CA Paris, 1re ch. H, 2 juillet 2003, n° ECOC0300252X
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
GAN Eurocourtage (SA)
Défendeur :
Association de défense des usagers du courtage d'assurances, Chambre syndicale des courtiers d'assurances de la région Rhône-Alpes-Auvergne (Sycra), Compagnie de Gestion Privée (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
MM. Lacabarats, Breillat
Conseiller :
M. Le Dauphin
Avoués :
SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Hardouin
Avocats :
Mes Feschet, Chanon.
A l'époque des faits considérés, soit en 1998, le patrimoine locatif de l'OPAC de Villeurbanne représentait une surface de 586 282 mètres carrés assurés sur la base d'un tarif oscillant, depuis 1993, entre 2 F et 2,75 le mètre carré, avec une franchise de 3 000 F par sinistre. La société Groupalpha, devenue la société Compagnie de Gestion Privée, ci-après la CGP, était, depuis une dizaine d'années, le courtier de cet organisme public.
Les contrats en cours venant à échéance le 28 février 1999, l'OPAC a lancé, conformément aux dispositions du décret n° 98-111 du 27 février 1998 transposant en droit interne la directive communautaire n° 92-50 du 18 juin 1992 et modifiant le Code des marchés public en ce qui concerne les règles de mise en concurrence et de publicité des marchés de services, un appel public à la concurrence ouvert aux assureurs et aux courtiers d'assurance ayant pour objet la passation d'un marché d'assurance multirisque de son patrimoine locatif, le bureau d'études Tec-Habitat étant maître d'œuvre de l'opération.
Le cabinet Bruno Perret, associé à la société CGU Courtage, devenue la société Gan Eurocourtage, a été déclarée attributaire du marché.
Par lettre du 7 mai 1998, la société CGP avait organisé une consultation des sociétés d'assurance implantées dans l'agglomération lyonnaise en indiquant, notamment :
" Notre client depuis plus de 10 ans, l'OPAC de Villeurbanne, nous demande de vous questionner pour une proposition Multirisque PNO en vue d'une souscription éventuelle pour le 01.01.1999.
" Nous souhaiterions savoir si vous êtes intéressés sur le principe d'étudier ce dossier, compte tenu des précisions ci-dessous. "
Ces précisions étaient relatives au patrimoine à assurer, aux sinistres constatés de 1993 à 1997, au montant de la franchise appliquée et à son évolution probable.
Alors qu'une instance tendant à l'allocation de dommages-intérêts avait été engagée à son encontre, le 8 septembre 1999, devant le Tribunal de commerce de Lyon par l'association de défense des usages du courtage d'assurances, la Chambre syndicale des courtiers d'assurances de la région Rhône-Alpes-Auvergne et la société CGP, celles-ci lui reprochant d'avoir, en pratiquant des conditions discriminatoires au préjudice de la société CGP, en réponse à la pré-consultation mise en œuvre par cette dernière, méconnu les usages lyonnais du courtage, prévoyant notamment qu'une compagnie d'assurances doit traiter les apporteurs d'affaires sur un pied d'égalité, la société Gan Eurocourtage a, par lettre du 22 février 2000, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anticoncurrentielles imputées, pour l'essentiel, à la société CGP à laquelle il était notamment reproché d'avoir organisé une pré-consultation des assureurs préalablement à l'appel d'offres et d'avoir bénéficié de ce fait " d'informations privilégiées avant les autres courtiers concurrents intéressés à soumissionner ".
Par décision n° 02-D-76 du 19 décembre 2002, le Conseil de la concurrence a dit qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure.
Sur ce, LA COUR :
Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation régulièrement formé, le 14 janvier 2003, par la société Gan Eurocourtage;
Vu le mémoire contenant l'exposé des moyens de la requérante, déposé le 19 février 2003 dans le délai visé à l'article 2-3° du décret 11° 87-849 du 19 octobre 1987, par lequel cette partie demande à la cour, au visa de l'article L. 420-1 du Code de commerce, de " condamner la société CGP pour pratiques anti-concurrentielles " ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 31 mars 2003 par l'association de défense des usages du courtage d'assurances, la Chambre syndicale des courtiers d'assurances de la région Rhône-Alpes-Auvergne et la CGP par lequel ces parties demandent à la cour de rejeter le recours et de condamner la société Gan Eurocourtage à payer à chacune d'elle la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les observations déposées le 14 avril 2003 par le ministre chargé de l'Economie, tendant au rejet du recours ;
Vu le mémoire en réplique déposé le 14 mai 2003 par la société Gan Eurocourtage ;
Le Ministère public ayant été entendu à l'audience du 27 mai 2003 en ses observations orales tendant au rejet du recours, la requérante ayant eu la parole en dernier ;
Considérant qu'à l'appui de son recours, la société Gan Eurocourtage fait essentiellement valoir que la société CGP, craignant d'être évincée de ses fonctions de courtier " tenant " qu'elle exerçait depuis plus de 10 ans à la suite de l'appel d'offres que devait organiser l'OPAC en application du décret du 27 février 1998, a, profitant de cette position privilégiée, lancé la pré-consultation de mai 1998, laquelle, devant lui permettre de connaître la tarification des compagnies d'assurance avant les courtiers concurrents et devancer ces derniers en invoquant les " usages lyonnais ", avait pour objet de limiter l'accès des autres courtiers au marché de l'assurance multirisque du patrimoine locatif de l'OPAC de Villeurbanne ; que la requérante en déduit que la pré-consultation constitue une pratique anticoncurrentielle prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
Mais, considérant que le comportement unilatéral d'un opérateur économique n'entre pas dans les prévisions du texte précité lequel implique que soit constatée l'expression de la volonté commune des entreprises en cause de se comporter d'une manière déterminée sur le marché considéré ;
Or, considérant, d'abord, que la requérante, qui soutient que la consultation dont la société CGP, " courtier tenant ", a pris l'initiative en mai 1998 visait à entraver l'accès des autres entreprises de courtage au marché de l'assurance des immeubles de l'OPAC de Villeurbanne, ne fait état d'aucun élément propre à caractériser une action concertée entre ladite société et ses concurrents ;
Considérant, ensuite, qu'il résulte du rapport d'enquête établi le 12 décembre 2001 par les services de la DGCCRF, dont les constatations ne sont pas utilement combattues par les pièces produites par ta requérante, que l'OPAC de Villeurbanne, lequel avait chargé la société Tec-Habitat de préparer l'appel d'offres de septembre 1998, n'a pas demandé à la société CGP de lancer une pré-consultation en mai 1998 et que cet organisme n'a pas, antérieurement audit appel d'offres, transmis d'informations privilégiées à la société CGP, laquelle possédait, au demeurant, de par sa position, une connaissance très précise des caractéristiques du marché considéré ;
Qu'ainsi la consultation réalisée en mai 1998 par la seule société CGP - et qui ne sortait pas des limites de sa mission de courtier de l'OPAC - n'est pas susceptible de recevoir la qualification juridique invoquée par la requérante ;
Considérant, au surplus, que ladite consultation n'a exercé aucune influence sur le jeu de la concurrence sur le marché en cause, auquel les entreprises intéressées ont pu librement accéder après diffusion d'un règlement de consultation et d'un cahier des charges détaillé ; que ce marché a, d'ailleurs, été attribué à l'entreprise requérante ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que cette dernière n'est pas fondée à soutenir que le Conseil de la concurrence a fait une appréciation erronée des circonstances de la cause en estimant qu'aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence n'était établie ;
Que le recours doit, en conséquence, être rejeté ;
Considérant qu'il n'y pas lieu de faire application, en l'espèce, des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, Rejette le recours ; Rejette toute autre demande; Met les dépens à la charge de la société Gan Eurocourtage.