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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 22 mai 1997, n° 96-14746

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SADAP (SA), Centre Auto (SARL)

Défendeur :

Renault (SA), Mojeste Gasso (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

MM. Isouard, Semeriva

Avoués :

SCP Martelly-Maynard, SCP Latil, SCP Cohen

Avocats :

Mes Bourgeon, Bertin, Vogel, Bacchichetti, Coron.

CA Aix-en-Provence n° 96-14746

22 mai 1997

FAITS ET PROCEDURE: Le 1er septembre 1991, la Régie Nationale des Usines Renault qui sera désignée dans la présente décision sous sa dénomination sociale actuelle de société Renault, a conclu un contrat de concession avec la SA Diffusion Automobile Provençale ("la SADAP") qui exerçait ses activités à Brignoles et à Saint-Maximim (VAR).

Le 1er janvier 1993, la SADAP a conclu un contrat d'agent avec la SARL Centrauto ayant son siège dans cette dernière localité.

Le 27 décembre 1994, la société Renault invoquant les dispositions de l'article 12, al. 2 du contrat de concession, en a notifié la résiliation à la SADAF avec un préavis de 12 mois. Celui-ci a pris fin le 31 décembre 1995 sans que les négociations tendant à une reprise de la concession par Jean-Claude Gasso eussent abouti.

Dès le 13 décembre 1995, les sociétés SADAP et Centrauto ont assigné devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Draguignan la société Renault ainsi que la SA Mojeste Gasso, constituée en vue de l'exploitation d'une entreprise d'achat, de vente et de réparations de véhicules automobiles, afin qu'il fût enjoint à la première et subsidiairement à la seconde dans la limite de ses obligations, de reprendre à effet du 1er janvier 1996 les contrats de travail de l'intégralité des salariés demeurés indûment à leur charge sous astreinte de 5 000 F par jour de retard et par contrat de travail.

Par ordonnance du 20 mars 1996, le président du Tribunal de grande instance de Draguignan statuant en référé s'est déclaré incompétent en raison d'une contestation sérieuse et, visant les dispositions de l'article 487 du nouveau Code de procédure civile, a renvoyé l'affaire devant la première chambre de ladite juridiction.

Aux motifs qu'en l'absence de concessionnaire au 1er janvier 1996, la société Renault avait repris l'exploitation de l'ancien territoire de la SADAP par l'intermédiaire de sa succursale de Toulon à laquelle ont été rattachés les agents à l'exception de la SARL Centrauto et relevant que la SA Mojeste Gasso y était rattachée en qualité d'agent à Brignoles, les sociétés SADAF et Centrauto ont demandé au Tribunal de grande instance de Draguignan de juger que la société Renault avait violé les dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12 du Code du travail en s'abstenant de reprendre à son compte à compter du 1er janvier 1996 leurs salariés attachés à sa succursale de Toulon, de juger que la société Renault a engagé sa responsabilité délictuelle à leur égard sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et, en conséquence, de la condamner à payer à la SADAP et à la SARL Centrauto les sommes respectives de 2 384 650 F et 343 350 F représentant les salaires et les charges sociales, y compris les frais de licenciement et de préavis.

Par jugement du 21 mai 1996, le Tribunal de grande instance de Draguignan a déclaré irrecevable l'action en reprise des contrats de travail, débouté les sociétés SADAP et Centrauto de leur demande en dommages et intérêts et les a condamnées à payer aux défenderesses la somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles.

Tandis que le 1er juillet 1996 les sociétés Renault et Mojeste Gasso concluaient un contrat de concession, les sociétés SADAP et Centrauto relevaient appel de ladite décision le 2 juillet 1996 et obtenaient le 3 septembre 1996 la fixation des débats au 21 janvier 1997 en application des dispositions de l'article 910 du nouveau Code de procédure civile.

Les débats ont été ensuite renvoyés au 28 mai 1997, puis avancés au 6 mars 1997, enfin fixés au 2 avril 1997, dans des conditions qui ne prêtent plus à contestation, les parties ayant expressément renoncé avant l'ouverture des débats à se prévaloir du bénéfice de leurs conclusions respectives tendant au rejet des écritures déposées et des pièces communiquées postérieurement au 27 mars 1997, renonciation mentionnée au registre d'audience et dont il leur sera donné acte.

Les sociétés appelantes font valoir par conclusions déposées le 16 juillet 1996:

- qu'il est de principe que les dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12 al.2 du Code du travail s'impose tant aux salariés qu'aux employeurs et qu'ainsi, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, les premiers n'ont pas seuls qualité et intérêt pour agir;

- que leur inobservation délibérée leur était préjudiciable puisqu'elles devaient soit assurer le maintien des emplois jusqu'à l'obtention de l'application judiciaire desdites dispositions, soit procéder à des licenciements et ainsi supporter une lourde charge financière;

- que l'article précité doit recevoir application même en l'absence d'un lien de droit direct en cas de transfert d'une entité économique conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise;

- qu'il a été jugé que répondrait à ces conditions la cession de la distribution des véhicules et produits d'une marque automobile portant sur un secteur géographique;

- qu'il est également de jurisprudence constante que l'application du même article n'implique pas, en matière de distribution commerciale sur un secteur géographique, le transfert de moyens matériels d'exploitation;

- que la représentation commerciale de la marque Renault constituait une entité économique autonome en leur sein et que, de surcroît, elles ne disposaient d'aucune autre branche d'activité, puisque créées exclusivement pour exercer cette représentation dans le respect d'obligations contractuelles déterminant les éléments constitutifs d'une telle entité;

- qu'elles n'ont jamais exercé une quelconque activité antérieure à la représentation de la marque Renault et que l'activité de vente de véhicules d'occasion, d'entretien et réparation s'intégrait dans l'entité économique ainsi constituée;

- que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, la société Renault a repris de façon directe l'exploitation et la promotion active de sa marque sur le secteur précédemment attribué à la SADAF et ce à compter du 1er janvier 1996 par l'intermédiaire de sa succursale de Toulon à laquelle ont été rattachés tous les agents, à l'exception de la SARL Centrauto;

- que celle-ci a vu depuis son activité rattachée à ladite succursale ainsi que la SA Mojeste Gasso en qualité d'agent de Brignoles;

- qu'au 1er janvier 1996, c'est donc la société Renault qui était débitrice de l'obligation de reprise des contrats de travail dans la mesure où elle a repris directement et sous sa responsabilité exclusive la représentation commerciale de sa marque par l'intermédiaire de sa succursale de Toulon;

- qu'elle les a ainsi mises dans l'obligation de supporter entre janvier et juin 1996 l'intégralité des charges salariales et des indemnités de licenciement.

Les sociétés SADAP et Centrauto demandent en conséquence, outre l'infirmation de la décision entreprise, qu'il soit enjoint à la société Renault et subsidiairement à la SA Mojeste Gasso dans la limite de ses obligations à la date du présent arrêt, de reprendre les salariés qui demeureraient encore employés par elles à ladite date, que la société Renault soit condamnée sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil à payer à titre de dommages et intérêts les sommes de 2 384 650 F à la SADAP et de 343 350 F à la SARL Centrauto, sauf à parfaire, ainsi qu'à chacune d'entre elles celle de 5 000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Renault soutient par conclusions déposées le 26 novembre 1996:

- que la demande de réintégration forcée des salariés est irrecevable, l'article L. 122-14-4 du Code du travail disposant expressément que le juge du fond ne peut pas imposer une telle mesure en cas de refus de l'employeur;

- que les sociétés appelantes sont également irrecevables à réclamer des dommages et intérêts correspondant à des indemnités de licenciement relatives à des salariés qui n'ont pas fait l'objet d'une telle mesure et à des salaires qu'elles ont conservés au titre de l'activité de garagiste, de réparation et de vente de véhicules d'occasion qu'elles continuent d'exercer.

- que la jurisprudence subordonne l'application de l'article L. 122-12 du Code du travail, en l'absence de lien de droit tel qu'un accord de cession, fusion ou d'apport, au transfert d'éléments matériels d'exploitation et exige en outre que le transfert porte sur une entité autonome suffisante;

- qu'il n'y a en l'espèce aucun transfert des structures de la SADAP qui poursuit d'ailleurs ses activités dans ses propres locaux;

- que les appelantes font une distinction entre le secteur des prestations de service et le secteur de la distribution commerciale alors que la jurisprudence n'en opère aucune;

- que la résiliation du contrat de concession n'a mis fin qu'à la possibilité pour la SADAP de vendre des véhicules neufs de marque Renault mais ne l'empêche pas de poursuivre ses autres activités de vente de véhicules d'occasion ainsi que d'entretien et de réparation de véhicules de toutes marques, y compris Renault;

- que dans l'attente de la désignation d'un nouveau concessionnaire, elle a continué à organiser la distribution de ses produits dans le secteur de Brignoles et que la succursale de Toulon qui n'y a jamais été implantée n'a jamais exercé l'activité qui était celle de la SADAP;

- qu'en sa qualité de commerçant indépendant, la SARL Centrauto n'est nullement autorisée à revendiquer l'application de l'article L. 122-12 pour l'ensemble de son personnel alors qu'en outre il est établi qu'au 2 mai 1996, elle continuait à se faire passer pour un membre du réseau Renault en usant même de la fausse qualité de concessionnaire;

- qu'ainsi que l'ont mis en lumière les procédures prud'homales engagées par certains de ses salariés, la SADAP a tenté de se soustraire à ses obligations à leur égard alors qu'elle savait depuis le 27 décembre 1994 que son contrat de concession était résilié avec effet au 1er janvier 1996.

La société Renault demande ainsi la confirmation du jugement attaqué et la condamnation des sociétés appelantes au paiement de la somme de 50 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SA Mojeste Gasso souligne pour sa part par conclusions déposées le 16 décembre 1996:

- qu'elle a été constituée le 20 janvier 1996 par Jean-Pierre Gasso, es-gérant d'une société concessionnaire Renault dans les Landes, pour exploiter la même activité à Brignoles après que les négociations conduites avec les dirigeants des sociétés appelantes n'eurent pas abouti;

- qu'un premier établissement provisoire a été ouvert par elle à Brignoles le 1er mars 1996 après recrutement de 10 anciens salariés de la SADAF, démissionnaires pour 7 d'entre eux et licenciés économiques pour les autres;

- qu'elle est devenue concessionnaire dans ses locaux définitifs le 1er juillet 1996;

- qu'étant observé qu'aucune demande en dommages et intérêts n'est formée à son encontre, que la demande des sociétés appelantes tendant à la réintégration des salariés est irrecevable pour défaut de qualité l'action fondée sur les dispositions de l'article L. 122-12 du Code du travail appartenant aux seuls salariés à l'encontre du nouvel employeur, l'ancien étant devenu un tiers par rapport au contrat de travail et ce, à supposer que lesdites dispositions soient applicables;

- qu'à cet égard, il n'y a pas eu transfert d'une unité économique autonome puisque les structures de la SADAF ont subsisté;

- que les sociétés appelantes ont poursuivi l'exécution des contrats de travail et qu'elles ont créé de leur propre fait les conditions de leur action, ce qui démontre d'ailleurs que leur activité s'est poursuivie et leur unité économique d'exploitation, la SADAP étant même devenue concessionnaire Fiat;

- que la situation actuelle de la SADAP enlève toute pertinence à son argumentation selon laquelle l'absence de transfert de moyens matériels d'exploitation ne ferait pas obstacle au transfert d'une unité économique autonome;

- qu'elle même n'est que simple agent et qu'au surplus du 1er mars au 30 juin 1996, elle a acquis la qualité provisoire d'agent à Brignoles, alors que la SARL Centrauto opérait à Saint-Maximin jusqu'au 31 décembre 1995.

La société intimée demande ainsi la confirmation de la décision querellée et la condamnation solidaire des sociétés appelantes au paiement au titre des frais irrépétibles de la somme de 30 000 F portée ultérieurement à 35 000 F.

La SADAP et la SARL Centrauto ont observé par conclusions déposées le 24 janvier 1997 en répliquant à celles déposées le 19 décembre 1996 par la société Renault ayant relevé qu'elles représentaient les marques Fiat et Alfa-Roméo pour la première et Alfa-Roméo pour la seconde:

- qu'à supposer cette affirmation exacte, elle n'aurait aucune incidence sur le fond du débat, sauf à confirmer qu'elles sont privées de l'intégralité de leur activité;

- que leur situation financière au 31 décembre 1996 est très largement obérée;

- que la SADAP a cessé toute activité significative et a mis ses locaux à la SARL Diab, agent Fiat;

- qu'il est établi que la SA Mojeste Gasso a embauché la plupart des salariés de la SADAP en février, avril et juillet 1996 en s'abstenant de lui conserver le bénéfice de leurs avantages acquis;

- qu'aucune des décisions rendues dans le cadre de la distribution d'une marque automobile sur un secteur déterminé n'a subordonné l'application de l'article L. 122-12 à un transfert d'éléments matériels d'exploitation, ce qui est conforme à la position de la Cour de justice des Communautés Européennes qui fait application de la directive 77-187 CEE en l'absence de transfert d'un quelconque élément d'actif;

- qu'en l'espèce, de nombreux éléments d'actif ont été transférés (marque, signalétique, clientèle VN/VO, réseaux d'agents...) et que l'absence de transferts d'éléments matériels d'exploitation ne peut faire écarter l'application des dispositions susvisées, le but poursuivi étant la reprise de l'exploitation de l'entité économique autonome constituée par la concession Renault de Brignoles qui a conservé son identité propre;

- qu'au demeurant, certains éléments d'exploitation ont bien été transférés parmi lesquels le fichier clientèle, le réseau d'agents, les emplacements de démonstration commercial et les contrats relatif à l'entretien du linge Renault et à une machine à café;

- que si Renault avait respecté ses obligations légales le personnel l'aurait quittée dès le mois de janvier 1996, ce qui lui aurait permis d'embaucher par contrats de courte durée quelques salariés pour assurer la liquidation des stocks non repris;

- qu'en conséquence, la société Renault a engagé sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil et doit être condamnée au paiement des charges de personnel supportées entre le 1er janvier et le 31 décembre 1996 soit 2 263 600 F pour la SADAP et 572 550 F pour la SARL Centrauto;

- que sont toutefois exclues les taxes et cotisations qu'elles devront acquitter au titre de l'exercice 1996 et qui découlent directement ou indirectement du maintien de leur effectif salarié et les salaires et charges acquittés depuis le 1er janvier 1997 jusqu'au prononcé de la présente décision;

- qu'elles sont fondées à demander que soit enjoint à Renault, et subsidiairement à la SA Mojeste Gasso, de reprendre les salariés demeurant à ce jour à leur service, à l'exception de Monsieur Elbaz dirigeant de la SADAP et à défaut, "vu le droit reconnu aux intimées de s'opposer à une telle injonction ", que Renault, et subsidiairement la SA Mojeste Gasso, soient solidairement condamnées à les garantir de l'intégralité des frais de licenciement de ces salariés, y compris les sommes qui seront mises à leur charge dans le cadre d'une éventuelle procédure prud'homale consécutive à leur licenciement.

La société Renault réplique par conclusions déposées le 27 mars 1997:

- que les sociétés appelantes, qui demandaient initialement sa condamnation à des dommages et intérêts, demandent désormais qu'il lui soit fait injonction de reprendre l'ensemble du personnel encore en poste et qu'elle soit condamnée à les garantir du coût des licenciements éventuels;

- que cette demande est irrecevable sur le fondement de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile alors qu'elle s'inscrit au surplus dans le cadre d'une procédure ayant fait l'objet d'une fixation en application de l'article 910, al.2 du même Code.

- que la SARL Centrauto, qui ne lui était pas liée contractuellement, n'est pas fondée en sa qualité de commerçant indépendant, à revendiquer l'application de l'article L. 122-12 du Code du travail;

- qu'il appartenait aux appelantes de cesser l'exécution des contrats de travail de leurs salariés tout en leur indiquant qu'ils se trouvaient transférés au cessionnaire à qui il incombait de les rompre et d'en supporter les conséquences;

- qu'elles ont au contraire délibérément poursuivi lesdits contrats pour la quasi-totalité de leurs employés et ont ainsi créé artificiellement les conditions de leur demande de dommages-intérêts, ce qui constitue une fraude à la loi pure et simple;

- que saisi par 5 salariés, le Conseil des prud'hommes a considéré que l'article L. 122-1 2 précité n'était pas applicable par décisions définitives des 20 juin et 5 septembre 1996;

- que la SADAP aurait en réalité besoin de ses salariés dont 21 ont d'ailleurs démissionné;

- que la SADAP a bien maintenu son activité et qu'il est démontré qu'elle assure la représentation des marques Fiat et Alfa-Roméo sous couvert d'un montage juridique adopté pour les besoins de la cause;

- que le seul fait que la SADAP ait poursuivi son activité et conservé son propre circuit de distribution permet d'écarter l'application du texte précité;

- que les sociétés appelantes invoquent maintenant le prétendu transfert d'éléments matériels d'exploitation;

- qu'un tel transfert est inexistant puisqu'en premier lieu elle n'a accès qu'au fichier national de centralisation des immatriculation à l'instar des autres constructeurs, qu'en deuxième lieu elle ne dispose pas du fichier VO des sociétés appelantes sauf pour les véhicules bénéficiant sur l'ensemble du territoire de la garantie OR dont elle assume l'obligation, qu'en troisième lieu le réseau d'agents est constitué de commerçants indépendants libres de contracter avec le cessionnaire de leur choix, qu'en quatrième lieu les emplacements loués à des tiers ne constituent pas un élément d'exploitation susceptible de transfert et qu'enfin pour la machine à café et le contrat Elis il y a conclusion de nouveau contrat.

La SA Mojeste Gasso souligne par conclusions déposées le 28 mars 1997:

- que les sociétés SADAF et Centrauto présentent des demandes fondées sur les mêmes moyens alors qu'il s'agit de deux entités distinctes dotées d'un statut différent;

- que leur dernière demande est irrecevable en vertu de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile;

- que si l'article 122-12 du Code du travail devait s'appliquer, il appartenait au nouvel employeur d'opérer les licenciements et à en répondre sur assignation des seuls salariés;

- qu'il n'y a eu aucun transfert d'éléments d'exploitation.

MOTIFS DE LA DECISION:

Attendu que la recevabilité des appels n'est pas contestée; qu'en l'absence de fin de non recevoir susceptible d'être relevée d'office, il convient de les déclarer recevables; qu'il échet également de donner acte aux parties de leur renonciation à se prévaloir de leurs conclusions respectives tendant au rejet des écritures adverses; que la cour relève également que les incidents de communication de pièces survenus postérieurement à l'ordonnance prise en application de l'article 910, al.2 du nouveau Code de procédure civile sont sans objet, et n'ont ainsi fait l'objet d'aucune mention dans l'exposé des moyens et des prétentions des parties, puisque lesdites pièces sont relatives à l'existence et à l'étendue d'un préjudice que la cour n 'aura pas à déterminer en l'absence de faute retenue à l'encontre des sociétés intimées.

Attendu qu'avant d'aborder le fond, la cour doit examiner la fin de non recevoir proposée par ces dernières sur le fondement des dispositions de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile;

Qu'ainsi que le relèvent à juste titre les sociétés Renault et Mojeste Gasso, la demande soumise au juge du fond de première instance, saisi en application de l'article 487 du nouveau Code de procédure civile, tendait seulement à la condamnation de la société Renault au paiement de dommages et intérêt sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et à ce qu'il fût jugé qu'il lui appartiendrait d'exercer tous droits qu'elle estimerait obtenir à l'encontre de la SA Mojeste Gasso; qu'en appel, les sociétés SADAP et Centrauto ont demandé dans le dernier état de leurs écritures, qu'il soit enjoint à la société Renault, et subsidiairement à la société Mojeste Gasso, de reprendre l'ensemble du personnel salarié encore en poste dans lesdites sociétés et de les condamner subsidiairement à les garantir de toutes sommes qu'elles seraient conduites à exposer dans le cadre des licenciements des salariés concernés; que ces prétentions sont nouvelles au sens des articles 564 et 565 du nouveau Code de procédure civile en ce qu'elles ne tendent pas aux mêmes fins que celles soumises au premier juge et qu'il n'y a eu ni intervention d'un tiers, ni survenance ou révélation d'un fait; que ces demandes doivent dès lors être déclarées irrecevables; qu'elles étaient au demeurant vouées au fond à l'échec.

Attendu, en effet, que l'article L. 122-12 du Code du travail dispose que s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise; que ces dispositions d'ordre public, ainsi que celles des articles 1 et 3 de la directive du 14 février 1977 du Conseil des Communautés Européennes s'appliquent, même en l'absence d'un lien de droit entre les employeurs successifs, à tout transfert d'une entité économique et dont l'activité est poursuivie ou reprise.

Attendu que les dispositions susvisées imposent au nouvel employeur, s'il refuse de reprendre à son service les salariés attachés à l'activité de l'entité transférée, ainsi que l'article 122-14-4 al. 1er du Code du travail lui en laisse la faculté, de leur verser les indemnités de préavis et de licenciement qui leur étaient acquises au regard de leurs conditions antérieures de rémunération et de leur ancienneté au service du précédent employeur.

Attendu que les sociétés appelantes étaient ainsi manifestement irrecevables pour défaut de qualité à demander d'abord au juge des référés puis au juge du fond, au surplus civil, qu'il fût enjoint aux sociétés intimées de reprendre les contrats de travail, prétention à laquelle le conseil des prud'hommes saisi par les salariés eux-mêmes n'aurait, au surplus, pu faire droit.

Attendu que l'accueil de cette fin de non recevoir ne rend pas pour autant les sociétés SADAP et Centrauto irrecevables à demander sur le fondement de l'article 1382 du Code civil réparation du préjudice en relation directe avec la violation par les sociétés intimées de leurs obligations légales même édictées dans le seul intérêt des salariés; que, cependant, ayant disposé d'un préavis d'un an et sachant ainsi que le contrat de concession prenait irrévocablement fin le 31 décembre 1995, la SADAP et son agent étaient tenus de notifier aux salariés qu'elles considéraient comme attachés à l'entité économique dont l'activité était poursuivie nécessairement par le concédant en l'absence de désignation d'un nouveau concessionnaire, qu'à cette date leurs contrats de travail les liaient désormais audit concédant, tous droits et avantages acquis conservés;

Que dans l'hypothèse où le nouvel employeur aurait estimé que les conditions d'application de l'article 112-2 du Code du travail n'étaient pas remplies, il appartenait aux salariés de l'assigner, ainsi que l'ancien, devant la juridiction prud'homale afin de faire trancher cette contestation; qu'en poursuivant l'exécution des contrats de travail au-delà du 31 décembre 1995, les sociétés appelantes ont privé d'effet les dispositions qu'elles invoquent et ne peuvent ainsi prétendre voir retenir la responsabilité quasi-délictuelle des intimées puisqu'elles ont créé de leur propre fait la situation qu'elles imputent à tort aux sociétés Renault et Mojeste Gasso; qu'il est en conséquence sans intérêt pour la solution du litige d'apprécier si, en l'occurrence, il y avait bien transfert d'une entité économique dont l'activité est poursuivie.

Par ces motifs: LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement; Donne acte aux parties de leur renonciation à se prévaloir de leurs conclusions respectives tendant au rejet des écritures adverses; Constate que les incidents de communication de pièces soulevées par les parties sont sans objet, la cour n'ayant pas examiné les pièces relatives à la détermination d'un éventuel préjudice; Reçoit les société SADAP et Centrauto en leur appel; Déclare irrecevables en application des dispositions de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile les prétentions nouvelles soumises à la cour tendant à la reprise du personnel salarié encore en poste et à la condamnation à garantir les sociétés appelantes de toutes sommes qu'elles seraient conduits à exposer dans le cadre de licenciement; Confirme le jugement entrepris Condamne la société SADAF et la SARL Centrauto à payer, chacune, à la société Renault la somme de 20 000 F (vingt mille francs) et à la SA Mojeste Gasso celle de 15 000 F (quinze mille francs) en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, soit au total la somme de 70 000 F (soixante dix mille francs); Les condamne aux dépens d'appel et autorise les SCP Latil et Cohen, titulaires d'un office d'avoué, à recouvrer directement ceux dont elles ont fait l'avance sans recevoir provision.