Conseil Conc., 2 juillet 2003, n° 03-D-31
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Secteur de l'assurance ski
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Colombani, en remplacement de Mme Bleys, empêchée, par Mme Pasturel, vice-présidente, Mmes Béhar-Touchais, Perrot, MM Flichy, Gauron, Ripotot, membres.
Le Conseil de la concurrence (Section IV),
Vu la lettre enregistrée le 9 septembre 1999 sous le numéro F 1166 par laquelle le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, agissant par délégation du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, a saisi le Conseil de la concurrence sur le fondement de l'article L. 462-5 du Code de commerce, de pratiques mises en ouvre dans le secteur de l'assurance ski ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, fixant les conditions d'application de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 et le décret n° 2002-689 du 3 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement, par la Fédération française de ski, le Syndicat national des téléphériques de France, l'association Orion Ticket Neige et le comité régional de ski de Savoie ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la Fédération française de ski, du Syndicat national des téléphériques de France et du comité régional de ski de Savoie entendus au cours de la séance du 6 mai 2003, l'association Orion Ticket Neige, ayant été régulièrement convoquée ; Adopte la décision suivante :
I. - Constatations
A.- Le secteur
Les acteurs présents sur le secteur de l'assurance ski
La Fédération française de ski (FFS)
1. La FFS est une fédération sportive constituée sous la forme d'une association. Fondée en 1924, elle a été reconnue d'utilité publique par un décret du 19 octobre 1970. Un arrêté du 31 décembre 1985 l'a dotée de prérogatives de service public afin de promouvoir des activités physiques et sportives.
Les comités régionaux
2. Un certain nombre de groupements et associations sportifs affiliés à la FFS sont réunis en "comités régionaux", constitués eux-mêmes sous la forme d'associations déclarées. Ces comités régionaux, qui sont représentés en tant que tels à l'assemblée générale de la FFS, sont dotés de pouvoirs et de ressources propres. Deux des dix-sept comités régionaux de ski créés en France apparaissent dans la présente affaire :
- Le comité régional de ski de Savoie qui couvre trois massifs alpins (Tarentaise, Maurienne et Val d'Arly), sur lesquels sont réparties 45 stations et 900 remontées mécaniques. Il compte environ 48 000 adhérents répartis dans 98 clubs de ski et se trouve ainsi au premier rang des comités régionaux.
- Le comité régional de ski du Mont-Blanc qui compte environ 39 000 adhérents répartis dans 135 clubs de ski de Haute-Savoie.
Le Syndicat national des téléphériques de France (SNTF)
3. A l'époque des faits, il existait 445 entreprises de remontées mécaniques, réparties dans 371 stations. La quasi-totalité de ces entreprises étaient adhérentes au SNTF.
L'association ORION
4. L'association Orion a été fondée en 1986 par des exploitants de remontées mécaniques affiliés au SNTF, sous la dénomination "Orion stations de l'an 2000", devenue, au mois de juin 1991, "Orion Ticket Neige". Cette association a pour objet : "la collecte de fonds et leur mise à disposition au profit de toute opération pouvant concourir à la promotion et au développement de la pratique du ski alpin".
La demande d'assurance liée à la pratique du ski
5. Face au développement du tourisme de masse, les collectivités locales se sont trouvées dans l'obligation de mettre en place l'organisation des secours avec des moyens publics. Toutefois, à la demande de nombreux maires et afin de responsabiliser les individus, la loi "Montagne" du 9 janvier 1985 a ouvert, dans son article 97, la possibilité de limiter la gratuité des secours pour les activités sportives. Ces dispositions ont été codifiées à l'article L. 221-2 § 7 du Code général des collectivités territoriales. Le décret en Conseil d'État n° 87-141, promulgué le 3 mars 1987, précise dans son article 2 : "Peuvent faire l'objet du remboursement des frais de secours prévus au 7° de l'article L. 221-2 du Code des communes, les activités sportives ci-après : ski alpin, ski de fond."
6. Les communes peuvent, en conséquence, recouvrer auprès des skieurs accidentés tout ou partie des frais engagés pour leur porter secours. Le tarif et les modalités de recouvrement font l'objet d'une délibération du conseil municipal.
7. C'est dans ce contexte que sont apparus et se sont développés des produits d'assurance spécifiques couvrant les risques liés à la pratique du ski.
Les produits d'assurance
8. Les produits d'assurance liés à la pratique du ski présentent plusieurs caractéristiques spécifiques. Tout d'abord, en ce qui concerne les garanties offertes, ils comprennent une prestation "assurance", qui porte généralement sur la responsabilité civile, le remboursement des forfaits non utilisés, les frais médicaux, le bris du matériel et la garantie "défense recours", mais peuvent aussi comporter une prestation "assistance", qui inclut le rapatriement de l'accidenté.
9. Par ailleurs, leur durée est variable, elle peut couvrir la journée, la durée d'un séjour (environ dix jours) ou, enfin, l'année.
10. Plusieurs organismes liés à la pratique du ski comme la Fédération française de ski, le Syndicat national des téléphériques de France, les comités régionaux de ski ont créé un certain nombre de formules d'assurance à la journée, qui peuvent être achetées dans les stations aux guichets des remontées mécaniques, dans les écoles de ski ou les offices du tourisme. Parmi ces produits figurent, notamment, les produits suivants : le "Carré Neige Orion" qui offre une garantie complète assurance et assistance, le "Carré Neige Savoie" qui offre les mêmes garanties que le précédent, le "Ticket Neige Orion" et le "Ticket sécurité" du comité Mont-Blanc qui ne comprennent que la prestation assurance.
Les offreurs de produits d'assurance ski présents en station
L'association "Orion Ticket Neige"
11. Ainsi qu'il sera exposé infra, cette association offre les produits d'assurance du partenariat FFS/SNTF/Orion, à savoir le "Carré Neige Orion", et le "Ticket Neige Orion", qui sont proposés avec les forfaits pour un ou deux jours des remontées mécaniques.
Les comités régionaux de ski
12. Le comité régional de Savoie a mis en place, en 1989, un produit d'assurance à la journée, le "Carré Neige Savoie", vendu aux guichets des remontées mécaniques de Savoie, puis étendu ultérieurement à la Haute-Savoie (66 stations adhérentes pour la saison 1997-1998). La vente de ce produit d'assurance ski a constitué, pour la saison 96-97, la moitié des ressources du comité.
13. Le comité régional du Mont-Blanc a lancé, en 1992, un produit d'assurance à la journée, limité à la couverture "assurance", le "Ticket sécurité", en vente aux guichets des remontées mécaniques. Ultérieurement, le comité régional du Mont-Blanc a abandonné la commercialisation de ce produit d'assurance et a adopté, pour la saison 1995-1996, le produit du comité régional de Savoie "Carré Neige Savoie", qui offrait aux skieurs une meilleure couverture.
Autres offreurs
14. Certaines compagnies d'assurance ont passé des conventions avec plusieurs stations de sport d'hiver pour que les guichets des remontées mécaniques de ces stations puissent vendre leurs propres produits d'assurance. C'est le cas des stations Les Karelis, Châtel, Montgenève, Le Mourtis.
15. Le cabinet Cattan a élaboré un produit d'assurance ski à la journée, la "vignette ski", créé pour la saison 1985-1986 et commercialisé aux guichets des remontées mécaniques de stations situées pour certaines dans les Alpes du Sud et pour les autres dans les Pyrénées.
Des offreurs hors station
16. Les assurances peuvent également être souscrites auprès du comité régional de ski de Paris et des régions Nord et Ouest, des clubs de plaine, de la Maison des Hautes-Alpes et de la Maison de Savoie, des magasins de sport, des agences de voyage, des autocaristes, des banques et des compagnies d'assurance qui commercialisent de manière générale des produits "séjour".
B. - LES PRATIQUES RELEVÉES
17. La saisine fait état d'une convention signée le 19 octobre 1992 entre la FFS et le SNTF, par laquelle ces organismes auraient faussé le jeu de la concurrence en fixant et en imposant un prix de vente unique pour les assurances à la journée.
La situation avant la convention
18. Jusqu'en 1986, la FFS a détenu un monopole de fait sur le marché de l'assurance ski avec un produit dénommé "Carte Neige", qui comportait à la fois une adhésion à la fédération et une assurance-assistance liée à la pratique du ski. En décembre 1986, l'association Orion, regroupant quelques gestionnaires de remontées mécaniques, membres du SNTF, a créé deux produits d'assurance ski, le "Ticket Neige Orion", formule de base à la journée et le "Ticket Neige séjour", tous deux destinés à être vendus aux guichets des remontées mécaniques.
19. La FFS a, alors, en concertation avec le SNTF, certains comités régionaux et l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver, mis en œuvre un certain nombre de pratiques anti-concurrentielles destinées à faire obstacle au développement des produits créés et diffusés par l'association Orion. Ces pratiques ont été sanctionnées, en premier lieu, par une décision du Conseil de la concurrence du 28 juin 1994 confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 14 juin 1995, puis, en second lieu, à la suite d'un complément d'instruction, par une décision du 14 mai 1996.
20. En octobre 1989, la FFS et le SNTF ont signé une convention pour vendre un produit d'assurance intitulé "FFS NEIGE" destiné à concurrencer le "Ticket Neige Orion". Ce produit n'a été commercialisé qu'une seule saison.
La convention du 19 octobre 1992 et son application
21. Le 19 octobre 1992, la FFS a conclu une nouvelle convention avec le SNTF, dont l'objet était de "proposer aux participants des sports d'hiver une assurance journalière associée aux forfaits des remontées mécaniques et délivrée aux guichets des exploitants". Cet accord, conclu pour une durée de deux ans, était renouvelable par tacite reconduction pour une durée équivalente. Il a été dénoncé au cours de la réunion du comité directeur du SNTF, en date du 14 mai 2002.
22. La convention organisait la commercialisation et la gestion de deux produits d'assurance à la journée, le "Carré Neige" et le "Ticket Neige" dont la gestion était confiée à l'association "Orion" en partenariat avec la FFS et le SNTF.
- Le "Carré Neige Orion" est un produit d'assistance-assurance qui offre une garantie complète. Lancé au mois de novembre 1992, il a été créé sur le modèle du "Carré Neige Savoie", produit concurrent diffusé par le comité régional Savoie.
- Le "Ticket Neige Orion" est un produit offrant uniquement la garantie assurance qui couvre les risques limités aux premiers secours et qui est proposé avec les forfaits pour un ou deux jours des remontées mécaniques.
23. Il était prévu à l'article 2 de la convention que le prix de vente serait déterminé en fonction du prix de l'assurance et qu'après prélèvement de la part assurance-assistance, le "disponible" serait réparti entre les différents bénéficiaires, parmi lesquels, le club de la station, le comité régional concerné, la FFS, le fonds sportif destiné aux comités régionaux n'ayant pas de remontées mécaniques sur leur territoire, le SNTF, l'exploitant de remontées mécaniques et le gestionnaire, c'est-à-dire l'association Orion, selon une clé de répartition prédéfinie.
24. Dans le cadre du partenariat FFS/SNTF, la convention a institué une "commission paritaire nationale", composée de quatre représentants de la FFS et de quatre représentants du SNTF. Cette commission, dont les missions sont détaillées à l'article 4, était chargée d'élaborer la politique concernant les produits journaliers, de définir les garanties offertes, de "fixer les prix de vente et les principes généraux de gestion", de définir les parts respectives des différents bénéficiaires, de contrôler la bonne marche, la qualité et les coûts du "système journée", d'examiner les propositions de compagnies d'assurance à la suite d'appels d'offres.
25. Les fonctions de gestion, confiées à l'association Orion, sont détaillées à l'article 5 comme couvrant "toutes les opérations nécessaires au fonctionnement des produits journaliers :
étude, appel d'offres, préparation, souscription des adhérents, réalisation des documents techniques et de communication, mise en place des supports, information des points de vente, suivi des résultats, collecte et répartition des fonds, statistiques (...)"
26. A partir de 1994, les prix n'ont plus été fixés par la commission paritaire nationale, mais par l'association Orion elle-même, après avis des commissions paritaires régionales. Le compte-rendu de l'assemblée générale d'Orion du 7 avril 1994 précise à ce sujet : "Les prix de vente des Tickets neige et Carrés neige" sont décidés en commissions paritaires régionales dans l'esprit des recommandations de la commission paritaire nationale". Une résolution de l'assemblée générale du 11 mai 1995 indique "le prix de vente des Ticket Neige et Carré Neige proposés par Orion devront autant que faire se peut tenir compte de l'avis des commissions paritaires".
27. Le rapport administratif relève que la diffusion du protocole du 19 octobre 1992 est accompagnée d'une note intitulée "Note d'information assurances journalières" émanant conjointement de la FFS et du SNTF et que, dans cette note destinée aux exploitants de remontées mécaniques, aux comités régionaux FFS et aux clubs de stations, il est précisé :
"Tarifs : Carré Neige : 14 F adultes (11 F enfant)
Ticket Neige : à harmoniser en coordination régionale. Compte tenu de la différence de prestations entre les deux produits la FFS et le SNTF souhaitent qu'un écart significatif soit appliqué entre les deux produits" (rapport cote 53).
28. Le même rapport signale encore que, lorsqu'une station adhère à l'association Orion, le responsable de l'entreprise de remontées mécaniques, au guichet de laquelle le Ticket Neige ou le Carré Neige sont mis en vente, se voit adresser un bulletin d'adhésion qu'il doit remplir et retourner au siège d'Orion et que ce bulletin comporte un volet "garanties Ticket Neige" et "garanties Carré Neige" avec l'indication "prix de vente public : entre 8 et 12 F" (Ticket Neige) et "prix de vente public : 14 F" (Carré Neige).
29. S'agissant des prix pratiqués, le rapport administratif précise qu'à la suite de la convention du 19 octobre 1992, le "Carré Neige Orion" a été commercialisé à un prix unique de vente de 14 F, dans toutes les stations adhérentes et qu'une fourchette de prix de 7 à 12 F a été communiquée aux différents lieux de vente pour le "Ticket Neige Orion".
30. Enfin, la convention prévoyait la disparition du "Carré Neige Savoie" en précisant que les contrats en cours demeuraient valables jusqu'à leur échéance. Cependant, ce produit, bien implanté en Savoie, a non seulement perduré mais s'est, en outre, étendu au département de la Haute-Savoie.
La répartition géographique du marché
31. Il a été constaté, en ce qui concerne la commercialisation des produits d'assurance à la journée "Carré Neige Orion" et "Carré Neige Savoie", que les guichets des remontées mécaniques des départements de Savoie et de Haute-Savoie vendaient, en majorité le "Carré Neige Savoie", sous l'égide du comité de Savoie et du comité du Mont-Blanc, tandis que l'association Orion commercialisait ses produits dans les départements de l'Isère, des Pyrénées, des Alpes du Sud, du Jura, des Vosges et du Massif Central.
32. Pour expliquer cette situation, le président du comité de Savoie s'est référé, au cours de son audition du 27 mars 1998, à une attitude locale qui ferait préférer le "Carré Neige Savoie" : "les responsables des remontées mécaniques sont libres de choisir le produit qu'ils veulent. Du fait d'un accord sur la philosophie du produit Carré Neige Savoie (soutien aux compétiteurs issus du département) ils ont quasiment tous opté pour le Carré Neige Savoie".
33. Le président de l'association Orion a déclaré, pour sa part, le 12 mars 1998, que : "Dans les départements de Savoie et de Haute-Savoie a été créé en 1992, un produit concurrent aux produits Orion Carré Neige appelé également Carré Neige. Orion s'interdit de prendre des adhésions sur ces deux départements afin de garder de bonnes relations avec le milieu des sports d'hiver".
34. Entendu par l'enquêteur le 10 avril 1998, le président du comité régional du Mont-Blanc a toutefois précisé "(...) Actuellement en Haute-Savoie, 25 % des assurances journées vendues ne relèvent pas du système Carré Neige Savoie. A Chamonix, l'office du tourisme vend le Carré Neige Savoie, alors que les deux sociétés de remontées mécaniques proposent Orion, les dirigeants étant des membres fondateurs de l'association".
Les griefs notifiés
35. Au vu de ces éléments, les griefs suivants ont été notifiés :
- à la Fédération française de ski et au Syndicat national des téléphériques de France "pour s'être entendus pour fixer un prix unique de vente pour le produit d'assistance assurance "Carré Neige Orion" et un prix minimum pour le produit d'assurance "Ticket Neige Orion" faisant ainsi obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché. Ces pratiques sont contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
- à la Fédération française de ski, au Syndicat national des téléphériques de France, au comité régional de ski de Savoie, à l'Association Orion Ticket Neige "pour s'être entendus pour se répartir géographiquement le marché faisant, ainsi, obstacle à la libre concurrence. Ces pratiques sont prohibées par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce".
- à la Fédération française de ski "pour avoir abusé de sa position dominante pour imposer un prix unique de vente de l'assurance assistance journée "Carré Neige Orion" et un prix minimum pour la garantie assurance simple "Ticket Neige Orion". Cette pratique est contraire aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce".
II. - Discussion
Sur la procédure
En ce qui concerne la prescription
36. Le SNTF fait valoir que les faits poursuivis sont prescrits dans la mesure où la dernière réunion de la commission paritaire nationale, instituée par la convention du 19 octobre 1992, s'est tenue le 13 février 1996, soit plus de trois ans avant la saisine du Conseil de la concurrence, intervenue le 3 septembre 1999.
37. L'article L. 462-7 du Code de commerce dispose que "le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur poursuite ou leur sanction". En l'espèce, le délai de trois ans ainsi prévu a été interrompu par un certain nombre d'actes d'enquête puis d'instruction tendant à la recherche, à la poursuite et à la sanction des pratiques poursuivies et, notamment, avant la saisine du Conseil, par l'audition du président de l'association Orion, le 12 mars 1998 et par l'audition du président de la FFS, le 9 avril 1998. La prescription des faits dont le Conseil est saisi n'est donc pas acquise.
En ce qui concerne la régularité des procès verbaux
38. La FFS soutient, de son côté, que le procès-verbal d'audition du président de l'association Orion, en date du 12 mars 1998, doit être écarté du dossier au motif que la mention pré-imprimée figurant sur ce document : "(...) lui avons indiqué l'objet de notre enquête relative à la vérification du respect des dispositions des titres III et IV de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (...)" est insuffisante pour rapporter la preuve de ce que la personne entendue a bien été informée de l'objet de l'enquête. Elle en déduit que ce procès-verbal est irrégulier.
39. Cependant, la chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 20 novembre 2001, société Bec Frères et autres, a jugé que "la mention pré-imprimée sur le procès verbal selon laquelle l'objet de l'enquête a été porté à la connaissance de la personne suffit à justifier, jusqu'à preuve du contraire, de l'indication de cet objet". En l'espèce, la FFS n'apporte aucun élément de nature à établir la preuve contraire de l'accomplissement de cette formalité, le moyen doit donc être écarté.
En ce qui concerne le respect des délais impartis pour le dépôt des observations
40. Le SNTF rappelle que le délai de transmission des observations fixé dans la lettre d'accompagnement de la notification de griefs, datée du 29 avril 2002, était de deux mois à compter de la réception de ce document. Il en déduit que le mémoire d'observations de la FFS du 23 juillet 2002, enregistré au Conseil de la concurrence, le 25 juillet 2002, a été déposé hors délai.
41. Cette situation trouve son origine dans le fait qu'à la suite d'une erreur matérielle, la notification de griefs destinée à la FFS a été adressée, le 29 avril 2002, à son Directeur Général et non à son président, seule personne habilitée à représenter cette association. Afin que soient pleinement respectés les droits de la défense, la notification de griefs a donc été adressée une seconde fois, le 24 mai 2002, au président de la FFS et a fait courir un nouveau délai de deux mois à compter de la date de sa réception, soit le 29 mai 2002. Les observations formulées par la FFS, reçues par le Conseil de la concurrence le 25 juillet 2002, sont, en conséquence, recevables.
Sur le fond
En ce qui concerne la fixation d'un prix de vente unique
42. Ainsi qu'il a été relevé au paragraphe 22, la FFS et le SNTF ont, dans le cadre de la convention passée entre elles le 19 octobre 1992, mis sur le marché les produits d'assurance journalière liée à la pratique du ski "Carré Neige Orion" et "Ticket Neige Orion", dont la gestion a été confiée à l'association Orion et qui ont été diffusés par les guichets de remontée mécanique des stations de ski.
43. Il résulte des éléments relevés aux paragraphes 24 à 26 que, dans un premier temps, le prix de vente de ces assurances aux consommateurs a été fixé dans le cadre de la commission paritaire nationale prévue par la convention du 19 octobre 1992, puis que, dans un second temps, c'est l'association Orion, mandataire désignée dans cette convention, qui a fixé ce prix.
44. Cette fixation de prix pour un produit commun, par les organismes qui lançaient le produit en cause sur le marché, n'est pas, en elle même, constitutive d'une entente anti-concurrentielle pourvu qu'elle ne conduise pas à imposer aux diffuseurs d'appliquer le prix ainsi déterminé.
45. En l'espèce, il est établi que des prix de revente du Carré Neige et du Ticket Neige ont été communiqués aux établissements chargés de les distribuer au public. Ainsi, la note d'information évoquée au paragraphe 27, adressée aux exploitants de remontées mécaniques, aux comités régionaux FFS et aux clubs des stations de ski précise que le tarif du Carré Neige est de 14 F. De même, le dossier d'adhésion à l'association Orion, adressé aux "responsables de la diffusion des assurances" dans les stations et visé au paragraphe 28, comporte un volet intitulé "Garanties Ticket Neige" et "Garanties Carré Neige" sur lequel sont mentionnées des indications de "prix de vente public" de 14 F pour le Carré Neige et compris dans une fourchette de 8 à 12 F pour le Ticket Neige.
46. Cependant, le bulletin d'adhésion proprement dit, qui figure également dans le dossier précité, contient un encart intitulé "Produits d'assurance choisis", comportant, sous les rubriques "Ticket Neige", "Ticket Neige fond" et "Carré Neige fond", la mention : "Prix de vente station du Ticket Neige Pistes par jour ou "Prix de vente station du Ticket Neige fond par jour" ou "Prix de vente station du Carré Neige fond par jour", qui doit être complétée par l'adhérent, ce qui tend à démontrer que celui-ci détermine son prix librement.
47. Par ailleurs, il n'est pas établi, ni même allégué, que la FFS et le SNTF auraient mis en place un contrôle des prix de revente ou pris des mesures pour contraindre les exploitants de remontées mécaniques et autres revendeurs à se conformer aux prix déterminés par ces deux organismes.
48. Ainsi, en l'absence d'autres éléments, les pièces du dossier ne permettent pas de conclure à l'existence d'une pratique de prix imposés relevant des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
En ce qui concerne la répartition géographique
49. Il a été fait grief à la Fédération française de ski, au Syndicat national des téléphériques de France, au comité régional de ski de Savoie et à l'association Orion Ticket Neige de s'être entendus pour se répartir géographiquement le marché des produits d'assurance ski. Ce grief repose sur les constatations de l'enquête relatées au paragraphe 31, ainsi que sur une déclaration du président de l'association Orion citée au paragraphe 33.
50. La FFS soutient qu'aucune répartition de marché n'a été mise en œuvre entre les produits Orion et le Carré Neige Savoie, qu'au contraire, dix stations de Savoie, dont six situées à Chamonix, commercialisaient, en 1998, les produits "Orion", en particulier le Ticket Neige Orion.
51. Le SNTF indique, de son côté, n'avoir jamais participé à une entente ayant pour but une répartition géographique de l'assurance ski et précise avoir toujours soutenu la vocation nationale de l'association Orion.
52. L'association Orion conteste avoir volontairement abandonné la prospection pour la vente de ses produits d'assurance dans les départements de Savoie et Haute-Savoie, mais explique le désintérêt des stations de ces départements pour les produits "Orion" par le développement des assurances intégrées dans les cartes bancaires et le manque d'attrait du Ticket Neige Orion.
53. Il résulte d'une jurisprudence constante, notamment, d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 9 janvier 2001, SA d'Etudes et d'Entreprises électriques, que pour qu'une pratique d'entente "(...) puisse être sanctionnée sur les fondements des article L. 420-1, L. 462-6 et L. 464-2 du Code de commerce, [il importe] que les entreprises aient librement et volontairement participé à une action concertée, en sachant qu'elle avait pour objet ou pouvait avoir pour effet d'empêcher de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché" ;
54. En l'espèce, si les éléments figurant au dossier permettent de constater l'existence d'une certaine segmentation géographique des ventes du Carré Neige Savoie, majoritairement offert dans les stations de ski de Savoie et de Haute-Savoie, et des ventes du Carré Neige Orion et du Ticket Neige Orion, majoritairement offerts dans les autres stations de ski, la déclaration du président de l'association Orion citée au paragraphe 33 et selon laquelle "Orion s'interdit de prendre des adhésions sur ces deux départements afin de garder de bonnes relations avec le milieu des sports d'hiver" ne traduit qu'un comportement unilatéral de la part de cette association et nullement un accord ou une adhésion de la part du comité régional de Savoie pour participer à une répartition anti-concurrentielle du marché.
55. Il ressort, en outre, des déclarations du président du comité régional du Mont-Blanc, citées au paragraphe 34 qu'en 1998, 25 % des assurances journée vendues en Haute-Savoie, relevaient du système Orion et non du comité régional de Savoie, ce qui tend à démontrer qu'une concurrence entre les produits Carré Neige Orion et Carré Neige Savoie était, dans les faits, possible.
56. Il résulte de ce qui précède qu'à défaut d'autres éléments, la preuve de la mise en œuvre d'une pratique anti-concurrentielle de partage de marché n'est pas rapportée en l'espèce.
Sur l'abus de position dominante
57. Il est, enfin, reproché à la Fédération française de ski d'avoir abusé de sa position dominante en imposant un prix unique de vente de l'assurance Carré Neige Orion et un prix minimum pour l'assurance Ticket Neige Orion.
58. Ainsi qu'il a été énoncé aux paragraphes 46 à 48, il n'est pas établi ni même allégué que la FFS et le SNTF auraient mis en place un contrôle des prix de revente ou pris des mesures pour contraindre les exploitants de remontées mécaniques et autres revendeurs à se conformer aux prix fixés par elles et les pièces du dossier ne permettent pas de conclure à l'existence d'une pratique de prix imposés anti-concurrentielle. En conséquence, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les moyens de défense de la FFS relatifs au marché pertinent et à la position de l'association en cause sur ce marché, aucune pratique susceptible de relever des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce ne saurait être retenue à son encontre de ce chef.
DÉCISION
Article 1er : Il n'est pas établi que la Fédération française de ski et le Syndicat national des téléphériques de France se sont entendus pour mettre en œuvre une pratique de prix imposés relevant des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Il n'est pas établi que la Fédération française de ski, le Syndicat national des téléphériques de France, l'association Orion Ticket Neige et le comité régional de ski de Savoie se sont entendus pour mettre en œuvre une pratique de répartition de marché relevant des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 3 : Il n'est pas établi que la Fédération française de ski a abusé d'une position dominante en imposant des prix de revente des produits d'assurance Carré Neige Orion et Ticket Neige Orion.