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Décisions

Cass. com., 1 juillet 2003, n° 01-00.191

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Yara France (SARL)

Défendeur :

Conserverie Jean Floc'h (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

Mme Tric

Avocat général :

M. Feuillard

Avocats :

SCP Waquet, Farge, Hazan, SCP Boré, Xavier, Boré.

T. com. Lorient, du 17 sept. 1999

17 septembre 1999

LA COUR: - Attendu, selon l'arrêt confirmatif déféré (Rennes, 25 octobre 2000), que le 20 décembre 1995, la société Yara France a obtenu de la société Conserverie Jean Floc'h, fabricant de pâtés et de viandes en jus, un accord de "non-circonvention et de non-divulgation" selon lequel la société Conserverie Jean Floc'h reconnaissait de manière irrévocable les contacts présentés par la société Yara France comme étant les contacts exclusifs de cette société, s'engageait à ne pas affecter les relations de la société Yara France avec ces contacts et à ne pas négocier ou participer à des transactions avec ces contacts sans accord préalable écrit de commissions, rémunérations et sans l'autorisation de Yara France; que le 27 juin 1996, la société Conserverie Jean Floc'h a accordé à la société Yara France l'exclusivité de la vente et de la commercialisation de ses produits sur Moscou et sa région dans un rayon de 500 kms; que le 17 décembre 1997, la société Conserverie Jean Floc'h a mis fin à l'exclusivité pour l'année 1998 en raison de la baisse du chiffre d'affaires, sans pour autant rompre le contrat; que la société Yara France l'a assignée en réparation du préjudice causé par des manquements aux obligations contractuelles, par la rupture abusive du contrat d'exclusivité et par des actes de concurrence déloyale;

Sur le premier moyen, pris en ses six branches: - Attendu que la société Yara France reproche à l'arrêt de l'avoir déboutée de son action en réparation du préjudice résultant de la violation par la société Conserverie Jean Floc'h de l'accord d'exclusivité du 27 juin 1996, alors, selon le moyen: 1°) que le contractant qui porte atteinte à l'économie du contrat engage sa responsabilité à l'égard de l'autre partie; qu'un concédant ne peut approvisionner un client situé dans une zone limitrophe à la zone d'exclusivité sans prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde de l'économie du contrat de concession; que par la convention du 27 juin 1996, la société Conserverie Jean Floc'h s'était engagée à garantir à la société Yara France l'exclusivité de la vente et de la commercialisation de ses produits dans Moscou et sa région dans un rayon de 500 kilomètres; que si le concédant entendait approvisionner une société, dont il n'était pas allégué qu'il s'agissait d'une cliente réservée, située à Saint-Pétersbourg, zone portuaire limitrophe à la zone d'exclusivité consentie au concessionnaire, il lui appartenait à tout le moins, de prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde de l'économie du contrat de concession en interdisant contractuellement au client, au besoin, de diffuser les produits dans la zone de la distribution exclusive garantie au concessionnaire; qu'en refusant d'engager la responsabilité de la société Conserverie Jean FIoc'h tout en constatant que l'approvisionnement par celle-ci d'un client situé à Saint-Pétersbourg avait entraîné la revente à bas prix sur le marché moscovite des produits dont elle avait pourtant garanti la commercialisation exclusive la société Yara, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil; 2°) que les conventions doivent être exécutées de bonne foi; que cette obligation s'impose en matière contractuelle en sorte que nul n'est tenu d'en rappeler le principe, les modalités de son application ou les conséquences de sa transgression à son cocontractant; que manque à cette obligation le concédant qui, en s'abstenant de prendre des mesures propres à éviter tout risque de violation de l'exclusivité et de désorganisation du marché, vide le contrat de sa substance et prive son concessionnaire exclusif des moyens de pratiquer des prix concurrentiels; qu'il appartenait à la société Conserverie Jean Floc'h de prendre toutes mesures utiles afin d'empêcher contractuellement son client situé à Saint-Pétersbourg de diffuser ses produits à bas prix dans la zone exclusive consentie à la société Yara France ; qu'en refusant toutefois d'engager la responsabilité du concédant pour manquement à l'obligation de bonne foi, la cour d'appel a violé les articles 1134, alinéa 3, et 1147 du Code civil; 3°) qu'il résulte des termes clairs et précis du courrier du 24 juin 1996 que si la société Conserverie Jean Floc'h gardait, à titre exclusif, la faculté de déterminer les conditions commerciales applicables à ses anciens clients, la société Yara France s'était réservé, quant à elle, la réalisation concrète des transactions commerciales correspondantes, dont elle revendiquait l'entière gérance et responsabilité; qu'en affirmant que l'intervention de la société Yara France se limitait contractuellement au contrôle de la bonne exécution des négociations, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du courrier du 24 juin 1996 et violé l'article 1134 du Code civil; 4°) qu'il appartient au défendeur invoquant certains faits, à titre d'exception, d'en rapporter la preuve; que, par ailleurs, le silence opposé à l'affirmation d'un fait ne vaut pas, à lui seul, reconnaissance de ce fait; que le concédant qui a commercialisé des produits dans la zone d'exclusivité réservée au concessionnaire doit, pour se décharger, démontrer que les sociétés contractantes étaient exclues du champ de l'exclusivité; qu'en déboutant la société Yara France de son action en responsabilité sur les seules affirmations, fussent-elles non sérieusement démenties, de la société Conserverie Jean Floc'h relatives à la qualité d'ancienne cliente de la société RTD, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil; 5°) qu'en déboutant la société Yara France de son action en responsabilité relative à la livraison de vingt tonnes de conserves dans la zone d'exclusivité à une société dénommée "National", sans même constater que celle-ci était une ancienne cliente de la société Conserverie Jean Floc'h, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve; 6°) qu'il résulte des constatations de la cour d'appel que par la convention du 27 juin 1996, la société Conserverie Jean Floc'h avait confié à la société Yara France l'exclusivité de la vente et de la commercialisation de l'ensemble de ses produits; qu'en refusant d'indemniser le préjudice commercial résultant pour le concessionnaire de la livraison par le concédant de plusieurs tonnes de produits à des clients situés dans la zone d'exclusivité au motif inopérant que les livraisons litigieuses portaient sur des pâtés et que les relations de la société Yara France avec la société Conserverie Jean Floc'h portaient à l'époque sur la commercialisation de viandes en jus, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article 1147 du Code civil;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient qu'une collusion frauduleuse entre la société Conserverie Jean Floc'h et son client de Saint-Pétersbourg n'est pas démontrée et que non seulement le risque d'approvisionnement de Moscou par ce client n'est pas prouvé mais encore que l'hypothèse d'un tel approvisionnement à bas prix n'est même pas crédible comme préjudiciable aux intérêts de la société Conserverie Jean Floc'h; qu'il en déduit exactement que la société Conserverie Jean Floc'h n'a manqué ni à son obligation contractuelle ni à l'obligation de bonne foi;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir retenu, sans dénaturer le courrier du 24 juin 1996, que ce courrier laisse à la Conserverie Jean Floc'h la faculté de "commercialiser avec ses anciens clients" sur la zone d'exclusivité, l'arrêt constate que la société Conserverie Jean Floc'h affirme sans être sérieusement démentie que la société RTD est une ancienne cliente; qu'il ajoute qu'il en va pareillement de l'envoi de vingt tonnes reçues par une société "National"; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision;

Attendu, enfin, que la sixième branche critique un motif erroné mais surabondant; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa sixième branche, n'est pas fondé pour le surplus;

Sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches: - Attendu que la société Yara France reproche encore à l'arrêt de l'avoir déboutée de son action en réparation du préjudice résultant de la rupture abusive et brutale par la société Conserverie Jean Floc'h de la convention d'exclusivité du 20 juin 1996, alors, selon le moyen: 1°) qu 'il résulte des termes clairs et précis du courrier du 24 juin 1996 qu'aucun objectif minimal de chiffre d'affaires n'avait été fixé entre les parties comme condition de leur collaboration commerciale; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du courrier du 24 juin 1996 et violé l'article 1134 du Code civil; 2°) que la résiliation abusive d'un contrat à durée indéterminée engage la responsabilité de son auteur; que commet un abus de droit la partie qui, pour justifier la résiliation, invoque un manquement de l'autre à une obligation contractuelle inexistante ; qu'il résulte du courrier du 24 juin 1996 que la collaboration commerciale entre la société Conserverie Jean Floc'h et la société Yara France avait réalisé un certain chiffre d'affaires pour l'année 1997; qu'en refusant d'admettre que la société Conserverie Jean Floc'h avait rompu abusivement la convention d'exclusivité, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil;

Mais attendu que l'arrêt retient que, s'agissant d'un contrat à durée indéterminée qui n'est pas un mandat d'intérêt commun en l'absence de clientèle commune, la société Conserverie Jean Floc'h était en droit d'y mettre fin à tout moment, sauf à observer un délai raisonnable; que par ces seuls motifs, abstraction faite de ceux surabondants critiqués par les deux branches, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est pas fondé;

Et sur le troisième moyen: - Attendu que la société Yara France reproche enfin à l'arrêt de l'avoir déboutée de son action en réparation du préjudice résultant de la violation par la société Conserverie Jean Floc'h de la convention de "non-circonvention" du 20 décembre 1995, alors, selon le moyen, qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la conserverie Jean Floc'h ne connaissait pas l'existence des relations commerciales entre la société Yara France et la société EFA Product, cette dernière fût-elle non déclarée dans les listes de clients initiales remises par la société Yara France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil;

Mais attendu que le contrat en cause stipulant que la société Conserverie Jean Floc'h reconnaissait comme étant des contacts exclusifs de la société Yara France ceux que cette société lui présenterait et l'arrêt ayant constaté que la société EFA Product ne figurait sur aucune des listes de clients remises par la société Yara France à sa cocontractante, la cour d'appel n'était pas tenue de faire une recherche inopérante; que le moyen n'est pas fondé;

Par ces motifs: Rejette le pourvoi.