CA Paris, 4e ch. A, 10 avril 2002, n° 2000-09828
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Citel 2 CP (SA), Citel (SA)
Défendeur :
Franklin France 2F (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marais
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Lecharny Calarn, Me Teytaud
Avocats :
Mes Monegier du Sorbier, Greffe.
La société Citel a déposé, à titre de modèle, le 17 novembre 1983, un module de protection de ligne enfiché sur circuit imprimé, enregistré sous le n° 83/4260, conçu par sa filiale, la société Citel 2 CP.
Reprochant à la société Franklin France 2F de commercialiser un module qui reproduit servilement les caractéristiques de leur modèle, la société Citel et la société Citel 2 CP, après avoir fait pratiquer une saisie-contrefaçon sur son stand au Salon professionnel Circom, l'ont assignée en contrefaçon de modèle et concurrence déloyale devant le Tribunal de commerce de Paris.
Par jugement du 1er févbrier 2000, le tribunal a :
- dit que le modèle de la société Citel n'est pas susceptible de protection au titre des dessins et modèles ou des droits d'auteur,
- prononcé la nullité du modèle n° 83-4260 déposé le 17 novembre 1983,
- débouté les sociétés Citel et Citel 2 CP de l'ensemble de leurs demandes tant au titre de la contrefaçon, que de la concurrence déloyale,
- débouté la société Franklin France 2F de sa demande de dommages-intérêts,
- condamné solidairement la société Citel et la société Citel 2 CP à payer à la société Franklin France 2F la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
LA COUR :
Vu l'appel de cette décision interjeté par la société Citel et la société Citel 2 CP;
Vu les dernières écritures signifiées le 4 mars 2002 par lesquelles la société Citel et la société Citel 2 CP, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a prononcé la nullité du modèle n° 83-4260 et a rejeté la demande en contrefaçon, prétendent à cet effet que :
- la platine et le module commercialisés par la société Franklin France 2F reproduisent de manière servile ceux qu'elles fabriquent et commercialisent,
- ces ressemblances ne sont pas justifiées par des normes ou standards,
- le risque de confusion a été recherché,
- l'ensemble mis au point par la société Citel 2 CP est le fruit d'études, de recherches et de développements menés depuis 1982,
et demandent à la cour de :
- dire que la société Franklin France 2F a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'égard de la société Citel 2 CP,
- ordonner la cessation des actes incriminés, sous astreinte de 4 573,47 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- ordonner la destruction ou la confiscation et la remise à la société Citel 2 CP des platines et modules incriminés ainsi que de tous les prospectus ou autres supports comportant une reproduction desdits modules ou platines détenus par la société Franklin France 2F directement ou indirectement par toute personne physique ou morale interposée, sous astreinte de 1 524,49 euros, par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- condamner la société Franklin France 2F à verser à la société Citel 2 CP la somme de 76 224,51 euros (500 000 F) à titre de dommages-intérêts provisionnels du fait des actes de concurrence déloyale, à évaluer au besoin à dire d'expert,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou revues au choix de la société Citel 2 CP, aux frais de la société Franklin France 2F, le coût de chaque insertion étant fixé à 4 573,47 euros (30 000 F) HT,
- condamner la société Franklin France 2F à lui payer la somme de 15 244,90 euros (100 000 F) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- débouter la société Franklin France 2F de son appel incident ;
Vu les dernières écritures signifiées le 17 janvier 2001 aux termes desquelles la société Franklin France 2F, ci-après Franklin, après avoir relevé que la société Citel renonce expressément à son action en contrefaçon de modèle, demande à la cour de :
- constater qu'elle acquiesce aux motifs du jugement entrepris relatifs au défaut de validité du modèle,
- constater que par arrêt définitif de la Cour d'appel de Versailles du 29 octobre 1992 le modèle objet des poursuites de la société Citel a été annulé et qu'elle a postérieurement à cette décision engagé la présente instance et fait procéder à une saisie-contrefaçon sur son stand lors d'un salon professionnel,
- dire qu'aucun fait de concurrence déloyale ou de parasitisme ne saurait lui être imputé et qu'indépendamment de toute réglementation, en créant des formes facultatives ou obligatoires, des similitudes entre deux produits, voire une identité, ne sont pas en elles-mêmes un fait de concurrence déloyale dans la mesure où ces similitudes résultent d'une nécessité fonctionnelle ou de l'élaboration de produits standard,
- débouter, en conséquence, la société Citel 2 CP de son action en concurrence déloyale et parasitaire,
- condamner solidairement la société Citel et la société Citel 2 CP à lui payer la somme de 2 millions de francs à titre de dommages-intérêts et celle de 100 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans dix journaux de son choix, aux frais des sociétés appelantes le coût de chaque insertion ne pouvant être inférieur à 30 000 F HT ;
Vu le bordereau de pièces daté du 4 mars 2002 déposé par la société Franklin ;
Vu les conclusions signifiées le 5 mars 2002 par lesquelles la société Citel et la société Citel 2 CP sollicitent le rejet des débats des pièces numérotées 65 à 78 communiquées le 4 mars 2002 ;
Sur quoi,
- Sur l'incident de procédure :
Considérant que la société Franklin a communiqué 14 nouvelles pièces, le 4 mars 2002, avant veille du prononcé de l'ordonnance de clôture; que les sociétés Citel et Citel 2 CP n'ayant pas été en mesure de débattre contradictoirement de ces documents communiqués tardivement, il convient, afin de respecter le principe de la contradiction, de les rejeter des débats ;
- Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Considérant que l'appel est limité aux dispositions du jugement relatives à la concurrence déloyale et parasitaire, la société Citel et la société Citel 2 CP ne critiquant pas la décision entreprise en ce qu'elle a annulé le modèle de module n° 83-4260 et rejeté leurs demandes fondées sur la contrefaçon de ce modèle ;
Considérant que la société Citel 2 CP, faisant valoir qu'elle a conçu, en 1982, un dispositif de protection des lignes téléphoniques contre la foudre ou les surtensions électriques transitoires, constitué d'un module à fiches et d'une plaque à circuits imprimés ou platine sur laquelle les modules sont enfichés, qui a fait l'objet de perfectionnements depuis 1984, reproche en premier lieu à la société Franklin d'avoir reproduit de manière servile ce module et cette platine; qu'elle observe que cette reproduction ne repose sur aucun impératif fonctionnel et qu'il n'existe aucune norme ou standard ;
Considérant que la société Citel 2 CP caractérise ainsi la platine :
- une plaque de 18,7 cm x 9,3 cm avec trois perforations de fixation sur chacun des petits côtés,
- quatre blocs latéraux de 16 connecteurs référencés par paire,
- des pistes de circuits imprimés disposés selon un tracé précis et de largeur variée,
- deux groupes de quatre lignes de plots répartis en deux séries de quatre et cinq ;
Que le module est constitué de :
- un boîtier parallélépipédique,
- une base munie d'une ligne de neuf fiches réparties en deux séries de quatre et cinq,
- à l'intérieur, une plaque de circuits imprimés ;
Considérant que le module de protection revendiqué par la société Citel 2 CP est conforme à celui qui a fait l'objet du dépôt de modèle n° 83-4260, sauf en ce qui concerne le tracé des lignes imprimées ;
Que ce modèle ayant été annulé, les sociétés Citel et Citel 2 CP ne bénéficient à ce jour d'aucun droit de propriété intellectuelle sur ce module de protection ;
Considérant que le simple fait de copier un produit concurrent qui n'est pas protégé par des droits privatifs de propriété intellectuelle comme la recherche d'une économie au détriment d'un concurrent ne constituant pas des actes de concurrence déloyale mais procédant de la liberté du commerce et de la libre concurrence, la société Citel 2 CP doit rapporter la preuve que la société Franklin a commis une faute qui serait à l'origine du préjudice qu'elle invoque, en cherchant délibérément à entretenir dans l'esprit du public la confusion entre les produits ;
Mais considérant qu'il ressort des catalogues des sociétés Protel, Slat, Soule qui commercialisent des produits concurrents, produits aux débats, que la platine est nécessairement constituée d'une plaque de résine portant le long de ses bords latéraux une série de connecteurs, deux par ligne, au centre une série de plots femelles et deux séries de pistes de circuits imprimes dont chacune relie un connecteur latéral à un plot; que la société Franklin fait valoir, sans être contredite, que les dimensions de la platine sont conditionnées, pour la hauteur, par le nombre de lignes et donc de modules à recevoir et l'écartement des branchements de chaque fil d'entrée ou de sortie, pour la largeur, par celle des groupes de plots, par l'encombrement des connecteurs latéraux normalisés et par l'espace nécessaire au repérage des films pour la création des pistes ; que l'examen des catalogues met en évidence la similarité existant entre ces produits qu'il s'agisse du tracé des pistes (module Queops Slat), de la forme rectangulaire de la platine ou de l'agencement des différents éléments ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que le module s'enfiche de façon amovible sur la platine toujours perpendiculairement au plan qu'elle forme; que les documents produits aux débats (Protel, Indelec, Soule, Slat) établissent que les modules commercialisés se présentent sous la forme d'un bloc de matière plastique sensiblement paralléllépipédique dont l'une des faces comportent une série de broches; que la société Citel 2 CP ne contredit pas les affirmations de la société Franklin selon laquelle le diamètre et l'écartement des broches résulte de contraintes techniques ;
Qu'au vu de ces éléments, la société Citel 2 CP n'établit pas que l'agencement des différents éléments sur la platine et la forme du module étaient caractéristiques de ses produits et de nature à les identifier aux yeux de la clientèle concernée ;
Considérant en outre que ces produits sont revêtus des marques des sociétés concernées et disposés dans des coffrets qui permettent de les distinguer les uns des autres ;
Qu'au regard des similitudes résultant nécessairement des contraintes techniques, la société Citel 2 CP ne rapporte donc pas la preuve que la clientèle de professionnels, à qui ces produits sont destinés, sera conduite à les confondre ou à leur attribuer une origine commune ;
Considérant que la société Citel 2 CP soutient en second lieu qu'en s'appropriant le fruit de ses efforts industriels, sans bourse délier, la société Franklin a commis des actes de concurrence parasitaire ;
Mais considérant qu'en l'absence de droit privatif sur le modèle de module de protection litigieux et de preuve d'un comportement fautif, la société Citel 2 CP ne saurait reprocher à la société Franklin d'avoir en fabriquant et commercialisant un produit constitué des mêmes éléments agencés de manière identique, profité indûment de ses investissements ;
Qu'il s'ensuit que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Citel 2 CP de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ;
- Sur l'appel incident :
Considérant que la société Franklin soutient qu'en faisant pratiquer une saisie-contrefaçon se fondant sur un modèle annulé et en poursuivant la procédure devant la cour les sociétés Citel lui ont causé un préjudice qu'elle évalue à la somme de deux millions de francs ;
Considérant que la Cour d'appel de Versailles a, par arrêt du 29 octobre 1992, dit que le modèle n° 83-4260, déposé le 17 novembre 1983, par la société Citel n'était pas protégeable au titre des dessins et modèles ;
Qu'en faisant pratiquer une saisie-contrefaçon sur le fondement de ce modèle, le 12 décembre 1997, sur le stand de la société Franklin au salon professionnel Sircom et en l'assignant en contrefaçon de ce titre, la société Citel et la société Citel 2 CP ont agi avec légèreté blâmable, qui caractérise un comportement fautif; que le préjudice en résultant pour l'intimée sera entièrement indemnisé par l'allocation d'une indemnité de 8 000 euros (52 476,56 F) ;
Considérant que la mesure de publication sollicitée n'apparaît pas justifiée ;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Franklin; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme complémentaire de 15 244,90 euros (100 000 F) ;
Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée sur ce même fondement par la société Citel 2 CP ;
Par ces motifs : Rejette des débats les pièces communiquées le 4 mars 2002 par la société Franklin France 2 F numérotées 65 à 78 ; Confirme le jugement entrepris dans ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a débouté la société Franklin France 2F de sa demande de dommages-intérêts ; Le réformant sur ce point et statuant à nouveau ; Condamne in solidum la société Citel et la société Citel 2 CP à payer à la société Franklin France 2F la somme de 8 000 euros (52 476,56 F) à titre de dommages-intérêts ; Y ajoutant, Condamne in solidum la société Citel et la société Citel 2 CP à payer à la société Franklin France 2F la somme complémentaire de 15 244,90 euros (100 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne in solidum la société Citel et la société Citel 2 CP aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.