Cass. com., 28 janvier 2003, n° 00-12.085
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Dentsu incorporated (Sté)
Défendeur :
Groupe Henri de Barrin et associés (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 26 novembre 1999), qu'en 1990, la société de droit japonais Dentsu incorporated (société Dentsu), agence de publicité, mandatée par la société Toyota pour réaliser une campagne publicitaire dans la presse française, s'est adressée à la société Groupe Henri de Barrin et associés (société Groupe Henri de Barrin), agence de publicité connue comme centrale d'achat d'espaces publicitaires, pour l'achat d'espaces publicitaires dans divers médias ; que celle-ci a commandé des espaces publicitaires à diverses régies publicitaires ; que le contrat stipulait que l'agent de publicité adressant un ordre agissait en qualité de mandataire de l'annonceur avec lequel il était solidairement tenu du paiement ; que la société Groupe Henri de Barrin a cédé ses créances sur la société Dentsu à la société Republic national bank of New York (RNB) qui a notifié la cession à la société Dentsu ; qu'elle a été mise en liquidation judiciaire et que les régies publicitaires n'ont pas été payées ; que craignant de devoir payer à la fois les factures des régies et les créances cédées à la RNB, la société Dentsu a obtenu la mise sous séquestre des sommes qu'elle reconnaissait devoir; que les régies publicitaires d'une part et la RNB d'autre part ont demandé que les sommes séquestrées leur soient attribuées ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal formé par la société Dentsu, pris en ses sept branches et sur la première et la quatrième branches du premier moyen du pourvoi incident relevé par la RNB : - Attendu que la société Dentsu et la RNB reprochent à l'arrêt d'avoir jugé qu'une agence de publicité, la société Dentsu, était personnellement tenue, envers les régies publicitaires de divers magazines, de payer les commandes d'espaces publicitaires passées par une centrale d'achats tierce, la société groupe Henri de Barrin, et d'avoir ordonné à M. X..., huissier de justice désigné pour conserver la somme de 3 160 884 F remise par la société Dentsu, de verser diverses sommes aux régies publicitaires et de ne remettre que le reliquat des sommes séquestrées à la RNB, alors, selon le moyen : 1°) que la société Dentsu montrait que la société Groupe Henri de Barrin n'avait pu être son mandataire, puisque cette dernière achetait et payait des espaces publicitaires en son nom propre, en gros et sans certitude de revente, et que la présence du nom de l'annonceur dans les ordres d'insertion et factures adressées par la centrale d'achat respectivement aux régies et à l'agence était impropre à révéler l'existence d'un lien direct entre l'agence et les régies, puisque les ordres n'étaient que la confirmation d'achats antérieurs et n'avaient pour objet, avec les factures, que d'identifier les parutions les unes par rapport aux autres ; que la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur l'ensemble de ces éléments, et a retenu la qualification de mandat dans les rapports entre la société Dentsu et la société Groupe Henri de Barrin sans exclure que la société Groupe Henri de Barrin ait agi en son nom propre et ait été personnellement obligée par les contrats d'achat d'espaces qu'elle concluait, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1984 du Code civil ; 2°) que la société Dentsu montrait que sa demande en référé en désignation d'un séquestre avait eu pour objet, en l'état de la cession de créances dont se prévalait la RNB, d'éviter de payer deux fois les sommes dues au titre des factures émises, en toute indépendance et hors toute relation de mandat, par la société Groupe Henri de Barrin ; que la cour d'appel, qui n'a pas recherché si le souci d'éviter le double paiement, loin de marquer la conscience de la société Dentsu de l'existence d'un mandat, ne révélait pas plutôt sa conscience que les factures d'achat l'obligeaient envers la société Groupe Henri de Barrin, ce qui n'aurait pu se concevoir si cette dernière n'avait été qu'un mandataire dans les commandes d'espaces publicitaires, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1984 du Code civil ; 3°) qu'en déduisant la qualité de mandant de la société Dentsu des termes de ses écritures de référé, et en se fondant ainsi sur un supposé aveu pour trancher la qualification des relations contractuelles et donc un point de droit, la cour d'appel a violé les articles 1355 et 1356 du Code civil ; 4°) qu'en jugeant la société Dentsu obligée par un usage régissant les rapports des régies publicitaires avec l'intermédiaire transmettant les ordres d'achat, donc la société Groupe Henri de Barrin, et avec l'annonceur, donc la société Toyota, la cour d'appel a violé l'article 1165 du Code civil ; 5°) que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs; que la cour d'appel n'a pu, sans contradiction, retenir, d'une part, "qu'au nom de son mandant (la société Dentsu)" la société Groupe Henri de Barrin aurait "passé commande d'espaces publicitaires" et, d'autre part, que "le nom (de la société Dentsu) n'apparaît pas sur les ordres d'achat d'espace" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; 6°) que la cour d'appel, qui constatait que la société Dentsu recevait ses instructions de la société de droit japonais Toyota, mais qui a tenu pour indifférente la distinction juridique entre ce constructeur et la société importatrice, la société Sidat Toyota, personne morale de droit français et a ainsi mis à la charge du mandataire du constructeur les créances correspondant aux ordres passés par un annonceur distinct, a violé l'article 1165 du Code civil ; 7°) que le mandataire qui traite avec un tiers en son nom propre, donc sans faire connaître sa qualité ni le nom de son mandant, devient personnellement débiteur au titre des contrats conclus avec le tiers, et ce dernier ne peut agir directement en paiement contre le mandant ; que la cour d'appel constatait que la société Groupe Henri de Barrin ne faisait pas apparaître la société Dentsu sur les ordres de parution, ce dont il résultait qu'à supposer même que la centrale ait initialement été le mandataire de l'agence, elle contractait en son nom propre avec les tiers, lesquels ne pouvaient alors réclamer à la société Dentsu le paiement des sommes dues au titre des contrats conclus avec la centrale ; qu'en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les articles 1165 et 1998 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que la société Groupe Henri de Barrin n'a jamais contesté être intervenue en qualité de mandataire de la société Dentsu, ainsi que cela résulte du nom de l'annonceur et non du sien sur chaque ordre d'insertion et des propres écritures de la société Dentsu demandant la désignation d'un séquestre ;qu'il retient qu'il est établi par les documents versés aux débats que la société Groupe Henri de Barrin, loin d'acheter en son nom des espaces publicitaires pour les revendre avec une marge de revendeur, est intervenue au contraire chaque fois en qualité de mandataire, dans le cadre et sur la base du mandat que lui a donné la société Dentsu ;qu'il retient encore qu'en acceptant en qualité de mandataire de la société Dentsu la clause de solidarité à l'égard des régies publicitaires, la société Groupe Henri de Barrin a engagé cette société à laquelle la clause est opposable ;qu'ainsi,abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche, la cour d'appel, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, écartant les conclusions de la société Dentsu et sans se contredire, a légalement justifié sa décision ;que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en ses deuxième et troisième branches : - Attendu que la RNB fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen : 1°) qu'elle faisait valoir que la société Dentsu n'avait pas eu connaissance des conditions générales des ventes passées entre la société Groupe Henri de Barrin et les régies publicitaires, auxquelles la société Dentsu n'était pas partie ; qu'en affirmant que la société Dentsu ne pouvait ignorer la conformité des conditions générales aux usages professionnels, sans relever préalablement la connaissance par la société Dentsu des conditions générales des ventes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1165 du Code civil ; 2°) la cour d'appel a relevé que l'achat des espaces publicitaires était facturé par les régies publicitaires à la société Groupe Henri de Barrin, sous le nom de cette dernière qui en réglait elle-même le coût et émettait ensuite à son propre profit des factures adressées par ses propres soins à la société Dentsu ; qu'il en résultait nécessairement que la société Groupe Barrin n'exécutait pas un mandat confié par la société Dentsu mais agissait en son propre nom ; qu'en considérant cependant que la société Groupe Henri de Barrin était le mandataire de la société Dentsu, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi l'article 1984 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu que la société Groupe Henri de Barrin avait engagé la société Dentsu en sa qualité de mandataire de cette société, la cour d'appel n'était pas tenue de faire une recherche inopérante ;
Attendu, d'autre part, que l'arrêt relève les mentions figurant sur la commande de la société Dentsu, qui précise l'identité des supports, le montant de l'enveloppe budgétaire et la date prévue pour chaque insertion, sur les ordres de publicité passés par le Groupe Henri de Barrin, qui porte les mêmes mentions et le nom de l'annonceur Toyota, ainsi que celles qui figurent sur les factures émanant des supports comme sur celles émanant de la société Groupe Henri de Barrin, dont l'expert a relevé la relation directe ; qu'il retient que les documents contractuels confirment que la société Groupe Henri de Barrin n'avait pas le choix des supports et qu'elle était la mandataire de l'annonceur, et ce malgré les différences de tarif ; qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen du pourvoi incident : - Attendu que la RNB fait enfin le même reproche à l'arrêt, alors, selon le moyen, qu'elle avait fait valoir que les créances que lui avait cédé la société Groupe Henri de Barrin correspondaient aux créances que cette dernière détenait sur la société Dentsu ; qu'elle avait pris la précaution usuelle de stipuler sur les bordereaux de cession une clause aux termes de laquelle le cédant garantit à la banque qu'il dispose entièrement des créances cédées ; que la cour d'appel s'est contentée d'affirmer que la RNB ne pouvait ignorer que le cédant n'était pas propriétaire de l'intégralité de leur montant, sans s'expliquer sur les précautions prises par le cessionnaire ; qu'en statuant ainsi, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que le compte courant de la société Groupe Henri de Barrin en 1989 et 1990 dans les écritures de la RNB, son banquier habituel, a été constamment et largement débiteur, sa réduction provenant de la prise en compte des factures cédées, dont trois avaient des dates postérieures à leur cession, intervenue à la veille de l'ouverture de la procédure collective, à la RNB qui ne pouvait ignorer que la situation de sa cliente était irrémédiablement compromise mais espérait réduire sa créance au détriment des régies publicitaires, tandis qu'elle ne pouvait ignorer, compte tenu de leur nature et de l'activité de sa cliente, que les créances cédées portaient sur la totalité des factures émises par la société Groupe Henri de Barrin qui n'en était pourtant propriétaire que d'une partie correspondant à sa commission ;qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur un moyen inopérant, a légalement justifié sa décision;que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette tant le pourvoi principal que le pourvoi incident.