Conseil Conc., 2 juillet 2003, n° 03-D-32
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des lentilles de contact jetables
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Choné, par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, M. Nasse, vice-président.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 22 décembre 1995, sous le numéro F 837, par laquelle le ministre délégué aux finances et au commerce extérieur a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en ouvre par la division Vistakon de la société Johnson & Johnson dans le secteur de la distribution des lentilles de contact jetables ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 30 avril 2003 ;
Adopte la décision suivante :
I. - CONSTATATIONS
A. Le secteur des lentilles de contact
1. Les lentilles oculaires de contact sont un produit en constante évolution. A la fin des années soixante-dix sont mises sur le marché, les lentilles rigides dites perméables à l'oxygène (LRPO). Les lentilles souples hydrophiles, qui apparaissent peu après, ont une caractéristique essentielle qui les différencie des LRPO : elles contiennent 35 à 80 % d'eau. De plus, leur diamètre est légèrement supérieur à celui des lentilles rigides et elles ont une moindre perméabilité à l'oxygène.
2. Il existe plusieurs catégories de lentilles souples, qui diffèrent par la fréquence de leur renouvellement nécessaire (de un jour à deux ans), leur mode d'entretien (nettoyage, rinçage, décontamination, déprotéinisation) et le type de port (certaines lentilles peuvent être conservées durant le sommeil) :
- Les lentilles souples à usage unique, dites "jetables", sont systématiquement jetées, dès lors qu'elles sont ôtées de l'oeil, et remplacées par des lentilles neuves. De ce fait, elles ne nécessitent aucun entretien. Il existe des lentilles jetables à remplacement quotidien, ôtées et jetées chaque soir, et des lentilles jetables à port continu jour et nuit, d'une semaine ou d'un mois. Les lentilles à renouvellement quotidien n'existaient pas au moment des faits visés par la saisine, (elles ne sont apparues qu'en 1996).
- Les lentilles à renouvellement fréquent (LSRF), de port journalier, avec retrait et entretien quotidiens, ont une durée d'utilisation limitée à 15 jours ou un mois et sont systématiquement remplacées par des lentilles neuves à l'issue de cette période. Les lentilles à renouvellement trimestriel figurent également dans cette catégorie. Les lentilles souples à renouvellement fréquent sont apparues en 1992.
- Les lentilles souples dites "à renouvellement traditionnel" (LSRT) sont des lentilles à retrait et entretien quotidiens, qui sont remplacées après un à deux ans d'utilisation.
3. Un arrêté ministériel du 26 juin 1975 a abrogé l'obligation de prescription médicale pour la délivrance des lentilles. Toutefois, la jurisprudence (deux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 17 février 1981) qualifie les lentilles de "prothèses" et l'adaptation des lentilles "d'acte médical". L'adaptation des lentilles par un opticien est considérée par la jurisprudence comme un exercice illégal de la médecine.
4. Les lentilles Acuvue, visées par la saisine, sont des lentilles jetables qui peuvent être portées de manière continue (jour et nuit) et conservées durant 7 jours et 6 nuits. Elles peuvent aussi être utilisées pendant deux semaines à condition de les ôter et de les entretenir avant le sommeil. Elles sont commercialisées en France depuis l'année 1989.
5. Le tableau 1 présente les marques et les laboratoires qui commercialisaient en 1993 des lentilles à renouvellement inférieur à un mois (jetables et LSRF).
EMPLACEMENT TABLEAU
Tableau : Lentilles à renouvellement inférieur à un mois (1993)
6. La division Vistakon est une branche de la société Johnson & Johnson Médical, elle-même filiale de la société Johnson & Johnson, qui s'est substituée à Johnson & Johnson Santé existant au moment des faits. La division Vistakon, qui n'avait pas, à l'époque des faits, de personnalité juridique, est l'importateur distributeur exclusif en France des lentilles Acuvue (jetable) et Surevue (LSRF) et ne commercialise que ces deux marques.
7. Il n'existait pas, à l'époque des pratiques litigieuses, de contrat écrit entre Johnson & Johnson et Johnson & Johnson Médical sur la distribution exclusive des lentilles de contact Acuvue et Surevue par cette dernière. Mais la situation de fait était l'exclusivité territoriale détenue par Johnson & Johnson Médical pour la distribution des lentilles de contact Acuvue et Surevue en France.
8. Le marché global des lentilles souples à fréquence de renouvellement inférieur à un mois est en expansion entre 1990 et 1993. Cette croissance est moins forte en fin de période : le taux de croissance en volume passe de 109 % en 1991 à 30 % en 1993.
9. Selon les statistiques du Syndicat des fabricants et fournisseurs d'optique de contact (SYFFOC), les jetables représentaient, en 1990, 97 % des lentilles souples à fréquence de renouvellement inférieur à un mois et seulement 67 % en 1993. Cette baisse de la part relative des jetables s'explique par l'arrivée des LSRF en 1992. A partir de 1993, l'évolution des ventes des jetables a contrasté fortement avec celles des LSRF : entre 1993 et 1994, les ventes de lentilles souples jetables ont connu une baisse de 6 % en volume, alors que les ventes de LSRF ont crû de 87 %. Cette évolution divergente s'est ensuite poursuivie : baisse de 7 % du volume des jetables en 1995, hausse de 50 % des LSRF (voir tableau 1).
10. Les lentilles Acuvue sont les premières lentilles jetables apparues sur le marché et constituent environ 90 % des ventes de lentilles jetables sur l'ensemble de la période concernée par les faits. En revanche, la part de Vistakon dans l'ensemble des ventes de lentilles à renouvellement inférieur à un mois (jetables et LSRF) décroît nettement sur la période, en raison de l'effet de structure décrit au paragraphe précédent : de 88 % en 1990 à 70 % en 1993. Sur l'ensemble des lentilles, toutes catégories confondues, les lentilles à renouvellement fréquent représentent 40 % et Vistakon assure 21 % des ventes.
B. Les pratiques dénoncées
11. Les pratiques visées par la saisine concernent les modalités de distribution des lentilles Acuvue par Vistakon : fourniture des seuls opticiens, délivrance uniquement sur ordonnance et remise de lentilles gratuites aux ophtalmologistes.
12. Le rapport administratif présente les résultats d'une enquête réalisée par les services de la DGCCRF auprès d'un échantillon de 83 opticiens situés dans 15 départements et appartenant aux différentes catégories : indépendants, adhérents à des groupements, mutualistes, franchisés.
La fourniture aux seuls opticiens détaillants
13. La société Ophtalmic, créée en 1986, s'est lancée dans la distribution de lentilles de contact, en qualité de grossiste. Son activité consiste à acheter en gros les lentilles aux laboratoires et à les distribuer aux opticiens indépendants. Ophtalmic n'est donc pas une centrale d'achats d'un groupement d'opticiens mais un simple grossiste. Cette société, qui était le seul grossiste existant à l'époque des faits, a pris contact en décembre 1991 avec Vistakon dans le but de distribuer les lentilles Acuvue et s'est vu opposer un refus de vente. Vistakon a justifié ce refus par le fait que Vistakon n'avait pas la qualité d'opticien lunetier. En avril 1992, Ophtalmic a demandé au juge des référés du Tribunal de commerce de Nanterre d'ordonner, sous astreinte, la livraison des commandes passées à Viskaton. Elle a été déboutée par une ordonnance en date du 23 juillet 1992.
14. Au début de la commercialisation des lentilles Acuvue, Vistakon n'acceptait de fournir que les opticiens détaillants. Vistakon est le premier fournisseur de lentilles jetables et, parmi les opticiens qui commercialisent des lentilles, la très grande majorité vend des lentilles Acuvue. Les produits Vistakon ne sont pas référencés par les centrales d'achat (comme celle de la société Afflelou, par exemple, le responsable de chaque boutique Afflelou signant, à titre individuel, un contrat d'approvisionnement avec Vistakon). D'autres groupements d'opticiens comme Lynx Optique référencent les lentilles de contact Vistakon, mais n'assurent pas la fonction de stockage et Vistakon approvisionne régulièrement les adhérents au rythme de leurs commandes. Vistakon adresse parfois les factures au groupement, qui se porte ducroire pour le compte de ses adhérents (c'est le cas de Lynx). Mais la facture est toujours établie à l'ordre du détaillant.
Le contrat de "partenariat" avec les opticiens
15. Les opticiens qui désirent vendre des lentilles Acuvue devaient, à l'époque des faits, signer une convention dont le titre et le sous-titre sont les suivants :
"ACUVUE, LE PARTENARIAT.
La spécificité de la lentille Acuvue nécessite une organisation permettant sa mise à disposition immédiate auprès des patients.
En conséquence, afin d'assurer le meilleur service auprès des patients pour la distribution de la lentille Acuvue, la première lentille de contact jetable vendue uniquement sur prescription médicale, Vistakon et le "Distributeur" entendent coopérer dans les termes du présent accord de partenariat."
16. D'après les déclarations des responsables de Vistakon, ce contrat de partenariat avec les opticiens a été mis en place au moment du lancement d'Acuvue en 1989 et a été abandonné en 1995. Un seul opticien (sur les 83 interrogés) déclare que Vistakon vérifie qu'il respecte les contraintes du contrat de partenariat : exigence d'une prescription, tenue d'un stock minimum, modalités publicitaires, etc. Selon son directeur, Vistakon s'est rendu compte qu'il n'était pas en mesure de contrôler le respect, par les opticiens, des termes du contrat de partenariat, ce qui l'aurait conduit à abandonner ce contrat.
La nécessité d'une prescription médicale
17. Le sous-titre du contrat de "partenariat" mentionne qu'Acuvue est "la première lentille de contact jetable, vendue uniquement sur prescription médicale". Mais aucune clause du contrat, dans le corps du texte, ne revient sur l'interdiction faite aux opticiens de délivrer Acuvue sans ordonnance. Les réponses des opticiens aux questionnaires montrent que l'usage de ne délivrer les lentilles que sur ordonnance est majoritaire, mais pas systématique. Plus le changement de correction est important, plus les opticiens qui exigent une ordonnance sont nombreux. Le passage des verres correcteurs au port de lentilles représente évidemment le changement le plus important : c'est pour ce passage que les opticiens sont les plus nombreux (77 %) à exiger une ordonnance. Si la vision a évolué, mais que la marque des lentilles reste la même, 73,5 % des opticiens exigent une ordonnance. Si la vision n'a pas évolué mais que le patient veut changer de marque, 70 % des opticiens exigent une ordonnance. Dans le cas d'un simple renouvellement de lentilles Vistakon, ils ne sont que 65 % à exiger une prescription.
18. Le contrat de partenariat impose la constitution d'un stock minimal de départ et sa reconstitution automatique sous 15 jours par une procédure Minitel après enregistrement d'un nouveau client (obligatoire). Le stock minimal imposé par Vistakon est, dans la majorité des cas, de 52 coffrets, soit un coffret par puissance. Ainsi, quand un client se présente, l'opticien est, en principe, en mesure de lui délivrer immédiatement des lentilles adaptées à sa vision. Un coffret contenant 6 lentilles (c'est-à-dire 3 paires) assure une autonomie de trois semaines au client. Le délai de livraison de 15 jours garanti par Vistakon assure que l'opticien recevra les lentilles du patient avant que celui-ci ne se présente pour le renouvellement. La constitution de stock implique un investissement de départ d'environ 10 700 F TTC pour l'opticien.
19. Le contrat de partenariat comporte également plusieurs clauses qui précisent les modalités de la coopération de l'opticien et de Vistakon en matière de publicité. L'une d'entre elles stipule que l'opticien doit maintenir en permanence dans ses vitrines et son magasin une "signalétique appropriée Vistakon". 3,6 % des opticiens interrogés déclarent juger contraignantes les clauses de l'accord relatives à la publicité, que ce soit pour des raisons de durée, de coût, ou d'occupation de leur vitrine.
20. Le contrat ne comprend aucune clause relative au prix de vente public. Cependant, 47 % des opticiens déclarent que les représentants de Vistakon mettaient à leur disposition un prix conseillé (dont 45,8 % sous forme verbale et 1,2 % par la remise d'un document écrit). Ce prix conseillé, soit 165 F (pour le coffret de 6 lentilles), était appliqué par 81 des 83 opticiens interrogés.
21. S'agissant du prix payé par le distributeur, il est indiqué dans l'annexe 2 du contrat de partenariat. Le contrat ne comprend pas l'octroi de remises quantitatives. Pourtant, le directeur de Vistakon a déclaré qu'"il y a toujours eu au tarif, dans les conditions générales de vente, des remises quantitatives".
Les liens avec les ophtalmologistes
22. En 1993, un peu plus de la moitié (58,3 %) des cabinets d'ophtalmologistes (2 800 sur 4 800) prescrivaient des lentilles Vistakon, selon les déclarations des responsables de cette division. Le pourcentage de lentilles gratuites (nombre de lentilles gratuites rapporté au nombre de lentilles vendues) est assez faible pour Acuvue : de 14 % en 1991 à 7,5 % en 1993. En revanche, pour le lancement en 1992 de Surevue, la lentille souple à renouvellement mensuel de Vistakon, les lentilles gratuites ont représenté 86,3 % des lentilles vendues. Mais, ce taux avait déjà baissé de moitié l'année suivante.
II. - DISCUSSION
23. Aux termes de l'article L. 464-6 du Code de commerce : "Lorsqu'aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure".
24. Dans sa saisine, le ministre soutient que Vistakon, en imposant la délivrance des lentilles Acuvue par des opticiens aux seuls clients munis d'une prescription médicale, permet aux ophtalmologistes de revoir fréquemment leurs patients et d'obtenir ainsi une clientèle quasi captive, et favorise la prescription des lentilles Acuvue de préférence à toute autre lentille souple. Il fait valoir que la prescription médicale n'est obligatoire que pour la délivrance des lentilles de contact aux personnes de moins de 16 ans et que, si l'adaptation reste un acte médical et justifie que le premier achat de lentilles soit subordonné à l'obtention d'une prescription médicale, il n'en est pas de même pour le renouvellement qui doit pouvoir s'effectuer, dans la plupart des cas, sans prescription médicale. Il expose que l'exigence injustifiée d'une prescription médicale, associée à la remise massive de lentilles de contact gratuites, constitue une entente tacite entre Johnson & Johnson et les ophtalmologistes, de nature à limiter l'accès au marché des lentilles jetables. Il considère, de plus, que Johnson & Johnson occupe sur ce marché une position dominante dont il abuse par le moyen des pratiques dénoncées.
Sur la nécessité d'une prescription médicale
25. Lors de l'instruction, la présidente de la Société française des ophtalmologistes et adaptateurs de lentilles de contact (SFOALC) a rappelé que l'adaptation est un acte médical complexe, qui justifie une formation pointue sanctionnée par le diplôme universitaire de 3e cycle d'"Adaptation de lentilles de contact" (diplôme validé par le Conseil national de l'Ordre des médecins), mais n'a pas contesté que le simple renouvellement des lentilles n'est pas considéré comme une adaptation et devrait pouvoir s'effectuer sans ordonnance. Elle a toutefois insisté sur les facteurs de risques spécifiques liés au port permanent (jour et nuit) qui justifie une surveillance régulière. Diverses études médicales ont démontré que le risque infectieux en matière de port permanent en lentille hydrogel (lentilles souples) est multiplié par un facteur de 7 pour des sujets sains. Selon elle, de très nombreuses études cliniques ont mis très vite l'accent sur le risque infectieux aboutissant à la circulaire DH/EM du 12-2-96 n° 960621 "Risques potentiels liés au port de lentilles de contact souples hydrophiles à port prolongé" et "plus la durée de port sans contrôle médical augmente, plus le risque de complications et leur gravité augmente. A partir d'un certain temps, la délivrance de lentilles sans contrôle médical correspond à une véritable mise en danger. En matière de port permanent, il n'est pas concevable qu'une lentille soit délivrée sans un contrôle ophtalmologique."
26. Ces réticences des praticiens à l'égard des lentilles à port permanent expliquent qu'ils aient eu tendance à favoriser le recours aux lentilles à renouvellement fréquent (LSRF), sachant, qu'à l'époque des faits, les lentilles souples jetables à renouvellement quotidien, qui suppriment les risques liés au port nocturne, n'étaient pas disponibles, (elles ne sont apparues qu'en 1996).
Sur la mise à disposition de lentilles gratuites
27. Selon la Présidente de la Société française des ophtalmologistes et adaptateurs de lentilles de contact, l'ophtalmologiste doit disposer d'un important jeu de lentilles d'essai, de puissance et de géométrie variées pour pouvoir procéder à l'adaptation. Elle précise que ces lentilles sont prêtées aux patients par les fabricants, l'ophtalmologiste se contentant de les stocker. Par ailleurs, elle déclare que la remise gratuite de lentilles est une pratique commune à tous les fabricants et que les ophtalmologistes disposent de nombreuses séries d'essai de différentes marques.
28. Il résulte de ce qui précède que l'exigence d'une prescription médicale, y compris pour de simples renouvellements, pouvait être légitimée par les risques particuliers d'infections liés au port permanent des lentilles Acuvue. De même, la remise gratuite de lentilles est une pratique courante qui s'explique par les contraintes propres au processus d'adaptation, et non pas seulement par le souci de promouvoir les ventes. En tout état de cause, il n'a pas été constaté, de la part des ophtalmologistes, un comportement prescripteur favorisant de façon notable les lentilles Acuvue, mais, au contraire, une tendance à privilégier les lentilles à renouvellement fréquent, pour des raisons médicales, aux dépens des lentilles Acuvue et donc des ventes de Vistakon. Aucun élément du dossier ne permet ainsi d'établir que les pratiques dénoncées constituent une entente au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Sur les autres caractéristiques du circuit de distribution Vistakon
29. Il est loisible à un producteur de déterminer librement les conditions de distribution de ses produits dès lors que les critères de choix des revendeurs ont un caractère objectif et ne sont pas appliqués de façon discriminatoire, qu'ils n'ont ni pour objet ni pour effet d'exclure une ou des formes déterminées de distribution qui seraient aptes à distribuer les produits en cause ou de créer des barrières artificielles à l'entrée sur le marché de la distribution des produits concernés et qu'ils maintiennent la liberté commerciale des revendeurs quant aux prix pratiqués vis-à-vis des consommateurs.
30. En l'espèce, le critère consistant à ne livrer que les seuls opticiens détaillants qui détiennent, en France, le monopole légal de la délivrance des lentilles au consommateur (article L. 505 du Code de la santé publique et arrêt du 25 mai 1993 de la CJCE), présente un caractère objectif. Le refus de Vistakon de livrer les grossistes, dont la société Ophtalmic, est cohérent avec le système de distribution retenu, dans la mesure où Vistakon assurait lui-même l'approvisionnement régulier des détaillants. Le fait que la société Vistakon a ultérieurement renoncé à faire signer un contrat de partenariat aux opticiens et a noué des relations commerciales avec la société Ophtalmic n'est que l'expression de la liberté reconnue à tout fournisseur d'organiser son réseau de distribution et de modifier cette organisation.
31. Par ailleurs, l'obligation, faite aux opticiens détaillants de détenir un stock minimum limité à 52 coffrets de 6 lentilles, se justifie par le souci de limiter les délais de mise à disposition pour les consommateurs et ne constitue pas une contrainte de nature à limiter les possibilités de stockage et donc d'accès à la distribution pour les autres fabricants. Un opticien sur trois déclare que d'autres fournisseurs lui imposent également un stock minimum (notamment Wesley-Jessen, lentille Fresh Look) ce qui représente une contrainte financière du même ordre que celle de Vistakon, et la moitié des opticiens déclarent constituer un stock permanent de lentilles d'autres marques (principalement Wesley-Jessen, mais aussi Seequence de Bausch & Lomb et Précision de PBH).
32. Enfin, bien qu'une très grande homogénéité des prix de détail des lentilles Acuvue ait été constatée, le contrat de partenariat ne comporte aucune recommandation sur le prix de vente au consommateur et l'enquête n'a mis en évidence aucun dispositif de surveillance ni aucune mesure de sanction mise en œuvre par Vistakon pour non-respect du prix conseillé.
33. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la délimitation du marché affecté et sur la position que détiendrait Vistakon sur ce marché, qu'aucune des pratiques dénoncées n'entre dans les prévisions de l'article L. 420-2 du Code de commerce. Il convient, dès lors, de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.
DÉCISION
Article unique : - Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.