CA Grenoble, 1re ch. civ., 18 août 1999, n° 97-01789
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gestetner Services (SA)
Défendeur :
Jeannot
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Falletti-Haenel
Conseillers :
Mmes Kueny, Landraud
Avoués :
Me Ramillon, SCP Grimaud
Avocats :
Mes Ceccarelli, Blayon
Suivant contrat de location "Prix Global Copie" du 2 septembre 1993, la société anonyme Gestetner Services amis à la disposition de Monsieur Marcel Jeannot un fax et un photocopieur pour une durée minimum de 72 mois, moyennant un prix de 3 154,17 F par trimestre, un nombre minimum de copies par trimestre (2 700) et le montant HT par copie (0,985 F) étant prévus au contrat.
Le contrat stipulait en son article 9 que le client pouvait à tout moment demander au prestataire d'accepter des modifications quant au prix de chaque copie, au nombre de copies, à l'échange de matériel.
L'article 10 du contrat prévoyait au seul profit du prestataire de service la résiliation de plein droit en cas de non-paiement des loyers et la possibilité d'exiger la totalité des redevances dues jusqu'à expiration de la durée irrévocable indiquée au contrat (72 mois).
Après un trimestre de mise en place du matériel, Monsieur Jeannot a, le 10 janvier 1994, fait part à la société Gestetner de l'inadéquation entre la consommation minimale de 2 700 copies par trimestre et sa consommation réelle de 400 photocopies et n'ayant pas eu de réponse, a réitéré les termes de son courrier par lettre recommandée avec accusé de réception du 28 janvier 1994.
La proposition de crédit-bail faite par la société Gestetner et jugée exorbitante par Monsieur Jeannot ayant été refusée, la société a alors réclamé les échéances courant jusqu' à la fin du contrat.
Monsieur Jeannot s'opposant à cette demande et ayant restitué le matériel le 24 octobre 1994, a par exploit du 31 mars 1995 fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Grenoble la SA Gestetner Services au principal en résiliation du contrat, subsidiairement en annulation des clauses abusives du contrat.
Par jugement rendu le 20 février 1997, le Tribunal de grande instance de Grenoble:
- a prononcé l'annulation du contrat conclu le 2 septembre 1993 entre la SA Gestetner Services et Marcel Jeannot,
- a ordonné la restitution par la SA Gestetner à Marcel Jeannot des sommes perçues depuis le 18 avril 1994,
- a débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- a condamné la SA Gestetner à payer à Marcel Jeannot la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et celle de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Suivant déclaration reçue au greffe le 2 avril 1997, la SA Gestetner Services a relevé appel de cette décision.
Elle demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de condamner Marcel Jeannot à lui payer la somme de 9 462,51 F au titre des loyers arriérés, celle de 68 591,04 F avec intérêts au taux légal à compter de la notification de la résiliation du contrat à titre d'indemnité forfaitaire de résiliation et celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle soutient avoir satisfait à son obligation d'information et de conseil envers Monsieur Jeannot que sa profession d'avocat mettait à même d'apprécier la portée de l'engagement pris par lui.
Elle conteste le caractère abusif de la clause contenue à l'article 9 du contrat et expose avoir exécuté son obligation de bonne foi alors même que Monsieur Jeannot avait cessé de régler les échéances contractuelles.
Elle conteste aussi que la clause de l'article 10 prévoyant l'indemnité de résiliation soit abusive alors qu'elle n'exclut pas l'application de l'article 1184 du Code civil et que la rupture du contrat est imputable au seul Marcel Jeannot qui a cessé de son propre chef de payer ses loyers tout en continuant à utiliser le matériel.
Elle soutient que l'indemnité contractuelle acceptée par Monsieur Jeannot n'est pas excessive, qu'elle correspond au préjudice subi par la société qui ne peut espérer revendre ou relouer le matériel récupéré de son locataire, et qu'elle est destinée, en outre, à sanctionner la non-exécution du contrat.
Marcel Jeannot conclut au mal fondé de l'appel, à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de la société Gestetner au paiement de la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Il réplique:
- que la SA Gestetner donne une interprétation erronée des faits,
- qu'elle a failli à son obligation d'information et de renseignement quant au nombre minimum de copies dont le chiffre a été imposé par elle à son co-contractant sans qu'il ait été procédé à une réelle étude des besoins des clients,
- que le contrat passé n'ayant pas de rapport avec son activité professionnelle, il a la qualité de consommateur, que l'article 9 constitue une clause potestative témoignant d'un déséquilibre du contrat,
- que la société Gestetner n'a pas exécuté l'obligation résultant de l'article 9, sa proposition de modification du contrat n'ayant été faite que le 5 juillet 1994 soit plus de 3 mois après la demande formulée le 28 janvier 1994,
- que l'article 10 du contrat est abusif en ce qu'il prévoit au seul profit du prestataire la faculté de résiliation avec indemnité,
- que l'indemnité stipulée est d'un montant disproportionnellement élevé,
- que le non paiement des échéances est justifié parle non-respect de ses obligations par la société Gestetner.
A titre subsidiaire, il fait valoir que le contrat encourt la nullité pour non-respect des prescriptions légales relatives à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile.
La SA Gestetner demande acte de son changement de son siège social. Elle conclut à l'irrecevabilité de la demande en annulation du contrat formée subsidiairement comme constituant une demande nouvelle formulée pour la première fois devant la cour. A titre subsidiaire, elle conclut à son mal fondé dès lors que le contrat souscrit par Monsieur Jeannot avait un rapport direct avec son activité professionnelle.
Motivation de la cour
Les premiers juges ont, par une motivation pertinente que la cour adopte intégralement, justement analysé les faits de la cause et répondu aux moyens des parties repris pour l'essentiel dans leurs écritures d'appel.
Les faits ont été analysés sur la base des pièces produites dont la réalité n'est pas contestée par les parties à savoir:
- le contrat de location "Prix Global Copie" du 2 septembre 1993,
- la facture annuelle payable tous les 3 mois du 25 octobre 1993,
- la lettre recommandée avec accusé de réception du 28 janvier 1994 de Monsieur Jeannot laquelle fait référence à un précédent entretien du 10 janvier 1994 et réitère sa demande de réaménagement du contrat,
- la lettre de la société Gestetner du 1er février 1994 avisant Monsieur Jeannot de la visite d'un collaborateur commercial,
- la lettre recommandée avec accusé de réception du 18 avril 1994 de Monsieur Jeannot par laquelle il fait état de la non-venue de l'interlocuteur annoncé, du défaut de conseil de son co-contractant quant au nombre de copies, de sa décision de mettre fin au contrat et de son offre de restitution du matériel,
- la lettre du 5 juillet 1994 de la société Gestetner proposant un crédit bail de 48 mois pour le fax Laser.
- la lettre du 23 août 1994 par laquelle Monsieur Jeannot refuse cette offre,
- le procès-verbal de constat de reprise du matériel en date du 24 octobre 1994,
- la lettre recommandée avec accusé de réception de la société Gestetner du 14 septembre 1994 pour obtenir paiement des loyers arriérés et celle du 10 octobre 1994 portant résiliation du contrat.
L'interprétation de ces documents est claire et ne donne pas lieu à discussion.
Les premiers juges ont retenu avec raison qu'un avocat qui s'en remet à un professionnel de la reprographie conserve sa qualité de consommateur à l'égard de celui-ci. En effet, même si le photocopieur est un outil utile à l'activité d'avocat exercée par Monsieur Jeannot, ce matériel n'a pas de rapport direct avec l'activité juridique et judiciaire d'un avocat.
Ils ont également à juste titre retenu que la société Gestetner avait failli à son obligation de conseil et de renseignement du client en lui imposant un nombre minimum de 2 700 copies par période de référence. C'est en vain qu'elle soutient que ce chiffre lui aurait été donné par Monsieur Jeannot et qu'elle est totalement étrangère à cette option alors que le prix unitaire des copies varie selon leur nombre et que le meilleur rapport quantité-prix offert pour les prestations proposées est de 2 700 copies.
En mettant en avant ce bon rapport sans rechercher si le nombre de copies correspond aux besoins de son co-contractant, la société Gestetner qui, comme l'a retenu le tribunal, ne fournit aucun élément de nature à établir qu'il aurait été procédé à une étude de ces besoins, a bien manqué à l'obligation de conseil et de renseignement du client lui incombant.
Le tribunal a, en outre, relevé à bon droit le déséquilibre des dispositions contractuelles au profit du seul prestataire de services.
En effet, si le co-contractant peut faire résilier le contrat sur le fondement de l'article 1184 du Code civil, les stipulations contractuelles réservent au seul prestataire de services la faculté de résilier le contrat de plein droit, c'est à dire sans procédure judiciaire assortie de surcroît d'une indemnité contractuelle correspondant à la totalité des redevances restant dues jusqu'à l'expiration de la durée irrévocable du contrat, le matériel devant par ailleurs être restituée.
Le jugement sera en définitive purement et simplement confirmé, la société Gestetner étant condamnée à payer à Monsieur Jeannot la somme supplémentaire de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi, Déboute la société Gestetner de son appel; Confirme le jugement déféré; Y Ajoutant, Condamne la SA Gestetner Services à payer à Monsieur Jeannot la somme supplémentaire de 5 000 F (cinq mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; La condamne aux depens avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Grimaud, avoués, sur ses offres de droit.