Ministre de l’Économie, 12 novembre 2002, n° ECOC0300237Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseil de la société Fromageries Bel SA
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maître,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 8 octobre 2002, vous avez notifié le projet d'acquisition du groupe Leerdamer * par la société Fromageries Bel SA auprès des sociétés du groupe Koninklijke Wessanen NV. Cette acquisition a été formalisée par un contrat signé le 18 septembre 2002.
I. - LES PARTIES ET L'OPÉRATION
La société Fromageries Bel SA est détenue à hauteur de 66,7 % du capital par les membres du groupe familial Fiévet/Bel, dont 62,4 % indirectement à travers la société en commandite par actions UNIBEL, société holding animatrice du groupe Bel.
Le groupe Bel (ci-après " Bel ") est la réunion d'une trentaine de sociétés ayant pour activité la production, la transformation et la vente de produits laitiers : Fromageries Bel, Fromageries Picon, la Société anonyme des fermiers réunis (ci-après " SAFR ") - jusqu'à sa vente au cours de l'été 2002 au groupe Lactalis - et diverses filiales étrangères de production et de commercialisation de fromage. Bel a collecté, en 2001, 1,1 milliard de litres de lait et produit 235 000 tonnes de fromages de marque ; Bel est le quatrième producteur français de fromage, après les groupes Lactalis, Bongrain et SODIAAL.
Bel a réalisé, en 2001, un chiffre d'affaires global de 1 741 millions d'euros, dont 644 millions en France ; la société Fromageries Bel SA a contribué à ces ventes à hauteur de 1 007 millions d'euros, dont 547 millions en France. Le groupe ne vend que des fromages de marque, essentiellement des fromages fondus (marques La Vache Qui Rit, Apéricube, Six de Savoie), des fromages à pâte pressée non cuite (marques Cousteron, Port-Salut, Babybel, Bonbel) et des fromages frais et fondus frais (Kiri, Samos, Kantadou **) ; en vendant SAFR, il a cessé toute activité de production de fromages à pâte molle.
Le groupe agroalimentaire néerlandais Koninklijke Wessanen vend ses filiales de production et de distribution du fromage Maasdam (sous la marque Leerdamer) pour se recentrer sur le marché des produits de santé et de bien-être.
Le groupe Leerdamer est constitué de la société néerlandaise Leerdamer Company BV, propriétaire des unités de production du fromage Leerdamer, toutes situées aux Pays-Bas, et de filiales de distribution implantées dans plusieurs pays européens : Allemagne, France, Italie, Belgique, République tchèque et Royaume-Uni. Le groupe Leerdamer a produit, en 2001, un total de 46 000 tonnes de fromage et réalisé un chiffre d'affaires mondial de plus de 292 millions d'euros, dont 82 millions d'euros en France avec sa filiale de distribution Leerdamer Company France SAS.
L'acquisition par Fromageries Bel SAS de la totalité des titres de Leerdammer Company France SAS constitue bien une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
Compte tenu des chiffres d'affaires précités, cette opération n'est pas de dimension communautaire et est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du Code de commerce, relatives à la concentration économique.
II. - LA DÉFINITION DES MARCHÉS
Les marchés de produits
En tant que producteurs et distributeurs de fromages, les parties à l'opération sont présentes sur deux types de marchés qui sont celui du lait, comme acheteurs, et celui des fromages, comme vendeurs.
Les marchés de la collecte de lait
Le ministre a, à l'occasion de plusieurs opérations concernant des fromageries françaises, reconnu l'existence de marchés distincts de collecte de lait selon le type de lait (lait de vache, lait de brebis) (1).
Les marchés de fromages
Les parties ont proposé une segmentation du marché suivant la nomenclature produit de l'INSEE, qui comporte sept familles de fromages : les fromages frais, les fromages fondus, les pâtes persillées, les fromages de chèvre, les pâtes molles, les pâtes pressées cuites et les pâtes pressées non cuites. Les entreprises parties à la concentration produisent trois de ces catégories de fromages. Leerdamer produit une pâte pressée cuite (ci-après " PPC ") et Bel plusieurs pâtes pressées non cuites (ci-après " PPNC ") et des fromages fondus. Les parties considèrent que les marchés concernés par l'opération sont ceux de ces trois familles de fromages.
Les PPC sont des fromages fabriqués à partir de lait de vache dont l'égouttage est accéléré grâce à une cuisson dans la cuve avant pressage et salage. Les meules obtenues sont entreposées en cave pour affinage. Les principaux fromages à PPC consommés en France sont l'emmental, le gruyère, le comté, le beaufort.Le Maasdam, commercialisé sous la marque Leerdammer, est constitué d'une pâte pressée, dont le caillé subit une phase de cuisson avant moulage et pressage, ce qui fait que, contrairement aux autres fromages de Hollande, il peut être rattaché à la catégorie des PPC. En 2001, la production française de PPC a atteint près de 320 000 tonnes, représentant 17,9 % de la production française de fromages (enquête ONILAIT/SCEES) et les ventes en France de PPC (comprenant celles de Leerdamer) se sont élevées à 231 422 tonnes, soit 1 731 millions d'euros, représentant 26,2 % des ventes totales de fromage (enquête CIDIL/Nielsen).
Les PPNC sont des fromages produits dans leur grande majorité à partir de lait de vache ; outre qu'ils ne sont pas cuits, ils se distinguent des PPC par une durée d'affinage plus longue.Les principaux fromages à PPNC sont :
les fromages français saint-paulin, cantal, tomme, saint-nectaire, raclette ;
les fromages hollandais edam et gouda ;
les petites meules, catégorie comprenant notamment les fromages produits par le groupe Bel : Port-Salut, Babybel, Bonbel et Cousteron.
En 2001, la production française de PPNC s'est élevée à 223 284 tonnes, représentant 12,6 % de la production nationale de fromages et les ventes en France se sont élevées à 145 730 tonnes, soit 1 271 millions d'euros, représentant 19,2 % des ventes en valeur de fromage.
Les fromages fondus sont obtenus à partir de pâtes pressées cuites et non cuites non affinées, auxquelles sont ajoutés de la poudre de lait, des sels de fonte, de la crème, du beurre.Les fromages fondus les plus consommés en France sont les marques du groupe Bel : Vache Qui Rit, Kiri, Apéricube, Picon, Sylphide. En 2001, la production française de fromages fondus était de 106 335 tonnes, représentant 5,9 % de la production nationale de fromages et les ventes en France se sont élevées à 57 293 tonnes, soit 406 millions d'euros, représentant 6,1 % des ventes en valeur de fromage.
Différents autres organismes se réfèrent dans leurs enquêtes et études de marché aux familles de fromages répertoriées par l'INSEE : le service d'enquêtes et d'études du ministère de l'agriculture (SCEES), l'ONILAIT, le Centre interprofessionnel de documentation et d'informations laitières (CIDIL), le XERFI, la société Nielsen. Les autorités françaises de la concurrence ont par ailleurs, à diverses occasions, retenu l'existence de marchés de fromages correspondant à ces mêmes familles de produits : marchés de fromages à pâte molle (2), marché de fromages frais (3).
Il convient toutefois de préciser qu'une segmentation plus fine peut être retenue au sein des familles de fromages à pâte pressée cuite et à pâte pressée non cuite, en distinguant les fromages bénéficiant d'une appellation d'origine contrôlée (AOC). En effet, le Conseil de la concurrence a été amené à définir les marchés pertinents de deux fromages bénéficiant d'une AOC, celle du comté et celle du cantal (4). Toutefois, cette question peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l'analyse en demeureront inchangées.
Dimension géographique des marchés
Les marchés de la collecte de lait
Le ministre a, à l'occasion des opérations précitées concernant des fromageries françaises, retenu l'existence de marchés géographiques locaux, au plus régionaux, pour la collecte des différents types de lait. Il n'est toutefois pas nécessaire de définir précisément la dimension géographique des marchés de la collecte de lait dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle en demeureront inchangées.
Les marchés de fromages
Les parties, tout en reconnaissant l'existence de flux transnationaux importants de certains fromages, se réfèrent à l'existence de marques nationales fortes, la faiblesse des volumes d'importation, et à la demande essentiellement nationale des clients, pour retenir une délimitation nationale des marchés de fromages.
La Commission européenne (5) et les autorités françaises de la concurrence (6) ont constaté à diverses reprises la dimension nationale des marchés de référence dans le domaine des produits alimentaires, en raison notamment des préférences, des goûts et des habitudes alimentaires des consommateurs, des différences de prix, des variations de parts de marché détenues par les principaux opérateurs selon les Etats membres et de la présence de marques de fabricants ou de distributeurs commercialisées uniquement au plan national.
III. - Analyse concurrentielle
En ce qui concerne les marchés de la collecte de lait, l'opération ne semble pas accroître la puissance d'achat du groupe Bel sur un quelconque marché de collecte de lait ; en effet, le fromage Leerdammer est fabriqué entièrement à partir du lait collecté dans le bassin laitier proche du site de Leerdam en Hollande ; cette zone géographique ne recoupe aucune des zones de collecte de Bel.
En ce qui concerne les marchés de fromages, l'opération ne conduit qu'à des chevauchements d'activité nuls ou minimes, les groupes Bel et Leerdammer opérant principalement sur des marchés différents. En effet, Leerdammer fabrique essentiellement des PPC ; le groupe Bel ne produit que des PPNC et est présent sur le marché des fromages fondus où Leerdamer n'est entré qu'en 2001 en lançant le " Leerdammer à tartiner ".
Les parties étant actives sur des marchés connexes sur lesquels elles fabriquent des marques leader, l'opération pourrait créer un effet de portefeuille au profit de la nouvelle entité. En effet, Bel a d'ores et déjà une position très forte sur le marché français des fromages fondus. Le groupe a réalisé, en 2001, [60-70] % des ventes en volume et [70-80] % des ventes en valeur de fromages fondus en France ; il apparaît donc comme un opérateur important sur ce marché, avec des marques bénéficiant d'une forte notoriété : Vache Qui Rit et Kiri. De plus, le groupe Bel détient la marque Babybel et distribuera la marque Leerdamer en France à l'issue de la présente opération. Aussi, le groupe Bel disposera de quatre marques de fromages réputées en France.
Toutefois, divers éléments montrent que la nouvelle entité ne sera pas à même de profiter de sa position sur le marché des fromages fondus pour imposer à ses clients l'achat des autres fromages qu'il commercialise.
Tout d'abord, il convient de souligner que les clients des parties sont les grandes surfaces généralistes, qui disposent d'un pouvoir de référencement et de négociation importants face à leurs fournisseurs.
Ensuite, d'autres producteurs de fromage ont eux aussi une position forte sur les marchés et appartiennent à des groupes importants capables de concurrencer le groupe Bel, notamment les groupes Lactalis, Bongrain et Sodiaal, qui sont les trois premiers producteurs de fromage en France.
De plus, le marché français des fromages fondus, qui régresse en volume, n'est pas particulièrement dynamique. Les ventes de fromages fondus en France représentent seulement 6,1 % des ventes totales de fromages. La position très forte de Bel est donc relative à un marché de petite dimension, où il est concurrencé par le groupe Lactalis, premier producteur français de fromage, qui commercialise les marques Vache GrosJean, Carré GrosJean, Sveltesse.
Enfin, le groupe Bel est un opérateur moins puissant pour ce qui est des PPNC et des PPC: il a réalisé, en 2001, [10-20] % des ventes en valeur de PPNC et l'acquisition du groupe Leerdammer porterait à [0-10] % sa part sur le marché des PPC. En excluant les fromages bénéficiant d'une AOC, la production des fromages PPNC par le groupe Bel s'élève, en 2000, à [10-20] % de la production totale des PPNC hors AOC en volume et le Leerdammer représente environ [0-10] % de la production des PPC hors AOC en volume.
Concernant les PPNC, les produits Bel (Port-Salut, Cousteron, Babybel) sont en concurrence avec des fromages produits par le groupe Lactalis, notamment les fromages AOC Cantal et Saint-Nectaire, avec la raclette, fromage produit notamment par le groupe coopératif SODIAAL, et également avec les fromages de Hollande édam et gouda.
Concernant les PPC, le leerdamer est un produit concurrent du gruyère, de l'emmental et du comté. De plus, la grande distribution a une position forte sur les PPC dans la mesure où les produits MDD représentent 54 % des ventes de fromage râpé et 30 % des ventes de fromages à trous (étude XERFI juin 2001). En outre, deux opérateurs importants produisent des PPC : la société Entremont, 6e opérateur du secteur des fromages, spécialisé dans la production de PPC et le groupe Lactalis présent avec sa marque Président.
En conclusion, bien que l'opération notifiée permette au groupe Bel de devenir producteur de PPC et de renforcer son portefeuille de marques, elle n'est pas de nature à lui donner un avantage décisif lui permettant de s'abstraire de la concurrence sur les différents marchés concernés. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
* Erreur matérielle : lire Leerdammer au lieu de Leerdamer dans l'ensemble du texte.
** Erreur matérielle : lire Cantadou au lieu de Kantadou dans l'ensemble du texte.
(1) Décision du 12 mars 1998 sur l'affaire Besnier/Sociétés Holdival SA et Vallée SA. Décision du 12 mars 1998 sur l'affaire Besnier/Crouzat-Constans. Décision du 20 mai 1998 sur l'affaire Besnier/Sociétés Laiterie Ladhuie et Ladhuie Distribution.
(2) Décision du 7 janvier 1997 : Groupe Besnier/Société fromagère vosgienne Marcillat.
(3) Décision du 20 mai 1998 : Groupe Besnier/Société Laiterie Ladhuie.
(4) Décision du n° 98-D-54 : comté ; décision 92-D-30 : cantal.
(5) Décisions BSN/Euralim, Unilever/Amora-Maille, Unilever Bestfoods.
(6) Affaires Coca-Cola/Orangina, Granini/Joker, Panzani/Lustucru.
Nota. - A la demande des parties notifiantes, des informations relatives au secret des affaires ont été occultées et la part de marché remplacée par une fourchette.
Ces informations relèvent du " secret d'affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.