révélation de succession conclu entre Claude Maillard et Nicole Schultess au motif que le contrat était causé et que la contestation tardive sur la validité n'était motivée que par le refus d'exécuter les obligations financières qui en découlaient.
Le tribunal a donc condamné Madame Nicole Schultess à communiquer à Claude Maillard les justificatifs de l'actif mobilier et immobilier lui revenant dans la succession de M. Loffet dans le délai d'un mois à compter de la signification du jugement, à payer à Monsieur Jean Baffet et à Monsieur Jérôme Baffet la somme de 4 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Par ailleurs Monsieur Jean Baffet a été mis hors de cause et toutes les autres demandes ont été rejetées.
Madame Nicole Schultess a relevé appel de ce jugement.
Elle fait valoir pour l'essentiel que le contrat de révélation de succession est nul car sans cause et, en second lieu, que le contrat est nul en application des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation.
Elle demande en conséquence à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de déclarer nul et de nul effet le contrat de révélation de succession. Elle sollicite également de "dire qu'en tout état de cause Me Baffet devra la garantir de toutes les éventuelles condamnations qui pourraient être prononcées contre elle au profit de M. Maillard.
Monsieur Claude Maillard, intimé, conclut, à titre principal, à la confirmation de la décision et au paiement de la somme de 15 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Il fait siens les motifs des premiers juges concernant le défaut de cause allégué par l'appelante. En ce qui concerne "la prétendue nullité du contrat de révélation de succession pour non respect des dispositions des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation, M. Claude Maillard soutient qu'il est de jurisprudence constante des juridictions civiles que le contrat de révélation de succession ne rentre pas dans le champ d'application de la loi du 22 décembre 1972, complété par la loi du 23 juin 1989, s'agissant d'une prestations de services effectuée immédiatement par le démarcheur. Il fait observer que l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 30 octobre 1996 est un arrêt singulier et rendu en matière pénale inapplicable en l'espèce.
A titre subsidiaire, M. Claude Maillard indique qu'il a droit à une rémunération soumise à l'arbitrage de la cour sur le fondement de l'enrichissement sans cause dès lors qu'il démontre que, grâce à son intervention, Madame Schultess a tiré profit de la révélation de succession et qu'il serait anormal de favoriser l'héritier de mauvaise foi qui " cherche à s'approprier tout le bénéfice d'un travail sans lequel il n'aurait pu prétendre à l'héritage".
Il demande à la cour de dire que Mme Schultess lui est redevable de la même somme que celle que M. Maillard aurait obtenu sur la base du contrat de révélation.
Maître Jean Baffet, intimé, conclut à la confirmation du jugement déféré et sollicite la somme de 30 000 F pour procédure abusive et celle de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.
Il fait siens les motifs du tribunal et souligne la parfaite mauvaise foi de Mme Schultess.
Sur ce,
Considérant qu'il convient de relever que la disposition du jugement relative à la mise hors de cause de M. Jérôme Baffet n'est pas déférée à la cour, l'acte d'appel de Mme Schultess n'étant pas dirigé contre ce dernier et ses conclusions ne formulent aucune critique même implicite à l'encontre de cette partie de décision; que cette disposition est donc définitive ainsi que la condamnation de Madame Schultess à lui régler la somme de 4 000 F pour ses frais exposés hors dépens;
Considérant qu'il est établi par les productions que Monsieur Michel Loffet est décédé accidentellement le 3 mai 1990; que Monsieur Dumonceau, avocat du défunt, a saisi Monsieur Maillard, généalogiste, dans le courant du mois de mai 1990 pour qu'il soit procédé aux recherches généalogistes, ne lui connaissant pas d'héritier; que M. Maillard a pu établir que Madame Schultess demi-soeur utérine du défunt, était seule héritière de M. Loffet;
Considérant que le 4 juillet 1990, il faisait signer à Madame Schultess, en son domicile, un contrat de révélation de succession aux termes duquel elle reconnaissait ignorer totalement le décès de son frère puisqu'elle ne l'avait pas revu et n'en avait aucune nouvelle depuis plus de 40 ans; qu'elle reconnaissait également que l'intervention du Cabinet Maillard était parfaitement justifiée et indispensable; que sans son intervention, elle n'aurait jamais songé à revendiquer ce droit héréditaire ouvert à son profit; qu'en contrepartie de la révélation de ses droits, elle s'engageait contractuellement à céder à Monsieur Maillard une fraction de l'actif successoral à lui revenir en vertu du tarif imprimé au verso du contrat; qu'enfin elle le mandatait pour la représenter et donnait tous pouvoirs pour recueillir la succession de Monsieur Loffet en exerçant toutes les actions judiciaires ou extrajudiciaires;
Considérant que c'est à juste titre que Mme Schultess soutient que le contrat qui lui a été ainsi proposé chez elle, constitue un contrat de fourniture de services soumis aux dispositions des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation; que peu importe pour l'application de ce texte que le client comme en l'espèce soit unique et déterminé à l'avance;
Qu'en effet c'est le généalogiste, Monsieur Claude Paillard, que Mme Schultess ne connaissait pas, qui lui a proposé ses services en se rendant chez elle; que la venue du généalogiste au domicile de l'héritier a bien pour but de le convaincre de s'engager et de devenir le client du cabinet d'études généalogiques;
Qu'en outre, le contrat de révélation de succession ainsi rédigé n'est pas une prestation de service liée à une vente et effectuée immédiatement par le démarcheur au sens de la loi du 23 juin 1989 complétant les dispositions de la loi de 1972; qu'en effet, en l'espèce, aux termes du contrat litigieux, il est expressément stipulé que le généalogiste s'oblige à établir la qualité héréditaire de Mme Schultess ainsi qu'à produire toutes les justifications utiles dans le cadre d'investigations à accomplir en vue de la réunion de tous les documents indispensables à la détermination de ses droits; qu'en outre le contrat signé par Mme Schultess donnait aussi mandat au généalogiste de la représenter aux opérations de règlement de succession; que ces opérations font partie intégrante de la prestation du généalogiste dont la rémunération est globalement prévue en fonction des découvertes relatives au passif et à l'actif de la succession; qu'il s'évince de l'ensemble de ces éléments que les différentes prestations sont donc étalées dans le temps et ne constituent pas une prestation immédiate;
Qu'à cet égard, il convient de préciser que la révélation n'est faite qu'après que l'héritier a donné son acceptation à l'acte et qu'il a pris l'engagement d'abandonner une rémunération; qu'ainsi la divulgation du "secret" est postérieure à la conclusion du contrat;
Que dès lors les dispositions revendiquées par Mme Schultess sont pleinement applicables, étant observé que, dans ces conditions, rien n'empêche à ce que le "consommateur" de succession soit protégé par le devoir d'information et la faculté de dédit dont la mise en œuvre est imposée aux professionnels par la loi de 1972;
Considérant qu'il est constant que le contrat de révélation de succession signé par Madame Schultess ne contenait pas les mentions prévues par l'article L. 121-23 du Code de la consommation, à peine de nullité; qu'en particulier la faculté de renonciation prévue à l'article L. 121-25 ainsi que les conditions d'exercice de cette faculté n'étaient pas mentionnées; que pas plus ne figurait de façon apparente, le texte intégral des articles L. 121-23 à L. 121-26 du même Code; qu'aucun formulaire détachable de renonciation n'existait;
Qu'il s'ensuit, sans qu'il soit besoin de relever les autres irrégularités, que le contrat de révélation de succession signé le 4 juillet 1990 entre Madame Schultess et Monsieur Maillard est nul et de nul effet;
Considérant qu'un contrat nul ne peut produire aucun effet juridique de sorte que sur le fondement du contrat annulé M. Claude Maillard ne peut prétendre à la rémunération qu'il prévoit;
Qu'il s'ensuit que le jugement doit être infirmé de ce chef;
Considérant que M. Maillard ne peut pas davantage, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, obtenir une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait perçue en établissant que c'est grâce à son intervention et à la révélation faite que Mme Schultess a pu faire valablement valoir ses droits d'héritière; qu'en effet l'action fondée sur l'enrichissement sans cause n'est ouverte au supposé appauvri que s'il ne dispose d'aucune autre action; que cet enrichissement ne peut être évoqué, à titre subsidiaire, pour suppléer son action en paiement de la rémunération fondée sur un contrat qui est annulé;
Que surabondamment la théorie de l'enrichissement sans cause n'autorise pas à rémunérer le généalogiste, car elle ne permet que de mettre à la charge de la personne enrichie les dépenses dont elle a profité et non de rémunérer les peines et soins de la personne appauvrie; qu'ainsi M. Claude Maillard ne peut pas prétendre au paiement d'une quelconque indemnité pour les services rendus fussent-ils déterminants ou non;
Considérant qu'en l'espèce, à supposer que l'appauvrissement de M. Claude Maillard consiste en les frais engagés, avant même la conclusion du contrat, afin d'identifier l'héritier, les démarches, qui l'ont conduit à retrouver l'héritier, ont été accomplies à ses risques et péril et dans son intérêt personnel; que de plus la cause de son appauvrissement réside ici dans le fait qu'à défaut d'une convention valable, il ne peut couvrir ses frais par la rémunération escomptée et ne réside pas dans le profit qu'a pu tirer Madame Schultess de la révélation qui lui a été faite, l'héritière puisant son enrichissement dans les règles qui gouvernent la dévolution successorale;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la mise en cause du notaire aux fins de garantie est sans objet, étant par ailleurs en outre observé qu'elle est aussi sans fondement dans la mesure où il est parfaitement démontré par les productions que le notaire n'a jamais fait appel à M. Maillard, généalogiste, et qu'il n'a commis aucune faute avérée; qu'il s'ensuit que le jugement doit être confirmé sur ce point; qu'aucun élément du dossier ne révèle l'intention de nuire de Madame Schultess en exerçant son droit d'appel et en maintenant en la cause le notaire qui, au demeurant, était le notaire de son demi-frère décédé depuis de nombreuses années; que la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive doit donc être rejetée;
Que cependant l'équité commande d'allouer à Monsieur Jean Baffet la somme de 10 000 F pour ses frais exposés hors dépens dont la charge doit être supportée par l'appelante;
Que les dépens de première instance et d'appel relatifs à la mise en cause de Jérôme et Jean Baffet doivent être supportés par Madame Schultess, les autres dépens étant supportés par M. Maillard;
Par ces motifs, LA COUR, Dans la limite de l'appel ; Confirme le jugement qui a condamné Madame Schultess à payer à M. Jean Baffet la somme de 4 000 F en application de l'article 700 du NCPC ; Confirme également le jugement qui a rejeté la demande de dommages et intérêts présentée par le notaire ; l'Infirme pour le surplus, Et statuant à nouveau, Rejette toutes les demandes présentées par M. Claude Maillard ; Y ajoutant ; Condamne Madame Nicole Schultess à payer à Monsieur Jean Baffet la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC ; Rejette les autres demandes des parties ; Condamne Monsieur Claude Maillard aux entiers dépens de première instance et d'appel à l'exception des dépens afférents à la mise en cause de Jérôme et Jean Baffet qui seront à la charge de Madame Nicole Schultess ; Admet les avoués concernés au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.