Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.717
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
SEPR (SA)
Défendeur :
Michelon, Naud, Tissier
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Sargos
Rapporteur :
M. Frouin
Avocat général :
M. Foerst
Avocats :
SCP Gatineau, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez.
LA COUR: - Attendu que MM. Tissier, Michelon et Naud, ont été engagés respectivement les 17 juin 1976, 1er mars 1979 et le 12 octobre 1987 en qualité de VRP par la Société d'éditions et de protection route (SEPR) qu'ils ont été licenciés pour motif économique les 7, 20 et 26 août 1996 dans le cadre d'une procédure de licenciement collectif pour motif économique à la suite de leur refus d'une modification de leur contrat de travail et après autorisation de l'inspecteur du travail concernant MM. Tissier et Michelon, qui étaient délégués du personnel;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 01-44-722 formé par la SEPR: - Attendu que la société SEPR fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 30 mai 2001) d'avoir dit MM. Michelon et Tissier recevables à agir en nullité de leur licenciement alors, selon le moyen: 1°) que l'inspecteur du travail est seul compétent pour autoriser le licenciement d'un salarié protégé et que toute contestation visant à remettre en cause le licenciement autorisé d'un salarié protégé relève de la compétence exclusive du juge administratif, que l'action individuelle d'un salarié protégé dont le licenciement économique a été autorisé et tendant à voir consacrer la nullité du plan social, en ce qu'elle tend à obtenir l'annulation consécutive de son licenciement ne peut donc être portée que devant le juge administratif, qu'en décidant le contraire la cour d'appel a violé l'article L. 511-1 du Code du travail et la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 11 fructidor an III; 2°) que lorsque la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé s'inscrit dans le cadre d'un licenciement économique collectif, l'inspecteur du travail, seul compétent pour délivrer cette autorisation sous le contrôle du juge administratif, apprécie la validité du plan social, que l'action du salarié protégé tendant à voir constater la nullité du plan social, en ce qu'elle revient à remettre en cause l'appréciation opérée par l'inspecteur du travail et, partant, sa décision, ne peut donc être portée que devant le seul juge administratif, qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 511-1 du Code du travail et la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III;
Mais attendu que les salariés dont le licenciement a été autorisé par l'inspecteur du travail peuvent contester la validité du plan social devant la juridiction judiciaire et lui demander d'en tirer les conséquences légales qui s'évincent de l'article L. 321-4-1 du Code du travail, sans que cette contestation, qui ne concerne pas le bien-fondé de la décision administrative qui a autorisé leur licenciement, porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs; que le moyen n'est pas fondé;
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 01-44-722 formé par la SEPR: - Attendu que la société SEPR fait encore grief à l'arrêt d'avoir prononcé la nullité du licenciement de MM. Michelon, Naud et Tissier et de leur avoir alloué des dommages-intérêts alors, selon le moyen: 1°) qu'en tout état de cause l'employeur qui, dans le cadre d'une restructuration ou d'une réorganisation qu'il a décidée, est conduit à proposer à plus de dix salariés la modification d'un élément essentiel de leur contrat de travail et, par conséquent, à envisager le licenciement de ces salariés pour motif économique, est tenu d'établir un plan social conformément aux dispositions des articles L. 321-2 et L. 321-1, alinéa 2 et qu'on vertu de l'article L. 321-4-1, alinéa 2, du Code du travail; que seule l'absence d'un tel plan entraîne la nullité des procédures de licenciement néanmoins mises en œuvre ; que l'élaboration tardive du plan social, après le refus par les salariés de la proposition de modification du contrat de travail qui leur a été faite par l'employeur, ne constitue qu'une irrégularité de forme susceptible d'ouvrir éventuellement droit à des dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi dans les termes de l'article L. 122-14-4 du Code du travail ; qu'en l'espèce, le fait que la société SEPR n'ait consulté le comité d'entreprise sur les licenciements envisagés et élaboré le plan social qu'après que les salariés concernés l'aient informée de leurs décisions de rejeter sa proposition de modification de leurs contrats de travail, ne pouvait donc ouvrir droit qu'à d'éventuels dommages- intérêts dans le cadre de l'article L. 122-14-4 du Code du travail et non aboutir à la nullité du plan social; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 321-4-1 du Code du travail; 2°) qu'en toute hypothèse, l'élaboration tardive du plan social ne peut entraîner sa nullité ainsi que les licenciements qui en sont la suite que s'il a causé un préjudice aux salariés concernés par cette mesure; que tel n' est pas le cas lorsque les salariés ont eu la possibilité de revenir sur leur refus de voir modifier leur contrat de travail après qu'un plan social ait été mis en place par l'entreprise, qu'en constatant que l'irrégularité résidant dans la présentation tardive du plan n'avait causé aucun préjudice à MM. Tissier, Michelon et Naud dans la mesure où il leur avait été offert la possibilité de revenir sur leur décision en refusant la possibilité de modification de poste, tout en prononçant la nullité du plan social et des licenciements y afférents et en condamnant la société SEPR à payer aux dits salariés des dommages-intérêts très importants en raison du préjudice qu'ils auraient prétendument subi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, a violé l'article L. 321-4-1 du Code du travail;
Mais attendu que dans les entreprises visées à l'article L. 321-2 du Code du travail où sont occupés habituellement au moins cinquante salariés, l'employeur qui est conduit à proposer à dix salariés au moins la modification de leur contrat de travail est tenu d'établir un plan social; qu'en application de l'article L. 321-4-1 du Code du travail la procédure de licenciement est nulle en l'absence de plan social qu'il en résulte que la procédure de licenciement collectif est nulle si un plan social n'a pas été établi avant que l'employeur ne notifie à dix salariés au moins une proposition de modification de leur contrat de travail, et que l'établissement d'un plan social après que dix salariés au moins ont refusé la proposition ne peut avoir pour effet de régulariser la procédure;
Et attendu que la cour d'appel, qui a relevé que la société SEPR n'avait consulté le comité d'entreprise sur les licenciements envisagés et élaboré un plan social qu'après que les salariés concernés l'aient informée de leur décision de refuser la modification de leur contrat de travail a, sans encourir les griefs du moyen, légalement justifié sa décision;
Sur le troisième moyen du pourvoi formé par la société SEPR: - Attendu que le société SEPR fait aussi grief à l'arrêt d'avoir alloué à M. Tissier une indemnité conventionnelle de rupture alors, selon le moyen: 1°) qu'aux termes de l'article 13 de l'accord national interprofessionnel, l'indemnité de rupture n'est cumulable ni avec l'indemnité de clientèle ni avec les sommes allouées au cours du contrat de travail et devant venir en déduction de cette indemnité de clientèle; que les sommes allouées au cours du contrat de travail ne peuvent perdre leur caractère d'avance sur l'indemnité de clientèle du seul fait qu'elles sont soumises aux cotisations sociales; qu'en se fondant sur cette seule circonstance pour affirmer que l'indemnité conventionnelle de rupture était cumulable avec les sommes versées au salarié au cours de son contrat de travail, sans se référer, pour rechercher si elles présentaient le caractère d'indemnité ou celui de rémunération du travail, à l'intention des parties qui les avaient qualifiées dans le contrat de travail de règlement anticipé de l'indemnité de clientèle, distinct de la rémunération proprement dite, ni à leur montant comparé à celui des commissions versées aux salariés à titre de rémunération, ni au montant de la rémunération globale comparé au minimum conventionnel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 751-9 du Code du travail et 13 de l'accord national interprofessionnel; 2°) que l'indemnité conventionnelle de rupture est calculée sur la rémunération moyenne mensuelle des 12 derniers mois, déduction faite des frais professionnels; qu'elle ne peut toutefois être calculée que sur la seule partie fixe convenue, de sorte qu'elle n'est pas due au représentant payé exclusivement à la commission; qu'en l'espèce, il est constant que M. Tissier n'était rémunéré qu'à la commission; qu'en décidant néanmoins d'allouer au VRP l'indemnité conventionnelle de rupture, la cour d'appel a violé l'article L. 751-9 du Code du travail et l'article 13 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975;
Mais attendu que si l'article 13 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975 dispose que l'indemnité conventionnelle de rupture qu'il prévoit ne peut se cumuler avec l'indemnité de clientèle, il n'en résulte pas qu'elle ne peut se cumuler avec des rémunérations accordées en cours de contrat pour le même objet que l'indemnité de clientèle; que c'est, par suite, à bon droit que la cour d'appel a retenu que le fait pour le salarié d'avoir perçu au cours de l'exécution du contrat de travail une rémunération spéciale ayant pour objet de rémunérer le développement et la création de clientèle ne pouvait le priver du bénéfice de l'indemnité prévue par l'article 13 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, dès lors qu'il remplissait les conditions pour y prétendre, peu important qu'il ait été rémunéré à la commission; que le moyen n'est pas fondé;
Sur le quatrième moyen du pourvoi formé par la SEPR: - Attendu que la société SEPR reproche enfin à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser à M. Michelon et à M. Naud une certaine somme à titre d'indemnité de clientèle alors, selon le moyen: 1°) que l'indemnité conventionnelle de rupture n'est pas cumulable avec l'indemnité de clientèle ; que constitue une renonciation à l'indemnité de clientèle la requête introductive d'instance dans laquelle le VRP sollicite le versement de l'indemnité conventionnelle de rupture et ne formule pas de demande au titre de l'indemnité de clientèle; qu'en l'espèce, MM. Naud et Michelon ont saisi le 9 décembre 1997, le conseil de prud'hommes d'une demande d'indemnité conventionnelle de rupture; que les salariés ont donc expressément renoncé à l'indemnité de clientèle telle que prévue à l'article L. 751-9 du Code du travail; qu'en décidant néanmoins d'allouer à MM. Naud et Michelon une indemnité de clientèle, la cour d'appel a violé l'article 13 de l'accord national interprofessionnel de 1975; 2°) qu'en toute hypothèse, le simple visa des pièces de la procédure ne satisfait pas à l'obligation de motivation qu'il incombe à tout juge de respecter; qu'en l'espèce, la société SEPR faisait valoir dans ses conclusions d'appel que les sommes réclamées par MM. Michelon et Naud au titre de l'indemnité de clientèle étaient exorbitantes, compte tenu des sommes allouées au titre des avances en cours de contrat, étaient bien supérieures à la valeur de la clientèle qu'ils avaient apportée; qu'en se bornant à affirmer qu'en regard des éléments d'appréciation qui lui étaient soumis, il convenait de fixer aux sommes de 130 000 F et 60 000 F les parts revenant respectivement à M. Michelon et M. Naud au titre de l'indemnité de clientèle, sans spécifier les éléments de preuve qui lui avaient permis de statuer de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile;
Mais attendu, d'abord, que la société SEPR ayant indiqué dans ses écritures d'appel que "MM. Michelon et Naud, non seulement n'ont pas renoncé expressément à l'indemnité de clientèle mais encore ont clairement manifesté leur volonté de bénéficier de cette indemnité", le moyen en sa première branche est irrecevable comme contraire à ces écritures;
Et attendu que la cour d'appel, qui n'a pas alloué aux salariés d'indemnité conventionnelle de rupture, a apprécié, au vu des éléments qui lui étaient soumis, l'indemnité de clientèle à laquelle pouvaient prétendre les salariés; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Sur le moyen unique du pourvoi incident formé par M. Michelon: - Attendu que M. Michelon fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande de réintégration et de paiement de salaires, congés payés et prestations sociales afférentes et d'avoir condamné l'employeur à lui verser une certaine somme à titre de dommages-intérêts alors, selon le moyen: 1°) qu'il résulte des dispositions de l'article L. 321-4-1 du Code du travail que la nullité qui affecte le plan social s'étend à tous les actes subséquents, et en particulier aux licenciements prononcés par l'employeur à la suite de la procédure de licenciement collectif, que la réintégration du salarié qui en fait la demande est la conséquence nécessaire de cette nullité, qu'il s'ensuit qu'en décidant que les conséquences financières de cette nullité s'exprimaient en dommages-intérêts et en déboutant le salarié de sa demande de réintégration et de salaires, tout en décidant à bon droit que le plan social litigieux était nul et les licenciements qui en sont la suite affectés par cette nullité, la cour d'appel a violé les dispositions du texte susvisé ; 2°) que si l'impossibilité d'ordonner la réintégration pour l'avenir du salarié résultait effectivement de sa mise à la retraite intervenue entre temps, il appartenait à la cour d'appel de lui allouer, pour la période écoulée entre la date de son licenciement nul et la date de sa mise à la retraite une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant de son défaut de réintégration durant cette période et tenant compte des salaires et indemnités de congés payés dont il avait été privé, qu'en lui allouant de ce chef une indemnité de 280 000 F, sans motiver cette évaluation, l'arrêt ne permet pas à la Cour de cassation de contrôler qu'a été réparée l'intégralité du dommage et prive sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, après avoir constaté que la réintégration du salarié dans l'entreprise était matériellement impossible, a souverainement apprécié, au vu des éléments qui lui étaient soumis, le préjudice ayant résulté pour lui du caractère illicite du licenciement, dès lors qu'elle a alloué au salarié une indemnité d'un montant au moins égal à celui prévu par l'article L. 122-14-4 du Code du travail ; que le moyen n'est pas fondé;
Mais sur le moyen unique du pourvoi n° 01-43-027 formé par M. Naud: - Vu l'article L. 321-4-1 du Code du travail; - Attendu que, pour débouter M. Naud de sa demande de réintégration et de paiement de salaires, congés payés et prestations sociales afférentes, la cour d'appel a énoncé que le plan social était nul et que par voie de conséquence les licenciements qui en étaient la suite étaient affectés par cette nullité, que les conséquences financières de cette nullité s'exprimaient en dommages-intérêts, qu'en effet la société SEPR n'avait jamais manifesté l'intention de renouer une relation de travail avec M. Naud; qu'en statuant ainsi, par un motif inopérant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;
Par ces motifs: Casse et annule, mais seulement en ce qui concerne la demande de M. Naud en réintégration, paiement de salaires congés payés et prestations sociales afférentes, l'arrêt rendu le 30 mai 2001, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.