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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 9 février 2001, n° 2000-02819

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gesimmo 3 A (SA), Lebel

Défendeur :

Gesimmo (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

Mmes Mandel, Regniez

Avoués :

Mes Blin, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Fissot, Mimban

TGI Paris, 3e ch., du 23 nov. 1999

23 novembre 1999

Par acte du 18 juin 1999, la société Gesimmo ayant son siège à Marseille, invoquant ses droits sur sa dénomination sociale adoptée en 1985, a fait assigner à jour fixe devant le Tribunal de grande instance de Paris la société Gesimmo 3A, ayant son siège à Paris, et son animateur, M. Lebel, aux fins de voir prononcer la nullité de plusieurs marques comportant la dénomination Gesimmo 3A ou Gesimmo déposées par M. Lebel et voir interdire à la société défenderesse l'usage de la dénomination Gesimmo 3A. Outre les mesures habituelles d'interdiction et de publication, elle réclamait que ses adversaires soient condamnés à lui payer les sommes de 150 000 F et 600 000 F à titre de dommages-intérêts pour atteinte à sa dénomination sociale et concurrence déloyale.

Les défendeurs avaient conclu au débouté, soutenant en particulier que Gesimmo était irrecevable à demander la nullité des marques dont elle avait toléré l'usage pendant plusieurs années.

Par jugement du 23 novembre 1999, le Tribunal de grande instance de Paris a :

- constaté qu'il n'était pas justifié du renouvellement de la marque Gesimmo 3A n° 1479658 déposée le 25 juillet 1988,

- déclaré que les marques Gesimmo n° 96654911 et 97687505, dont est titulaire M. Lebel portent atteinte aux droits antérieurs de la société Gesimmo sur sa dénomination sociale,

- dit que la société Gesimmo 3A a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Gesimmo en portant atteinte à sa dénomination sociale,

- prononcé la nullité des marques Gesimmo n° 96654911 et 97687505,

- interdit à M. Lebel et à la société Gesimmo 3A de faire usage à quelque titre et sous quelque forme que ce soit de la dénomination " Gesimmo " et ce sous astreinte de 500 F par acte illicite dans un délai de 3 mois à compter de la signification du jugement,

- ordonné à la société Gesimmo 3A de modifier sa dénomination sociale au RCS sous astreinte de 500 F par jour de retard dans le même délai que ci-dessus,

- condamné M. Lebel à verser à la société Gesimmo la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts et la société Gesimmo 3A à la société Gesimmo la somme de 50 000 F en réparation des actes manifestes de concurrence déloyale,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné in solidum M. Lebel et la société Gesimmo 3A à la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Il convient de préciser qu'à la suite du prononcé du jugement, l'exécution provisoire en a été arrêtée du seul chef de la disposition interdisant sous astreinte aux défendeurs d'utiliser la dénomination Gesimmo hors des régions Provence-Alpes-Côte-d'Azur et Languedoc-Roussillon. Gesimmo 3A a, depuis lors, adopté la dénomination Gemofis.

LA COUR :

Vu les appels interjetés à titre principal par M. Lebel et Gesimmo 3A, aujourd'hui Gemofis et l'appel incident de Gesimmo à l'encontre du jugement du 23 novembre 1999 ;

Vu les conclusions du 16 novembre 2000 par lesquelles Gemofis et M. Lebel prient la cour de :

" - infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

Vu les dispositions des articles 713-6, 714-3 et 716-5 du Code de la propriété intellectuelle,

Vu les principes fraus omnia corrumpit et nemo auditur propriam turpitudinem allegans,

- dire la société Gesimmo irrecevable à agir en nullité du fait de la forclusion par tolérance résultant de l'application de l'article L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle,

En tout état de cause, dire que la société Gesimmo ne peut revendiquer la nullité d'aucune des marques déposées par M. Dominique Lebel,

* le 25 juillet 1988, marque Gesimmo 3A, enregistrée sous le n° 943926 dans les classes 36 et 37, renouvelée le 9 décembre 1996 accompagnée d'un dépôt associé et enregistré à 1' INPI à la même date afin d'étendre la protection de ladite marque aux classes 35, 41 et 42,

* Gesimmo, enregistrée le 15 juillet 1997 sous le n° 97687505 pour désigner les produits et services dans les classes 35, 36, 37, 41 et 42,

- débouter la société Gesimmo de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- prononcer par application de l'article L.713-6 du Code de la propriété intellectuelle l'interdiction de l'utilisation de la dénomination sociale Gesimmo, sous astreinte de 500 F par jour de retard à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Gesimmo à payer à Dominique Lebel et à la société Gemofis la somme de un franc à titre de dommages et intérêts à chacun d'eux pour procédure abusive, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,

- condamner en outre la société Gesimmo à payer à la société Gemofis la somme de 3 550 000 F en réparation du préjudice subi par elle du fait de la nécessité d'engager des dépenses destinées au changement de sa dénomination sociale et au préjudice commercial en résultant,

- condamner la société Gesimmo à payer à Dominique Lebel et à la société Gemofis la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile " ;

Vu les conclusions signifiées le 6 décembre 2000 par lesquelles Gesimmo prie la cour de :

" - confirmer le jugement rendu par la 3e chambre du TGI de Paris en date du 23 novembre 1999 et,

- dire que la société Gesimmo a acquis un droit sur sa dénomination sociale à compter du 1er septembre 1985,

- dire que la dénomination sociale Gesimmo 3 A porte atteinte à l'identité de la société Gesimmo par le risque de confusion qui en résulte,

- constater que la marque Gesimmo 3 A n° 1479658 a été modifiée substantiellement le 9 décembre 1996,

- prononcer, en application de l'article L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle la nullité des marques Gesimmo 3 A n° 1479658 en classes 36 et 37 devenues Gesimmo n° 96654911 en classes 35,41,42, n° 97687505 en classes 35,36, 37, 41 et 42 et n° 689970,

En tout état de cause, constater que les conditions prévues à l'article L. 714-3 alinéa 3 du CPI ne sont pas remplies,

- dire que l'arrêt à intervenir sera adressé par M. le greffier à L'INPI aux fins de son inscription au Registre National des Marques,

- dire et juger que la société Gesimmo 3 A s'est rendue coupable de concurrence déloyale et de parasitisme économique,

- interdire à la société Gesimmo 3 A et à M. Dominique Lebel de faire un quelconque usage, sous quelque forme que ce soit, de la marque " Gesimmo 3 A " et " Gesimmo ", sous astreinte de 500 F par infraction constatée dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement de première instance,

* ordonner, sous astreinte de 500 F par jour de retard, dans un délai de trois mois à compter de la signification du jugement, la modification au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris de la dénomination sociale Gesimmo 3A,

Statuant à nouveau :

- dire irrecevables, à tout le moins mal fondées, toutes les demandes, fins, prétentions formées par la société Gesimmo 3 A et M. Lebel,

- condamner solidairement la société Gesimmo 3 A et M. Dominique Lebel à payer à la société Gesimmo la somme de 150 000 F en réparation de son préjudice résultant de l'atteinte à son droit de propriété sur sa dénomination sociale,

- condamner la société Gesimmo 3 A à payer à la société Gesimmo la somme de 600 000 F en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire dont elle est victime,

- condamner solidairement la société Gesimmo 3 A et M. Dominique Lebel au paiement de la somme de 50 000 F HT par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile " ;

SUR CE

Considérant qu'il n'est pas contesté que :

- la société Gesimmo a adopté cette dénomination sociale en septembre 1985, en remplacement de la dénomination Gesimmo qu'elle avait prise lors de sa constitution en février 1985,

- la société Gesimmo 3A (aujourd'hui Gemofis) ayant pour PDG M. Lebel a été constituée le 10 décembre 1986,

- M. Lebel a déposé le 25 juillet 1988 la marque Gesimmo 3 A n° 1479658 pour désigner en classes 36 et 37 les services ci-après " transactions immobilières, locations, achats, ventes, administration de biens, syndic, gérance d'immeubles, promotion immobilière, conseil en immobilier, maîtrise d'œuvre, maîtrise d'ouvrage déléguée ",

- le même M. Lebel a encore déposé :

* le 9 décembre 1996 la marque Gesimmo n° 966554911 pour désigner des produits et services des classes 35, 41 et 42,

* le 15 juillet 1997 la marque Gesimmo n° 97687505 pour désigner des produits et services des classes 35, 36, 37, 41 et 42 ;

Considérant que le tribunal ayant dit dans le dispositif de son jugement qu'il n'était pas justifié du renouvellement de la marque Gesimmo 3A n° 1479658, en l'absence de production d'un certificat d'identité de cette marque que son titulaire indiquait avoir renouvelée le 9 décembre 1996 en même temps qu'il déposait la marque Gesimmo n° 966554911 en classes 35, 41 et 42, M. Lebel verse aux débats le certificat d'identité dont il résulte que la marque Gesimmo 3A n° 1479658 a été effectivement renouvelée le 9 décembre 1996 ;

Considérant que la preuve de ce renouvellement étant rapportée, M. Lebel soutient que par application de l'article L. 714-3, alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, instituant une forclusion par tolérance à l'encontre du titulaire d'un droit antérieur lorsque la marque a été déposée de bonne foi et qu'il en a toléré l'usage pendant cinq ans, Gesimmo est irrecevable à agir en nullité ;

Considérant que Gesimmo fait valoir que les conditions de la forclusion par tolérance ne sont pas réunies parce que la marque Gesimmo 3A n° 1479658 n'a pas été déposée de bonne foi et parce qu'elle n'en a pas toléré l'usage pendant cinq ans, cet usage n'ayant été porté à sa connaissance qu'en février 1998, lorsque Gesimmo 3A, indiquant avoir découvert son existence en faisant des recherches dans l'annuaire alors qu'elle envisageait de s'implanter dans la région de Marseille, a pris son attache pour lui proposer de conclure avec elle un contrat de franchise ;

Considérant que Gesimmo n'établit en rien en quoi M. Lebel aurait procédé de mauvaise foi au dépôt de la marque Gesimmo 3A n° 1479658 ; qu'en revanche, elle expose à juste titre que la forclusion de l'article L. 714-3 n'est opposable qu'au titulaire d'un droit antérieur qui a toléré pendant cinq ans en connaissance de cause l'usage de la marque dont la nullité est réclamée ; qu'elle expose que Gesimmo 3A ne justifie pas avoir fait de publicité dans des journaux nationaux avant 1995, et qu'elle n'a pas eu connaissance de sa participation aux salons MIPIM à Cannes en 1991 et 1992 alors qu'elle-même ne prenait pas part à ces salons dont elle ignorait l'existence ; que dans ces circonstances, les conditions de la forclusion par tolérance n'étant pas réunies, il convient de prononcer la nullité de la marque Gesimmo 3A n° 1479658, déposée postérieurement à l'adoption par l'intimée de sa dénomination sociale en septembre 1985, et qui, visant des services identiques ou similaires à ceux qui constituent son objet social, porte atteinte à cette dénomination sociale antérieure ;

Considérant qu'étant observé que la forclusion par tolérance vainement invoquée par les appelants n'aurait pas pu faire obstacle aux demandes de Gesimmo visant la dénomination sociale Gesimmo 3A, ou les marques Gesimmo n° 966554911 et Gesimmo n° 97687505 déposées en 1996 et 1997 (soit moins de 5 ans avant l'introduction de l'instance), le jugement sera confirmé par adoption de motifs en ce qu'il a déclaré que les marques Gesimmo n° 96654911 et 97687505, dont est titulaire M. Lebel portent atteinte aux droits antérieurs de la société Gesimmo sur sa dénomination sociale, et dit que la société Gesimmo 3A a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Gesimmo en portant atteinte à sa dénomination sociale antérieure;

Considérant qu'aucun élément nouveau en appel ne conduit à modifier le montant des dommages-intérêts mis à la charge de Gesimmo 3A (aujourd'hui Gemofis) et de M. Lebel, ni à remettre en cause l'injonction sous astreinte faite à la société appelante de modifier sa dénomination ; que la mesure d'interdiction sous astreinte prononcée par le tribunal ne peut être maintenue en ce qu'elle interdit l'usage de la dénomination Gesimmo à quelque titre ou sous quelque forme que ce soit ; que par réformation du jugement cette interdiction ne sera prononcée que pour l'usage de Gesimmo à titre de dénomination sociale ou de nom commercial, ou à titre de marque pour désigner des produits ou services identiques ou similaires aux activités de la société intimée telles que mentionnées au Registre du Commerce, à savoir celles de " gestion immobilière et syndic d'immeubles, et concours même à titre accessoire aux opérations portant sur les biens d'autrui et relatives à la transaction immobilière et à la rédaction d'actes " ; que par ajout au jugement, conformément à l'article R 7 14-2 du Code de la propriété intellectuelle, le présent arrêt sera transmis à l'INPI pour transcription au Registre National des Marques ;

Considérant que leurs prétentions principales étant pour l'essentiel écartées, les demandes reconventionnelles de Gemofis et M. Lebel seront repoussées ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Gesimmo une indemnité complémentaire de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a estimé qu'il n' était pas justifié du renouvellement de la marque Gesimmo 3A n° 1479658 déposée le 25 juillet 1988 (et n'a pas statué sur la demande de nullité de cette marque) ainsi que sur les mesures d'interdiction d'usage de la dénomination Gesimmo ; Réformant, statuant à nouveau de ces chefs et ajoutant : Prononce la nullité de la marque Gesimmo 3A n° 1479658 déposée le 25 juillet 1988 et renouvelée le 9 décembre 1996 ; Fait interdiction à la société Gemofis et à M. Lebel de faire usage de la dénomination Gesimmo à titre de dénomination sociale ou de nom commercial, ou à titre de marque pour désigner des produits ou services identiques ou similaires aux activités de la société intimée telles que mentionnées au registre du commerce, à savoir celles de " gestion immobilière et syndic d'immeubles, et concours même à titre accessoire aux opérations portant sur les biens d'autrui et relatives à la transaction immobilière et à la rédaction d'actes ", sous astreinte de 500 F par infraction constatée passé le délai de deux mois suivant la signification du présent arrêt ; Dit que le présent arrêt en ce qu'il prononce la nullité de la marque Gesimmo 3A n° 1479658 et en ce qu'il confirme le jugement entrepris s'agissant de la nullité des marques Gesimmo n° 966554911 et Gesimmo n° 97687505 sera transmis à l'INPI, sur réquisition du greffier ou de l'une des parties, pour transcription au Registre national des marques ; Condamne in solidum la société Gemofis et M. Lebel à payer à la société Gesimmo une indemnité complémentaire de 10 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne in solidum la société Gemofis et M. Lebel aux dépens d'appel; Admet la SCP Fisseller CHILOUX BOULAY au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.