CA Paris, 1re ch. H, 24 juin 2003, n° ECOC0300308X
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
conseil supérieur de l'Ordre des géomètres experts, conseil régional de l'Ordre des géomètres experts de Lyon, conseil régional de l'Ordre des géomètres experts de Montpellier, conseil régional de l'Ordre des géomètres experts de Marseille, conseil régional de l'Ordre des géomètres experts de Strasbourg, Ministère chargé de l'économie DGCCRF
Défendeur :
Chambre syndicale nationale des géomètres topographes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Conseillers :
MM. Le Dauphin, Savatier
Avocats :
Mes Sirat, Jemoli, Benesty.
Vu l'arrêt du 13 novembre 2002 pour lequel cette chambre de la cour d'appel, saisie d'un recours contre une décision du conseil de la concurrence sur des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans le secteur d'activité des géomètres-experts et des géomètres-topographes, a rejeté le déclinatoire de compétence déposé par le Préfet de la Région Ile-de-France, Préfet de Paris ;
Sur la recevabilité du recours incident du Ministre charge de l'économie
Considérant que selon les dispositions de l'article L. 464-8 du Code de commerce, le recours formé par les parties en cause ou par le ministre chargé de l'économie contre les décisions du conseil de la concurrence mentionnées aux articles L. 462-8, L. 464-2, L. 464-3, L. 464-5 et L. 464-6 tend à l'annulation ou à la réformation de ces décisions; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 19 octobre 1987 relatif aux recours exercés devant la Cour d'appel de Paris contre les décisions du conseil de la concurrence, la déclaration de recours précise l'objet du recours, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office; que l'article 6 du même décret énonce que le recours incident est formé selon les modalités prévues à l'article 2 ;
Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces textes que doit être déclaré irrecevable le recours, fût-il incident, n'ayant pas pour objet l'annulation ou la réformation, totale, ou partielle, de la décision qu'il vise ;
Or, considérant que tout en déclarant former un recours incident à l'encontre de la décision du conseil n° 02-D-14 du 28 février 2002, le ministre chargé de l'économie ne formule aucune critique à l'encontre de cette décision et demande à la cour la confirmation de cette dernière ainsi que le rejet des recours principaux; qu'il s'en suit que la cour n'est pas saisie d'un recours conforme aux exigences des dispositions susvisées et que celui-ci doit être déclaré irrecevable ;
Sur les recours principaux
* La recevabilité des recours
Considérant que la Chambre syndicale nationale des géomètres-topographes conteste la recevabilité des recours formés par les autres parties faute de notification régulière par celles-ci aux différents demandeurs des déclarations de recours et de respect du même délai pour la notification des mémoires contenant l'exposé de leurs moyens ;
Mais considérant que, si l'article 4 du décret du 19 octobre 1987 prévoit que le demandeur au recours doit, à peine d'irrecevabilité, en adresser une copie aux parties auxquelles la décision du conseil de la concurrence a été notifiée, il n'impose en revanche nullement la même notification entre les différents organismes ou entreprises ayant saisi la cour de ce recours ;
Et considérant que le délai prévu par le texte susvisé pour la notification de la déclaration de recours ne s'applique pas au dépôt et à la notification par les parties de l'exposé des moyens invoqués ; que la recevabilité des recours ne saurait dès lors être contestée ;
* Le bien-fondé des recours
Considérant que les parties requérantes font grief à la décision attaquée d'avoir été rendue en violation du principe d'impartialité et des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, d'avoir retenu à tort l'existence en l'espèce de pratiques anti-concurrentielles et d'avoir prononcé des sanctions non conformes à la loi ;
Considérant que si l'exigence d'impartialité, qui doit s'apprécier objectivement, fait obstacle à ce que certaines personnes exercent successivement à propos des mêmes décisions des fonctions consultatives et juridictionnelles, elle n'interdit pas en revanche qu'un même organisme soit doté de telles prérogatives, dès lors qu'elles sont dévolues à des personnes différentes ;
Considérant qu'au regard de ce principe, il importe peu en l'espèce que le conseil de la concurrence, avant de rendre la décision contestée, ait émis le 13 juin 2000 un avis sur l'étendue du monopole des géomètres-experts puisqu'il n'a nullement à cette occasion examiné et apprécié les pratiques ultérieurement soumises à son jugement et a, en toute hypothèse, statué pour ses membres délibérants dans une composition différente de celle ayant prononcé la décision du 28 février 2002 ;qu'est également indifférent le fait que l'enquête sur les pratiques anticoncurrentielles ait été effectuée par l'agent chargé du rapport devant la formation de jugement, l'impartialité du conseil restant sur ce point garantie par l'absence de participation du rapporteur au délibéré ;
Considérant enfin que les parties mises en cause par la procédure ouverte devant le conseil de la concurrence ont été clairement informées des griefs formulés à leur encontre et ont pu exercer l'ensemble des prérogatives attachées aux droits de la défense, comme en attestent notamment les observations circonstanciées qu'elles ont émises pour y répondre ; que la décision critiquée a été ainsi rendue dans des conditions conformes à l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ;
Considérant que les griefs notifiés au conseil supérieur de l'Ordre des géomètres-experts, au conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Lyon, au conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Montpellier découlent de l'élaboration par le conseil supérieur et de l'exploitation par le même organisme ou les conseils régionaux d'une note du mois de juillet 1995 " relative aux conditions de dévolution des travaux topographiques à incidence foncière " ;
Considérant que contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, la note litigieuse ne se borne pas à un simple rappel aux instances régionales et départementales de la profession de la législation instituant le monopole des géomères-experts;qu'elle constitue en réalité un argumentaire que l'Ordre invite à utiliser auprès des élus et des services responsables de l'élaboration des cahiers des charges et de l'examen des offres, afin de les inciter, voire de les contraindre à réserver aux géomètres-experts certaines catégories de travaux topographiques, activité de services pour laquelle, en dépit de ce qu'ils prétendent, ils sont en concurrence avec les géomètres-topographes;que même si elle est adressée aux membres de la profession, la note litigieuse est clairement destinée à être portée à la connaissance des auteurs de commandes publiques puisque leur attention est particulièrement attirée sur les risques supposés de l'attribution à des tiers de travaux topographiques ;
Considérant que le conseil supérieur a fait lui-même application de sa note en intervenant auprès de la Communauté urbaine de Bordeaux, avant l'ouverture des plis contenant les offres, pour qu'un marché comportant à la fois un lot de prestations foncières et deux lots de prestations topographiques, soit réservé exclusivement aux géomètres-experts ;
Considérant que les pièces de la procédure, exactement analysées par le conseil de la concurrence, montrent que, comme le conseil supérieur et avec le support de la note du mois de juillet 1995, le conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Lyon est intervenu auprès de plusieurs collectivités publiques et donneurs d'ordres pour que des marchés de prestations topographiques, soient réservés aux géomètres-experts, alors que par leur nature les travaux concernés n'entraient pas dans le monopole de cette profession ;
Considérant que de telles pratiques, émanant d'organismes représentant la collectivité de leurs membres, révèlent que ceux-ci ont mis en œuvre, pour le marché des études et travaux topographiques, une entente destinée à convaincre faussement les maîtres d'ouvrage de la nécessité de faire appel à des géomètres-experts, alors que ceux-ci ne disposent d'aucune exclusivité pour la réalisation des prestations topographiques dépourvues d'incidence foncière ou ne débouchant pas sur des travaux affectant la limite des propriétés ;qu'ayant eu pour but ou pour effet de limiter l'accès d'une autre profession à un marché, d'empêcher ou de restreindre le jeu de la concurrence sur celui-ci, ces pratiques tombent sous le coup de l'article L. 420-1 du Code de commerce, applicable à tout organisme, quelle qu'en soit la forme juridique, susceptible d'avoir une influence sur un tel marché ;
Considérant qu'il est reproché au conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Montpellier d'être intervenu auprès de la Direction départementale de l'équipement des Pyrénées-Orientales et de la SNCF pour que des marchés intégrant des prestations topographiques soient exclusivement attribués aux géomètres-experts ;
Considérant que malgré les critiques formulées à l'encontre de la décision du conseil de la concurrence, ces initiatives, non justifiées par des dispositions légales mais inspirées en réalité par le souci de restreindre la concurrence sur un marché qui devrait également être accessible aux topographes, sont, au même titre que les précédentes et pour les mêmes motifs justement retenus par le conseil de la concurrence, contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ;
Considérant qu'indépendamment des faits précédents mettant en cause les rapports de la profession de géomètre-expert avec celle des géomètres-topographes, le conseil de la concurrence a également été saisi de pratiques internes à la première des deux activités ;
Considérant en effet qu'il est fait grief au conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Marseille d'avoir fait obstacle à l'exercice par un géomètre-expert du département de la Corrèze de son activité en Haute-Corse ;
Considérant que pour contester la décision de sanction prise contre lui, le conseil régional souligne qu'il s'est contenté de rappeler au donneur d'ordre les dispositions légales et réglementaires applicables qui n'auraient pas été respectées en l'espèce par le géomètre-expert concerné ;
Mais considérant que sans préjudice de sa mission de service public l'autorisant notamment à surveiller les conditions dans lesquelles les membres de la profession exercent leurs activités, le conseil régional a en réalité cherché à limiter les effets de la concurrence sur un marché en théorie ouvert à tous les titulaires d'une inscription au tableau de l'Ordre; qu'il suffit à cet égard de relever que l'intervention du conseil Régional fait suite à l'attribution à ce géomètre-expert de Corrèze de lots d'un marché public et que cette intervention s'est manifestée par une lettre destinée au donneur d'ordre comportant le passage suivant :
" Un marché de cette importance peut difficilement être attribué à un cabinet installé hors de l'île, pour une simple question de qualité de service rendu. Mes confrères de Corse sont des géomètres-expert compétents, capables de gérer de tels marchés en y apportant la meilleure qualité... " ; qu'à la suite de cette intervention, la commission d'appel d'offres a réattribué les lots à des entreprises locales dont les prix étaient largement supérieurs à ceux pour lesquels le premier titulaire du marché avait soumissionné; qu'ainsi quelles que soient les dispositions du règlement intérieur auxquelles ce géomètre-expert ne se serait pas conformé et malgré l'absence de contestation de la décision de réattribution du marché, le conseil de la concurrence a pu à juste titre retenir que l'intervention litigieuse était révélatrice d'une entente des géomètres-experts exerçant en Corse pour restreindre dans le secteur géographique concerné le jeu de la concurrence ;
Considérant qu'il est fait grief au conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Strasbourg d'avoir, en refusant de désigner un maître de stage à M. Merigaud, empêché un géomètre-expert extérieur aux départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin d'avoir accès aux marchés de prestations topographiques et foncières de ces trois départements ;
Considérant cependant que si, par ce refus, le conseil régional a privé l'intéressé de la possibilité d'obtenir ultérieurement l'agrément administratif nécessaire à l'exécution de travaux cadastraux en Alsace-Moselle, il ne résulte pas pour autant des pièces de la procédure qu'au-delà de la situation individuelle du postulant, le fait dénoncé ait eu pour objet ou pour effet de restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché ; qu'il convient sur ce point de réformer la décision du conseil de la concurrence et de dire n'y avoir lieu à sanction contre le conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Strasbourg ; qu'en revanche n'est pas justifiée la demande de ce conseil tendant à l'application de l'article 41 alinéa 4 de la loi du 29 juillet 1881 à l'égard de l'un des passages du rapport d'enquête qui, indépendamment de l'appréciation par le rapporteur du comportement du conseil régional au regard des règles de la concurrence, ne contient pas d'imputations diffamatoires ;
Considérant qu'outre les moyens relatifs à l'existence des pratiques anticoncurrentielles retenues par le conseil de la concurrence, les parties condamnées contestent également les sanctions prononcées par celui-ci, notamment en ce qu'elles seraient " supérieures au butoir législatif " de 5 % du chiffre d'affaires prévu par l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction applicable à la cause ;
Mais considérant que ce pourcentage et ce plafond ne sont pas applicables à des organismes qui, comme les requérants, n'entrent pas dans la catégorie des entreprises; et considérant que les sanctions prononcées, qui n'excédent nullement le montant maximum prévu par le texte susvisé, ont été exactement appréciées par le conseil de la concurrence qui a adapté par des motifs pertinents que la cour fait siens, leur montant à la gravité des faits, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation des organismes sanctionnés ; que les décisions de sanctions, à l'exception de celle visant le conseil régional de l'Ordre des experts-comptables de Strasbourg, doivent dès lors être confirmées ;
Considérant qu'aucune circonstance ne justifie l'application de l'article 700 du NCPC au profit de la Chambre syndicale des géomètres-topographes ;
Par ces motifs, Déclare recevables les recours principaux du conseil supérieur de l'Ordre des géomètres-experts, du conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Lyon, du conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Montpellier, du conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Marseille, du conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Strasbourg ; Déclare irrecevable le recours incident du Ministre chargé de l'économie ; Confirme la décision n° 02-D-14 du 28 février 2002 prise par le conseil de la concurrence, sauf en ses dispositions concernant le conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Strasbourg ; La réformant sur ce point, dit n'y avoir lieu à sanction à l'égard du conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Strasbourg ; Rejette toutes autres demandes, Condamne les requérants aux dépens, à l'exception de ceux concernant le conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de Strasbourg qui resteront à la charge du Trésor Public.