CA Paris, 1re ch. H, 11 mars 2003, n° ECOC0300127X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Chronopost (SA), La Poste, TAT (SA)
Défendeur :
Holding Geopost (Sté), Union française de l'express international, DHL International (SA), Fédéral Express International (SA), United Parcel Service France (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Conseillers :
Mme Penichon, M. Remenieras
Avoués :
SCP Verdun & Seveno, Me Olivier, SCP Gibou-Pignot-Grapotte Benetreau, Huyghe
Avocats :
Mes Berlin, Lehman, Georges, Morgan de Rivery.
Le 26 décembre 1990, le Syndicat français de l'express international, devenu l'Union française de l'express (UFEX), ainsi que plusieurs sociétés spécialisées dans l'acheminement d'envois express internationaux, ont saisi le Conseil de la concurrence d'une plainte dirigée contre La Poste, la société Sofipost (société holding des filiales de La Poste), la Société française de messagerie internationale (SFMI) et la Société de transport aérien transrégional (TAT).
Les sociétés plaignantes soutenaient que la création de la SFMI par Sofipost et TAT pour la gestion du service Chronopost avait donné lieu à une entente de répartition. Elles dénonçaient également la croissance exceptionnelle, à leur détriment, de la SFMI sur le marché français des envois express, grâce aux moyens fournis par La Poste et des subventions croisées qui constitueraient un abus du monopole détenu par La Poste sur le marché du courrier ordinaire.
Par décision du 20 février 2002, le Conseil de la concurrence a, d'une part, constaté la prescription du fait constitué par l'acte de création de la société SFMI, d'autre part estimé qu'il ne disposait pas des éléments nécessaires pour apprécier la persistance dans le temps des effets de cet acte de création, ou de pratiques éventuellement distinctes.
Il a en conséquence déclaré la saisine irrecevable en ce qui concerne l'acte de création de la SFMI et renvoyé pour le surplus l'affaire à l'instruction.
Le 1er août 2002, la société Chronopost a formé un recours en réformation de la décision du Conseil de la concurrence, pour voir dire qu'elle doit être mise hors de cause, constater la prescription des faits dénoncés dans la plainte du 26 décembre 1990, condamner l'UFEX à lui payer la somme de 10 700 euros au titre de l'article 700 du NCPC.
Le 9 août 2002, La Poste a formé un recours aux mêmes fins, l'indemnité sollicitée sur le fondement de l'article 700 du NCPC étant de 10 000 euros.
Indépendamment du moyen de prescription, les sociétés Chronopost et La Poste font valoir, pour justifier la recevabilité de leurs recours, que la violation à leur détriment du principe de la contradiction et des règles de la Convention européenne des Droits de l'Homme implique que la cour puisse mettre fin immédiatement à une procédure qui leur cause des griefs importants.
Le 21 novembre 2002, la société TAT a formé un recours en annulation, subsidiairement en réformation, de la même décision du Conseil de la concurrence.
Elle fait valoir que la procédure suivie devant le Conseil est nulle, la société TAT n'ayant jamais été appelée en cause, et que les faits invoqués sont prescrits. Elle sollicite l'allocation d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du NCPC.
Par un mémoire du 25 novembre 2002, l'UFEX, les sociétés DHL International, Fédéral Express International et UPS demandent à la cour de déclarer les recours irrecevables, de condamner Chronopost et La Poste à payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du NCPC et celle de 15 000 euros par application de l'article 700 du NCPC.
Le 29 novembre 2002, la société Geopost a déposé un mémoire s'associant aux demandes et moyens présentés par La Poste et Chronopost ;
Ces sociétés défenderesses font valoir que le rejet partiel de la plainte initiale ne fait pas grief à La Poste et Chronopost, qu'aucun texte n'autorise un recours contre une décision de renvoi à l'instruction, qu'il n'y a en l'espèce aucune violation de la Convention européenne des Droits de l'Homme, que les recours constituent en réalité un détournement de procédure.
Le 6 décembre 2002, le ministre chargé de l'Economie a déposé des observations écrites tendant à voir déclarer les recours irrecevables.
Des mémoires en réplique réitérant l'argumentation initiale ont été déposés par TAT le 18 décembre 2002, par La Poste le 10 janvier 2003 et par Chronopost le 13 janvier 2003.
A l'audience du 4 février 2003, après avoir entendu les conseils des parties au recours en leurs plaidoiries, le représentant du ministre de l'Economie en ses observations, le Ministère public en ses conclusions écrites tendant à l'irrecevabilité du recours et après réplique offerte aux parties, la cour a mis l'affaire en délibéré pour être jugée le 11 mars 2003.
Sur la recevabilité des recours :
Considérant que le recours prévu par l'article L. 464-8 du Code de commerce, qu'il tende à l'annulation d'une décision du Conseil de la concurrence ou à sa réformation, a une nature spécifique liée à son caractère administratif et ne peut être exercé que dans les conditions prévues par les textes ;
Considérant que ce recours n'est ouvert qu'à l'encontre des décisions énumérées à l'article L. 464-8 du Code de commerce, au nombre desquelles ne figure pas le renvoi d'une affaire à l'instruction, simple mesure interne prise par le Conseil de la concurrence pour poursuivre l'examen d'une affaire dont il entend rester saisi ;
Considérant en outre que le recours ne peut être formé que par l'une des parties en cause devant le Conseil de la concurrence, soit celle dont la réclamation a été déclarée irrecevable ou rejetée, soit celle qui, à la suite d'une notification de griefs, a fait l'objet d'une injonction ou d'une sanction pécuniaire ; que même si les entreprises requérantes ont dû répondre à des demandes d'informations des rapporteurs en charge de l'enquête, cette circonstance ne suffit pas à leur conférer la qualité requise pour agir devant la cour d'appel contre une décision qui ne prononce aucune mesure à leur égard ;
Considérant qu'indépendamment d'une éventuelle action en responsabilité de l'Etat, la prétendue violation des principes fondamentaux de la procédure alléguée par les requérantes ne les autorise pas pour autant à mettre en ouvre un recours étranger aux textes applicables ; qu'il doit être dès lors déclaré irrecevable ;
Considérant que malgré cette irrecevabilité, le recours critiqué n'a pas été formé dans des conditions fautives et ne justifie pas l'allocation aux sociétés défenderesses de dommages- intérêts pour procédure abusive ; qu'en outre aucune circonstance n'impose l'application de l'article 700 du NCPC,
Par ces motifs : LA COUR Déclare les recours irrecevables ; Rejette les demandes de dommages-intérêts et d'indemnité de procédure présentées par les sociétés défenderesses ; Condamne La Poste, les sociétés Chronopost et TAT aux dépens.