CA Aix-en-Provence, 2e ch. com., 20 juin 2002, n° 97-19579
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Comasud Point P Provence (SA)
Défendeur :
Vecchini Bois (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Isouard
Conseillers :
M. Blin, Mme Lonne
Avoués :
SCP Boissonnet- Rousseau, SCP Liberas-Buvat-Michotey
Avocats :
Me Ferré, SCP Bouzereau-Mandruzzato.
Par exploit du 28 octobre 1996, la SA Comasud a assigné la SARL Vecchini Bois devant le Tribunal de commerce de Draguignan en paiement de la somme de 1 500 000 F à titre de dommages-intérêts du chef de concurrence déloyale pour avoir embauché M. Jean-François Vecchini, antérieurement salarié de la societé Comasud et lié à cette dernière par une clause de non-concurrence.
Par jugement rendu le 9 septembre 1997, le Tribunal de commerce de Draguignan a débouté la société Comasud de toutes ses demandes et l'a condamnée à verser à la SARL Vecchini la somme de 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par déclaration du 9 octobre 1997, la SA Comasud a relevé appel de ce jugement.
La SA Comasud demande à la cour de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris;
- sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, condamner la société d'exploitation Vecchini Bois au paiement d'une somme de 1 500 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale;
- au cas où la cour s'estimerait insuffisamment informée quant à l'étendue du préjudice subi par la SA Comasud, désigner un expert comptable qui aura pour mission de donner à la cour tous éléments d'appréciation sur le préjudice subi, notamment en accédant au fichier clients de la Société Vecchini afin de déterminer l'évolution du fichier clients de cette société, de dire s'il existe des clients communs au fichier clients Vecchini et au fichier clients agence Comasud de Puget, et ce depuis quelle date, de dire quelle a été l'évolution du chiffre d'affaires de la Société Vecchini avec des clients de la SA Comasud après la date du 12 mars 1996, de dire quelle a été l'évolution du chiffre d'affaires réalisé par l'agence Comasud de Puget avec ses mêmes clients postérieurement à la date du 12 mars 1996;
- dans cette hypothèse, condamner la société Vecchini au paiement d'une indemnité provisionnelle d'un montant de 500 000 F à valoir sur l'indemnisation finale du préjudice;
- condamner à titre de dommages et intérêts supplémentaires la société Vecchini au paiement d'une somme de 200 000 F, outre 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
- à titre subsidiaire, surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la Cour de cassation sur pourvoi de l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 12 décembre 2000;
- condamner la société Vecchini aux dépens.
L'appelante critique le jugement en ce qu'il a estimé qu'elle ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un préjudice.
Elle soutient que les documents qui ont été versés aux débats en première instance et qui le sont à nouveau devant la cour démontrent une baisse de son chiffre d'affaires dès la fin du préavis de M. Vecchini, soit fin avril 1996, cette baisse pouvant être estimée pour une année pleine à 1 492 000 F.
La SARL Vecchini Bois conclut à la confirmation du jugement entrepris et sollicite la condamnation de la société Comasud au paiement de la somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle conclut en substance :
- que les activités exercées par M. Jean-François Vecchini au sein de la SARL Vecchini Bois sont tout à fait distinctes de celles qu'il exerçait antérieurement comme agent technique commercial de la société Sicobois, ultérieurement absorbée par la société Comasud;
- que suite à la procédure diligentée par la société Comasud à l'encontre de M. Jean-François Vecchini pour les mêmes faits devant le Conseil de Prud'Hommes de Draguignan, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence (18e chambre sociale) dans un arrêt du 12 décembre 2000 a considéré que la société Comasud n'établissait pas que la société dont M. Vecchini était gérant salarié avait une activité se trouvant en réelle concurrence avec la sienne et qu'au surplus elle ne justifiait pas de l'accomplissement d'actes de concurrence de la part de M. Vecchini ou de la société qu'il dirigeait contraires à la clause contractuelle de non-concurrence;
- que la société Comasud qui s'est constituée une preuve à elle-même ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice.
Motifs de la décision
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée; en l'absence de moyen constitutif de fin de non-recevoir susceptible d'être relevé d'office, il convient de le déclarer recevable.
Il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de cassation sur pourvoi à l'encontre de l'arrêt de la 18e chambre sociale de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence rendu le 12 décembre 2000 et intervenu dans le litige opposant à société Comasud à son ancien salarié, M.Vecchini.
Il n'est pas contesté que :
- M. Jean-François Vecchini a été salarié de la société Sicobois, absorbée par la société Comasud, en qualité d'agent technico-commercial du 1er octobre 1991 jusqu'au 12 mars 1996, date d'effet de sa démission notifiée à la société Comasud par un courrier du 12 février 1996;
- son contrat de travail en date du 1er octobre 1991 comportait une clause de non-concurrence par laquelle il s'engageait, en cas de cessation du contrat pour quelque cause que ce soit survenant après la période d'essai, à ne pas exercer directement ou indirectement, sous quelque forme et en quelque qualité que ce soit, toute activité susceptible de porter concurrence à la société;
- cette clause de non-concurrence précisait :
"Sont visées les activités ayant exclusivement ou en partie pour objet la commercialisation des produits distribués par la société Sicobois.
Cette interdiction est limitée à une période d'un an à compter de la date de cessation effective du contrat de travail et s'étend au territoire des départements où M. Vecchini exerce son activité à la même date ainsi qu'aux départements limitrophes".
Il résulte des éléments régulièrement produits aux débats, notamment d'un procès-verbal de constat établi le 1er juillet 1996 par la SCP Fenouil-Bergé, huissiers de justice à Draguignan, et de l'extrait du registre du commerce et des sociétés relatif à la SARL Vecchini Bois que :
- Jean-François Vecchini est gérant salarié de la SARL Vecchini Bois depuis le 1er avril 1996, date de début d'exploitation de cette société;
- il a déclaré à l'huissier recevoir toutes les commandes téléphoniques, recevoir la clientèle de passage, faire les papiers administratifs ainsi que la facturation et la comptabilité;
- la SARL Vecchini Bois a pour activité l'exploitation en location gérance de fonds de négoce du bois et produits connexes, annexes et dérivés, ce qui correspond à la même activité de distribution de produits bois et dérivés exercée par la société Sicobois, dont il n'est pas démontré qu'elle ait été abandonnée par la société Comasud.
Au vu de ces éléments et en l'état de la restriction contractuelle de concurrence sus-visée à l'expiration du contrat de travail de M. Vecchini, le fait pour la société Vecchini Bois d'embaucher un salarié encore lié par une clause de non concurrence dont elle ne pouvait ignorer l'existence, constitue en soi un acte de concurrence déloyale.
Pour justifier la somme de 1 5000 000 F qu'elle réclame en réparation de son préjudice, la société Comasud produit un document signé par son propre président directeur général, M. Tranchand, intitulé "perte d'exploitation de l'agence de Puget" et sur la base de ce document met en avant une baisse de son activité dès la fin du mois d'avril 1996 liée à l'installation de M. Vecchini en concurrence directe.
Cependant, ce document indique sur trois mois seulement de mai 1996 à juillet 1996 une perte de marge brute sans que la société Comasud ne communique aucun élément sur ses résultats après le mois de juillet 1996, tout en réclamant réparation d'un manque à gagner pour une année.
Il résulte de l'ensemble des éléments contradictoirement soumis à l'appréciation de la cour que l'allocation d'une somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts est suffisante pour réparer le préjudice subi du fait de la concurrence déloyale ci-dessus caractérisée.
Le jugement entrepris doit donc être infirmé et la SARL Vecchini Bois condamnée à payer à la SA Comasud la somme de 100 000 F (cent mille francs) à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Comasud les frais non compris dans les dépens et exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.
Au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la société Vecchini Bois devra verser à la société Comasud la somme de 10 000 F.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Reçoit l'appel ; Infirme le jugement rendu le 9 septembre 1997 par le Tribunal de commerce de Draguignan ; Statuant à nouveau, Condamne la SARL Vecchini Bois à payer à la SA Comasud la somme de 100 000 F (soit 15 244,90 euros) à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ; Au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la SARL Vecchini Bois à payer à la SA Comasud la somme de 10 000 F (soit 1 524,49 euros) ; Condamne la SARL Vecchini Bois aux entiers dépens et autorise la SCP Bruno Boissonnet-Ludovic Rousseau, titulaire d'un office d'avoué près la cour, à recouvrer directement ceux d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.