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Décisions

CJCE, 5e ch., 16 mai 1989, n° 382-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Buet, Educational Business Services (Sté)

Défendeur :

Ministère public

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Joliet

Avocat général :

M. Tesauro

Juges :

Sir Gordon Slynn, MM. Moitinho de Almeida, Rodriguez Iglesias, Zuleeg

Avocats :

Me de Holmsky, de Granrut.

CJCE n° 382-87

16 mai 1989

LA COUR (cinquième chambre),

1. Par décision du 27 novembre 1987, parvenue à la Cour le 23 décembre 1987, la Cour d'appel de Paris a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle concernant l'interprétation de l'article 30 du traité, en vue d'apprécier la compatibilité avec cette disposition d'une interdiction de démarchage relative à la vente de matériel pédagogique.

2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant le ministère public à M. Buet, gérant de la société française Educational Business Services (ci-après " EBS "). Les représentants de cette société se rendent au domicile de clients potentiels en vue de vendre à ceux-ci du matériel d'apprentissage de la langue anglaise. La société EBS réalise 90 % de son chiffre d'affaires de cette manière et le reste aux foires-expositions.

3. Le Tribunal de grande instance de Paris a condamné M. Buet à une peine d'emprisonnement et à une amende et a déclaré la société EBS civilement responsable pour avoir ainsi violé l'article 8-II de la loi n° 72-1137 du 22 décembre 1972, relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile (JORF du 23-12-1972, p. 13348), qui interdit le démarchage pour la vente de matériel pédagogique. Cette disposition était destinée à compléter l'interdiction de démarchage pour la souscription d'un contrat d'enseignement, édictée par l'article 13 de la loi n° 71-556 du 12 juillet 1971, relative à la création et au fonctionnement des organismes privés dispensant un enseignement à distance, ainsi qu'à la publicité et au démarchage faits par les établissements d'enseignement (JORF du 13-7-1971, p. 6907) Certains de ces établissements avaient, en effet, tenté de contourner cette interdiction en proposant à domicile non pas la souscription d'un contrat d'enseignement, mais la vente de matériel pédagogique.

4. M. Buet, la société EBS ainsi que le ministère public ont interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de première instance. Devant la Cour d'appel de Paris, M. Buet a essentiellement soutenu que la vente à domicile de matériel d'apprentissage d'une langue étrangère, faute de contrôle pédagogique de la part du vendeur, ne tombait pas sous le coup de l'interdiction de démarchage édictée par l'article 8-II de la loi n° 72-1137 précitée. Il a également fait valoir que l'application, à son égard, de l'interdiction de démarchage était contraire aux dispositions des articles 30 et suivants du traité, en ce qu'elle l'obligeait à abandonner une technique de vente particulièrement efficace et restreignait ainsi l'écoulement sur le marché français de produits provenant d'un autre État membre.

5. Écartant l'argument de M. Buet relatif au champ d'application de l'interdiction en cause, la cour d'appel a néanmoins décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle sur la compatibilité avec l'article 30 du traité de l'interdiction de démarchage édictée par les articles 13 de la loi n° 71-556 du 12 juillet 1971, et 8-II de la loi n° 72-1137 du 22 décembre 1972.

6. Pour un plus ample exposé du cadre réglementaire et des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure et des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure où ils sont nécessaires au raisonnement de la Cour.

a) Sur l'existence d'un obstacle à la libre circulation des marchandises

7. Il y a lieu de rappeler que, ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 15 décembre 1982 (Oosthoek, 286-81, Rec. p. 4575), on ne saurait exclure la possibilité que le fait, pour un opérateur concerné, d'être contraint soit d'adopter des systèmes différents de publicité ou de promotion des ventes en fonction des États membres concernés, soit d'abandonner un système qu'il juge particulièrement efficace puisse constituer un obstacle aux importations, même si une telle législation s'applique indistinctement aux produits nationaux et importés.

8. Cette constatation vaut à plus forte raison, lorsque la réglementation en cause prive l'opérateur concerné de la possibilité de pratiquer non pas un système de publicité, mais une méthode de commercialisation grâce à laquelle il réalise la quasi totalité de ses ventes.

9. L'application d'une interdiction de démarchage à la vente de matériel d'apprentissage d'une langue étrangère provenant d'un autre État membre doit donc être regardée comme faisant obstacle à l'importation.

b) Sur la possibilité de justifier l'obstacle en cause par la nécessité de protéger les consommateurs

10. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour (voir, en premier lieu, arrêt du 20 février 1979, Rewe, 120-78, Rec. p. 649) que, en l'absence de réglementations communes, les obstacles à la libre circulation résultant de disparités entre les réglementations nationales doivent être acceptés, dès lors que ces réglementations nationales, indistinctement applicables aux produits nationaux et importés, sont nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives telles que la protection des consommateurs et la loyauté des transactions.

11. Il est constant que le législateur français a édicté l'interdiction de démarchage en cause dans le souci de protéger les consommateurs contre le risque d'achats irréfléchis. Toutefois, ainsi que la Cour l'a précisé à plusieurs reprises (voir, notamment, l'arrêt du 14 juillet 1988, 3 Glocken, 407-85, Rec. p. 4233), la réglementation doit être proportionnée au but poursuivi, et si un État membre dispose de moyens moins restrictifs permettant d'atteindre le même but, il lui incombe d'y recourir.

12. A cet égard, il convient d'observer que le démarchage à domicile expose l'acheteur potentiel au risque de procéder à un achat irréfléchi. Pour prévenir ce risque, il suffit normalement de garantir aux acheteurs le droit de résilier le contrat qu'ils auraient conclu à domicile.

13. Il y a lieu de relever toutefois que le risque d'achat irréfléchi est particulièrement prononcé lorsque le démarchage vise la souscription d'un contrat d'enseignement ou la vente de matériel pédagogique. En effet, l'utilisateur potentiel appartient souvent à une catégorie de personnes qui, pour l'une ou l'autre raison, ont un retard dans leur formation et qui cherchent à le rattraper. Cela les rend particulièrement vulnérables, lorsqu'ils se trouvent en face de vendeurs d'un matériel pédagogique qui tentent de les persuader que l'utilisation de ce matériel leur assurera un avenir professionnel. Par ailleurs, ainsi qu'il résulte du dossier, c'est à la suite de nombreuses plaintes suscitées par des abus, tels que la vente de cours périmés, que le législateur a édicté l'interdiction de démarchage en cause.

14. Il y a lieu de souligner enfin que, l'enseignement n'étant pas un produit de consommation courante, l'achat irréfléchi risque de provoquer chez l'acquéreur des effets préjudiciables autres et plus durables qu'une simple perte financière. Ainsi, indépendamment de toute appréciation sur la qualité du matériel qui est en cause en l'espèce, il faut reconnaître que l'acquisition d'un matériel inadapté ou de mauvaise qualité peut compromettre la possibilité pour le consommateur d'acquérir une nouvelle formation et, par conséquent, de renforcer sa position sur le marché du travail.

15. Dans ces conditions, il est loisible au législateur national d'un État membre de considérer que l'octroi aux consommateurs d'un droit de résiliation ne suffit pas pour les protéger et qu'il est nécessaire d'interdire le démarchage à domicile.

16. Par ailleurs, il convient de signaler que la directive du Conseil du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L. 372, p. 31), tout en faisant obligation aux États membres de garantir à ces consommateurs le droit de résilier le contrat de vente qu'ils auraient conclu à domicile, permet à ces États, dans son article 8, d'adopter ou de maintenir des dispositions encore plus protectrices des consommateurs. Or, dans le dernier considérant de cette directive, le Conseil a reconnu explicitement que les États pouvaient introduire ou maintenir une interdiction, totale ou partielle, de conclusion de contrats en dehors des établissements commerciaux.

17. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée par la juridiction nationale que l'application à des produits importés d'une interdiction de démarchage concernant la vente de matériel pédagogique, telle que celle édictée par la loi relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile, n'est pas incompatible avec l'article 30 du traité.

Sur les dépens

18. Les frais exposés par les gouvernements français et danois, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

Statuant sur la question à elle soumise par la Cour d'appel de Paris, par décision du 27 novembre 1987, dit pour droit :

L'application à des produits importés d'une interdiction de démarchage concernant la vente de matériel pédagogique, telle que celle édictée par la loi relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile, n'est pas incompatible avec l'article 30 du traité.