CA Paris, 5e ch. A, 5 février 2003, n° 2001-09923
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rive Gauche Auto (SARL)
Défendeur :
Korauto (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Riffault-Silk
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
SCP Lagourgue, SCP Bommart-Forster
Avocats :
Mes Busato, Cochiello
Le 27 juin 1996 la société Rive Gauche Auto a conclu avec la société Korauto un contrat de concession pour assurer la distribution des véhicules et pièces de rechange de marque Ssangyong, la société Korauto étant depuis l'année 1995 liée à la société Ssangyong Motor par un contrat d'importation exclusif pour le territoire français des produits de cette marque.
Fin 1997, la société Daewoo a racheté la société Ssangyong Motor qui par courrier du 20 novembre 1998 a résilié le contrat conclu avec la société Korauto à effet du 28 février 2000 ; cette société a en conséquence le 2 décembre 1998 résilié pour cas de force majeure le contrat de concession avec un préavis expirant le 28 février 2000.
Estimant la résiliation fautive aux motifs notamment qu'elle ne respectait pas le délai de préavis de rigueur de deux ans, la société Rive Gauche Auto a assigné la société Korauto devant le Tribunal de commerce de Paris qui par jugement du 2 avril 2001 a :
- débouté la société Rive Gauche Auto de sa demande,
- débouté la société Korauto de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamné la société Rive Gauche Auto aux dépens.
Appelante la société Rive Gauche Auto prie la cour :
- d'ordonner avant dire droit la communication des bilans des exercices 1999 et 2000 certifiés conformes de la société Korauto, et ce, sous astreinte de 1 000 F par jour de retard,
- de condamner la société Korauto à lui payer sur le fondement de l'article 1147 du Code civil la somme de 2 500 000 F en réparation de l'ensemble des préjudices subis et celle de 40 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
La société Korauto conclut à la confirmation du jugement déféré sauf du chef relatif à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, elle poursuit en conséquence l'allocation de la somme de 3 048,97 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance outre celle de 3 048,98 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
Cela étant exposé,
Considérant que la société Rive Gauche Auto fait valoir que la société Korauto a engagé sa responsabilité contractuelle en réduisant le préavis de neuf mois et en contrevenant de fait aux stipulations contractuelles ainsi qu'au règlement CEE 1475-95 du 28 juin 1995, en étant dans l'incapacité de procéder à l'approvisionnement de son concessionnaire en véhicules neufs et en adoptant une attitude déloyale en cours de préavis, que cette société invoque pour s'exonérer de toute responsabilité un cas de force majeure non caractérisé en l'espèce ainsi que les dispositions de l'article 1135 du Code civil dont les conditions d'application ne sont pas réunies ;
Qu'enfin son préjudice s 'établit par la perte de chiffre d'affaires faute de livraison de véhicules, le manque à gagner résultant de la réduction du préavis contractuel, la perte corrélative de clientèle et la disparition du service après-vente, la dégradation de son image de marque et le préjudice moral en résultant ;
Que la société Korauto se fondant sur les articles 1135 et 1147 du Code civil ainsi que sur les contrats d'importation et de concession réplique qu'il existait entre les contrats d'importation et de concession un lien d'accessoire à principal ; qu'en conséquence la résolution dans les mêmes conditions du contrat de concession, la décision de supprimer la commercialisation des véhicules Ssangyong en France et la résiliation du contrat d'importation avec un préavis de 15 mois relèvent d'un cas de force majeure, qu'en tout état de cause le règlement CEE 1475-95 et le contrat de concession prévoient dans le cas de l'espèce la faculté pour le fournisseur de résilier le contrat moyennant un préavis d'un an et la société Rive Gauche Auto ne justifie pas les préjudices qu'elle allègue ;
Considérant que le contrat de concession litigieux qui avait pour objet la commercialisation en Haute-Garonne de produits de la marque Ssangyong découle nécessairement du contrat d'importation et de distribution exclusifs conclu entre la société Korauto et la société Ssangyong dont la résiliation devait donc inéluctablement entraîner sa propre résiliation ;
Qu'au demeurant la société Rive Gauche Auto ne critique pas en son principe la résiliation de son contrat mais la réduction du délai de préavis et les conditions d'exécution du préavis ;
Considérant que conformément au règlement CEE n° 1475-95 de la Commission des communautés européennes du 28 juin 1995, le délai contractuel de préavis prévu au contrat de concession était de deux ans et était réduit à un an en cas de nécessité pour le concédant de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle de son réseau ce qui n'est pas le cas de l'espèce s'agissant de la suppression totale du réseau du fait du constructeur ;
Considérant qu'il est constant (conclusions des parties) que la société Ssangyong a après avoir le 20 novembre 1998 résilié à effet du 28 février 2000 le contrat conclu avec la société Korauto a dès le 22 décembre 1998 porté la durée du préavis de 15 à 24 mois pour répondre aux protestations de la société Korauto (jugement du Tribunal de commerce de Paris du 24 septembre 1999) ; que dans son courrier de résiliation la société Korauto avait précisé aux concessionnaires qu'elle contestait auprès des sociétés Daewoo et Ssangyong les conditions de la résiliation et qu'elle ne manquerait pas de les tenir informés des suites de cette contestation, enfin que sous réserve qu'elle accepte d'en supporter le coût, la société Korauto a obtenu de son fournisseur l'autorisation de supprimer les badges et logos "Daewoo" placés sur la plupart des modèles Ssangyong récemment expédiés ce qui lui a permis de livrer aux concessionnaires des véhicules conformes à la commande ;
Qu'il s'ensuit que la résiliation du contrat avec une réduction du préavis contractuel de neuf mois ne présente pas un caractère irrésistible et que la société Rive Gauche Auto est bien fondée à se prévaloir d'un manque à gagner en résultant ;
Considérant que lors de la résiliation du contrat de concession la société Korauto a assuré à son concessionnaire que les clauses du contrat seraient respectées et que Ssangyong Motor s'engageait à livrer durant le préavis les véhicules de la marque dans les mêmes conditions que par le passé ;
Que pour l'année 1998 antérieure à la résiliation et sans échange de courriers entre les parties sur les mauvaises conditions d'exécution du contrat, le nombre de véhicules neufs vendus a été de 31 chiffre sensiblement égal à celui de l'année 1996 (16 véhicules vendus en 6 mois), qu'il a été en revanche de 16 en 1999 la société Rive Gauche Auto justifiant de l'annulation de deux commandes sans préciser le nombre de celles qui ont été passées et n'auraient pu être satisfaites - elle a pu acquérir des véhicules auprès d'un distributeur espagnol (5 factures de ce dernier émises en septembre et novembre 1999) - et la société Korauto ne rapportant pas la preuve de diligences effectuées auprès du constructeur pour qu'il respecte ses engagements qu'elle aurait transmis à ses concessionnaires ;
Que pour le surplus les griefs allégués par la société Rive Gauche Auto ne sont assortis d'aucun élément de preuve ;
Considérant qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments le préjudice subi par la société Rive Gauche Auto consiste dans l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée de poursuivre pendant 9 mois la vente des véhicules Ssangyong et dans la perte de marge brute sur deux véhicules, préjudice pour partie tempéré par le fait qu'elle a pu, conformément à son objet, user du préavis pour réorienter ses activités en devenant en mars 1999 et sans que la société Korauto ne s'y oppose, concessionnaire de la marque Daihatsu ;
Que le préjudice de la société Korauto toutes causes confondues sera réparé par l'allocation de la somme de 10 000 euros ;
Que par ailleurs la demande de cette société aux fins de communication de bilans de la société adverse à l'encontre de laquelle il n'existe aucun commencement de preuve sur son éventuelle insolvabilité, est sans objet ;
Considérant que pour des motifs d'équité il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Réforme le jugement déféré ; Statuant à nouveau, Condamne la société Korauto à payer à la société Rive Gauche Auto la somme de 10 000 euros ; Rejette les demandes formées par les parties au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que chacune des parties supportera ses propres dépens de première instance et d'appel.