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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 10 septembre 1998, n° 94-4688

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SAMBP (SA)

Défendeur :

Piba Marine (SARL), Armement Quirataire - La Kalissaye (Sté), Abeille Assurance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

Mme Coux, M. Isouard

Avoués :

SCP Boissonnet Rousseau, SCP de Saint Ferreol Touboul, SCP Jourdan, Wattecamps, Jourdan

Avocats :

Mes Debette, Coutelier, Cenac

CA Aix-en-Provence n° 94-4688

10 septembre 1998

FAITS ET PROCEDURE:

Suivant contrat du 2 février 1989, la Société Ardennaise de Menuiserie Bois et Plastique - SAMBP, représentée par son président directeur général, Jean-Marc Lebreton, a loué à la société Piba Marine un voilier catamaran, type casamance, dénommé "La Kalissaye" pour la période du 4 au 8 mai 1989.

La location a été consentie pour un prix de 15 780 F TTC et contre le versement d'une caution de 20 000 F,

Le 6 mai 1989, alors que le skipper tentait d'accoster dans le port de Cannes, le bateau a heurté un ponton, endommageant gravement la coque tribord; Jean-Marc Lebreton a été blessé en tentant de protéger le bateau pour amoindrir le choc de collision avec le quai ;

Le 13 février 1992, la SAMBP et Monsieur Lebreton ont assigné la société Piba Marine devant le Tribunal de commerce de Toulon, afin d'obtenir sa condamnation à la restitution de la caution de 20 000 F, au paiement des sommes de 6 312 F au titre de la perte de location, de 2 848 F au titre du montant de la location de deux véhicules, de 10 000 F au titre de la réparation du préjudice de Jean-Marc Lebreton, de 6 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par actes des 6 et 7 mai 1992, la société Piba Marine a assigné la société d'Armement Quirataire-la Kalissaye, propriétaire du bateau et son propre assureur, la Compagnie Abeille Assurances, afin qu'elles soient condamnées à la relever et garantir de toute condamnation susceptible d'intervenir à son encontre.

Par jugement du 2 décembre 1993, le tribunal a :

- dit que l'imputabilité de l'accident du 6 mai 1989 n'est pas établie,

- rejeté la demande de la SA SAMBP de restitution de caution,

- condamné la société Piba Marine à payer à la société SAMBP 6 312 F représentant la perte de location avec intérêts légaux à compter du 7 mai 1989 et 1 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- rejeté la demande de la SAMBP en remboursement de frais de location d'un montant de 2 848 F,

- rejeté la demande de Jean-Marc Lebreton de 10 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice personnel,

- rejeté les demandes d'appel en garantie de la société Piba Marine ;

Le tribunal a relevé dans les motifs de sa décision que :

- le sinistre a été causé par une "mauvaise maniabilité du bateau provenant de l'absence de l'hélice bâbord et en fait que le câble d'inverseur du moteur tribord n'avait pas de goupille",

- il est impossible d'affirmer que la perte de l'hélice et de la goupille est le fait d'un vice du bateau ou du skipper,

- "un doute subsiste" et les frais non couverts par l'assurance (29 230,92 F) doivent être prélevés sur la caution,

- "la SAMBP n'est pas mandataire de la Kalissaye mais cocontractant dans le cadre d'un contrat de gestion;

- la garantie de l'assurance est exclue dès lors qu'elle ne s'applique qu'aux dommages ayant pour fait générateur un vice de la chose,

Par déclaration du 14 février 1994, la société Ardennaise de Menuiserie Bois et Plastique a interjeté appel intimant la société Piba Marine la société d'Armement Quirataire-La Kalissaye et la Compagnie Abeille Assurances ;

Elle conclut au dispositif suivant:

"Recevoir le présent appel comme régulier en la forme et justifié au fond :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Piba Marine à payer à la SAMBP, la somme de 6 312 F représentant la perte de location, avec intérêts légaux à compter du 7 mai 1989,

- Infirmer le jugement en ses autres dispositions,

- Condamner la société Piba Marine à payer, à la SAMBP, la somme de 20 000 F correspondant à la caution versée et assortie des intérêts légaux à compter du 6 mai 1989,

- La condamner au paiement de la somme de 2 848 F représentant la location de deux véhicules nécessaires au rapatriement des passagers,

- La condamner à payer, à Monsieur Lebreton, la somme de 10 000 F en réparation de son préjudice.

- La condamner à payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile".

Elle soutient que :

- le bateau loué présentait des vices,

- aucune faute n'est relevée à son encontre,

- les rapports BCA et de l'expert Paris établissent clairement un défaut d'entretien du navire,

- le refus de remboursement de la caution ne pourrait être justifié que par la démonstration d'une faute avérée de sa part,

- toute autre clause permettant la rétention de la caution doit être considérée comme abusive et déclarée nulle et non avenue,

- le préjudice personnel de Jean-Marc Lebreton est évalué, toutes causes confondues à 10 000 F;

La société Piba Marine a formé ses demandes dans le dispositif de conclusions suivant:

" Débouter la société SAMBP des fins de son appel et l'en déclarer autant irrecevable qu'infondé.

Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Piba Marine au paiement de la somme de 6 312 F à la société SAMBP.

Statuant à nouveau,

Au principal, débouter la société SAMBP de toutes ses demandes, fins, moyens et conclusions,

Subsidiairement, condamner la société Kalissaye à relever et garantir la société Piba Marine de toute condamnation susceptible d'intervenir à son encontre;

Infiniment subsidiairement, condamner la compagnie Abeille à relever et garantir la société Piba Marine de toute condamnation susceptible d'intervenir à son encontre.

En tout état de cause, condamner tout succombant au paiement de la somme de 10 000 F (dix mille francs) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel ".

Elle fait valoir que :

- en tout état de cause la cour devra retenir l'appréciation du tribunal selon laquelle "un doute subsiste", justifiant que les frais non couverts par l'assurance soient prélevés sur la caution par application de l'article 4 du contrat de location;

- par application de l'article 7 du contrat de location, elle ne doit pas un dédommagement en cas de perte de jouissance de la location pour cause d'avarie,

- suivant contrat du 18 mars 1988, elle a reçu de la société Kalissaye un mandat de gestion du bateau loué à la société SAMBP ; en conséquence seule la société Kalissaye doit connaître du problème de la restitution de la caution qui est en sa possession depuis le 29 mai 1990 et peut être déclarée responsable par application des articles 3 et 6 du mandat de gestion,

- si la cour juge de l'existence de vices du navire, la Compagnie Abeille doit sa garantie en cas de condamnation à réparer le préjudice corporel de Jean-Marc Lebreton.

La compagnie Abeille Assurances demande à la cour de confirmer le jugement en relevant que l'imputabilité de l'accident n'est pas établie et qu'elle ne doit pas sa garantie en l'absence de dommages couverts par la police ;

La SAMBP et la société Piba Marine ont fait assigner la société d'Armement Quirataire-La Kalissaye;

Les huissiers chargés de ces assignations ont établi des procès-verbaux des recherches infructueuses conformément aux dispositions des articles 659 du nouveau Code de procédure civile en date des 2 février 1998 et 6 avril 1998.

MOTIFS DE LA DECISION:

1°) Sur la procédure:

La recevabilité de l'appel de la société SAMBP n'est pas discutée et rien au dossier ne permet de le faire d'office ; Ce recours doit être déclaré recevable ;

Les conclusions de la société SAMBP sont en tant que contenant des demandes au nom de Jean-Marc Lebreton irrecevables, ce dernier n'ayant pas formalisé un appel principal auquel il ne peut être supplée par le dépôt de conclusions déposées en son nom par une personne autre que lui ;

2°) Sur le fond

a) Sur la demande de restitution de la caution :

Il résulte du rapport de l'expert maritime agréé Paris, et du rapport BCA (Bureau Commun Automobile) que les dommages à la coque du bateau ont été provoqués par une mauvaise maniabilité de ce dernier.

Pour expliquer cette mauvaise maniabilité les experts ont relevé que l'hélice bâbord était absente et que le câble d'inverseur du moteur tribord n'était plus muni de sa goupille, l'expert maritime précisant qu'il était impossible de donner une explication logique et rationnelle à l'absence de ces éléments, faute de traces significatives sur la coque bâbord et en raison de l'impossibilité de retrouver la goupille, là où elle aurait du tomber ;

Cet expert a, par ailleurs, précisé, en ce qui concerne l'hélice, que l'anode était dans un relatif bon état et que les filetages de bout d'arbre étaient exempts d'usure ou de matage ;

Il ne résulte pas des rapports d'expertise que l'absence de l'hélice et de la goupille, seule cause de la mauvaise maniabilité du bateau, et techniquement inexplicables, est la conséquence d'un défaut d'entretien du bateau ;

Il doit, par ailleurs, être relevé que la société SAMBP a utilisé le bateau pendant deux jours sans problème et a, suivant le rapport qu'elle a rédigé pour les besoins de la déclaration d'accident, manoeuvré au cours de cette période dans les ports de Saint-Tropez et de Saint-Raphaël sans rencontrer le moindre problème ;

N'étant pas établi l'existence d'un vice du bateau ou un défaut d'entretien à l'origine des dommages, et la disparition tant de la goupille, introuvable dans la partie du bateau où elle aurait dû être retrouvée après s'être détachée de l'extrémité du câble inverseur, que celle de l'hélice restant inexplicables, il existe un doute sur l'imputabilité desdits dommages.

En conséquence doivent trouver application les dispositions du deuxième alinéa de l'article 4 du contrat de location rédigé comme suit:

" ARTICLE 4 - OBJET ET RESTITUTION DE LA CAUTION

La caution versée par le locataire, comme il est dit à l'article 1er, au moment de la prise en charge du bateau, a pour objet de garantir les détériorations du bien loué ou les pertes partielles d'objets qui sont imputables au locataire et qui ne sont pas couvertes par l'assurance. A concurrence du montant de la franchise d'assurance, la caution sera restituée au plus tard dans le délai d'un mois après la date de la remise du bateau, si aucune détérioration ou pertes non couvertes par l'assurance n'est à signaler.

En cas de détérioration du bien loué ou de pertes non couvertes par l'assurance, qui sont imputables au locataire ou sur lesquels un doute subsiste, le remboursement de la caution pourra être différé jusqu'au règlement des frais correspondants par le locataire. Au cas ou un règlement par la compagnie d'assurances interviendrait postérieurement, le loueur sera tenu de rétrocéder les sommes ainsi récupérées ".

Cette clause n'est pas abusive, tout locataire étant obligé de restituer la chose telle qu'il l'a reçue, et, présumé responsable des dégradations ou pertes subies par le bien loué, sauf, pour lui, à rapporter la preuve d'une absence de faute ou qu'il y a pour cause la vétusté ou la force majeure ;

En l'espèce ni la vétusté, ni la force majeure ne sont à l'origine de la dégradation du bateau et tant la survenance du dommages que la perte des pièces à l'origine des mauvaises manœuvres les ayant causés ont eu lieu alors que le bâtiment était gouverné par le locataire qui n'explique pas pourquoi il ne s'est pas rendu compte avant de manœuvrer des anomalies existantes qui eussent dû éveiller toute son attention ;

Il est précisé dans l'article 5 du contrat de location relatif à l'assurance du bateau que le propriétaire a souscrit une police d'assurance "tout risque" comportant une clause suivant laquelle le bénéfice de l'assurance est reporté sur le locataire pendant la durée de la location et que le locataire peut souscrire une assurance complémentaire de rachat de franchise ;

Suivant l'article 6 dudit contrat le locataire reste son propre assureur jusqu'à concurrence de la franchise de 10 000 F fixée par l'assureur;

Or, la société SAMBP n'a pas souscrit une assurance pour rachat de la franchise et il résulte des pièces produites (lettre du propriétaire La Kalissaye du 5 mars 1990 et ses annexes) que la différence entre le coût total des dommages et le montant des indemnités reçues s'élève à 29 230,82 F ;

Conformément à la demande de la société Armement "La Kalissaye" la société Piba Marine qui avait loué le bateau dans le cadre du contrat de gestion en date du 18 mars 1988 par elle consenti, a remis à cette dernière, le 29 mai 1990 la somme de 20 000 F correspondant au montant de la caution ;

Le montant de la caution étant inférieur à la différence entre le coût des réparations des dommages et l'indemnité reçue par la compagnie d'assurance, la société SAMBP n'est pas fondée à en réclamer la restitution; le jugement sera donc sur ce point confirmé.

b) Sur les autres demandes :

Il est expressément prévu dans le contrat article 7 qu' " en aucun cas, la perte de jouissance pour cause d'avarie ne peut donner lieu à un dédommagement " ;

Il résulte de cette disposition contractuelle que la société SAMBP n'est pas fondée à réclamer à la société Piba Marine la somme de 6 312 F qui correspond au montant de la location pour la période où elle a été privée de jouissance par suite de l'avarie survenue ;

La société SAMBP est également infondée à obtenir le remboursement de la somme de 2 848 F correspondant au prix de location de deux véhicules automobiles pour ramener les passagers à leur domicile et qu'elle qualifie de "frais annexes de location" ;

La société SAMBP succombant en ses demandes, il n'y a pas lieu d'examiner les appels en garantie de la société Piba Marine qui sont sans objet ;

La société SAMBP qui succombe doit supporter la totalité des dépens de première instance et d'appel, les appels en garantie étant inévitables en raison de son action, fait qu'elle a implicitement reconnu en intimant les personnes appelées en garantie par la société Piba Marine en première instance ;

Par considération d'équité, il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, Reçoit l'appel de la société SAMBP ; Constate que Jean-Marc Lebreton n'a pas interjeté appel principal et que sont irrecevables les demandes formées en son nom par la société SAMBP ; Réformant pour partie le jugement : déboute la société SAMBP de ses demandes, déclare en conséquence les appels en garantie sans objet, déboute les parties de toutes autres demandes fins et conclusions ; Condamne la société SAMBP aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés par les SCP d'avoués De Saint Ferreon Touboul, M. Jourdan, PG Wattecamps et JF Jourdan, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.